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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 mai 2019, n° 16-17089

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Citya Immobilier Haute-Savoie (SARL), Gestion Immobilière Frères Lumière (Sasu), Citya Pays de l'Ain (SARL), Urbania Lyon Régies Vendôme (Sasu), Urbania Lyon Barioz (Sasu), Citya Bourguignon Palluat (Sasu), Citya Liger Immo (SARL), Citya Immobilier Andreolety (SARL)

Défendeur :

Opéra Groupe (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

M. Bedouet, Mme Comte

T. com. Lyon, du 30 mai 2016

30 mai 2016

FAITS ET PROCÉDURE

Les sociétés Urbania Lyon Régies Vendôme, Citya Pays de l'Ain, Gestion Immo Frères Lumières, Urbania Lyon Barioz, Citya Immo Andreolety, Citya Haute Savoie Annecy, Citya Bourguignon Palluat et Citya Liger Immo (ci-après " les sociétés appelantes ") sont des filiales du Groupe Citya depuis l'acquisition par cette dernière du Groupe Urbania. Elles sont spécialisées dans le secteur d'activité de l'administration d'immeubles et autres biens immobiliers.

La société Opéra Groupe a pour activité les conseils et services à la gestion de l'immobilier, plus particulièrement dans le domaine de l'état des lieux locatifs et les diagnostics.

La société Opéra Groupe et les sociétés appelantes ont entretenu des relations commerciales dans le cadre desquelles la société Opéra Groupe réalisait des états des lieux locatifs pour le compte des sociétés appelantes.

Par jugement du 11 avril 2012 prononcé par le tribunal de commerce de Paris, la société Opéra Groupe a été placée en procédure de redressement judiciaire avec un plan de continuation arrêté au 19 juin 2013.

S'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies, la société Opéra Groupe a envoyé le 3 juillet 2014 à chacune des sociétés un courrier prenant acte de la fin des relations commerciales, puis les a fait assigner devant le tribunal de commerce de Lyon en réparation de son préjudice.

Par jugement du 30 mai 2016, le tribunal de commerce de Lyon a :

- ordonné la jonction des instances enrôlées sous les numéros 2015J1253, 2015J1254, 2015J12556, 2015J1257, 2015J158, 2015J1261, 2015J1262 et 2015J1263,

- condamné, en réparation du préjudice économique subi du fait de la rupture abusive des relations commerciales établies, les sociétés défenderesses à payer à la société Opéra Groupe les sommes suivantes :

Citya Immobilier Haute Savoie 130 euros

Gestion Immobilière Frères Lumière 28 000 euros

Citya Pays de l'Ain 11 000 euros

Urbania Lyon Régies Vendôme 17 000 euros

Urbania Lyon Barioz 40 000 euros

Citya Bourguignon Palluat 18 000 euros

Citya Liger Immo 6 000 euros

Citya Immobilier Andreolety 7 000 euros

- débouté la société Opéra Groupe de ses demandes de réparation du préjudice de désorganisation et moral, formées à l'encontre de chacune des sociétés défenderesses,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,

- condamné chacune des sociétés défenderesses à payer à la société Opéra Groupe la somme de 1 000 euros au titre des disposition de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné chacune des sociétés défenderesses aux entiers dépens.

Le 4 août 2016, la cour a été saisie de l'appel interjeté par les sociétés Urbania Lyon Régies Vendôme, Citya Pays de l'Ain, Gestion Immo Frères Lumières, Urbania Lyon Barioz, Citya Immo Andreolety, Citya Haute Savoie Annecy, Citya Bourguignon Palluat et Citya Liger Immo (Urbania Saint Etienne).

Vu les dernières conclusions des sociétés Urbania Lyon Régies Vendôme, Citya Pays de l'Ain, Gestion Immo Frères Lumières, Urbania Lyon Barioz, Citya Immo Andreolety, Citya Haute Savoie Annecy, Citya Bourguignon Palluat et Citya Liger Immo (Urbania Saint Etienne), appelante, déposées et notifiées le 18 novembre 2018 par lesquelles il est demandé à la cour de :

- dire les sociétés Urbania Lyon Régies Vendôme, Citya Pays de l'Ain, Gestion Immo Frères Lumières, Urbania Lyon Barioz, Citya Immo Andreolety, Citya Haute Savoie Annecy, Citya Bourguignon Palluat et Citya Liger Immo (Urbania Saint Etienne) recevables et bien fondées en leur appel,

- voir infirmer le jugement rendue le 30 mai 2016 par le tribunal de commerce de Lyon en toutes ses dispositions et débouter en conséquence la SA Opéra Groupe de toutes ses demandes, fins et conclusions, très subsidiairement et dans le cas où, par impossible, les demandes de la SA Opéra Groupe seraient déclarées recevables, il y aura lieu de réduire l'indemnisation allouée à la SA Opéra Groupe dans les plus amples proportions et dire qu'elle ne pourra en tout état de cause excéder six mois de la marge sur coûts variables du chiffre d'affaires réalisé avec les concluantes pour les années 2011 à 2013 (soit en moyenne 1,3 % du chiffre d'affaires global de SA Opéra Groupe sur la période), plus subsidiairement encore,

- voir confirmer le jugement entrepris et débouter la SA Opéra Groupe de toutes demandes plus amples,

en tout état de cause,

- débouter la société Opéra Groupe de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la SA Opéra Groupe à verser solidairement aux sociétés Urbania Lyon Régies Vendôme, Citya Pays de l'Ain, Gestion Immo Frères Lumières, Urbania Lyon Barioz, Citya Immo Andreolety, Citya Haute Savoie Annecy, Citya Bourguignon Palluat et Citya Liger Immo (Urbania Saint Etienne), la somme de 10 000 euros (huit mille euros) par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la SA Opéra Groupe aux entiers dépens de première instance et d'appel,

- dire que ceux d'appel seront recouvrés par Maître X conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions de la société Opéra Groupe, intimée, déposées et notifiées le 12 février 2019 par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

* jugé que les défenderesses étaient coupables d'une rupture fautive de la relation commerciale établie avec la SA Opéra Groupe,

* condamné chacune des appelantes à payer à Opéra Groupe, la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 et aux dépens,

* ordonné la jonction des procédures,

- réformer le jugement pour le surplus,

- débouter la société Citya Liger Immo de l'intégralité de ses prétentions,

- condamner :

* la société Citya Liger Immo, à payer à la SA Opéra Groupe :

. la somme de 14 000 euros en réparation du préjudice économique subi par la rupture abusive des relations commerciales établies,

. la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice de désorganisation et moral,

* la société Citya Immobilier Haute Savoie, à payer à la SA Opéra Groupe :

. la somme de 75 000 euros en réparation du préjudice économique subi par la rupture abusive des relations commerciales établies,

. la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice de désorganisation et moral,

* la société Citya Immobilier Andreolety, à payer à la SA Opéra Groupe :

. la somme de 71 000 euros en réparation du préjudice économique subi par la rupture abusive des relations commerciales établies,

. la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice de désorganisation et moral,

. la société Citya Pays de l'Ain, à payer à la SA Opéra Groupe :

. la somme de 54 000 euros en réparation du préjudice économique subi par la rupture abusive des relations commerciales établies,

. la somme de 40 000 euros en réparation du préjudice de désorganisation et moral,

* la société Citya Bourguignon Palluat, à payer à la SA Opéra Groupe :

. la somme de 88 000 euros en réparation du préjudice économique subi par la rupture abusive des relations commerciales établies,

. la somme de 40 000 euros en réparation du préjudice de désorganisation et moral,

* la société Gestion Immobilière Frères Lumière, à payer à la SA Opéra Groupe :

. la somme de 82 000 euros en réparation du préjudice économique subi par la rupture abusive des relations commerciales établies,

. la somme de 40 000 euros en réparation du préjudice de désorganisation et moral,

* la société Urbania Lyon Régies Vendôme, à payer à la SA Opéra Groupe :

. la somme de 73 000 euros en réparation du préjudice économique subi par la rupture abusive des relations commerciales établies,

. la somme de 40 000 euros en réparation du préjudice de désorganisation et moral,

* la société Urbania Lyon Barioz, à payer à la SA Opéra Groupe :

. la somme de 86 000 euros en réparation du préjudice économique subi par la rupture abusive des relations commerciales établies,

. la somme de 40 000 euros en réparation du préjudice de désorganisation et moral,

y ajoutant,

- condamner chacune des appelantes, à payer à la SA Opéra Groupe, la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner les mêmes aux entiers dépens, de première instance et d'appel ;

SUR CE, LA COUR

Sur le caractère établi des relations commerciales

Les sociétés appelantes rappellent qu'aux termes de la loi, il est nécessaire de justifier de l'existence d'une relation commerciale établie. Or, elles affirment qu'aucun contrat ni partenariat n'a été régularisé avec le Groupe Citya et la société Opéra Groupe, cette dernière se contentant de faire attester par son commissaire aux comptes un certain chiffre d'affaires réalisé entre 2012 et 2014 avec les sociétés appelantes. Elles exposent, par ailleurs, que la société Opéra Groupe n'a entretenu des relations commerciales établies qu'avec le Groupe Urbania. Or ces relations ont été rompues à la suite de la cession, par le Groupe Urbania, de ses filiales au Groupe Citya, de sorte que la société Opéra Groupe ne peut se prévaloir de relations commerciales établies avec celui-ci. Les sociétés appelantes ajoutent que les prestations fournies par la société Opéra Groupe consistant en l'établissement d'états des lieux locatifs sont non récurrentes et aléatoires et ne peuvent en conséquence fonder une relation commerciale établie. Aussi, elles rapportent que le courant d'affaires qu'elles entretenaient avec la société Opéra Groupe était très marginal puisqu'il représentait, de 2011 à 2013, un pourcentage du chiffre d'affaires du Groupe Opéra inférieur à 2 % sur l'ensemble des sociétés.

Mais la société intimée souligne à juste titre que le caractère établi des relations commerciales n'est pas conditionné par l'existence d'un contrat écrit entre les parties, dès lors que les relations commerciales sont suivies, stables et habituelles.

Elle justifie à ce titre d'un flux continu d'affaires retracé par son commissaire aux comptes et non sérieusement discuté par les appelantes.

Il en ressort qu'elle est entrée en relation avec les sociétés appelantes entre 2002 et 2009 et que :

- concernant la société Citya Liger Immo, elle entretenait des relations commerciales depuis le 31 mars 2009 ;

- concernant la société Citya Immobilier Haute Savoie, elle entretenait des relations commerciales depuis 2003 ;

- concernant la société Citya Immobilier Andreolety, elle entretenait des relations commerciales depuis 2002 et de façon significative dès l'année 2004 ;

- concernant la société Citya Pays De l'Ain, elle entretenait des relations commerciales dès l'année 2004 et de façon significative dès l'année 2009 ;

- concernant la société Citya Bourguignon Palluat, elle entretenait des relations commerciales depuis 2002 ;

- concernant la société Gestion Immobilière Frères Lumière, elle entretenait des relations commerciales depuis 2007 ;

- concernant la société Urbania Lyon Régies Vendôme, elle entretenait des relations commerciales depuis 2002 ;

- concernant la société Urbania Lyon Barioz, elle entretenait des relations commerciales depuis 2009.

Les changements d'actionnaires des sociétés appelantes n'emportent aucune conséquence juridique quant au caractère établi des relations commerciales entre les personnes morales, qui, elles, n'ont pas changé.

Enfin, l'établissement d'état des lieux locatif constitue une prestation habituelle et récurrente comme le démontrent les volumes d'affaires réalisés par Opera Groupe avec les sociétés appelantes, non sérieusement contesté.

Il en résulte l'existence de relations commerciales établies.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Les sociétés appelantes exposent que la rupture des relations avec la société Opéra Groupe ne peut pas être qualifiée de brutale compte tenu d'une diminution du flux d'affaires progressive et significative depuis 2013. Aussi, elles ajoutent que la baisse du courant d'affaires qu'elles entretenaient ensemble trouve son origine dans l'incurie de la société Opéra Groupe du fait de ses difficultés économiques et de son incapacité à répondre à temps aux appels d'offre. Elles poursuivent en énonçant que les Groupes Urbania et Citya ont réalisé, en 2012, un partenariat logistique et industriel qui a entraîné plusieurs rationalisations de leurs services passant par une mise en concurrence que la société Opéra Groupe n'a pas été en mesure de surmonter en raison de ses faiblesses structurelles. Par ailleurs, elles estiment que la société Opéra Groupe est à l'origine de la rupture de leurs relations commerciales dans la mesure où cette dernière n'a donné aucune suite à la proposition de rendez-vous au partenaire du Groupe Citya, la société Snexi, en vue d'un partenariat. Elles énoncent, au demeurant, que la société Opéra Groupe n'a jamais fait état d'aucun reproche quand à la rupture des relations commerciales par le Groupe Urbania et n'a jamais fait de propositions commerciales au Groupe Citya.

Mais la société Opéra Groupe justifie avoir été victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies dans la mesure où elle n'a pas bénéficié de délais de préavis. Elle précise en ce sens que :

- la société Citya Liger Immo SARL confiait un ensemble d'affaires à la société Opéra Groupe représentant un chiffre d'affaire pour 2009-2010 d'un montant de 80 187 euros et a stoppé toutes relations en 2015 après avoir confié en 2014 un chiffre d'affaire de 3 192 euros ;

- la société Citya Immobilier Haute Savoie, confiait un ensemble d'affaires à la société Opéra Groupe représentant un chiffre d'affaire pour 2009-2010 d'un montant de 13 320 euros pour s'effondrer à 7 147 euros en 2011 et ensuite à 717 euros en 2012 et avoir stoppé toutes relations en 2013 ;

- la société Citya Immobilier Andreolety confiait un ensemble d'affaires à la société Opéra Groupe représentant un chiffre d'affaire pour 2010-2011 d'un montant de 50 496 euros pour le limiter à 19 501 euros pour l'année 2012 et enfin stopper toutes relations avec un chiffre d'affaires de 1 934 euros en 2013 et 3 192 euros en 2014 ;

- la société Citya Pays De l'Ain, confiait un ensemble d'affaires à la société Opéra Groupe représentant un chiffre d'affaire pour 2010-2011 d'un montant de 57 086 euros qui passera en 2012 à 36 731 euros puis en 2013 à 19 600 euros, en 2014 à 2 418 euros et avoir stoppé toutes relations en 2015 ;

- la société Citya Bourguignon Palluat, confiait un ensemble d'affaires à la société Opéra Groupe représentant un chiffre d'affaire pour 2010-2011 d'un montant de 76 232 euros puis en 2012 de 62 803 euros, en 2013 de 47 928 euros, en 2014 à peine 14 602 euros et avoir stoppé toutes relations en 2015 ;

- la société Gestion Immobilière Frères Lumière, confiait un ensemble d'affaires à la société Opéra Groupe représentant un chiffre d'affaire pour 2010-2011 d'un montant de 127 905 euros qui sera ensuite limité pour 2012 à 89 114 euros et 2013 à 75 597 euros pour ensuite s'effondrer en 2014 à 22 415 euros et avoir stoppé toutes relations en 2015 ;

- la société Urbania Lyon Régies Vendôme, confiait un ensemble d'affaires à la société Opéra Groupe représentant un chiffre d'affaire pour 2010-2011 d'un montant de 68 727 euros, en 2012 de 55 905 euros, en 2013 de 48 683 euros pour s'effondrer en 2014 à 12 669 euros et avoir stoppé toutes relations en 2015 ;

- la société Urbania Lyon Barioz, confiait un ensemble d'affaires à la société Opéra Groupe représentant un chiffre d'affaire pour 2010-2011 d'un montant de 166 431 euros puis en 2012 de 119 805 euros, en 2013 de 123 758 euros et en 2014 à peine 73 912 euros et a stoppé toutes relations en 2015.

La diminution du flux d'affaires, à compter de 2012 ne saurait valoir notification d'un préavis. L'arrêt total des commandes a donc bien revêtu le caractère de rupture brutale.

Les appelantes échouent à démontrer que la société intimée serait le véritable auteur de la rupture ou que celle-ci serait responsable d'une quelconque faute de nature à les dispenser du respect d'un préavis.

Sur le préavis et l'évaluation du préjudice

Le jugement entrepris sera confirmé par la cour aux termes d'une motivation qu'elle reprend à son compte. Il sera rappelé que, compte tenu de la nature des relations et de leur durée, un préavis de six mois est raisonnable.

Les calculs du tribunal relatifs au préjudice subi par chacune des sociétés seront également approuvés, en l'absence de tout élément contraire nouveau versé aux débats.

Le tribunal sera également approuvé, en ce qu'il a écarté toute autre demande de la société intimée, faute de preuve.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Succombant au principal, les appelantes seront condamnées à supporter in solidum les dépens de l'instance, ainsi qu'à payer chacune à la société Opera Groupe la somme 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris, Condamne les sociétés Urbania Lyon Régies Vendôme, Citya Pays de l'Ain, Gestion Immo Frères Lumières, Urbania Lyon Barioz, Citya Immo Andreolety, Citya Haute Savoie Annecy, Citya Bourguignon Palluat et Citya Liger Immo (Urbania Saint Etienne) in solidum à supporter les dépens d'appel, Les Condamne à payer chacune à la société Opera Groupe la somme 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.