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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 mai 2019, n° 16-21278

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ni une Ni deux (SARL)

Défendeur :

Interactifs (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

M. Bedouet, Mme comte

T. com. Paris, du 26 sept. 2016

26 septembre 2016

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Ni une Ni deux (N1N2) est spécialisée dans la formation et le coaching pour les entreprises.

La SAS Interactifs est une société de formation de coaching des entreprises.

Elle a élaboré une méthode d'enseignement dite " la discipline Interactifs " sur laquelle reposent ses modules de formation.

M. X, gérant de N1N2 assure des cours pour le compte de " Interactifs " depuis 2005 dans le cadre de la formation " Discipline interactifs " avec suivi des stagiaires dans la mise en pratique de la formation reçue.

De 2005 à 2007, les relations entre les parties n'ont pas été formalisées, de 2007 à 2013, N1N2 a reçu des missions de Interactifs pour des interventions d'un montant annuel total supérieur à 80 000 euros.

En septembre 2013, les parties ont décidé d'encadrer leurs relations commerciales, Interactifs souhaitant disposer du concours de M. X pendant 170 jours du 1er septembre au 31 août suivant, pour la somme de 9 000 euros bruts par mois, outre les frais.

Le fonctionnement des relations entre les parties s'est effectué sur cette base de septembre 2013 à janvier 2016.

Le 27 janvier 2016, Interactifs a annulé les interventions de M. X restant prévues.

M. X n'a plus assuré aucune fonction.

Par lettre recommandée avec accusé de réception, N1N2 a mis en demeure Interactifs de lui régler la somme de 63 000 euros hors taxe au titre des séances de formation non effectuées de février à août 2016 compris.

Interactifs a refusé de faire droit à cette demande au motif que M. X a essayé de détourner la clientèle d'Interactifs au profit d'une entreprise tierce dont il est associé.

Ni une Ni deux a assigné Interactifs devant le tribunal de commerce de Paris à jour fixe demandant, sur le fondement du Code civil et de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la condamnation d'Interactifs à lui payer la somme de 75 600 euros outre les intérêts, au titre de la rupture abusive, 68 040 euros au titre de son préjudice financier et 50 000 euros au titre du préjudice moral.

Le tribunal par jugement du 26 septembre 2016, se fondant sur les flux financiers entre les parties et le montant et l'importance du chiffre d'affaire réalisé par N1N2 avec Interactifs a :

- dit qu'il existe une relation commerciale établie entre la SARL Ni une Ni deux et la Sas Interactifs depuis 2005,

- dit que l'inexécution commise par Ni une Ni deux ne suffit pas à justifier une rupture de relation commerciale établie sans délai de prévenance,

- condamné la société Interactifs à payer à la SARL Ni une Ni deux, sur la base d'un préavis de trois mois, la somme de 17 010 euros, au titre du préjudice subi du fait de l'absence de préavis, mais débouté la SARL Ni une Ni deux du surplus de ses demande indemnitaires,

- condamné Interactifs à payer à la SARL Ni une Ni deux la somme de 2 000 euros outre les dépens.

Il a en outre débouté les parties du surplus de leurs demandes et condamné Interactifs à la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL Ni une Ni deux a relevé appel de ce jugement suivant déclaration du 25 octobre 2016.

Par conclusions du 10 octobre 2017 elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné Interactifs à lui payer la somme de 17 010 euros au titre du préjudice subi du fait de l'absence de préavis, en ce qu'il n'a débouté Ni Une Ni deux de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice d'image, et en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes complémentaires, statuant à nouveau,

- condamner Interactifs à lui payer la somme de 75 6000 euros en principal, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 22 février 2016 et ce, jusqu'à paiement complet avec capitalisation à compter de la signification de la présente assignation,

- constater que les relations commerciales entre la société Ni une Ni deux et la société Interactifs ont été brutalement rompues par cette dernière, sans respecter un préavis raisonnable, générant ainsi un préjudice,

- condamner la société Interactifs à lui payer la somme de 68 040 euros au titre du préjudice financier subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies,

- la condamner à lui payer la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral subi de ce chef,

- la condamner en outre à payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre les dépens dont distraction au profit de la société Arst avocats.

Par conclusions du 1er décembre 2017, la société Interactifs demande à la cour de :

- infirmer le jugement et dire qu'elle n'entretenait pas de relation commerciale établie avec la société Ni une Ni deux, en conséquence,

- dire que les conditions d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne sont pas réunies, subsidiairement,

- infirmer le jugement et dire que la faute de la SARL Ni Une Ni deux justifie la résiliation unilatérale et sans préavis, en conséquence,

- débouter la SARL Ni une Ni deux de ses demandes, très subsidiairement,

- limiter le préjudice subi par la SARL Ni une Ni deux à la somme de 17 010 euros, en tout état de cause,

- la condamner la société à verser lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

SUR CE,

Sur la demande formulée au titre de la rupture brutale des relations commerciales

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :

" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

Une relation commerciale " établie " présente un caractère " suivi, stable et habituel " et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux.

C'est vainement que la société Interactifs conteste le caractère commercial de la relation ayant existé entre elle-même et M. X qui exerçait son activité sous la forme d'une société commerciale, la SARL Ni une Ni deux, dès lors que le coaching auprès d'entreprise constitue une activité de prestation de service, exercée entre deux sociétés commerciales.

Si la société Interactifs conteste l'ancienneté de la relation commerciale existant entre elle-même et la société Ni une Ni deux, en faisant valoir que celle-ci n'a acquis une certaine stabilité qu'à partir de 2013, elle ne conteste nullement les énonciations du jugement selon lesquelles, depuis 2005, Ni une Ni deux réalise avec Interactifs un chiffre d'affaires important et régulier, de l'ordre de 80 000 à 90 000 euros chaque année de 2007 à 2011, puis supérieur à 110 000 euros de 2012 à 2015 compris, représentant plus de 80 % de la totalité du chiffre d'affaires de Ni une Ni deux sur la période 2007-2015, et 100 % certaines années, de sorte que c'est justement que le tribunal a considéré que la relation commerciale est établie depuis cette date.

Le 15 janvier 2016, M. X a assuré une formation à l'issue de laquelle il a adressé par mail aux participant le courriel suivant :

" Bonjour à tous,

Dans mon TGV me ramenant à Aix-en-Provence, au terme de deux journées de formation passées ensemble et ravi de cette belle rencontre, je m'empresse de vous adresser :

- La fiche de préparation de l'entrée en matière en formation PDF,

- Les outils en langue anglaise.

Je vous communique également mes coordonnés dans l'objectif de garder le contact, et si l'occasion vous en est donnée, de recommander mon profil de coach, à supposer que vous me trouviez recommandable ;-) "

(...)

Ce courrier est signé de la manière suivante :

" Conseil et accompagnement des dirigeants et de leurs équipes

www.créalide.fr

X

Vice-Président, Associé

Coach Certifié Coach and Team

Praticien en Coaching Comportemental et Cognitif

[...]

(...) "

Suivent les numéros de téléphone (ligne directe et portable).

Il n'est pas contesté que suite à l'envoi de ce mail, Interactifs a, le 27 janvier 2016, annulé les formations que l'intimée devait accomplir pour son compte et que les relations commerciales entre les parties ont ainsi définitivement pris fin.

La société Ni Une Ni deux soutient que cette rupture des relations commerciales est brutale tandis que la société Interactifs souligne que l'absence de préavis est justifié par le caractère fautif de l'attitude de son partenaire.

C'est vainement que la société Ni une Ni deux soutient dans ses écritures que M. X a demandé " à des personnes ayant assisté à une séance de formation et non à des clients de la société Interactifs de recommander son coaching à d'autres personnes " ou que " en aucun cas les gens visés par cette recommandation étaient des clients d'Interactifs eux-mêmes ", alors que l'intimée ne conteste pas qu'elle est intervenue à l'occasion de cette formation, dans le cadre des relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Interactifs.

Il apparaît en tout état de cause que dans ce contexte, le fait pour M. X, d'avoir proposé, à l'issue d'une formation qu'il animait pour le compte d'Interactifs, à ses participants, ses services en coaching via sa société Créalide, dont l'activité est similaire à celle d'Interactifs, et dont il n'est pas contesté que cette dernière ignorait l'existence, constitue une déloyauté fautive vis-à-vis de la société intimée.

La lecture des pièces du dossier fait en outre apparaître que fin 2014, M. X avait émis auprès d'Interactifs le souhait de proposer à ses clients des prestations complémentaires pour son propre compte, dans le domaine spécifique du coaching, sous une forme contractualisée ou le cas échéant par le biais d'une prise de participation dans cette dernière, mais que cette offre lui avait été refusée, Interactifs lui ayant répondu le 27 octobre 2014 (pièce 5 de Interactifs), qu'elle était opposée à ce que les clients et stagiaires de Interactifs se voient proposer une offre de coaching.

Son attitude démontre qu'en l'espèce il a passé outre le refus de cette dernière.

Ces comportements fautifs sont d'une gravité suffisante pour justifier que l'intimée ait mis fin, sans préavis, aux relations commerciales qui les unissaient peu important que les parties ne soient pas liées par un engagement contractuel de non concurrence.

La cour, infirmant le jugement sur ce point, déboutera en conséquence la société Ni Une ni Deux de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture brutale des relations commerciales.

Sur la demande en paiement de la somme de 75 600 euros

L'appelante ne saurait obtenir le paiement des sommes qui lui sont dues, selon elle, en exécution du contrat d'intervention, au titre des facturations des enseignements prévus aux mois de février à août 2016, en invoquant de ce chef la responsabilité contractuelle d'Interactifs, alors que ces demandes tendent également à la réparation des conséquences de la brutalité de la rupture invoquée et que son attitude fautive justifie qu'elle en soit déboutée.

Sur les autres demandes

Le sens de l'arrêt conduit la cour à condamner la société Ni une Ni deux aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société Interactifs la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société Ni une Ni deux de sa demande en paiement de la somme de 75 600 euros, statuant à nouveau, Déboute la société Ni une Ni deux de l'ensemble de ses demandes, La condamne aux dépens de première instance et d'appel, La condamne à payer la somme de 4000 euros à la société Interactifs sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.