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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 mai 2019, n° 18-26966

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Global Hygiène (SAS)

Défendeur :

Initial (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

M. Bedouet, Mme Comte

T. com. Paris, du 13 nov. 2018

13 novembre 2018

FAITS ET PROCÉDURE

La société Global Hygiène est spécialisée dans la transformation de papier en produits à usage unique pour l'hygiène et les arts de la table. Elle fabrique et commercialise à ce titre des rouleaux de papier hygiénique.

La société Initial, filiale du groupe britannique Rentokil Initial 1927 plc (ci-après dénommée " Rentokil Initial "), exerce une activité de blanchisserie et de nettoyage industriels et est spécialisée dans l'équipement des espaces sanitaires professionnels.

Dans le cadre de cette activité d'équipement des espaces sanitaires, la société Initial se fournissait depuis 2000 en produits d'hygiène à usage unique auprès de la société Global Hygiène.

Ces relations commerciales n'étaient alors régies par aucun contrat général.

Le 2 décembre 2016, la société de droit britannique Rentokil Initial, société mère de la société Initial, et la société Global Hygiène ont conclu un contrat cadre d'achat de marchandise, ce contrat ayant pour objet de fixer les conditions d'achat des produits de la société Global Hygiène par la société Rentokil Initial.

Ce contrat prévoyait également qu'il avait vocation à régir les accords d'achat/vente conclus entre la société Global Hygiène et les sociétés acheteuses, filiales européennes de la société Rentokil Initial, auxquelles la société Global Hygiène était susceptible de fournir ses produits.

Le contrat contenait en annexe 3 une liste des " Purchaser Associate Companies " (Sociétés Associées Acheteuses), parmi lesquelles figure la société Initial.

Il était conclu pour une durée déterminée de trois ans jusqu'au 31 décembre 2019, reconductible par tacite accord des parties pour des périodes successives de 12 mois, sauf dénonciation moyennant un préavis de 90 jours, et contenait en son article 25 une clause attributive de juridiction aux termes de laquelle les parties étaient convenues de soumettre les litiges au droit anglais à la compétence des juridictions anglaises.

Parallèlement, les relations entre les sociétés Initial et Global Hygiène se sont dégradées, la société Initial reprochant à la société Global Hygiène plusieurs manquements contractuels relatifs notamment à des défauts de conformité de ses produits.

Elle a mis à plusieurs reprises la société Global Hygiène en demeure d'avoir à lui régler des sommes correspondant à différents incidents liés au défaut de conformité des rouleaux de papier hygiénique.

Soutenant que la société Initial a cessé brutalement de passer commande à compter du mois de mai 2017, la société Global Hygiène, a, par acte d'huissier du 17 novembre 2017, assigné la société Initial devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir condamnée à l'indemniser des préjudices subis du fait de la rupture des relations commerciales, à titre principal sur le fondement de l'article 1217 du Code civil, et à titre subsidiaire, sur le fondement de article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

La société Initial a soulevé, in limine litis, une exception d'incompétence du tribunal de commerce de Paris au motif qu'une clause attributive de juridiction au profit des juridictions anglaise est stipulé dans le contrat conclu le 2 décembre 2016.

Par jugement en date du 13 novembre 2018, le tribunal de commerce de Paris :

- a dit l'exception d'incompétence recevable,

- s'est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir,

- a dit que le greffe procédera à la notification de la présente décision par lettre recommandée avec accusé de réception,

- a dit qu'en application de l'article 84 du Code de procédure civile, la voie d'appel est ouverte contre la présente décision dans le délai de quinze jours à compter de ladite notification,

- a condamné la société Global Hygiène à payer à la société Initial la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus,

- a condamné la société Global Hygiène aux dépens.

La cour est saisie de l'appel interjeté par la société Global Hygiène contre ce jugement, suivant déclaration du 28 novembre 2018, la présidente de cette chambre l'ayant par ailleurs, par application des articles 83 et suivant du Code de procédure civile, autorisé à assigner la société Initial à jour fixe pour le 13 mars 2009, par ordonnance en date du 6 décembre 2018.

La société Global Hygiène a régulièrement assigné la Sas Initial devant la cour par acte d'huissier du 17 décembre 2018.

Vu les dernières conclusions de la société Global Hygiène, notifiées le 28 février 2019, par lesquelles il est demandé à la cour au visa des articles 48, 83 et suivants, L. 442-6, I, 5° et D. 442-3 du Code de commerce, de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement,

Statuant à nouveau,

- dire que la clause attributive de juridiction stipulée à l'article 25 du contrat du 2 décembre 2016 conclu entre la société Rentokil Initial 1927 plc et la société Global Hygiène n'est pas applicable au litige opposant la société Global Hygiène à la société Initial,

En conséquence,

- rejeter l'exception d'incompétence invoquée par la société Initial,

- dire que le tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître du litige,

Subsidiairement,

- dire, en tout état de cause, que le tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître de la demande subsidiaire de réparation de la société Global Hygiène au titre d'une rupture brutale des relations commerciales établies sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, expressément formulée dans son acte introductif d'instance,

En tout état de cause,

- condamner la société Initial à payer à la société Global Hygiène la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Initial aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître X.

Vu les dernières conclusions de la société Initial, intimée, déposées et notifiées le 21 février 2019, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

En conséquence,

- débouter la société Global Hygiène de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Global Hygiène au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance dont distraction au profit de la Selarl Y.

SUR CE, LA COUR,

Sur l'exception d'incompétence soulevée par la société Initial

La société Initial soutient que dans l'assignation introductive d'instance de la société Global Hygiène, laquelle fixe les termes du litige, la société appelante demande réparation d'une inexécution contractuelle prétendument commise par la société Initial en violation du contrat conclu le 2 décembre 2016. Elle estime que la société Global Hygiène ne saurait dès lors, sans se contredire au détriment d'autrui, soutenir que la clause attributive de juridiction stipulée au contrat du 2 décembre 2016 serait inapplicable en l'espèce alors même qu'elle fonde son action sur ledit contrat.

Elle ajoute qu'il n'y a pas lieu d'opérer une distinction, entre les clauses du contrat du 2 décembre 2016 dès lors qu'un contrat est un tout indissociable qui s'applique, en toutes ses stipulations, à la situation contractuelle qu'il régit.

Elle indique que le contrat du 2 décembre 2016 prévoit qu'il est conclu entre la société Rentokil Initial, en son nom propre et au nom des sociétés associées acheteuses, et la société Global Hygiène, de sorte que les Sociétés Associés Acheteuses indiquées en annexe 3 du contrat, dont la société Initial, sont parties audit contrat. Elle en déduit que la clause attributive de juridiction stipulée au contrat du 2 décembre 2016 est applicable dans les rapports contractuels entre la société Global Hygiène et la société Initial.

Elle prétend encore que la société Global Hygiène ne saurait soutenir que la clause attributive de juridiction n'est pas applicable aux accords d'achat/vente de produits conclus entre les sociétés Global Hygiène et Initial, dès lors que le contrat du 2 décembre 2016 ne formule aucune exception relative à son application à l'intégralité des stipulations contractuelles.

La société Initial soutient également que la clause attributive de juridiction contenue à l'article 25 du contrat du 2 décembre 2016 est rédigée en des termes suffisamment larges qui recouvrent l'ensemble des litiges portant sur ledit contrat.

Elle ajoute qu'elle est en outre conforme, aux dispositions de l'article 48 du Code de procédure civile dès lors qu'elle a été convenue entre deux parties contractant en qualité de commerçant, au Règlement (UE) n° 1215/2012 dit Bruxelles I bis, et à la liberté contractuelle en vertu de laquelle que les sociétés Global Hygiène et Initial ont décidé de soumettre le contrat du 2 décembre 2016 à la compétence des juridictions anglaises, de sorte que cette clause est valide.

Enfin, elle estime que la circonstance qu'à titre subsidiaire la société Global Hygiène fonde son action sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce est indifférente à la pleine application de la clause attributive de compétence convenue.

La présente instance concerne la seule question de savoir si le tribunal de commerce de Paris ou bien les juridictions anglaises sont compétentes pour connaître du litige opposant la société Global Hygiène et la société Initial, la cour ayant été saisie dans les conditions des articles 83 et suivants du Code de procédure civile. Ce litige porte à la fois sur l'exécution des relations commerciales ayant existé entre elles, l'appréciation du caractère abusif de la rupture des dites relations, ainsi que son caractère brutal, les demandes formulées de ce chef étant fondées à la fois sur le droit commun de la responsabilité contractuelle et l'article L. 442-6, I, 5°.

Seules sont parties à la présente instance la société Global Hygiène et la société Initial.

La lecture du contrat du 2 décembre 2016 versé aux débats (pièce n° 5 et n° 5 bis de l'appelante) fait apparaître :

- que les parties contractantes y sont identifiées en page 3, comme étant la société Rentokil Initial 1927 (contractuellement définie comme l'Acheteur) plc d'une part, et la société Global Hygiène, (contractuellement définie comme le Fournisseur) d'autre part,

- que seules ces parties, dûment représentées par les personnes habilitées pour ce faire, ont signé ledit contrat,

- que le contrat a pour objet de régler les relations commerciales existant entre l'Acheteur et le Fournisseur,

- que certaines stipulations visent en outre, au titre des relations commerciales existant entre ces parties, les " Sociétés Associées Acheteuses " définies comme étant les sociétés du groupe de l'Acheteur indiquées en annexe 3 ou tout membre du Groupe de l'Acheteur,

- que l'annexe 3 (page 24) dresse la liste des " Sociétés Associées Acheteuses " au rang desquelles figure la société Initial SAS située à Boulogne Billancourt,

- que toutefois ni, cette dernière, ni d'ailleurs aucune des dites sociétés n'est signataire du contrat du 2 décembre 2016,

- que l'article 25 est ainsi rédigé :

" Droit Applicable

Le Contrat sera régi par et interprété conformément aux lois de l'Angleterre (...), les parties conviennent de se soumettre à la juridiction exclusive des tribunaux anglais. "

Ainsi, seule Rentokil Initial 1927 plc, société britannique mère de la société Initial, elle-même société française, et la société Global Hygiène sont signataires dudit contrat de sorte que l'article 25 précité n'a vocation à s'appliquer qu'entre ces deux sociétés.

Par ailleurs la cour fait observer :

- que les parties ont pris le soin, de faire une distinction entre deux types de stipulations : d'une part le Contrat lui-même, signé entre elles, désigné dans la version originale du contrat, en langue anglaise par le vocable " Agreement " et d'autre part les accords d'achat/vente des produits de la société Global Hygiène, passés entre cette dernière et les filiales de la société Retokil initial (Sociétés Commerciales Acheteuses) parmi lesquelles figurent la société Initial, les dits accords d'achat et vente étant désigné sous le vocable " Contract " dans la version anglaise originale.

- que la clause attributive de juridiction rédigée en langue anglaise indique " The agreement will be governed by and be interpreted according to the laws of England (...), the parties agree to submit to the exclusive juridiction of the English courts ", ce qui démontre, compte tenu de ce qui précède et des termes employés, que les parties ont expressément exclu toute application de la clause attributive aux litiges nés des accords d'achat/vente (les " Contracts ") conclus par la société global Hygiène avec les filiales du groupe Rentokil, parmi lesquels figurent la société Initial.

Ainsi l'effet relatif des contrats et le principe d'interprétation stricte des clauses attributives doivent conduire à dire que la présente clause litigieuse n'est pas applicable au litige opposant la société Global Hygiène et la société Initial dès lors que la société Initial n'est pas signataire de la clause attributive et que les " Sociétés Associées Acheteuses " ne sont pas visées comme étant concernées par la clause attributive de compétence invoquée, seules les deux parties au contrat étant explicitement visées.

C'est vainement que la société Initial soutient que dès lors que la société Global Hygiène invoque, pour obtenir réparation des préjudices, la violation de certaines clauses du contrat du 2 décembre 2016, la clause attributive de juridiction doit trouver application alors qu'il résulte de ce qui précède qu'il convient de procéder à une application distributive des clauses du contrat-cadre, certaines d'entre elles étant applicables aux Sociétés Associées Acheteuses (dont la sociétés Initial), et d'autres, dont la clause attributive de juridiction, au seul Acheteur (la société Rentokil Initial).

Ainsi la société Global Hygiène ne s'est nullement contredite à son détriment, cette fin de non-recevoir n'étant d'ailleurs pas invoquée dans le dispositif des conclusions de la société Initial, la cour faisant observer surabondamment par ailleurs :

- qu'il se déduit de la lecture de l'article 25 que seul le contrat-cadre (" Agreement ") est soumis à la loi anglaise,

- que le litige qui oppose Initial et Global Hygiène concerne deux sociétés de droit français, situées sur le territoire national tandis que les fautes manquements et préjudices invoqués par les parties ont été commis et subis en France, de sorte que le litige est purement interne.

Il convient dès lors d'infirmer le jugement en ce qu'il a invité les parties à mieux se pourvoir, de dire que seul le tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître du litige, par application des dispositions des article 42 du Code de procédure civile et D. 442-3 du Code de commerce, les demandes présentées par la société Global Hygiène à l'encontre de la société Initial, dont le siège social est situé à Boulogne Billancourt, étant pour partie fondées sur l'article L. 446-2, I, 5°.

Sur les autres demandes

La société Initial sera condamnée à verser la somme de 5 000 euros à la société Global Hygiène sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et déboutée de sa demande de dommages et intérêts de ce chef à l'encontre de cette dernière.

Elle sera par ailleurs condamnée aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, au profit de Maître X.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement, statuant à nouveau, Rejette l'exception d'incompétence invoquée par la société Initial, Dit que le tribunal de commerce de Paris est seul compétent pour connaître du litige opposant la société Global Hygiène à la société Initial, Condamne la société Initial à payer à la société Global Hygiène la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute cette dernière de sa demande de ce chef, Condamne la société Initial aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 en faveur de Maître X.