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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 16 mai 2019, n° 17-05746

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ocean 3 (SARL)

Défendeur :

Nibs France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseillers :

Mmes Molina, Fallenot

TGI Lille, du 7 sept. 2017

7 septembre 2017

FAITS ET PROCÉDURE

La société Nibs France (ci-après la société Nibs) est contrôlée par sa société holding Veos, laquelle contrôle également les sociétés Act M3 et Veos Atlantic. La société Nibs France a pour activité principale la fabrication d'équipements en élastomère appliquée au domaine offshore.

M. Alain M. a travaillé pour cette entreprise, en qualité de technico-commercial, entre le 3 octobre 1994 et le 31 juillet 2009, date à laquelle une rupture conventionnelle est intervenue entre les parties.

Le 24 août 2009, M. M. a créé à Wervicq Sud la société Ocean 3 spécialisée notamment dans les équipements portuaires (défenses de quai, défenses d'angles...), équipement de vedettes, bouées et flotteurs.

La société Nibs, s'estimant victime d'agissements déloyaux la désorganisant, sur requêtes des 21 et 29 novembre 2012 a obtenu auprès du président du tribunal de grande instance de Lille la désignation d'un huissier de justice pour faire réaliser des opérations de constat dans les locaux de la société Ocean 3 et chez M. M..

Par exploit du 5 août 2013, la société Nibs a fait assigner M. M. et la société Ocean 3 en référé devant le président du tribunal de grande instance de Lille afin d'obtenir la communication de documents et l'organisation d'une mesure d'expertise.

Par ordonnance du 10 décembre 2013, le juge des référés s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Lille Métropole.

Sur appel de la société Nibs France, la cour d'appel de Douai, par arrêt du 28 mai 2014 a infirmé l'ordonnance, dit le juge civil compétent pour ordonner certaines des investigations sollicitées et ordonné à la société Ocean 3 la communication de diverses pièces.

Par acte d'huissier du 30 juillet 2014, la société Nibs France a fait délivrer à la société Ocean 3 et à M. M. une assignation au fond devant le tribunal de grande instance de Lille, aux fins de se voir indemniser d'actes de concurrence déloyale et parasitaire, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

Par ordonnance du 6 juillet 2015, le juge de la mise en état a :

- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Ocean 3 et M. M. au profit du tribunal de commerce de Lille,

- laissé à chaque partie la charge des frais exposés par elles au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- réservé le sort des dépens de la procédure d'incident.

Par arrêt du 17 mars 2016, la cour d'appel de Douai a confirmé intégralement l'ordonnance du 6 juillet 2015 et a condamné M. M. et la société Ocean 3 au dépens ainsi qu'à verser à la société Nibs France la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement du 7 septembre 2017, le tribunal de grande instance de Lille a notamment :

- dit que la société Ocean 3 et M. M. ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire au détriment de la société Nibs France,

- condamné, en conséquence, in solidum, la société Ocean 3 et M. M. à payer à la société Nibs France la somme de 375 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- débouté la société Nibs France de sa demande au titre du préjudice moral,

- débouté la société Nibs France de sa demande de publication du jugement,

- débouté la société Ocean 3 et M. M. de leurs demandes reconventionnelles,

- condamné in solidum la société Ocean 3 et M. M. à verser à la société Nibs France la somme de 12 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné in solidum la société Ocean 3 et M. M. au paiement des frais et dépens de l'instance dont distraction au profit de Me Thomas D.,

- débouté la société Nibs France de ses demandes relatives au frais d'exécution forcée,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 21 septembre 2017, la SARL Ocean 3 et M. M. ont interjeté appel sur l'ensemble des dispositions de la décision.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 7 février 2019, la société Ocean 3 et M. M. demandent à la cour d'appel, au visa des articles 1382 et 1383 du Code civil (anciens), de :

- déclarer M. M. et la société Ocean 3 recevables et bien fondés en leur appel,

- dire mal fondé l'appel incident de la société Nibs France,

Réformant le jugement dont appel,

- juger que M. M. et la société Ocean 3 n'ont commis aucun acte de concurrence déloyale,

- débouter, en conséquence, la société Nibs France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, en ce compris celles formulées au titre de son appel incident,

- condamner la société Nibs France à payer à la société Ocean 3 la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamner la société Nibs France à leur payer la somme de 25 000 euros, chacun, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Nibs France aux entiers frais et dépens de la procédure, dont distraction au profit de Maître Christian D., avocat au barreau de Lille.

M. M. et la société Ocean 3 soutiennent que :

- le principe de la concurrence est libre, à la condition d'être loyale,

- la concurrence déloyale suppose la réunion de trois conditions cumulatives : une faute, un préjudice, un lien de causalité entre la faute et le préjudice,

- l'accusation de débauchage massif n'est étayée par aucune pièce alors que c'est uniquement le contexte difficilement supportable et la stratégie mise en place par la société Nibs France qui ont conduit au départ de plusieurs salariés de l'entreprise,

- la société Nibs France a elle-même provoqué la désorganisation de sa structure en faisant fuir ses salariés, état de fait qui ne peut être retenu comme constituant un acte de concurrence déloyale,

- l'effectif de la société Ocean 3 n'a jamais été majoritairement constitué d'anciens salariés de la société Nibs France,

- M. M. n'a pas détourné de données ni le savoir-faire de la société Nibs France,

- M. M. ne s'est pas adressé des listings d'adresses mails et que les listings produits sont faux ou ont été adressés par une tierce personne ; qu'il n'avait pas besoin de réaliser de prospection à l'aide de listings dans la mesure où, principal interlocuteur des clients depuis de nombreuses années, il les connaissait déjà tous très bien et avait eu des contacts réguliers avec eux,

- il n'est pas démontré de détournement de clients et de commandes,

- s'agissant des marchés publics, la quasi-totalité des marchés font l'objet d'un appel d'offres, ce qui exclut le concept de concurrence déloyale,

- la perte du chiffre d'affaires de la société Nibs France n'est pas imputable à la société Ocean 3, qu'elle n'est pas seulement imputable à la concurrence mais qu'elle est également due au choix de gestion de M. V. et notamment la réduction de ses effectifs en prévision d'une délocalisation au Maroc, de la mise en place à des postes importants de ses jeunes fils inexpérimentés, de la fuite de la plupart de ses salariés et cadres, du non remplacement de salariés occupants des postes clés,

- s'agissant de la similitude des documents techniques, il est de principe que l'imitation, en l'absence de recherche de confusion, n'est pas en elle-même condamnable ; que M. M. n'a pas cherché à imiter la société Nibs France dans la présentation de ses fiches et n'a pas cherché non plus à créer une confusion dans l'esprit des clients avec les produits présentés par la société Nibs France, qu'il s'est contenté d'établir les fiches comme il avait l'habitude de le faire, rien ne l'obligeant à œuvrer pour se démarquer de façon significative,

- s'agissant de l'utilisation de photos et la notoriété des produits de la société Nibs, il est constant que la simple détention de photographies des produits d'un concurrent, accessibles par tous, n'est pas constitutive d'un acte normal ni de concurrence déloyale,

- s'agissant de l'utilisation de l'outil de calcul spécifique de la société Nibs, la preuve de l'existence même de ce logiciel n'a jamais pu être rapportée ; que les lois mathématiques et mécaniques sont dans le domaine public et la société Nibs France ne peut donc revendiquer aucun droit de propriété sur celles-ci,

- la société Nibs France ne démontre pas l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité,

- la société Nibs France a commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Ocean 3.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 5 février 2019, la société Nibs France demande à la cour d'appel, au visa des articles 1382 et suivants du Code civil (anciens), des articles 699, 700 et 480 du Code de procédure civile, et des articles 1200 et suivants du Code civil, de :

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Lille en ce qu'il a reconnu

M. M. et la société Ocean 3 coupables d'actes de concurrence déloyale et parasitaire au détriment de la société Nibs France,

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Lille en ce qu'il a rejeté toutes les demandes de M. M. et de la société Ocean 3,

- réformer le jugement du tribunal de grande instance de Lille en ce qu'il a limité la réparation du préjudice subi par la société Nibs France à la somme de 375 000 euros,

Statuant de nouveau sur ce point,

- condamner solidairement M. M. et la société Ocean 3 à réparer l'intégralité du préjudice subi par la société Nibs France et de ce fait :

• les condamner solidairement au paiement à son profit :

• 2 042 328 euros à titre de dommages et intérêts,

• 50 000 euros au titre du préjudice moral.

• ordonner la publication du jugement à intervenir, dans les conditions suivantes :

• publication sur site internet :

• sur le site internet accessible à l'adresse " http://www.ocean3.fr/ " ou tout autre site internet présentant la société Ocean 3 et ses activités si Ocean 3 modifie l'adresse et/ou le contenu de ce site avant l'exécution du jugement à intervenir,

• sur la première page du site internet, de manière lisible et visible dans des conditions normales de lecture/consultation du site internet,

• la publication devra intervenir dans un délai maximum de 10 jours calendaires suivant la signification du jugement à intervenir puis, à compter du 1er jour de publication, pendant une durée continue de 30 jours,

• sous astreinte de 500 euros par jour de retard ou jour manquant,

• aux frais exclusifs et solidaire d'Ocean 3 et M. M..

• publication dans la presse : publication du jugement à intervenir, par extraits, dans 3 revues ou journaux, au choix de Nibs France, aux frais exclusifs, solidaires et avancés d'Ocean 3 et M. M., sans quel le coût unitaire de chaque publication ne puisse excéder 3 000 euros HT

- condamner M. M. et la société Ocean 3 solidairement au paiement d'une somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner M. M. et la société Ocean 3 solidairement aux entiers frais et dépens dont distraction au profit de Maître Thomas D..

La société Nibs France fait valoir que :

- les actes de concurrence déloyale de M. M. et de la société Ocean 3 sont établis par :

* la constitution d'une équipe exclusivement constituée d'anciens salariés de la société Nibs France : les départs des salariés de la société Nibs France ont été simultanés et brutaux, tandis que les anciens employés ont été concomitamment embauchés par la société Ocean 3 ; pour démarrer son activité, la société Ocean 3 est parvenue à exfiltrer et à embaucher plus de 20 % des effectifs de la société Nibs France ; que les recrutements par la société Ocean 3 ont été ciblés pour capter un savoir-faire unique sur le marché,

* la désorganisation de la société Nibs France, son chiffre d'affaires ayant diminué en même temps que ses effectifs diminuaient et rejoignaient la sociétéOcean 3,

* M. M. a réalisé des manœuvres, trompant pendant des années les salariés de la société Nibs France en colportant des informations anxiogènes, qu'il est établi qu'il est la seule personne à avoir annoncé une délocalisation de la société Nibs France à l'étranger en colportant ce message à l'extérieur alors qu'il était le représentant commercial de la société Nibs France,

- M. M. et la société Ocean 3 ont détourné et utilisé des données appartenant à son ancien employeur :

* M. M. a détourné la liste des clients et prospects de la société Nibs France,

* M. M. a détourné des commandes de la société Nibs France,

* la très grande proximité de présentation et de contenu des fiches techniques et commerciales de produits ne peut résulter d'une simple coïncidence,

* M. M. a utilisé la notoriété des produits et matériaux de la société Nibs auprès des clients,

* La société Ocean 3 a fait un recours massif au " secret des affaires " pour s'exonérer de ses obligations dans le cadre de la procédure de référé,

* les opérations de constat réalisées le 18 décembre 2012 dans les locaux de la société Ocean 3 ont permis de constater la présence d'un fichier de la société Nibs France sur le serveur partagé de la société Ocean 3

* la société Ocean 3 a reproduit et utilisé des outils de calcul de la société Nibs France alors que ceux-ci sont spécifiques et le résultat d'investissements et caractéristiques d'un savoir-faire,

* M. M. et la société Ocean 3 ont détourné des clients et des commandes de la société Nibs France,

- la société Nibs France n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Ocean 3, cette demande étant sans objet et infondée,

- l'allocation de dommages et intérêts à la société Nibs France est justifiée au titre de la concurrence déloyale et d'un préjudice moral.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 février 2019.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION :

À titre liminaire, il y a lieu de préciser qu'il sera fait application des dispositions du Code civil dans leur version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve de l'obligation.

La société Nibs France reproche à la société Ocean 3 et à M. M. d'avoir commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme en ayant :

- détourné des salariés,

- détourné ses données (clients, commandes) et son savoir-faire (similitude des documents techniques, utilisation de photos et notoriété des produits Nibs, utilisation de l'outil de calcul spécifique de Nibs)

Sur les faits de concurrence déloyale reprochés à la société Ocean 3 :

Selon l'article 1382 du Code civil, " Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ".

Selon l'article 1383 du Code civil, " Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ".

La concurrence déloyale se définit comme la commission d'actes déloyaux, constitutifs de fautes dans l'exercice de l'activité commerciale, à l'origine pour le concurrent d'un préjudice et dont la preuve incombe à celui qui se déclare victime.

Les comportements et procédés qui relèvent de la concurrence déloyale sont nombreux et variés. Ils ont en commun de constituer un manquement aux usages du commerce et à l'honnêteté professionnelle, n'impliquant pas nécessairement la mauvaise foi, c'est à dire l'intention de nuire.

Sur le détournement des salariés :

Le principe étant celui de la liberté du travail, il est permis à une société de proposer un nouvel emploi à une personne non liée par une clause de non concurrence qui travaillait dans une autre entreprise exerçant dans le même secteur.

En outre, le principe de la liberté du commerce autorise quiconque à créer sa propre entreprise et le détournement de clientèle n'existe pas du seul fait de l'ouverture d'un commerce concurrent. Le débauchage du personnel d'un concurrent peut néanmoins être constitutif d'un acte de concurrence déloyale s'il est établi, d'une part, l'existence de manœuvres déloyales, et d'autre part, que les faits invoqués ont entraîné la désorganisation du fonctionnement de l'entreprise concurrente.

En l'espèce, les deux parties reconnaissent qu'en dehors de M. M., dix salariés, après avoir exercé des fonctions au sein de la société Nibs, ont été embauchés par la société Ocean 3 selon les modalités suivantes :

- M. Sébastien K. a, le 23 juillet 2009, présenté sa démission à la société Nibs, au sein de laquelle il exerçait des fonctions d'adjoint au responsable d'atelier, et a intégré la société Ocean 3 le 14 septembre 2009,

- M. Frédéric P. a, le 23 juillet 2009, présenté sa démission à la société Nibs, au sein de laquelle il exerçait des fonctions de technicien d'atelier, et a intégré la société Ocean 3 le 14 septembre 2009,

- M. Philippe P. a, le 23 juillet 2009, présenté sa démission à la société Nibs, au sein de laquelle il exerçait des fonctions de technicien d'atelier, et a intégré la société Ocean 3 le 14 septembre 2009,

- M. David D. a, le 5 mars 2004, donné sa démission à la société Nibs, au sein de laquelle il exerçait des fonctions de technicien de bureau, et a intégré la société Ocean 3 le 19 octobre 2009,

- le contrat de volontariat international en entreprise (VIE) de M. Gregory H. en qualité de technico-commercial au sein de la société Nibs a pris fin le 31 juillet 2009, il a intégré la société Ocean 3 le 1er juin 2010,

- M. Guillaume E., qui était ouvrier d'atelier au sein de la société Nibs, a fait l'objet d'un licenciement économique le 19 mai 2010, il a intégré la société Ocean 3 le 14 juin 2010,

- M. Christophe B., qui était chargé d'affaires au sein de la société Nibs, a accepté une rupture conventionnelle le 23 janvier 2011et a intégré la société Ocean 3 le 26 janvier 2011,

- M. Stéphane V., qui était ouvrier d'atelier au sein de la société Nibs, a fait l'objet d'un licenciement économique le 22 avril 2010, il a intégré la société Ocean 3 le 28 février 2011,

- M. Alain V., qui était technicien d'atelier au sein de la société Nibs, a donné sa démission le 30 septembre 2011, il a intégré la société Ocean 3 le 3 octobre 2011,

- M. Philippe H., qui était chargé d'études recherche et développement au sein de la société ACT M3, a donné sa démission le 11 septembre 2009, il a intégré la société Ocean 3 après le 31 décembre 2012.

La société Nibs ne se prévaut d'aucune clause de non concurrence applicable, de nature à faire obstacle à ce que les salariés en cause soient embauchés par un concurrent.

La société Nibs considère que M. M. a usé de manœuvres frauduleuses en " colportant des informations anxiogènes " de nature à tromper ses salariés pour les amener à la quitter aux fins d'intégrer la société qu'il venait lui-même de créer. La société Nibs affirme que M. M. a diffusé des " rumeurs de délocalisation " au Maroc la concernant. Elle produit quatre sommations interpellatives établies par un huissier de justice le 25 février 2015 auprès de M. F., employé de la société Act M3, de M. C. et M. J., employés de la société Nibs pour les trois premières et le 3 avril 2015 auprès de M. L., client de la société Nibs, pour la dernière.

M. F. a indiqué avoir été informé que la société Nibs allait être délocalisée au Maroc par M. M.. M. C. a déclaré avoir été informé qu'une société allait être créée au Maroc par le gérant de la société Nibs, M. Pierre de V., tandis que M. M. lui avait indiqué que si une société allait être créée au Maroc, la société de Haisnes finirait pas fermer. M. J. a exposé qu'avant son départ de la société Nibs, M. M. lui avait conseillé de " chercher du travail ailleurs car la société Nibs allait fermer dans deux ans ". M. L. a relaté avoir été informé par M. M. à l'occasion d'une visite commerciale dans les bureaux de la station de pilotage que la société Nibs voulait délocaliser une partie de sa fabrication.

Ces déclarations qui ne sont pas circonstanciées et émanent toutes de personnes entretenant soit une relation de subordination soit une relation privilégiée avec la société Nibs pour être ses employés ou son client, ne peuvent revêtir une valeur suffisamment probante et doivent être étayées par des éléments extérieurs ce qui n'est pas le cas. En outre, si ces déclarations tendent à justifier que M. M. évoquait au sein de la société Nibs une éventuelle délocalisation au Maroc, elles n'établissent pas qu'il ait incité les salariés à quitter la société Nibs pour rejoindre la société Ocean 3. De plus, si elle conteste toute délocalisation avec redéploiement de ses salariés au Maroc, la société Nibs reconnaît avoir créé un site complémentaire au Maroc, ce qui pouvait amener à une confusion dans l'esprit des salariés, la société Nibs ne démontrant pas avoir délivré à ses employés une information précise sur les évolutions envisagées. Ainsi, la société Nibs ne rapporte pas la preuve de manœuvres déloyales exercées de façon générale par M. M. en son sein pour inciter ses salariés à la quitter.

Il convient d'examiner cependant la situation personnelle des dix anciens salariés de la société Nibs ayant rejoint la société Ocean 3.

M. D. ayant quitté la société Nibs au mois de mars 2004, soit cinq ans avant la création de la société Ocean 3, il ne peut être utilement soutenu que ce dernier a fait l'objet d'un débauchage de la part de M. M. pour être attrait dans la société Ocean 3 du temps où il était employé par la société Nibs.

Il n'est pas non plus démontré que M. E. et M. V., qui ont fait l'objet d'un licenciement économique, ont fait l'objet de manœuvres de nature à caractériser un débauchage de la part de M. M. pour être embauchés dans sa société. Dès lors qu'elle avait mis fin à leur contrat, la société Nibs ne peut utilement reprocher à la société Ocena 3 de les avoir embauchés.

Alors que le contrat de VIE de M. H. a pris fin au sein de la société le 31 juillet 2009, la société Nibs ne justifie pas avoir proposé un emploi en son sein à l'intéressé. Ainsi, M. H., qui se retrouvait sans emploi, pouvait, en tout état de cause, être embauché par une autre société.

Tandis qu'il n'est pas soutenu de manœuvres déloyales de la part de M. M. pour attraire M. V. et de M. H. dans sa nouvelle société, autres que la diffusion d'informations relatives à une délocalisation au Maroc, lesquelles ont été précédemment écartées, il convient de relever que leurs démissions sont survenues plus de deux ans après la création de la société Ocean 3.

S'agissant des démissions de M. K., Frédéric P. et Philippe P., il y a lieu de relever qu'elles sont intervenues le même jour, qu'elles sont formulées selon les mêmes termes et qu'elles sont concomitantes au départ de M. M. de la société Nibs le 31 juillet 2009, tandis qu'ils ont été embauchés par la société Ocean 3 quelques jours après sa création. Toutefois, le départ concomitant de plusieurs salariés n'est pas en lui seul suffisant à caractériser la concurrence déloyale, la société Nibs devant démontrer que le départ de ses salariés a entraîné chez elle une désorganisation.

Or, la société Nibs qui se contente d'affirmer avoir subi une désorganisation justifiée par la baisse de son chiffre d'affaires du fait du départ de plusieurs salariés " stratégiques au démarrage de l'activité d'Ocean 3, compte tenu de leur complémentarité et de leur expérience " ne justifie pas de la détention d'une technique ou d'un savoir-faire particulier ou spécifique par ces derniers. La durée de l'expérience acquise en son sein par ces salariés ne suffit pas à caractériser une compétence spécifique. Par ailleurs, elle ne démontre pas non plus avoir été dans l'impossibilité de recruter de nouveaux salariés pour les postes concernés, ni avoir dû former de nouveaux salariés sur une durée qui l'aurait mise en difficulté pour sa production.

Par conséquent, la société Nibs ne caractérisant ni un débauchage de la part de la société Ocean 3 et de M. M. pour sept de ses salariés, ni la désorganisation qu'elle aurait subie du fait de manœuvres déloyales de la part des intéressés, la concurrence déloyale n'est pas établie. La décision déférée sera infirmée de ce chef.

Sur les faits de parasitisme :

Le grief de parasitisme qui vise à sanctionner la volonté de se placer dans le sillage d'un concurrent afin de tirer profit, sans rien dépenser, de sa notoriété, de ses efforts et de son savoir-faire est une forme de concurrence déloyale qui se développe à travers toute une série de comportements qui ont souvent pour trait commun de provoquer une confusion ou un risque de confusion et où le parasite entend bénéficier de la notoriété d'autrui ou utiliser son travail pour réaliser des économies injustifiées.

Le démarchage de clientèle de l'ancien employeur n'est pas constitutif de concurrence déloyale s'il n'est pas réalisé par des moyens critiquables car contraires aux usages locaux du commerce.

Sur le détournement de la liste des clients et prospect de la société Nibs :

En l'espèce, la société Nibs soutient qu'après le départ de M. M. il a été constaté que la boîte de courrier électronique de ce dernier laissait apparaître deux courriels adressés à [...] le 28 juillet 2009 dont l'objet était " liste 2 " et " liste 3 ", lesquels démontrent une volonté de transférer de l'adresse courriel professionnelle à l'adresse courriel personnelle de M. M. des listes importantes de coordonnées de clients et fournisseurs.

M. M. conteste s'être adressé les listes d'adresses mails produites par la société Nibs en pièces 11 et 12 et expose que certaines des listes ne concernent pas des relations professionnelles de la société Nibs.

Il convient de constater que les courriels litigieux communiqués par la société Nibs en pièces 11 et 12 :

- contiennent une liste de courriels et une signature professionnelle " Alain M. Sales Manager NIBS " comprenant deux numéros de téléphone, un numéro de fax, l'adresse du site web de la société Nibs et la mention " Mail : [...] ",

- ont été reçus sur une messagerie électronique " Adrien V. ", sans mention de transfert ce qui démontre qu'ils ont été adressés en " copie cachée ", la boîte courriel " Adrien V. " n'apparaissant pas en destinataire, étant précisé qu'il n'est pas contesté que M. Adrien V. est le fils de M. Pierre V., gérant de la société Nibs,

- ont été adressés depuis une messagerie électronique " Sale ", non nominative et constituant donc une boîte structurelle à une adresse professionnelle nominative " [...] " et comportent en objet les mentions " liste 2 " et " liste 3 ".

M. M. expose que deux à trois années avant son départ de l'entreprise, les boîtes courriel nominatives ont disparu au profit de boîtes dépersonnalisées " sale " pour permettre légalement la copie vers la boîte de M. V., qu'en outre son poste informatique était en accès libre. Alors que la société Nibs conteste l'existence d'envoi systématique en copie des courriels de ses salariés à M. V., elle n'explique pas comment les courriels litigieux ont pu être reçus sur la boîte " Adrien V. " alors qu'il apparaît peu envisageable que si M. M. avait souhaité s'adresser des listes de clients dans l'objectif d'une utilisation au sein de sa propre société, il ait pris le soin de mettre en copie le fils du gérant de la société qu'il quittait, exposant ainsi sa démarche.

Ainsi, l'ensemble de ces éléments ne permettant pas de démontrer que M. M. est à l'origine de l'envoi des listes de courriels sur sa boîte personnelle, la société Nibs n'établit pas le détournement de la liste de ses clients et prospect par l'intéressé.

Sur le détournement de commandes :

A l'appui de ce moyen, la société Nibs n'évoque que le cas de la CCI Bastia. Elle fait valoir que M. M. a, le 29 juillet 2009, transféré depuis sa boîte professionnelle " Sale " vers sa boîte personnelle " [...] " deux courriers électroniques émanant du contrôleur de travaux du port de Bastia, datés des 15 et 16 juillet lesquels évoquaient la volonté de recevoir un " estimatif " pour la " mi-septembre " concernant l'acquisition de différents équipements pour un nouveau " poste à quai ". Elle ajoute que grâce à cette information, la société Ocean 3 a pu établir trois devis pour la CCI Bastia les 2, 3 et 8 septembre 2009 et que ce fait a été établi par le procès-verbal d'huissier dressé par Me D. le 8 décembre 2012 à la suite de l'ordonnance rendue le 29 novembre 2012 par le président du tribunal de grande instance de Lille qu'elle produit en pièce 9.

Ce procès-verbal comporte un fichier de la société Ocean 3 mentionnant des colonnes " N° DEVIS ", " DATE ", " CLIENT ", " INTERLOCUTEUR ", " DESIGNATION " complétées, dans lesquelles figurent en date des 2, 3 et 8 septembre des devis pour le client " CCI BASTIA " dont l'interlocuteur est " M. P. ".

M. M. conteste s'être adressé le courriel litigieux. A ce sujet, les constatations énoncées précédemment pour l'envoi des listes de courriels peuvent être reprises pour celui-ci. Aucun élément ne démontre que ce courriel extrait de la boîte " Adrien V. " qui n'apparaît pourtant pas dans les destinataires et dont la société Nibs ne justifie comment il l'a obtenu, a été adressé par M. M., la boîte d'envoi étant en outre une boîte " Sale ".

Par ailleurs, il n'est pas contesté que le port de Bastia a par la suite lancé un appel d'offres, ce qui établit qu'il n'y a pas pu avoir détournement de cette commande de la part de M. M.. En outre ce dernier n'a pas pu tirer un avantage autre que celui de savoir que le port de Bastia envisageait l'acquisition d'équipements, étant précisé que cette information n'a pas été acquise de façon déloyale mais dans le cadre de ses fonctions lorsqu'il était encore en poste au sein de la société Nibs.

Par conséquent, le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur la similitude des documents techniques :

La société Nibs reproche à M. M. et à la société Ocean 3 la très grande proximité de présentation et de contenu de leurs fiches techniques et commerciales de produits avec les siennes. Elle ajoute que les plans présentés sur le site internet d'Ocean 3 sont particulièrement proches de ceux qu'elle a créés. Elle en déduit que la société Ocean 3 a édité ses fiches à partir de la trame de Nibs France.

La société Nibs produit les fiches Nibs et Ocean 3 concernant d'une part les caractéristiques 'PU' (pièces 16 et 17) et d'autres part les caractéristiques " MOUSSES " (pièces 14 et 15). Il ressort de ces documents une présentation identique consistant en des données mentionnées dans trois cadres superposés, le premier cadre contient le nom de la société, la date d'édition et le numéro de page, le cadre suivant comporte les mentions " CARACTERISTIQUES MOUSSES DENSITE 100 kg/m³ ", la précision " TECHNIQUES " étant ajoutée après " CARACTERISTIQUES " dans la version de la société Nibs et le troisième cadre, des données divisées en quatre colonnes " PROPRIETES " " NORMES ", la mention " ISO " étant ajoutée dans la version de la société Nibs, " UNITE " pour la société Nibs ou " UNITES " pour la société Ocean 3 et " VALEURS ". Les caractéristiques de présentation tout à fait similaire des fiches ne présentent cependant aucune spécificité, ni complexité d'élaboration, mais au contraire un caractère banal, simpliste et standardisé. Il n'est pas non plus démontré qu'elles sont issues d'un savoir-faire spécifique initié par la société Nibs.

Ainsi, la similitude de présentation des documents techniques dénoncée par la société Nibs n'est pas de nature à créer de confusion sur l'origine des sociétés qui les ont établis dans l'esprit des clients. Par conséquent, la décision déférée sera infirmée de ce chef.

Sur l'utilisation de photographies de la société Nibs par la société Ocean 3 :

Si la société Ocean 3 expose que le procès-verbal d'huissier du 18 décembre 2012 a mis en lumière la présence dans le système informatique des photographies de ses produits, elle n'en tire aucune conséquence sur le plan de la concurrence déloyale.

En tout état de cause, la société Nibs ne démontre pas que ces photographies ont été obtenues par des manœuvres déloyales, ni même qu'elles lui ont appartenues, ni que leur détention a procuré à M. M. et à la société Ocean 3 un quelconque avantage alors qu'il s'agit de photographies représentant des produits ou matériaux en plein air.

Par conséquent, le moyen est inopérant.

Sur l'utilisation de la notoriété des produits et matériaux de la société Nibs :

La société Nibs soutient que M. M. a utilisé des données détournées pour démarcher les clients de son ancien employeur en indiquant que ses produits sont identiques à ce dernier. Elle ajoute que le fait de pratiquer systématiquement des tarifs inférieurs à ceux de son ancien employeur tend à démontrer l'utilisation des informations détournées par l'ancien salarié.

A l'appui de ces affirmations, la société Nibs produit (pièce 21) un courriel adressé le 15 octobre 2009 à la messagerie électronique " Sale " de la société Nibs par M. Denis H. de l'atelier Pilotage de la Seine mentionnant " BONJOUR enchanté de continuer à travailler avec vous dans votre nouvelle société, j'ai informé ASCOT de votre nouvelle position.

Pourrai-je avoir du primaire d'accrochage équivalent NIBS

NIBRAPRIM F1 Ax + Bx primaire

2 x 250 gr

nous n'avons pas de compte dans votre nouvelle société, puis je avoir les coordonnées pour la comptabilité

Cordialement H. Denis ".

Le fait que ce courriel a été adressé sur une messagerie électronique utilisée par M. M. lorsqu'il travaillait pour la société Nibs et son contenu relatif à la création d'une nouvelle société, laissent penser, ainsi que le soutient l'intimée, que le message était adressé à M. M..

La société Nibs communique également des échanges de courriels intervenus les 12 et 15 septembre 2011 entre M. M. et M. Le M. de Pilotage Mayotte. Sur interrogation de M. Le M., M. M. déclare " Oui, nos matériaux sont en tous points comparables voire identiques à ceux utilisés par Nibs " et encore " Par contre là où les éléments divergent c'est sur le plan prix. Nibs a abusé largement d'un monopole de fait pendant les quelques 17 années que j'y ai passé, contraint d'appliquer une politique commerciale ".

Ces références dans les échanges avec ses clients aux matériaux de la société Nibs pour vanter la qualité de ses propres matériaux constituent un rattachement indiscret à une entreprise rivale opéré par M. M. et la société Ocean 3 pour se placer dans le sillage de sa renommée et profiter des retombées de celle-ci. En associant la qualité de leurs produits ou en les présentant comme " équivalents " ou " comparables " à ceux de leur concurrente, M. M. et la société Ocean 3 n'avaient plus besoin d'approfondir les démarches de présentation de leurs produits pour convaincre de potentiels clients.

Ce comportement caractérisant une concurrence parasitaire, le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur la reproduction et l'utilisation par la société Ocean 3 de l'outil de calcul spécifique de la société Nibs :

La société Nibs soutient avoir mis au point un programme spécifique composé d'une série d'outils de calcul tout à fait spécifiques. Elle précise que ces outils permettent d'établir les caractéristiques techniques et commerciales du produit proposé au client, de déterminer le dimensionnement nécessaire et les solutions détaillées aux fins de déterminer précisément le coût de la prestation à réaliser et donc le prix à proposer au client. Elle ajoute qu'en détournant un tel outil, la société Ocean 3 s'est appropriée un travail ayant nécessité un investissement important sans devoir en supporter le coût ni le temps nécessaire et s'est trouvé en mesure d'anticiper de manière très précise les prix qu'elle proposerait pour chaque marché ou chaque demande de client.

La société Nibs affirme que les outils litigieux intègrent des formules mathématiques complexes et originales qui ont été développées et mises au point par elle à partir d'essais de compression réalisés par l'Ecole des Mines de Douai et ont nécessité de nombreux mois de travail, notamment par l'un de ses anciens collaborateurs, M. D..

La société Nibs fait encore valoir que la société Ocean 3 a pu, dans un temps très court suivant sa création, proposer de nombreux devis et que compte tenu des données y figurant, la société Ocean 3 et M. M. ont " nécessairement utilisé un outil spécifique et abouti " et qu'il s'agit du sien.

L'intimée ajoute que le détournement et l'utilisation de ses outils et de sa documentation par la société Ocean 3 est également établie par la reproduction de " coquilles " dans des devis, qu'une erreur était apparue dans un devis n° NI090019 pour la société Belmar du 6 mars 2009, soit quelques mois avant le départ de M. M. tandis que la société Ocean 3 a établi un devis n° PR10113 le 4 octobre 2010 à l'attention de la société Belmar. La société Nibs précise que l'erreur de calcul a été reproduite par la société Ocean 3 dans les mêmes proportions qu'elle et pour le même client, ce qui est " impossible sauf à s'être basé sur les devis et données de NIBS France ".

De son côté M. M. soutient avoir développé à son arrivée au sein de la société Nibs les méthodes de calculs litigieuses, lesquelles ont été automatisées sur informatique près de 8 ans après par M. D.. Il déclare qu'avant son départ de la société Nibs cette dernière n'utilisait aucun logiciel spécifique, qu'elle ne justifie pas de l'existence actuelle d'un tel logiciel ni des droits qu'elle détiendrait dessus et qu'il ne peut donc pas être question de détournement ou de déloyauté. Il affirme que le logiciel prétendu développé par la société Nibs consiste en une simple automatisation de calcul sous " Access " de la méthode de détermination des énergies d'accostage suivant méthode Vasco C. (1979), qui apparaît dans une large majorité de catalogues concurrents, qu'il s'agit donc d'une " base de calcul " et non d'un programme informatique.

Chacune des parties produit des pièces en vue d'étayer son argumentation. La société Nibs communique :

- une " note d'expertise " établie le 4 juin 2015 par M. Christian D., expert près la cour d'appel de Douai, professeur agrégé de mécanique disposant d'une formation ingénieur Arts et Métiers qui affirme notamment que " l'outil de calcul conçu, mis au point et exploité par NIBS est tout à fait spécifique et particulier. Les résultats qu'il permet d'obtenir sont tout à fait singuliers. ", que " Les données fournisseurs et le développement d'un outil interne à partir de logiciels bureautique courant peuvent certes permettre de développer un calculateur mais compte tenu des hypothèses tout à fait spécifique de l'outil de NIBS, cela serait un hasard extraordinaire que l'outil Ocean 3 permette de produire des devis identiques à ceux de NIBS ", qu' " outre l'aspect technique, l'outil de calcul de la société NIBS établit un calcul très précis du prix de revient pour chaque cas. Chaque composant est listé, chiffré, il inclut le temps passé des collaborateurs en se basant sur des relevés de temps passés antérieures. Le calcul est enfin coefficienté pour fixer une marge et donner un prix de vente justement équilibré. La connaissance de ces valeurs de calculs est un avantage certain pour établir un devis concurrentiel mieux placé pour le client ",

- des factures établies entre 1990 et 2004 par le centre commun ARMINES - Ecole des Mines de Douai à l'égard de la société Nibs pour des " études du comportement en compression de défenses ", des " essais de compression " ainsi que des essais sur divers matériaux. Si ces factures tendent à démontrer l'existence de travaux engagés par la société Nibs sur les propriétés de divers matériaux de nature à éventuellement à affecter les résultats à des outils de calcul, ces documents ne démontrent aucunement des travaux de recherche effectués par la société Nibs sur un programme informatique servant à dimensionner les défenses d'accostage,

- un document mentionnant " CREDIT IMPOT RECHERCHE 2003 ", des frais à hauteur de 16 543,62 au titre de 805,3 heures passées par M. D., chef de projet, une dotation aux amortissements à hauteur de 1 332,60 euros et des dépenses de fonctionnement de 12 407,71 euros et la mention " SUBVENTION RECUE NEANT ",

- une sommation interpellative effectuée le 11 juillet 2016 par maître Laëticia P., huissier de justice, auprès de M. D. lequel a déclaré :

* avoir été salarié de la société Nibs de 2002 à 2004, avoir travaillé chez Ocean 3 de 2009 à 2015 et ne plus être salarié de ces sociétés,

* avoir remarqué lors de son arrivée chez Ocean3 des éléments en provenance de Nibs France, qu'il s'agissait de bases de données, qu'il savait qu'il s'agissait d'éléments de la société Nibs France car c'est lui qui avait créé ces bases de données,

* ne pas avoir connaissance de devis complets provenant de Nibs France,

* avoir participé lorsqu'il avait travaillé chez Nibs France à la mise en service du programme informatique servant à dimensionner les défenses d'accostage, que la mise en service de ce programme informatique permettait d'automatiser le calcul du dimensionnement des défenses, qu'avant la mise en service du programme, les calculs étaient réalisés manuellement et grossièrement par M. Alain M., que ces calculs pouvaient prendre plusieurs heures alors qu'avec le programme informatique mis en service, ces calculs se faisaient en quelques secondes,

* avoir travaillé sur le programme informatique servant à dimensionner les défenses d'accostage utilisé par Ocean 3 lorsqu'il était salarié de cette société, que " globalement, le programme informatique utilisé chez Ocean 3 était le même que celui de Nibs France. Les formules de calcul étaient identiques mais l'écriture de ces calculs était différente ".

Pour sa part, M. M. et la société Ocean 3 produit :

- un document intitulé " ATTESTATION " établi le 25 novembre 2013 par M. Albert D., expert près la cour d'appel de Douai, spécialiste industrie, mécanique et machines lequel a déclaré n'avoir constaté aucune utilisation par la société Ocean3 d'un logiciel spécifique qui ferait l'objet d'une protection particulière, aucun usage de données en provenance d'un laboratoire quelconque, type Ecole des Mines de Douai ou autre, que la constitution d'un tel programme ne nécessite pas des mois de travail pour un ingénieur connaissant bien Access et Excel, mais une semaine à temps plein environ. M. D. a précisé que " L'affirmation selon laquelle la société OCEAN 3 utiliserait un logiciel professionnel qui aurait été détourné illégalement (ou même légalement) auprès de son auteur (a priori la société NIBS France qui l'affirme), est donc indiscutablement inexacte ",

- une sommation interpellative réalisée le 18 janvier 2017 par un huissier de justice à l'égard de M. D. lequel a déclaré travailler dans la société ACTM 3 et y être salarié depuis le 17 août 2015. Ainsi, lorsqu'il a fait l'objet de la sommation interpellative à l'initiative de la société Nibs le 11 juillet 2016, M. D. travaillait pour une société du même groupe que cette dernière.

Ces éléments établissent que :

- un outil de calcul et dimensionnement pour la réalisation de défense d'accostage était utilisé par la société Nibs avant que M. M. ne la quitte, sans qu'il ne soit justifié de l'existence d'un logiciel spécifique, ni d'un savoir-faire détenu par elle à ce titre, les factures établies par le centre commun ARMINES - Ecole des Mines de Douai ne démontrant pas la mise au point d'un logiciel informatique,

- M. M., dont il n'est pas contesté qu'il est diplômé d'un DUT génie mécanique, options mathématiques, physique et mécanique, utilisait les méthodes de calcul litigieuses quand il exerçait au sein de la société Nibs avant même qu'elles ne soient informatisées.

Il y a lieu de rappeler que rien n'interdit à un salarié de mettre au service de sa nouvelle entreprise ses connaissances et l'expérience acquise auprès de son employeur précédent dès lors qu'il n'use pas de procédés déloyaux. Or, alors qu'il est établi par les déclarations de M. D. que M. M. avait une connaissance des modalités de calcul utilisées au sein de la société Nibs puisqu'il les utilisait pour son activité,

M. D. a également affirmé ne pas avoir eu connaissance, au sein de la société Ocean 3, de devis complets provenant de la société Nibs. Par ailleurs, si M. D. qualifie " l'outil de calcul " utilisé par la société Nibs de " spécifique et particulier ", il n'établit pas qu'il soit issu d'un savoir-faire singulier ou spécifique ou que la méthode de calcul ait été intégrée dans un logiciel ou un programme protégé. De plus, les déclarations de M. D. quand à l'existence de " bases de données " de la société Nibs chez la société Ocean 3 ne sont pas circonstanciées, aucune précision n'étant apportées quant au contenu de ces bases ni aux éléments caractéristiques éventuellement constatés qui lui permettent d'affirmer qu'elles venaient de la société Nibs.

Dès lors, si M. M. a pu quitter la société Nibs avec une expérience et des connaissances acquises du fait tant de sa formation initiale que de son poste au sein de la société Nibs, il n'est pas démontré qu'il a emporté des données relatives aux clients de son employeur, ni un savoir-faire spécifique en faisant usage de manœuvres frauduleuses, étant rappelé qu'il avait été délié de toute clause de non-concurrence lors de la rupture conventionnelle. Dans ce contexte, les moyens soutenus par la société Nibs tirés de la reproduction d'une erreur grossière réalisée par la société Ocean 3 dans un devis et de la réalisation de nombreux devis par la société Ocean 3 dans les premières semaines de sa création, ne sont pas pertinents.

Par conséquent, le parasitisme sur ce point n'étant pas caractérisé, le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

En considération de l'ensemble de ces éléments, seule est démontrée une concurrence parasitaire du fait de l'utilisation de la notoriété de la société Nibs par M. M. et la société Ocean 3.

Sur la demande de dommage-intérêts :

La société Nibs soutient que les " comportements déloyaux " de M. M. et de la société Ocean 3 ont eu pour conséquence directe de lui causer un préjudice " important " en la déstabilisant et la freinant dans son développement. Elle expose que son chiffre d'affaires qui avait doublé entre 2005 et 2008 a commencé à chuter en 2009 puis a été divisé par trois en 2010 par rapport à 2008. Elle affirme qu'en détournant ses données ainsi que son outil de calcul spécifique, les appelants ont pu en tirer profit pour se positionner mieux disant dans le cadre des appels d'offres, obtenant ainsi l'attribution de marché de manière déloyale ainsi que pour détourner ses clients.

A l'appui de ses dires, la société Nibs produit un document nommé " RAPPORT D'EXPERTISE Evaluation du Préjudice Financier de la Société NIBS France " établi le 27 novembre 2018 par le cabinet Mazars, société d'expertise comptable et de commissariat aux comptes.

Il convient de relever que le cabinet Mazars, mandaté par la société Nibs, reprend la position de cette dernière et part du principe que les faits de concurrence déloyale et de parasitisme sont caractérisés. Ainsi, il est notamment affirmé dans le rapport (page 7) : " L'utilisation des fichiers clients de " Nis " (en réalité Nibs), le débauchage de salariés NIBS, ont permis au nouveau concurrent de prendre très rapidement une place sur ce marché, tout en déstabilisant la société NIBS en la privant de ses ressources commerciales et profils expérimentés ", sans que cette déclaration soit étayée par la production de pièces pour en justifier. Or, il a été notamment précédemment rappelé que la société Nibs ne rapportait pas la preuve de la déstabilisation avancée pour caractériser le débauchage de salariés, ni celle de l'utilisation des fichiers clients.

Par ailleurs, il convient de rappeler que la société Nibs, qui en tant que société française, connaissait un quasi-monopole dans son domaine, ses concurrents étant principalement des sociétés étrangères, a vu, avec la création de la société Ocean 3, l'arrivée sur son marché d'un concurrent français. Cet état de fait a nécessairement entraîné pour elle des conséquences d'ordre financier et des enjeux de repositionnement sur le marché qui sont ceux de toute société devant s'adapter à l'arrivée de concurrents. En considération du principe de la liberté du commerce, les activités du nouveau concurrent ne peuvent être sanctionnés que lorsqu'elles sont exercées dans des conditions déloyales.

Or, en l'espèce, seul un acte de concurrence parasitaire concernant l'utilisation de la notoriété de la société Nibs pour s'implanter sur le marché de la fabrication de défenses d'accostage, flotteurs, bouées d'ancrage et mousses synthétiques a été caractérisé à l'encontre de M. M. et de la société Ocean 3. Cet agissement a entraîné un préjudice moral pour la société Nibs dès lors que des clients qui connaissaient ses produits pouvaient être tentés de contracter avec la société Ocean 3 dès lors qu'il leur était assuré par ce concurrent de trouver chez lui des produits de qualité équivalente à ceux qu'ils connaissaient chez leur partenaire habituel, la société Nibs.

Le jugement déféré sera par conséquent infirmé de ce chef et M. M. et la société Ocean 3 seront condamnés in solidum à verser à la société Nibs une somme de 40 000 euros au titre de son préjudice moral.

L'acte de concurrence parasitaire n'a été relevé, s'agissant des clients de la société Nibs, qu'à l'égard des entités Pilotage Mayotte et Pilotage de la Seine. Or, la société Nibs ne justifie pas que Pilotage Mayotte a été l'un de ses clients, tandis que son chiffre d'affaires qu'elle attribue au Pilotage de la Seine entre 2004 et le 31 juillet 2009 ne s'était élevé qu'à 22 022,90 euros.

De plus, le chiffre d'affaires est un marqueur de l'activité de l'entreprise mais n'est pas équivalent à son préjudice qui doit être réduit au gain perdu. En l'espèce, celui-ci n'est pas précisément connu pour l'acte reproché. Il convient donc de prendre en considération la durée de celui-ci, qui n'est justifiée que de façon ponctuelle en l'espèce et des pièces produites par la société Nibs.

Par conséquent, la décision déférée sera infirmée et M. M. et la société Ocean 3 seront condamnés in solidum à verser à la société Nibs une somme de 5 000 euros au titre de son préjudice économique.

Sur les faits de concurrence déloyale reprochés à la société Nibs :

La société Ocean 3 reproche à la société Nibs de :

- user de moyens spécieux, de manœuvres frauduleuses et d'accusations mensongères à son encontre,

- s'être appropriée des produits dont elle n'est pas l'auteur,

- engager un recours systématique dans le but de faire retarder l'exécution des marchés qu'elle a obtenus dans le cadre des appels d'offre,

- avoir débauché un ancien cadre, M. D..

La société Nibs justifie avoir déposé auprès de l'Institut national de la propriété industrielle les marques " NIBRAPRENE ", " NibraPad ", " HRK ", " Nibra " (pièces 93 à 96) ainsi qu'avoir déposé deux demandes de brevet d'invention auprès de cet organisme les 24 juin et 11 juillet 2013, sans toutefois justifier de leur obtention. En tout état de cause, la société Ocean 3 ne justifie ni d'un avantage concurrentiel dont aurait bénéficié la société Nibs, ni du préjudice qu'elle-même aurait subi, du fait de l'appropriation par la société Nibs " de produits dont elle ne serait pas l'auteur " comme elle le soutient, préjudice qu'en outre elle ne caractérise pas.

Par ailleurs, la société Ocean 3 ne produit aucune pièce tendant à étayer ses propos quant aux recours systématiques qu'engagerait la société Nibs dans le but de faire retarder l'exécution des marchés qu'elle a obtenus dans le cadre des appels d'offres. Si la société Nibs reconnaît avoir engagé des recours à deux occasions, il ne saurait lui être reproché l'exercice d'un droit dès lors que celui-ci n'a pas été considéré comme abusif.

En outre, M. M. soutient que M. V. n'hésite pas à se rendre illégalement sur un site militaire à l'accès réglementé où se trouvent stockés des produits de la société Ocean 3 afin de s'informer à leur sujet. Toutefois, le courriel de M. L. qu'il communique en pièce 172 et dans lequel ce dernier relate qu'au premier trimestre 2016 il a aperçu deux personnes sur une zone de stockage, lesquels se sont présentés comme faisant " partie d'une société concurrente " et dont l'un lui aurait remis " une carte de visite au nom d'Adrien de V. ainsi qu'une clef USB de leurs produits " n'est pas suffisamment circonstancié et n'est pas étayé par d'autres éléments pour être probant. En tout état de cause, M. M. ne justifie pas d'un préjudice subi au titre d'une éventuelle intrusion de son concurrent sur un site de stockage.

Enfin, il ressort des éléments rappelés précédemment que M. D. est employé de la société ACTM 3 et non de la société Nibs. En tout état de cause, la société Ocean 3 ne justifie ni de manœuvres déloyales qui auraient été employées par la société Nibs pour débaucher son salarié, ni de la désorganisation de son entreprise qui en serait résultée.

Ainsi, contrairement à ce que soutient la société Ocean 3, elle ne démontre pas que la société Nibs a usé de moyens spécieux, de manœuvres frauduleuses et d'accusations mensongères à son encontre et dès lors ne caractérise pas de concurrence déloyale.

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de publication :

Les agissements retenus au titre de la concurrence déloyale à l'encontre de la société Ocean 3 et de M. M. étant limités, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de publication présentée par la société Nibs.

La décision déférée sera confirmée de ce chef.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :

En application des articles 696 et 700 du Code de procédure civile, la partie perdante est, sauf décision contraire motivée par l'équité ou la situation économique de la partie succombante, condamnée aux dépens, et à payer à l'autre partie la somme que le tribunal détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Par conséquent, il y a lieu de confirmer la décision déférée du chef des dépens et des frais irrépétibles.

M. M. et la société Ocean 3 seront également condamnés in solidum aux dépens de l'instance d'appel, lesquels pourront être recouvrés par Me Thomas D., conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

M. M. et la société Ocean 3 seront en outre condamnés à payer à la société Nibs la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, tandis qu'ils seront déboutés de leur demande à ce titre.

Par ces motifs, Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a : - débouté la société Ocean 3 et M. M. de leurs demandes reconventionnelles,- condamné in solidum la société Ocean 3 et M. M. à verser à la société Nibs France la somme de 12 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,- condamné in solidum la société Ocean 3 et M. M. au paiement des frais et dépens de l'instance dont distraction au profit de Maître Thomas D.,- débouté la société Nibs France de ses demandes relatives au frais d'exécution forcée,- ordonné l'exécution provisoire du jugement. Statuant à nouveau, Dit que la société Ocean 3 et M. M. ont commis un acte de concurrence parasitaire au détriment de la société Nibs en profitant de sa notoriété ; Condamne la société Ocean 3 et M. M. in solidum à payer à la société Nibs : • la somme de 5 000 en réparation de son préjudice économique, • la somme de 40 000 euros au titre de son préjudice moral, Condamne in solidum la société Ocean 3 et M. M. à verser à la société Nibs la somme de 7 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute M. M. et la société Ocean 3 de leur demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne in solidum la société Ocean 3 et M. M. aux dépens de l'instance d'appel, lesquels pourront être recouvrés par Me Thomas D., conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.