Cass. com., 7 mai 2019, n° 17-19.968
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Leguide.com (SAS)
Défendeur :
Saumon's (SARL), Lagardère News (SARL), Etains du Campanile (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Le Bras
Avocat général :
Mme Pénichon
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer
LA COUR : - Donne acte à la société Leguide.com de ce qu'elle se désiste de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Lagardère News ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Pewterpassion.com devenue la société Etains du Campanile est spécialisée dans la promotion et la vente sur internet des produits en étain fabriqués par la société Saumon's ; que la société Leguide.com édite le site internet "leguide.com", qui référence de manière payante des marchands et leurs produits et dont le contenu est diffusé sur des sites partenaires dont ceux de la société Lagardère News, éditeur de titres de presse ; qu'un constat d'huissier de justice ayant établi que les contenus fournis par la société Leguide.com sur ces sites partenaires n'étaient pas identifiés comme étant des espaces publicitaires dans lesquels étaient référencés de manière payante des marchands et des produits, les sociétés Etains du Campanile et Saumon's ont assigné la société Leguide.com afin qu'elle soit condamnée à identifier les contenus publicitaires sur les sites de ses partenaires et à leur payer des dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Leguide.com fait grief à l'arrêt de déclarer les sociétés Etains du Campanile et Saumon's recevables en leurs demandes alors, selon le moyen, que pour être recevable, une demande doit être suffisamment déterminée quant à son objet ; que s'il incombe à la partie qui soulève une fin de non-recevoir de rapporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde, elle n'est en revanche nullement tenue de fournir à la partie adverse les éléments qui lui permettraient d'y échapper ; que pour écarter la fin de non-recevoir soulevée par la société Leguide.com, la cour d'appel a considéré que cette société ne pouvait légitimement soutenir que les demandes formulées à son encontre étaient indéterminées dès lors qu'elle avait refusé de communiquer les éléments réclamés par les parties adverses aux fins de préciser l'objet de leurs demandes ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il n'appartenait pas à la société Leguide.com de fournir aux demanderesses les éléments qui leur auraient permis de préciser l'objet de leurs demandes, et d'échapper ainsi à la fin de non-recevoir qui leur était opposée, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les articles 4, 9 et 122 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt constate que les sociétés Saumon's et Etains du Campanile ont précisé leurs demandes de mentions permettant l'identification du caractère publicitaire par l'ajout de termes, tels que "publicité", " communiqué " ou " Annonce payante ", ainsi que sur la notion de sites partenaires qui comprennent tant des sites de presse partenaires, tels le jdd.fr et parismatch.com, que les sites partenaires tels que shopping.voila.fr ; qu'il relève que la société Leguide.com a elle-même reconnu les nombreux partenariats qu'elle avait noués avec plus de trente entreprises européennes ; que par ces seuls motifs dont elle a déduit que les demandes d'injonction étaient suffisamment déterminées, la cour d'appel a justifié sa décision ; que le moyen, qui critique des motifs surabondants, est inopérant ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Leguide.com fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, qu'est irrecevable toute prétention émise contre une personne dépourvue du droit d'agir ; qu'il appartient aux juges du fond de se prononcer sur tous les éléments de preuve qui leur sont régulièrement soumis ; qu'en l'espèce, pour démontrer qu'elle n'était pas en mesure de déférer à des injonctions concernant des sites partenaires qu'elle n'éditait pas ni n'hébergeait elle-même et dont elle ne maîtrisait donc pas le contenu, la société Leguide.com avait produit aux débats plusieurs éléments essentiels : d'une part les conditions générales d'utilisation et d'information élaborées par Google à l'attention des " webmasters " dont il ressortait que Google maîtrise seul le contenu des pages de " résultats de recherche ", de sorte que l'insertion de mentions précises dans les balises méta ne garantit en aucun la présence de ces mentions dans les pages de résultats ; d'autre part un rapport de Stéphane Lipski, expert en informatique, qui attestait que le moteur de recherche sélectionne des informations qu'il souhaite afficher dans leur intégralité ou partiellement ; enfin, des correspondances avec les éditeurs de certains sites démontrant l'impossibilité matérielle dans laquelle elle se trouvait de modifier ces sites ; qu'en condamnant la société Leguide.com sous astreinte à modifier certains sites partenaires, sans examiner ces éléments de preuve et sans s'expliquer sur eux, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que la recevabilité d'une action n'est pas subordonnée à la démonstration préalable de son bien-fondé ; qu'il résulte des éléments invoqués par la société Leguide.com, repris au moyen, que, sous le couvert du défaut de droit d'agir en justice, celle-ci opposait en réalité son incapacité à mettre en œuvre, matériellement, les injonctions demandées ; qu'une telle discussion relevant du bien-fondé de l'action et non de sa recevabilité, le moyen est inopérant ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que la société Leguide.com fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement qui l'avait condamnée, sous astreinte, à identifier, en faisant précéder des mentions " publicité " ou " communiqué " ou " annonce payante ", les espaces dans lesquels sont diffusés, dans les sites de presse en ligne partenaires de Leguide.com tels que http://lejdd.fr/, http://parismatch.com/, les annonces payantes des marchands et de leurs produits, alors, selon le moyen : 1°) que le champ d'application, quant aux sites concernés, du décret n° 2016-505 du 22 avril 2016 relatif aux obligations d'information sur les sites comparateurs en ligne, est défini par son article 1er, devenu D. 111-6 du Code la consommation, aux termes duquel " Pour l'application de l'article L. 111-6, la fourniture d'informations en ligne permettant la comparaison des prix et des caractéristiques de biens et de services s'entend de l'activité de sites comparant des biens et des services et permettant, le cas échéant, l'accès aux sites de vente de ces biens ou de fourniture de ces services. Relèvent également des dispositions de l'article L. 111-6 les sites de vente à distance qui proposent, à titre principal, la comparaison de biens ou de services, vendus par eux-mêmes ou par des tiers. Toute personne qui, pour son activité commerciale par voie électronique, utilise les termes de "comparateur" ou de "comparaison", exerce une activité de comparaison au sens de l'article L. 111-6 " ; que pour en écarter l'application en l'espèce, la cour d'appel a relevé que ce décret portait sur toutes personnes dont l'activité consiste en la fourniture d'informations en ligne permettant la comparaison des prix et des caractéristiques de biens et de services, ce qui ne serait pas le cas de la société Leguide.com, qui référence de manière payante des marchands et leurs produits ; qu'en statuant ainsi, alors que la circonstance qu'un site comparateur référence de manière payante les marchands et leurs produits n'est pas exclusive de l'application du décret susvisé, la cour d'appel l'a violé ; 2°) qu'en ne vérifiant pas ainsi qu'elle y était invitée si le site Leguide.com ne fournissait pas des informations destinées à opérer des comparaisons entre différents biens et si à tout le moins ce site ne se présentait pas comme un site comparateur de prix, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er du décret susvisé ; 3°) que selon l'article L. 121-4 du Code de la consommation, "Sont réputées trompeuses, au sens des articles L. 121-2 et L. 121-3, les pratiques commerciales qui ont pour objet : 11° D'utiliser un contenu rédactionnel dans les medias pour faire la promotion d'un produit ou d'un service alors que le professionnel a financé celle-ci lui-même, sans l'indiquer clairement dans le contenu ou à l'aide d'images ou de sons clairement identifiables par le consommateur " ; que cette disposition, qui concerne le " publi-reportage ", est manifestement sans rapport avec l'activité de la société Leguide.com ; qu'en considérant néanmoins que la société Leguide.com avait commis une faute au regard de ce texte, la cour d'appel a violé l'article L. 121-4-11° du Code de la consommation ;
Mais attendu, en premier lieu, que le moyen, en ses deux premières branches, ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine des juges du fond qui, au vu des nombreux exemples fournis par la société Leguide.com dans ses conclusions, ont estimé que, contrairement à ce que celle-ci prétendait, son activité ne consistait pas en la fourniture d'informations en ligne permettant la comparaison des prix et des caractéristiques des biens et services, mais se bornait à référencer, de manière payante, des marchands et leurs produits, excluant par là-même qu'elle fournisse des informations destinées à opérer des comparaisons entre différents biens ou que son site se présentât comme un site comparateur de prix ;
Et attendu, en second lieu, qu'ayant retenu que la société Leguide.com référençait de manière payante des marchands et leurs produits et constaté que les contenus shopping diffusés sur les sites de presse des partenaires se présentaient sous une forme rédactionnelle, que les termes utilisés par la société Leguide.com ne permettaient pas de déterminer qu'il s'agissait d'une publicité, que l'information était présentée sous forme d'image ou de texte, de façon objective et sans mention de l'annonceur, et que la société Leguide.com n'identifiait pas clairement le caractère publicitaire de son contenu dans les sites de presse partenaires de la société Lagardère News, la cour d'appel en a déduit à bon droit que la société Leguide.com s'était rendue coupable d'une pratique commerciale réputée trompeuse au regard de l'article L. 121-4, 11° du Code de la consommation ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le cinquième moyen : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le quatrième moyen : - Vu l'article L. 120-1, alinéa 2, du Code de la consommation ; - Attendu que pour condamner la société Leguide.com à identifier, sous astreinte, de manière claire et loyale, comme étant un contenu publicitaire, les espaces dans lesquels sont diffusés, dans les sites partenaires de la société Leguide.com autres que les sites de presse en ligne, tels que http://shopping.voila.fr, les annonces payantes des marchands et leurs produits, l'arrêt retient qu'il appartient à la société Leguide.com d'identifier tous les contenus publicitaires qu'elle diffuse sur les sites de ses partenaires et que le non-respect de cette prescription est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement du consommateur au sens de l'article L. 120-1 du Code de la consommation, en ce qu'elle ne lui permet pas de prendre une décision en connaissance de cause ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans expliquer, au regard d'éléments précis, en quoi l'insuffisance des informations communiquées était susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief : casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société Leguide.com, sous astreinte, à identifier de manière claire et loyale, comme étant un contenu à caractère publicitaire, les espaces dans lesquels sont diffusés, dans les sites partenaires de Leguide.com, tel que http://shopping.voila.fr, les annonces payantes des marchands et leurs produits, la condamne à payer à la société Pewterpassion.com et la SARL Saumon's la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 17 mars 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.