CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 17 mai 2019, n° 17-05180
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
DG Communication (SARL), RH Editions (SAS)
Défendeur :
DG Communication (SARL), RH Editions (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lis Schaal
Conseillers :
Mmes Bel, Cochet-Marcade
Avocats :
Mes Fromantin, Jakubowicz, Guizard, Genin
FAITS ET PROCÉDURE :
La société par actions simplifiées RH Editions (ci-après la société RH), créée en mars 1997 et dirigée par Monsieur X, édite un magazine bimensuel intitulé " Acteurs de l'économie ".
La société à responsabilité limitée DG Communication (ci-après la société DG) créée en mars 1989 par Monsieur Y qui la dirige exerce une activité de création de maquettes, la composition de revues et d'ouvrages imprimés.
La société RH Editions avait confié à la société DG Communication depuis le mois de mars 1997, l'édition de la revue " Acteurs de l'économie ".
Les deux sociétés ont parallèlement concouru à l'édition entre 2001 et 2011 de cinq ouvrages d'art (" Tables des Chefs " et " Communion d'Esthètes " en 2001, " Giorda " en 2008, " Dymond " en 2009 et " Truphémus " en 2011).
Par courrier du 14 février 2012 la société RH Éditions a mis un terme aux relations entre les parties.
Estimant que la rupture des relations commerciales était brutale au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, la société DG Communication et Monsieur Y ont assigné par acte du 8 juin 2012 la société RH Editions sur ce fondement devant le tribunal de grande instance de Lyon lequel s'est déclaré incompétent par ordonnance du juge de la mise en état du 14 février 2013.
Dans l'intervalle, par jugement du 27 juin 2012 la société DG a été placée en liquidation judiciaire et Maître Z a été désigné en qualité de liquidateur judiciaire.
Le tribunal de commerce de Lyon saisi par acte du 26 novembre 2013 sur le même fondement d'une rupture brutale des relations commerciales établies, a ordonné le 12 décembre 2014 aux frais de la société RH l'instauration d'une mesure d'expertise aux fins principalement de faire les comptes entre les parties.
A défaut de la consignation complémentaire le rapport a été déposé en l'état le 4 février 2016 et l'instance a été reprise par conclusions de Maître Z ès qualité et de M. Y aux fins de voir la société RH condamnée à payer :
- à la liquidation judiciaire de la société DG en réparation de la rupture brutale la somme de 355 266 euros correspondant à la marge brute perdue ;
- à M. Y une somme de 10 000 euros en indemnisation de son préjudice moral correspondant à la perte de chance d'éviter la liquidation, et une somme de 80 000 euros pour 24 mois de perte de salaires ;
- à la liquidation judiciaire de la société DG au titre des ventes d'ouvrages d'art co-édités, les sommes de 162 618 euros, de 45 765 euros et de 80 765 euros ;
et voir ordonner la publication du jugement.
La société RH s'est opposée aux demandes en soutenant la commission d'une faute extrêmement grave commise par la société DG dans le cadre de l'édition du magazine " Acteurs de l'économie " en ce que la société DG n'a pas reversé à l'imprimerie Courand les sommès qu'elle recevait de la société RH, caractérisant ainsi un abus de confiance, ainsi que des pratiques de prix surévalués, constitutifs de manquement à son devoir d'exécuter les conventions de bonne foi, et l'absence de relations commerciales établies s'agissant des publications d'ouvrages d'art.
Elle a sollicité subsidiairement la réduction à quelques mois de la durée du préavis.
Par jugement du 6 mars 2017, le tribunal de commerce de Lyon a débouté le liquidateur de la demande d'indemnisation pour l'édition des ouvrages d'art et fait droit à la demande pour l'édition de la revue, a débouté M. Y de toutes ses demandes et Maître Z de ses demandes reconventionnelles et de publication de la décision, et condamné au bénéfice de l'exécution provisoire, la société RH à régler à la liquidation de la société DG principalement la somme de 121 390 euros (sur 355 266 euros demandés) au titre du préjudice de rupture brutale, ainsi que les sommes de 154 258,15 euros, de 46 735 euros et de 80 765 euros au titre des co-éditions d'ouvrage.
Le tribunal a jugé que la relation commerciale d'édition de la revue était établie et durable entre 1997 et début 2012. Il a jugé que le risque allégué par la société DG que l'imprimerie Courand exerce une action directe en paiement n'était pas prouvé et ne justifiait pas la rupture brutale des relations commerciales établies.
S'agissant de l'édition des ouvrages d'art il a jugé en revanche qu'une seule édition en 2008, en 2009 et en 2011 après une période sans édition de 2001 à 2008 ne constituait pas une relation commerciale établie.
Il a écarté la notion de dépendance économique en relevant la passivité de la société DG qui n'avait pas cherché à diversifier sa clientèle, et a fixé le préavis convenable à 18 mois pour une durée de relations de 15 ans.
Il a retenu la marge brute attestée par l'expert-comptable du liquidateur de la société DG, soit 80 927 euros annuels, et écarté les critiques de la société RH sur ce point, compte tenu du refus de cette dernière de consigner les frais d'expertise.
Il a écarté les demandes d'indemnisation à titre personnel de M. Y, en relevant que seule la brutalité de la rupture et non la rupture était indemnisable.
Il a rejeté l'exception de la prescription des ouvrages édités en 2008 et 2009, interrompue par l'assignation délivrée devant le tribunal de grande instance de Lyon le 8 juin 2012.
Il a rejeté le moyen d'une vente des livres à prix réduits ou de livres offerts, pour voir diminuer le montant de la créance en l'absence d'accord pour ce faire de la société DG et relevé que la société RH avait fait obstacle à la mesure d'expertise ordonnée pour faire les comptes entre les parties.
Analysant la demande de publication de la décision en une demande dommages et intérêts il a rejeté la demande.
La société RH Editions a relevé appel de la décision le 10 mars 2017.
Maître Z représentant la société DG Communication, et M. Y ont relevé appel le 11 avril 2017.
Une ordonnance du 6 juin 2017 du Premier Président de la cour d'appel a prononcé l'arrêt de l'exécution provisoire.
Les instances ont fait l'objet d'une jonction par ordonnance du 1er mars 2018.
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 18 décembre 2017 par la société RH Editions, aux fins de voir la cour :
Vu les articles L. 442-6 I 5° du Code de commerce et 1104 nouveau (ancien article 1134 alinéa 3) du Code civil,
- réformer partiellement la décision entreprise et statuer à nouveau sur les demandes de DG Communication au titre de la rupture de relations commerciales établies relatives à l'édition du magazine " Acteurs de l'Économie " et sur le montant dû au titre des recettes générées par la commercialisation des ouvrages d'art,
À titre principal,
- confirmer le jugement en ce que s'agissant des publications annexes d'ouvrages d'art et de recueils de textes, il n'existait aucune relation commerciale établie entre la société RH Editions et la société DG Communication,
- constater que RH Editions a rétrocédé à DG Communication la part qui lui revenait pour l'édition des ouvrages d'art Truphemus, Dymond et Giorda,
- débouter en conséquence la société DG Communication et Monsieur Groboz de leurs prétentions formulées à ce titre,
- dire et juger que s'agissant des relations commerciales unissant RH Editions et la société DG Communication pour l'édition du magazine " Acteurs de l'Economie ", la société DG Communication a commis une faute grave en ne reversant pas à l'imprimerie Courand & Associés les sommès qu'elle recevait de la société RH Editions à destination de cette imprimerie,
- dire et juger qu'en se comportant ainsi, la société DG Communication s'est rendue coupable d'une faute équipollente à un abus de confiance au préjudice de l'imprimerie Courand & Associés qui en a subi un préjudice considérable et qui aurait pu décider du jour au lendemain de ne plus travailler pour le compte de la société RH Editions,
- dire et juger d'une manière générale, au regard de ces faits et des pratiques de prix surévalués de la société DG Communication, que celle-ci a manqué à son devoir d'exécuter les conventions de bonne foi et de satisfaire à toutes les suitès que l'équité donne normalement à l'obligation en fonction de sa nature,
- dire et juger qu'en cet état DG Communication a violé l'article 1104 nouveau (ancien article 1134 alinéa 3) du Code civil,
- dire et juger que DG Communication et Monsieur Y ne peuvent être indemnisés des conséquences résultant de la rupture de la relation commerciale au titre de l'édition du magazine " Acteurs de l'Economie ",
- débouter en conséquence DG Communication et Monsieur Y de toutes leurs prétentions,
À titre subsidiaire,
- Si, par impossible la cour considérait qu'un préavis aurait été nécessaire au moment de la rupture,
- dire et juger que ce préavis aurait dû être d'une durée maximum de quelques mois,
- dire et juger en tout état de cause, que la réparation ne peut être équivalente au chiffre d'affaires mais doit être limitée à la marge brute,
- dire et juger que la société DG Communication ne rapporte pas la preuve du montant de sa marge brute,
- dire et juger que la société RH Editions ayant une créance d'un montant de 39 104 euros à l'égard de DG Communication, une compensation judiciaire doit s'effectuer entre ce montant et la dette due par RH Editions à DG Communication au titre de la rupture de la relation commerciale,
- réduire, en conséquence, le montant de la perte de marge brute subie par DG Communication,
Reconventionnellement,
- dire et juger que compte tenu des faits exposés et démontrés par les pièces versées aux débats, la société DG Communication a introduit une action abusive à l'encontre de la société RH Editions,
- condamner DG Communication à payer à la société RH Editions la somme de 10 000 de dommages intérêts à ce titre,
- condamner également DG Communication et Monsieur Groboz à payer à la société RH Editions la somme de 30 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens.
Moyens de l'appelant :
La société RH, qui ne conteste pas le caractère établi de la relation s'agissant du magazine bimensuel intitulé " Acteurs de l'économie " soutient en substance que la rupture était justifiée par une inexécution contractuelle fautive par la société DG en ce qu'elle ne réglait pas les factures dues à l'imprimerie Courand.
A titre subsidiaire, elle conteste toute dépendance économique et sollicite la réduction à quelques mois du délai de préavis.
Elle conteste tout caractère de relations établies s'agissant des ouvrages d'art, dès lors que les relations ne s'inscrivaient dans aucun contrat cadre, ne disposaient pas d'une exclusivité ou d'un volume de chiffre d'affaires, en soulignant le caractère ponctuel de la collaboration. La société RH n'a jamais laissé croire à la société DG Communication que leur coopération en matière d'ouvrages allait être régulière et stable.
Elle critique les montants alloués par le tribunal au titre de la vente des ouvrages d'art en l'absence de prise en compte des éléments comptablès qu'elle a produits qui démontrent que certains ouvrages n'ont pas pu être vendus au prix affiché et qu'il convenait de déduire du chiffre d'affaires généré par la vente de ces ouvrages un certain nombre de charges et le pourcentage correspondant au droit d'auteur.
Le complément d'expertise privée qu'elle a demandé à l'expert commis en première instance est recevable puisque soumis à la libre discussion des parties et probant.
Elle reconnaît avoir offert des ouvrages ou les avoir vendus au prix inférieur au prix facial, mais avoir agi en qualité d'éditeur, lequel n'est pas assujetti à la loi sur le prix unique du livre.
Le chiffre d'affairès qui en est résulté est nécessairement minoré. Elle s'est acquittée de frais d'édition et de rétrocession à la société DG, de sorte que la rétrocession est supérieure aux droits auxquels cette société DG peut prétendre, et qu'il en résulte pour chacun des ouvrages un trop payé dont le montant total s'élève à 39 104 euros, lequel devra faire l'objet d'une compensation.
Elle conteste tout préjudice personnel sollicité par Monsieur Y
Elle réclame une indemnisation pour une action introduite abusivement lui occasionnant un préjudice d'image qu'il convient de réparer.
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 3 novembre 2017 par Maître Z en qualité de liquidateur de la société DG Communication et par M. Y aux fins de voir la cour :
Vu les articles L. 442-6 I 5° du Code de commerce et 1134 et 1382 du Code civil (ancien),
Vu la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre,
Vu les articles 244 et suivants du Code de procédure civile,
Vu ce qui précède et les pièces versées aux débats,
Vu le jugement du tribunal de commerce de Lyon du 6 mars 2017,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :
* retenu la brusque rupture des relations commerciales établies au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies portant sur la réalisation du magazine " Acteurs de l'économie ",
* condamné la société RH Editions à verser à Maître Z, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société DG Communication, les sommes de :
- 154 258,15 euros au titre des commissions dues sur les ventes de l'ouvrage Truphemus,
- 46 735 euros au titre des ventes de l'ouvrage Giorda,
- 80 765 euros au titre des ventes de l'ouvrage Dymond,
- le réformer au surplus,
Statuant à nouveau,
- déclarer irrecevable le " rapport amiable " de Monsieur A du 28 juillet 2017 et ses annexes, ou subsidiairement, le déclarer irrégulier de sorte que la cour ne pourra, même partiellement, le retenir pour fonder sa décision,
- dire et juger que la relation commerciale établie entre les sociétés DG Communication et RH Editions a porté, tant sur la coédition d'ouvragès que sur la réalisation du magazine " Acteurs de l'économie ",
- dire et juger que la rupture sans préavis des relations commerciales établies en date du 14 février 2012 par la société RH Éditions est fautive ;
- fixer la durée du préavis qui aurait dû être alloué par la société RH Editions à 24 mois,
- condamner la société RH Éditions à payer à liquidation judiciaire de la société DG Communication la somme de 355 266 euros au titre de la marge brute perdue ;
- la condamner à payer à Monsieur Y la somme de 100 000 euros en indemnisation de son préjudice moral, outre celle de 80 800 euros en indemnisation de sa perte de salaires sur 24 mois ;
- la condamner à procéder à la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir à ses frais, en première page de la revue " Acteurs de l'économie " dans un encadré de dix centimètres de large sur dix centimètres de haut, en caractères gras de couleur noire sur fond blanc, d'une taille suffisante pour recouvrir intégralement la surface réservée à cet effet et au minimum d'une taille équivalente à la police 12 " Times New Roman ", sous le titre " Publication judiciaire " en caractères gras majuscules de un centimètre de hauteur.
- débouter la société RH Éditions de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- la condamner à payer à la liquidation judiciaire de la société DG Communication et à Monsieur C H M la somme de 25 000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Moyens de l'intimé :
Le liquidateur de la DG Communication et M. Y soutiennent en substance que l'ensemble des flux commerciaux doit être pris en compte pour apprécier l'ancienneté des relations, l'édition d'ouvrages et de magazines constituant deux volets d'une même relation. Ils ajoutent que l'éventuelle spécificité ou fragilité du marché de l'édition de magazines ou d'ouvrages d'arts ne permet pas d'écarter les caractères de stabilité et de continuité d'une relation.
S'agissant de la revue, l'existence d'une relation commerciale établie n'est pas contestée ; en ce qui concerne les ouvrages d'art, un partenariat régulier existait entre les deux sociétés, les ouvrages étaient systématiquement co-édités sans faire appel à un autre partenaire et entraient dans le collection "Peintres d'aujourd'hui" créée en 1998 par M. Y et M. X et dont la promotion était faite en commun.
La société RH qui n'a invoqué aucune faute dans son courrier de rupture ne peut justifier a posteriori une faute qui n'a pas été reprochée au moment de la rupture et qui n'est évoquée que pour les besoins de la procédure.
Les fautes reprochées tardivement à DG Communication, soit la dette à l'égard de l'imprimerie Courand, qui n'est pas constitutive d'une faute à l'encontre de la société RH ou la qualité et le prix des prestations de DG Communication, sont infondées.
Compte tenu d'une durée de 15 ans de relations, de 90 % du chiffre d'affaires de la société DG assuré par la société RH, et de l'état sinistré du marché de l'édition d'art, l'état de dépendance économique doit être retenu et un préavis de 24 mois accordé.
La marge brute résulte d'une attestation de son expert-comptable auquel s'ajoute le tiers du chiffre d'affaires impayé au titre des ouvrages d'art sur trois ans.
M. Y a subi un préjudice personnel moral et matériel de la rupture brutale dont il demande réparation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.
Sur les montants dus au titre des ouvrages en co-édition, la société RH Editions agissait en qualité de détaillant et se devait de respecter le prix qu'elle avait fixé comme coéditeur avec DG Communication et qui figurait en quatrième de couverture, ce qu'elle n'a pas fait et ne conteste pas Elle réclame des montants calculés à partir de la vente des livres à leur prix facial mais après déduction des charges diverses.
Elle conteste la recevabilité de l'expertise officieuse A produite par son adversaire dans la mesure où celle-ci avait été désigné en qualité d'expert judiciaire et que l'expertise avait été déposée en l'état faute de consignation par la société RH.
MOTIFS
La cour renvoie, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, à leurs écritures précitées
I. Sur la rupture brutale :
Aux termes de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel on artisan : 5°) De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminé, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...)
Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. "
L'application de ces dispositions suppose l'existence d'une relation commerciale, qui s'entend d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties, revêtant un caractère suivi, stable et habituel laissant raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine pérennité dans la continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux; en outre la rupture doit avoir été brutale, soit sans préavis écrit, soit avec un délai de préavis trop court ne permettant pas à la partie qui soutient en avoir été la victime de pouvoir trouver des solutions de rechange et de retrouver un partenaire commercial équivalent.
La lettre de rupture du 14 février 2012 adressée par la société RH à la société DG est ainsi rédigée :
" Objet : Fin de collaboration
Cher Monsieur,
Nous sommes au regret de vous annoncer que, dans le cadre de la réorganisation de notre société RH Editions, nous sommes dans l'obligation de changer le mode de réalisation de notre magazine Acteurs de l'économie Rhône-Alpes et ainsi de mettre fin à notre collaboration. "
1. S'agissant du magazine bimensuel intitulé " Acteurs de l'économie ", le caractère de relations commerciales établies n'est pas contesté par la société RH qui soutient une cause d'exonération de sa responsabilité dans l'existence d'une faute grave justifiant la rupture de la relation commerciale établie, en ce que la société DG a conservé ces sommès qui ne lui avaient été remisès qu'à charge pour elle de payer l'imprimerie Courand.
Or les faits allégués par la société RH ne sont pas mentionnés dans la lettre de rupture comme les faits à l'origine de la rupture d'une telle gravité qu'ils justifieraient une rupture dépourvue de tout préavis.
En effet, le défaut de payement des factures à un tiers à la relation entre la société DG et la société RH, ne constitue pas un manquement contractuel entre RH et DG qui soit opposable, ni un cas de force majeure.
Le caractère de sous-traitance, non démontré ainsi que justement relevé par le premier juge, en l'absence de preuve par la société RH qu'elle a fait du payement au tiers imprimeur un élément contractuel entre elles, ne constitue pas un tel manquement, la société RH ne justifiant pas, lorsqu'elle a été informée par le tiers des retards de payement, qu'elle s'est adressée à la société RH pour que le payement de ces factures entre dans le périmètre contractuel.
En tout état de cause compte tenu de la durée des relations commerciales entre les parties, les retards de payement, objets de moratoires, ne présentent pas un caractère de gravité justifiant la rupture sans préavis.
Le moyen soutenu par la société RH de ce qu'elle ne disposait pas d'autre choix pour faire éditer ses revuès que de s'adresser à l'imprimerie Courand est inopérant en ce qu'il ne revêt pas les caractères de la force majeure.
L'allégation d'un abus de confiance est purement et simplement écartée, la société RH ne faisant pas davantage la démonstration des éléments constitutifs d'une telle infraction et la société DG justifiant de ce que les encours auprès de l'imprimeur ont fait l'objet d'un échéancier en 2011.
L'allégation d'une faute commise par la société DG Communication, tardive pour être soutenue une fois l'action en indemnisation introduite par cette société doit être écartée de sorte que c'est exactement que le tribunal a jugé que la société RH Editions s'était rendu l'auteur d'une rupture brutale des relations commerciales établies par l'envoi du courrier de rupture le 14 février 2012 dépourvu de tout préavis.
2. Sur les relations commerciales établies au titre des ouvrages d'art :
La société DG soutient l'existence de relations commerciales établies comprenant l'édition des cinq ouvrages d'art parus respectivement en 2001, 2008, 2009 et 2011, que conteste la société RH et qu'a rejetée le tribunal.
La société RH se prévaut d'un arrêt de la Cour de cassation ch. com. 16 déc. 2008, n° 07-15.589, selon laquelle dès lors que les relations contractuelles résultaient de contrats indépendants, que les parties n'avaient pas passé d'accord cadre et qu'aucun chiffre d'affaires ou exclusivité n'avait été garanti, il s'en déduit l'absence d'une " relation commerciale établie ".
La jurisprudence visée n'est pas applicable à l'espèce.
En effet il est constant que les parties étaient en relations d'affaires habituelles dans le cadre de l'activité d'édition de la revue " Acteurs de l'économie ", et que leurs relations comprenaient également, de manière habituelle, l'édition d'ouvrages d'art, même si cette édition était ponctuelle en ce que l'édition d'un nouvel ouvrage n'intervenait pas à un rythme régulier, dès lors qu'elle était récurrente entre les partiès qui collaboraient ensemble à la confection des ouvrages et qu'il n'a pas été fait appel à un tiers pour de telles éditions.
Il résulte en effet des productions que les ouvrages d'art édités faisaient expressément mention à la revue " Acteurs de l'économie " dans les remerciements adressés à divers partenaires, de sorte qu'il est établi qu'un lien très fort existait entre les différents supports édités entre les partenaires.
L'ancienneté et la pérennité des relations résultent au demeurant des factures de prestations pour l'édition de livres adressées pour payement à la société RH pour les années 2007 à 2011, du rapport de gestion de la société RH pour l'année 2010 faisant état d'une baisse de volume des ventes de livres " du type de l'ouvrage consacré à E A ou d'une nouvelle suite de Tout Homme est une merveille ", mais de ce que " de nouveaux ouvrages sont en préparation pour une parution programmée en fin d'année : le tome 3 de " Tout Homme est une merveille ", et la première monographie de G P en 2011 ". Ces éléments témoignent de la place tenue par l'édition des ouvrages d'art dans le chiffre d'affaires et de la volonté de pérenniser cette activité.
La mention : " Y (société DG Communications) " apparaît en qualité de Directeur artistique dans chacun des ouvrages édités. La collaboration des deux dirigeants et des sociétés RH et DG est démontrée depuis l'année 2001. La nature des ouvrages édités participe à cette collaboration, chacun des ouvrages nécessitant plusieurs mois pour son élaboration (écriture des textes, recherche des œuvres, photographies). Ils faisaient également l'objet de rééditions.
S'agissant de l'ouvrage consacré à ... premier ouvrage d'art de la collection " Peintres d'aujourd'hui " publié, à E A (2009), M. Y et M. B sont les auteurs de l'ouvrage.
Il résulte de l'ensemble des éléments ci-dessus qu'il n'existait entre les partiès qu'un seul flux d'affaires comprenant l'édition de la revue et des ouvrages d'art, de sorte que l'existence d'une relation commerciale est bien établie comprenant les ouvrages d'art coédités et que la société DG, pouvant légitimement s'attendre à la poursuite cette relation, a été victime d'une rupture brutale de la relation commerciale établie.
Le jugement est infirmé en ce qu'il a rejeté la demande.
La durée de préavis :
L'état de dépendance économique se définit : " comme la situation d'une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables ".
Ainsi le seul fait allégué de ce que la société DG réalisait avec la société RH environ 90 % de son chiffre d'affaires ne caractérise pas en lui-même un état de dépendance économique faute de démontrer un élément objectif s'opposant à la substitution d'un ou plusieurs autres fournisseurs au sens de la définition ci-avant.
En l'absence d'éléments caractérisant l'état de dépendance économique sus-énoncé, c'est exactement que le tribunal, en tenant compte de la durée de la relation commerciale établie de quinze années et de diverses circonstances dont la spécialité de l'activité d'édition exercée, a fixé à 18 mois la durée du préavis.
Le préjudice subi :
Il est produit par la société DG une attestation de l'expert-comptable de la société d'une marge brute annuelle moyenne des trois derniers exercices précédant la rupture, les années 2009 à 2011, se montant à 80 927 euros, ces éléments présentant un caractère objectif suffisamment probant de sorte que le montant de 121 390 euros (80 927 x 18/ 12) alloué à la société DG est confirmé.
Les montants non versés par la société RH au titre des droits de rétrocession, et discutés ci-après, ne sont pas susceptibles d'asseoir une marge brute complémentaire, laquelle est calculée en pourcentage du chiffre d'affaires antérieurement et effectivement réalisé, étant observé que l'attestation de l'expert-comptable mentionne que le chiffre d'affaires est celui réalisé par la société DG tant au titre de la revue que des livres.
La demande de marge brute complémentaire est en conséquence rejetée.
Les demandes indemnitaires présentées par Monsieur Y à titre personnel sur le fondement de l'article 1382 du Code civil en vigueur au moment de la notification de la rupture :
L'intimé soutient qu'il subit personnellement les conséquences de la rupture brutale dont sa société DG Communication a été la première victime et qui doit s'analyser à son égard comme une faute ouvrant droit à réparation sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile délictuelle en ce que la liquidation judiciaire de la société qu'il a fondée il y a près de trente ans a été la conséquence directe des manquements contractuels commis par la société RH Editions et de la brutalité de la rupture des relations commerciales dont elle est l'auteur.
La société RH s'y oppose, sollicitant la confirmation du jugement de ce chef de demande.
En l'espèce Monsieur Y se limite à affirmer que la brutalité de la rupture est l'unique fait générateur de la liquidation judiciaire, alors d'une part que la société DG rencontrait des difficultés financières relevées par le premier juge, se traduisant en particulier par un défaut de règlement des factures de l'imprimeur depuis le quatrième trimestre 2009 selon déclaration de créance, par le caractère déficitaire des exercices antérieurs notamment 2010 et 2011 et que le choix de l'appelant de réaliser la quasi-totalité de son chiffre d'affaires avec la société RH lui est imputable faute d'avoir démontré l'état de dépendance économique qu'il alléguait, de sorte que c'est à bon droit que le premier juge est entré en voie de rejet de cette prétention.
Le rejet de la demande d'indemnisation de la perte de salaires pendant deux ans est en conséquence confirmé pour les mêmes motifs.
II. Sur la vente des livres d'Art :
La société DG sollicite le payement des montants non versés en vendant les ouvrages d'art à un prix ne respectant pas les dispositions légales du prix unique du livre.
La société RH dénie que cette disposition lui soit applicable en sa qualité d'éditeur. Elle ajoute que les livres n'étaient pas vendables au prix affiché.
Il est suffisamment établi que les deux sociétés en leur qualité de co-éditeur des ouvrages d'art, ont fixé d'un commun accord le prix de vente du livre au public au montant affiché sur le livre.
L'expertise non contradictoire aux fins de déterminer le montant de la rétrocession due à la société DG, demandée par la société RH à M. A, que le tribunal avait antérieurement désigné en qualité d'expert judiciaire pour faire les comptes entre les parties et qui avait déposé son rapport en l'état faute de consignation par la société RH, si elle n'est pas en elle-même irrecevable dans la mesure où les considérations purement déontologiques ne sont pas opposables à la cour et où elle a été soumise à la discussion des parties, présente toutefois des éléments, dont de simples allégations, dépourvus de toute force probante.
Il est en conséquence retenu le principe de co-édition à parité 50/50 sur les livres d'art avec partage pour moitié entre les parties, après déduction du droit d'auteur et des charges.
Dans la mesure où le prix est affiché sur la couverture du livre, la société RH lorsqu'elle agit en qualité de vendeur détaillant ne peut appliquer au client final des réductions à sa propre convenance.
Il n'est pas contesté que les ouvrages n'ont pas été vendus au prix affiché.
En effet, il résulte de ses propres conclusions et productions que la société RH a offert des ouvrages à des tiers, appliqué des tarifs préférentiels, des remises diverses à des clients qui n'avaient pas vocation à revendre les livres ainsi des Collectivités, des établissements bancaires..., de sorte que la société RH a agi en qualité de détaillant à l'égard de ces clients finaux et ne pouvait appliquer un tarif inférieur au tarif facial du livre, échouant à rapporter la preuve qu'elle a agi avec l'accord de la société DG, laquelle n'avait pas la possibilité de connaître les pratiques commerciales de la société RH et n'avait pas été invitée à donner son accord.
S'agissant des montants en débat, la société DG demanderesse soutient que les montants demandés tiennent compte de ce que les charges relatives à la coédition ont déjà été partagées et qu'elle sollicite une marge.
La société RH réplique que les montants demandés représentent un chiffre d'affaires alors que la société DG ne peut solliciter qu'une marge brute, tout en énumérant les chargès qu'elle a payées pour chacun des livres en litige, avant de reverser les droits de rétrocession.
Au soutien de ses prétentions, la société DG produit un décompte intitulé " Récap livre Truphémus " 10 février 2011, émis par la société RH, démontrant effectivement que la rétrocession à la société DG est calculée après déductions des charges, comprenant notamment le montant des droits d'auteur.
Il est par conséquent amplement établi que les montants réclamés par la société DG représentent le montant des ventes au prix facial déduction faite des diverses charges incombant aux parties, et non pas un chiffre d'affaires.
Le caractère fondé des demandes présentées par la société DG est rapporté de telle sorte que le jugement entrepris est confirmé du chef des montants alloués.
La société RH ne justifiant pas détenir une créance d'indû sur la société DG au titre des ouvrages d'art, la demande de compensation est sans objet.
Sur la demande de publication :
Selon l'article L. 442-6 III, c) du Code de commerce " La juridiction (L. n° 2016-1691 du 9 déc. 2016, art. 102) ordonne systématiquement (l'ancienne rédaction : peut ordonner) la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Elle peut également ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne condamnée... ".
En conséquence, la publication du présent arrêt est ordonnée selon les termes du dispositif.
La demande en dommages et intérêts sur le fondement d'une action abusive formée à l'encontre de la société RH Éditions est rejetée à raison de la succombance de cette société.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, Statuant à nouveau des chefs infirmés, Dit que la société RH Editions s'est rendue l'auteur d'une rupture brutale des relations commerciales établies portant sur l'édition des ouvrages d'art ; Déboute Maître Z ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DG Communication de plus amples demande au titre de la marge brute sur l'édition des ouvrages d'art ; Ordonne la publication, aux frais de la personne condamnée, du dispositif du présent arrêt en première page de la revue " Acteurs de l'économie " dans un encadré de dix centimètres de large sur dix centimètres de haut, en caractères gras de couleur noire sur fond blanc, d'une taille suffisante pour recouvrir intégralement la surface réservée à cet effet et au minimum d'une taille équivalente à la police 12 " Times New Roman ", sous le titre "Publication judiciaire " en caractères gras majuscules de un centimètre de hauteur, à concurrence de la somme de 15 000 euros ; Condamne la société RH Editions à payer à Maître Z ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DG Communication la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; Rejette plus ample demande ; Condamne la société RH Editions aux dépens.