Livv
Décisions

CA Colmar, 2e ch. civ. A, 16 mai 2019, n° 2017-04289

COLMAR

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SRI (SARL)

Défendeur :

Chez Vous ou Presque - Tout Feu Tout Flammes (SAS), SCI du Coin du Moulin (Sté), AXA France IARD (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pollet

Conseillers :

M. Robin, Mme Garczynski

TGI Saverne, du 5 sept. 2017

5 septembre 2017

FAITS ET PROCÉDURE

La SCI du Coin du Moulin (ci-après la SCI) a acquis le 7 février 2012, dans un ensemble immobilier situé [...], un hall A ; une partie de celui-ci a été louée par la société Chez Vous ou Presque pour y exploiter, sous l'enseigne " tout feu, tout flamme ", un fonds de commerce de fabrication de fonds de tarte, ayant nécessité la création et la mise en place d'une chaîne de fabrication, et de restauration rapide.

Le 11 novembre 2012, les locaux, encore en cours d'aménagement, ont été endommagés par un incendie.

M. S., expert judiciaire, désigné en référé, qui a eu recours à M. S., sapiteur électricien, a indiqué, dans son rapport du 20 juin 2013, partager sans réserve les conclusions de celui-ci, selon lesquelles l'origine de l'incendie se situait dans la partie supérieure de l'armoire électrique tableau général basse tension (TGBT), sans que la cause exacte qui avait déclenché l'incendie n'ait pu être mise en évidence ; il a évalué les dommages à 196 867,58 euros TTC.

La société SRI était chargée de l'ensemble des installations électriques, à l'exception des branchements des machines et équipements, laissés à la charge des installateurs ; la réception des travaux n'était pas intervenue à la date du sinistre, mais, le 6 juillet 2012, un bureau de contrôle avait vérifié ces installations.

La société SRI a facturé à la société Chez Vous ou Presque les travaux réalisés à la suite du sinistre les 3 juin 2013 et 24 juillet 2013, pour les sommes respectives de 25 133,11 euros et 14 875,55 euros TTC, sur lesquelles elle lui a réclamé la somme de 14 880,30 euros, ayant été indemnisée du surplus par l'assureur de la société Chez Vous ou Presque (25 128,36 versés, après déduction de la franchise de 553,72 euros).

Par acte du 5 novembre 2014, la société SRI a fait assigner, la société Chez Vous ou Presque devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Saverne en paiement de la somme de 14 880,30 euros. La SCI est intervenue volontairement à l'instance. Elle s'est associée à la société Chez Vous ou Presque pour former une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 262 907,57 euros en réparation des dommages subis. La société SRI a appelé en garantie son assureur, la société Axa France IARD.

Par jugement du 5 septembre 2017, le tribunal de grande instance de Saverne a débouté la société SRI de sa demande principale et l'a condamnée à payer aux défenderesses la somme de 196 857,58 euros, en réparation de leur préjudice consécutif au sinistre ; il a condamné son assureur à la garantir et condamné, in solidum, les sociétés SRI et Axa au paiement aux défenderesses de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Il a débouté la société Chez Vous ou Presque de sa demande en réserve de ses droits à chiffrer sa perte d'exploitation.

Le tribunal a retenu que l'article 1788 du Code civil mettait à la charge de l'entrepreneur la perte de l'ouvrage détruit par un incendie avant réception, et que les factures réclamées par la société SRI, correspondant à des travaux de remise en état des installations électriques après sinistre, indemnisés comme tels par Axa en tenant compte du prix de revient du marché hors marge commerciale, ne pouvaient donner lieu à aucune demande complémentaire au maître de l'ouvrage.

Sur la demande reconventionnelle, il a estimé que la responsabilité de la société SRI ne pouvait être recherchée sur le fondement des articles 1788 et 1789 du Code civil, l'entrepreneur ne pouvant assumer les risques de la chose qu'il n'a pas réalisée, et que des éléments excluaient l'existence d'une faute de la société SRI, de sorte que sa responsabilité contractuelle n'était pas engagée ; il a retenu sa responsabilité sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1, du Code civil, au motif qu'elle était restée gardienne de l'armoire électrique en l'absence de réception de l'ouvrage.

Sur le préjudice, il retenu l'évaluation des dommages faite par l'expert et n'a pas tenu compte de la facture de 43 446,69 euros, réclamée par la société Chez Vous ou Presque, en ce que bien qu'antérieure à l'expertise, elle n'avait pas été invoquée devant l'expert.

Sur la garantie de l'assureur Axa, le tribunal a fait application de l'article 2.17.1 de la police relative à la responsabilité civile du chef d'entreprise et rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'existence d'une transaction, au motif que l'évaluation de l'expert portait sur l'ensemble des dommages consécutifs à l'incendie non visés par la transaction, laquelle portait exclusivement sur la remise en état de l'installation électrique réalisée par SRI, non concernée par l'appel en garantie.

Par déclaration du 6 octobre 2017, la société SRI a interjeté appel.

Par conclusions du 21 mars 2019, elle sollicite l'infirmation du jugement déféré aux fins de voir :

- sur sa demande principale : fixer sa créance à l'égard de la société Chez Vous ou Presque à la somme de 14 880,30 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2014, date de la mise en demeure, et la condamner à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- sur la demande reconventionnelle : constater l'irrecevabilité des prétentions de la société Chez Vous ou Presque et de la SCI, en raison de la vente de l'immeuble intervenue le 25 janvier 2018, et au fond, les en débouter et les condamner à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

A titre subsidiaire, elle sollicite la confirmation du jugement déféré sur l'appel en garantie formé contre la société Axa France IARD, et sollicite la condamnation de celle-ci à lui payer 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir, sur sa demande principale, que cette demande porte sur des travaux effectués après le sinistre, à la demande de la société Chez Vous ou Presque, et que celle-ci s'était engagée à les payer.

Sur la recevabilité de la demande reconventionnelle, elle soutient la société Chez Vous ou Presque et la SCI que n'ont plus qualité à agir, la vente ayant eu pour conséquence de transmettre à l'acquéreur du bien, objet des désordres, le soin de poursuivre l'action engagée, en l'absence de clause particulière dérogeant à ce principe, et l'acte de vente stipulant qu'il n'existe aucune procédure en cours.

Sur le fond, elle rappelle que, selon la jurisprudence constante relative à l'article 1788 du Code civil, la charge des risques n'est présumée peser sur l'entrepreneur que concernant la chose même qu'il fournit et non l'ensemble de l'ouvrage, de sorte que doit être recherchée sa résponsabilité contractuelle de droit commun, ce qui nécessite la preuve d'une faute de sa part, aucune obligation de sécurité de résultat ne pesant sur lui.

Elle soutient que l'incendie, en raison de son caractère imprévisible et irrésistible, constituait un cas fortuit et a eu pour conséquence de faire périr la chose. Elle s'approprie les motifs du premier juge sur l'absence de faute commise par elle et met en cause les résidus de laine de verre trouvés à l'intérieur de la partie gauche (partie haute) de l'armoire à l'endroit où l'incendie s'est déclaré, dont la présence pourrait être imputée à la société exploitante. Elle conteste avoir eu la garde de l'armoire, en l'absence de pouvoir effectif, autonome et réellement indépendant de direction et de contrôle de la chose, lequel avait été transféré à la société Chez Vous ou Presque ; à défaut de transfert de garde, elle estime être déchargée de sa responsabilité par la cause étrangère exonératoire.

Sur l'appel en garantie contre son assureur, elle s'approprie les motifs du premier juge.

Par conclusions du 26 mars 2019, Axa France sollicite l'infirmation du jugement déféré aux fins de voir :

- déclarer irrecevable la SCI qui n'a plus d'intérêt à agir suite à la vente de son bien,

- débouter la SCI et la société Chez Vous ou Presque,

- débouter la société SRI de son appel en garantie

- condamner la SCI et la société Chez Vous ou Presque in solidum à lui payer la somme de 12 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir, sur la fin de non-recevoir, qu'il ressort de l'acte de vente que la SCI ne s'est pas réservée la possibilité de poursuivre le procès en cours.

Sur le fond, elle reproche au premier juge de ne pas avoir respecté la règle du non cumul des responsabilités contractuelle et extra contractuelle et fait valoir qu'en présence d'un contrat, seule la responsabilité contractuelle peut être retenue, à l'exclusion de l'article 1384, alinéa 1, du Code civil. Subsidiairement, elle conteste la qualité de gardienne du tableau électrique de son assurée, la garde devant être distinguée de la réception et ayant été transférée à la société Chez Vous ou Presque après la vérification de l'installation électrique par le bureau de contrôle, le tableau général basse tension étant utilisé par les entreprises intervenant sur le chantier pour s'éclairer. Elle ajoute que n'est pas démontrée l'imputabilité du sinistre aux travaux de son assurée, en l'absence de preuve de ce que la cause du sinistre réside dans la structure même du tableau, alors notamment que de la laine de roche y a été placée par un tiers. Elle conteste également toute faute contractuelle. Elle estime que l'entrepreneur ne doit de dommages et intérêts au maître de l'ouvrage, en cas de perte de la chose qu'il n'a pas réalisée, qu'en cas de faute prouvée, et qu'il est libéré du contrat si la perte est due à un cas fortuit.

Sur l'appel en garantie formé contre elle, elle conteste devoir garantir les conséquences d'un incendie dans les locaux d'un tiers, qui aurait dû souscrire sa propre assurance. Elle soutient que l'article 2.17 du contrat d'assurance ne peut trouver application, puisqu'il concerne la responsabilité civile du chef d'entreprise, non caractérisée en l'espèce, et que les dommages de construction sont exclus, cette exclusion étant valable ; elle indique avoir versé une indemnité au titre du volet dommage du contrat, article 2.2, considérant que chaque entrepreneur intervenant sur le chantier était en charge des risques concernant son propre ouvrage et que cette indemnité prenait en charge le coût du remplacement du seul ouvrage réalisé par son assurée, la totalité des travaux réalisés par tous les corps d'état intervenus n'ayant pas à être supportée par elle. Elle conteste l'appel incident de la société Chez Vous ou Presque sur la perte d'exploitation, les dysfonctionnements de la ligne de fabrication n'apparaissant pas liés à l'incendie, mais au matériel lui-même.

Par conclusions du 12 mars 2019, la SCI et la société Chez Vous ou Presque, auxquelles se joignent le mandataire judiciaire et l'administrateur de cette dernière société, intervenant volontairement à la procédure, sollicitent l'infirmation du jugement, en ce qu'il les a pour partie déboutées de leurs prétentions. La société Chez Vous ou Presque sollicite, en plus des condamnations prononcées par le tribunal, la somme de 43 443,69 euros au titre des frais de remise en état de sa ligne de production, et la réserve de ses droits sur la perte d'exploitation. Les deux sociétés réclament la condamnation des sociétés SRI et Axa, in solidum, à leur payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elles font valoir, sur la fin de non-recevoir, que la SCI a financé partie des travaux de réfection, qu'elle agit en remboursement et que le bien cédé était rénové, de sorte que l'action en remboursement n'est pas un accessoire de celui-ci, qui aurait été transmis lors de la vente.

Sur le fond, elles soutiennent que le sinistre résulte d'une cause inhérente à l'ouvrage, puisqu'il est consécutif à l'explosion de l'armoire électrique, que l'entrepreneur avait la garde de cet ouvrage jusqu'à la réception et qu'il doit réparation du préjudice. Subsidiairement, elles font valoir que l'entrepreneur était tenu, jusqu'à réception, d'une obligation de résultat de réaliser un ouvrage exempt de vice, à laquelle il a en l'espèce manqué, et que le vice, même indécelable, ne constitue pas la force majeure. Très subsidiairement, elles plaident que l'intérieur du bâtiment dans son ensemble a été détruit et que, l'origine du sinistre provenant de l'armoire, il appartient à la société SRI de démontrer que le sinistre est survenu sans faute de sa part, alors qu'elle est intervenue sur l'installation le 5 novembre 2012 suite à un dysfonctionnement de l'éclairage.

La société Chez Vous ou Presque conteste le rejet de sa demande en indemnisation du nettoyage de la ligne de production, souillée par la fumée de l'incendie, et indique ne pas être en mesure de chiffrer sa perte d'exploitation, alors que son plan de sauvegarde n'a été arrêté que par jugement du 29 novembre 2016.

Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions susvisées.

L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 4 décembre 2018.

La SCI, la société Chez Vous ou Presque, le mandataire judiciaire et l'administrateur de cette dernière, ont indiqué que la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Saverne a admis le 29 janvier 2019 la société Chez Vous ou Presque au bénéfice de la procédure de redressement judiciaire après résolution du plan de sauvegarde, Me C. ayant été désigné mandataire judiciaire et la Selarl A., prise en la personne de Me K., administrateur, avec mission d'assistance ; ils demandent la révocation de l'ordonnance de clôture.

Toutes les parties, ayant conclu après l'ordonnance de clôture pour tenir compte de la nouvelle situation de la société Chez Vous ou Presque, s'accordent sur cette révocation.

A l'audience du 28 mars 2019, la cour a donc révoqué l'ordonnance de clôture et ordonné une nouvelle clôture de l'affaire, avant l'ouverture des débats.

MOTIFS

Sur la recevabilité de la demande reconventionnelle au regard de la qualité et de l'intérêt pour agir

La société SRI soulève l'irrecevabilité des prétentions, non seulement de la SCI, mais également de la société Chez Vous ou Presque, suite à la vente de l'immeuble intervenue le 25 janvier 2008.

Cependant, la qualité pour agir de la Société Chez Vous ou Presque ne saurait être affectée par un acte auquel elle n'est pas partie.

S'agissant de la SCI, elle a vendu l'immeuble, dégradé par l'incendie, le 25 janvier 2018, en déclarant dans l'acte qu'il n'existait aucune procédure en cours.

Cependant, il est constant que les travaux de remise en état étaient terminés, de sorte que la présente action en indemnisation des désordres n'était pas l'accessoire de l'immeuble vendu. Il n'était donc pas nécessaire qu'une clause de l'acte précisât que la SCI conservait sa qualité à agir. La fin de non-recevoir tirée de la perte de la qualité de propriétaire de l'immeuble sera dès lors rejetée.

La SCI ayant par ailleurs financé une partie des travaux de réfection, elle a intérêt à agir en indemnisation à l'encontre de la société SRI. La fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt, soulevée par Axa, sera en conséquence également rejetée.

Sur le fondement juridique de la demande reconventionnelle

Le sinistre étant intervenu avant réception des travaux, la responsabilité de la société SRI ne peut être recherchée sur le fondement des articles 1792 à 1792-6 du Code civil. Elle serait susceptible de l'être sur le fondement des anciens articles 1386-1 et suivants, devenus 1245 à 1245-17, du Code civil, étant rappelé que le juge a l'obligation de faire application de la responsabilité du fait des produits défectueux si ses conditions d'application sont réunies.

La cour invite donc les parties à faire toutes observations sur ce point.

Ne disposant pas des conclusions de première instance lui permettant de déterminer la date à laquelle la SCI et la société Chez Vous ou Presque ont formé leur demande reconventionnelle, elle invite les parties également à faire toutes observations utiles sur la question de la prescription de l'action sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux au regard du délai de trois ans applicables.

Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt mixte, contradictoire, après débats en audience publique, Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir de la société Chez Vous ou Presque ; Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité et d'intérêt pour agir de la SCI du Coin du Moulin ; Avant dire droit au fond sur la demande reconventionnelle, Invite les parties à faire toutes observations utiles sur l'application de la responsabilité du fait des produits défectueux à la demande reconventionnelle et sur la question de la prescription de l'action sur ce fondement ; Dit que les parties devront faire parvenir leurs observations à la cour dans les délais suivants : - pour la société SRI : avant le 16 juillet 2019, - pour la société Axa France IARD : avant le 16 septembre 2019, - pour les sociétés Chez Vous ou Presque et Au coin du Moulin : avant le 16 novembre 2019 ; Sursoit à statuer sur le surplus des demandes ; Renvoie l'affaire à l'audience de plaidoiries du 13 mars 2020 ; Réserve les dépens.