CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 13 mai 2019, n° 17-04527
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Association Carpe Diem Premium
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Belieres
Conseillers :
Mmes Rouger, Muller
Exposé des faits et de la procédure
L'association Carpe Diem Premium est gestionnaire d'un service d'aide et d'accompagnement à domicile qui œuvre en faveur du maintien à domicile de personnes en situation de handicap et dispose de logements totalement équipés et domotisés lui permettant d'accueillir des personnes à mobilité réduite dans un environnement adapté à l'utilisation du fauteuil roulant grâce à des conventions de location de logements passées avec des sociétés d'HLM et qu'elle sous-loue ensuite.
Suivant acte sous seing privé du 15 juillet 2014 elle a donné à bail à M. L. B. A., qui présente une mobilité réduite à la suite de l'amputation de ses membres inférieurs, un appartement à usage d'habitation situé [...] moyennant un loyer mensuel de 459,29 par mois pour 93,75 de provisions mensuelles sur charges, remplacé à compter du 22 juin 2015 par un nouvel acte portant sur un appartement situé [...] moyennant un loyer mensuel de 299,71 outre 61,15 de provisions mensuelles sur charges, assorti d'un contrat de prestations de services d'aide et d'accompagnement à domicile conclu le 20 juin 2014 à effet au 1er juillet 2014 remplacé par un nouveau contrat conclu le 23 juin 2015 relatif à l'aide à la vie quotidienne et aux déplacements, l'intéressé étant bénéficiaire d'une prestation de compensation du handicap-aide humaine de 8 heures par jour (5 heures au titre des actes de la vie courante et 3 heures au titre du besoin de surveillance).
Le contrat de bail énonce en son article 1 que sa signature est conditionnée, au préalable, à la signature du contrat de prestations de service annexé au logement et mis à la disposition par le bailleur et en son article 8 paragraphes 3 et 4 qu'en cas de rupture du contrat de prestation de service initiée par l'une ou l'autre des parties, la convention de logement sera également dénoncée.
Le contrat de prestation de service prévoit en son article 5 que la double situation contractuelle (contrat de bail et contrat de prestations de services) engage le bénéficiaire à l'utilisation exclusive des services de l'association, qu'en cas de non utilisation du service prestataire ou en cas de recours à un autre service, le contrat de service sera résilié à l'initiative de l'association, que de plus, en cas de signification du congé pour le logement, le contrat de prestation de service sera également résilié au terme du préavis en vigueur.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 novembre 2015 l'association Carpe Diem Premium a dénoncé les deux contrats en raison de loyers et charges impayés depuis mai 2015 et du non-respect du règlement de fonctionnement précisant les modalités d'intervention du service d'aide et d'accompagnement exigeant un délai de prévenance de 7 jours ouvrés en cas d'accompagnement dans les démarches à l'extérieur, avec effet à l'issue du préavis d'un mois.
Par acte du 8 août 2016 l'association Carpe Diem Premium a fait assigner son co-contractant devant le tribunal d'instance de Toulouse en résiliation de bail, expulsion, paiement des loyers et charges impayés, fixation d'une indemnité d'occupation et paiement d'une somme au titre des frais irrépétibles exposés.
Par jugement du 25 juillet 2017 assorti de l'exécution provisoire cette juridiction a
- déclaré irrecevable la demande de résiliation de bail fondée sur les impayés de loyers et charges
- prononcé la résiliation du bail en raison de la résiliation du contrat de prestation de services et pour défaut d'utilisation paisible des lieux loués
- ordonné l'expulsion de M. L. B. A. et de tout occupant de son chef au besoin avec l'assistance de la force publique, passé le délai de deux mois suivant la délivrance d'un commandement d'avoir à libérer les lieux conformément aux dispositions des articles L. 412-1 et suivants, R. 411-1 et suivants, R 412-1 et suivants du Code des procédures civiles d'exécution
- condamné M. L. B. A. au paiement d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer actuel augmenté des charges
- constaté que celui-ci reconnaissait devoir à l'association Carpe Diem Premium la somme de 3 296,27 arrêtée au 30 juin 2016 au titre des loyers et charges impayés
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile
- condamné M. L. B. A. aux dépens de l'instance.
Pour statuer ainsi il a relevé que la demande de résiliation de bail fondée sur l'arriéré locatif n'était pas recevable faute d'avoir procédé aux formalités de notification au préfet et à la commission départementale de coordination des actions de prévention des expulsions locatives, que le non-respect par M. L. B. A. de ses obligations au titre du contrat de prestations d'aide à domicile (non-respect du délai de prévenance pour les accompagnements à l'extérieur) et son comportement agressif, menaçant et insultant à l'égard des intervenants, avaient conduit l'association Carpe Diem Premium à mettre fin aux conventions de prestations de service et de bail et que la résiliation de la location était justifiée à la fois par la résiliation de la convention de prestations de service et par le comportement du locataire qui n'usait pas paisiblement des lieux loués.
Par acte du 29 août 2017 M. L. B. A. a interjeté appel général de cette décision.
Par ordonnance en date du 26 juillet 2018 le conseiller de la mise en état, saisi à la requête de M. L. B. A., a déclaré irrecevables comme tardives au regard des dispositions de l'article 909 du Code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 les conclusions notifiées par l'association Carpe Diem Premium le 6 février 2018, dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et condamné l'association Carpe Diem Premium aux dépens de l'incident.
Prétentions et moyens des parties
M. L. B. A. sollicite ses conclusions du 21 novembre 2017, au visa des articles 1219 et suivants et 1728 et suivants du Code civil, de
Confirmant le jugement,
- déclarer irrecevable la demande en résiliation de bail fondée sur les impayés de loyers et charges
Le réformant pour le surplus,
A titre principal
- déclarer abusive la clause contenue dans le contrat de prestation de service selon laquelle " la double situation contractuelle (contrat de bail et contrat de prestations de services) engage le bénéficiaire à l'utilisation exclusive des services de l'association Carpe Diem Premium "
- déclarer abusive la clause contenue dans le contrat de bail selon laquelle " en cas de rupture du contrat de prestations de service, initiée par l'une ou l'autre des parties la présente convention de logement sera également dénoncée, le préavis courant à la date de première présentation de l'avis de rupture du contrat "
- déclarer irrecevable la demande en résiliation de bail présentée par l'association Carpe Diem Premium sur le fondement de la résiliation du contrat de prestations de services
A titre subsidiaire,
- prononcer l'exception d'inexécution du fait des manquements contractuels de l'association
- déclarer irrecevable la demande en résiliation de bail présentée par l'association Carpe Diem Premium sur le fondement de la résiliation du contrat de prestations de services
En tout état de cause
- déclarer irrecevable la demande en résiliation de bail présentée par l'association Carpe Diem Premium fondée sur le fait de ne pas user raisonnablement et paisiblement des locaux loués
- condamner l'association Carpe Diem Premium à lui payer la somme de 2 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance en ce compris ceux de la procédure de référés.
Il fait valoir qu'en vertu de l'article 4 de la loi du 6 juillet 1989 modifié par la loi du 24 mars 2014, d'ordre public, est réputée non écrite toute clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat en cas d'inexécution des obligations du locataire pour un motif autre que le non-paiement du loyer, des charges, du dépôt de garantie, la non souscription d'une assurance des risques locatifs ou le non-respect de l'obligation d'user paisiblement des locaux loués résultant de troubles de voisinage constaté par une décision de justice passée en force de chose jugée.
Il indique que l'article 5 du contrat de prestation de service prévoit qu'en cas de signification du congé pour le logement le contrat de prestation de service sera également résilié au terme du préavis en vigueur et que l'article 8 du contrat de bail énonce en ses alinéas 3 et 4, qu'en cas de rupture du contrat de prestation de service initié par l'une ou l'autre des parties, la convention de logement sera également dénoncée et soutient qu'une telle clause ne peut être considérée que comme abusive allant à l'encontre des dispositions protectrices de la loi, d'autant que les preneurs visés sont des personnes en situation de handicap moteur ou psychique et donc particulièrement vulnérables.
Il explique qu'il ne pouvait plus subir l'incompétence des intervenants ou leur négligence tant son handicap nécessitait des soins et un accompagnement constant, au quotidien, les quelques minutes qui lui étaient accordées n'étant pas suffisantes puisqu'il avait effectivement besoin d'une aide journalière de 8 heures.
Il fait remarquer que c'est l'association Carpe Diem Premium qui a pris l'initiative de rompre les contrats au terme d'un préavis d'un mois alors qu'il vit aujourd'hui dans un appartement parfaitement adapté à son handicap, y a ses repères et ses connaissances, de sorte que son expulsion ne pourrait qu'avoir des conséquences dramatiques.
Subsidiairement, il s'oppose à la résiliation du bail en invoquant l'exception d'inexécution du contrat de prestation de service, ayant fait part à plusieurs reprises de son mécontentement, les intervenants s'avérant inefficaces et négligents en dépit de sa situation douloureuse et l'assistance facturée de 8 heures par jour étant bien plus élevée que l'aide réelle plus proche de 10 à 20 minutes maximum par jour, voire parfois sans aucun passage pendant plusieurs jours (ni vaisselle, ni ménage ni autre prestation) notamment en octobre, novembre et décembre 2015 ; il affirme que les intervenants n'ont pas hésité à porter plainte contre lui en faisant de fausses déclarations.
Il précise que depuis le mois de mai 2017 il bénéficie de l'accompagnement d'une autre association qui, après avoir identifié ses besoins, intervient à son domicile et l'accompagne dans les actes essentiels de la vie courante et précise que la responsable du secteur atteste de son caractère toujours coopérant et participatif et de la qualité des échanges entre lui et les différents intervenants à son domicile.
Il affirme avoir toujours usé paisiblement des lieux loués, fait remarquer que toutes les plaintes ont été émises le même jour et que la véracité de leurs dires n'a pas été démontrée, d'autant qu'il n'a jamais été auditionné à cet égard et que les faits sont anciens.
Il souligne que son état de santé ne cesse de se dégrader.
L'association Carpe Diem Premium a constitué avocat mais ses conclusions 6 février 2018 ont été déclarées irrecevables.
Motifs de la décision
Selon l'article 954, alinéa 5 du Code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 la partie qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement, est réputée s'en approprier les motifs.
L'intimé dont les conclusions sont déclarées irrecevables est réputé ne pas avoir conclu et s'être approprié les motifs du jugement attaqué de sorte qu'en vertu de l'article 472 du Code de procédure civile la cour doit statuer sur le fond et ne peut faire droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où elle les estime réguliers, recevables et bien fondés et au vu des seules pièces communiquées par lui.
Sur la résiliation des conventions
Les deux contrats de prestations de service d'aide à domicile du 23 juin 2015 et de bail du même jour sont juridiquement liés dans leur conclusion et dans leur exécution.
Cette interdépendance est clairement mentionnée dans chacune des conventions et n'est interdite par aucune disposition légale.
Le contrat de prestations de services note en son article 5 intitulé " dispositions spécifiques liées aux résidences-services " que " la double situation contractuelle (contrat de bail et contrat de prestations de services) engage le bénéficiaire à l'utilisation exclusive des services de l'association Carpe Diem Premium. En cas de non utilisation du service prestataire ou en cas de recours à un autre service, le contrat de service sera résilié à l'initiative de l'association Carpe Diem Premium. De plus, en cas de signification de congé pour le logement, le contrat de prestations de services sera également résilié au terme du préavis en vigueur ".
Le contrat de bail prévoit également que " la signature de la convention est conditionnée au préalable à la signature du contrat de prestations de service annexé au logement et mis à la disposition par le bailleur " ; l'article 8 prévoit " qu'en cas de rupture du contrat de prestations de service, initiée par l'une ou l'autre des parties, la présente convention de logement sera également dénoncée, le préavis courant à la date de première présentation de l'avis de rupture, que les différents motifs justifiant le terme de l'accompagnement à l'initiative du bailleur sont détaillés dans le contrat de prestations de service qui comprend notamment, et sans que la présente énumération ne soit exhaustive, le non-paiement des sommes dues au titre des prestations de service, la non utilisation exclusive des services du bailleur, le changement de prestataire, l'intervention d'un prestataire complémentaire ".
Ces clauses ne revêtent en elles-mêmes aucun caractère abusif dès lors qu'en vertu de l'article 212-1 du Code de la consommation elles s'apprécient chacune par rapport à celle figurant dans l'autre contrat lié ; elles ne sont pas de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, chacun se voyant reconnaître une faculté réciproque et soumise à préavis de ne pas poursuivre les relations.
Elles ne se heurtent pas davantage aux dispositions, d'ordre public, de l'article 4 g) de la loi du 6 juillet 1989 dès lors qu'elles ne prévoient aucunement une faculté de résiliation de plein droit ; telles qu'elles sont rédigées, elles énoncent une modalité de résiliation du bail sans supprimer le pouvoir d'appréciation du juge.
Par lettre du 26 novembre 2015 l'association Carpe Diem Premium a dénoncé la convention de bail et la convention de prestations de services en raison du défaut de paiement des loyers et du comportement de M. L. B. A..
La demande judiciaire de résiliation du bail pour non-paiement des loyers d'avril à octobre 2015 a été, à bon droit, déclarée irrecevable par le tribunal dès lors que les formalités préalables exigées par l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989 n'avaient pas été effectuées.
Elle a été, à juste titre, admise en raison du comportement de M. L. B. A. constitutif à la fois d'un manquement à ses obligations de bénéficiaire d'un contrat de prestation de services et à ses obligations de locataire.
Les réactions inappropriées aux refus d'accompagnement à l'extérieur opposés par l'association Carpe Diem Premium en raison du non-respect du délai de prévenance prévu par l'article 3.4 du règlement de fonctionnement précisant les modalités d'intervention du service d'aide et d'accompagnement à domicile ont été retenues par le tribunal, au vu notamment des mains courantes déposées par Mme S. et Mme O. le 25 novembre 2015 et par les plaintes déposées le même jour par Mme H. et par M. B., respectivement salariées et directeur de l'association ; ces documents, versés aux débats en première instance, ont été analysés par le premier juge comme attestant de façon suffisamment caractérisée le comportement agressif, menaçant et insultant de M. L. B. A., noté comme contesté par l'intéressé mais contredit par aucune donnée, alors que la situation a été signalée à la Maison Des Personnes Handicapées sans que les tentatives de dialogue ne conduisent à une amélioration.
Rien ne permet de remettre en cause cette analyse motivée dès lors que l'appelant ne produit pas ces dépositions en cause d'appel, ce qui ne permet pas à la cour de procéder à une nouvelle étude complète et d'en faire une appréciation différente, au vu de la teneur des quelques extraits qu'il reproduit lui-même dans ses conclusions, alors qu'il ne communique aucun élément ou donnée complémentaire ; l'attestation en date du 16 novembre 2016 émanant de l'association Solidarité Familiale, qui intervient désormais auprès de lui, et qui note que " leurs échanges avec ce monsieur depuis le mois de mai ont toujours été très agréables et nos intervenants à domicile nous rapportent travailler dans de bonnes conditions à son bénéfice ", est dépourvue de toute valeur probante, s'agissant d'apprécier le comportement de M. L. B. A. vis à vis d'une tierce association.
Cette attitude d'agression verbale vis à vis de personnes qui intervenaient quotidiennement à son domicile a créé un climat de tension et constitue également un manquement à son obligation de jouissance paisible des lieux prévue à l'article 1728 du Code civil rendant impossible la poursuite des liens contractuels.
Par ailleurs, les quelques extraits du cahier de liaison versées aux débats par M. L. B. A., déjà produites devant le tribunal, sont insuffisantes à démontrer l'inexécution par l'association Carpe Diem Premium de ses propres obligations d'accompagnement à domicile telle qu'alléguée par l'intéressé.
Au vu de l'ensemble de ces données les dispositions du jugement qui ont prononcé la résiliation du bail, ordonné l'expulsion du preneur et fixé le montant de l'indemnité d'occupation à une somme égale au loyer augmenté des charges doivent être confirmées.
Sur les demandes annexes
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens doivent être approuvées.
M. L. B. A. qui succombe dans ses prétentions supportera la charge des dépens d'appel et doit être débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement. Y ajoutant, Condamne M. L. B. A. aux entiers dépens d'appel.