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Décisions

ADLC, 9 mai 2019, n° 19-D-08

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'entretien et la réparation automobile

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré à la suite de l'instruction deM. Antonin Agier, rapporteur, l'intervention orale de M. Nicolas Deffieux, rapporteur général adjoint, par M. Emmanuel Combe, vice-président, président de séance.

ADLC n° 19-D-08

9 mai 2019

L'Autorité de la concurrence (vice-président statuant seul),

Vu la lettre enregistrée le 19 octobre 2017 sous le numéro 17/0209 F par laquelle les sociétés Garage Richard Drevet, Garage Guillotin et Littoral Automobile ont saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Hyundai Motor France ; Vu le livre IV du code de commerce ; Vu les décisions de secret des affaires n° 18-DSA-392 du 13 novembre 2018 et 19-DSA-002 du 9 janvier 2019 ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la décision n° 19-JU-01 du 8 mars 2019, par laquelle la présidente de l'Autorité de la concurrence a désigné M. Emmanuel Combe, vice-président, pour adopter seul la décision qui résulte de l'examen de la saisine enregistrée sous le numéro 17/0209 F ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le conseil des sociétés Garage Richard Drevet, Garage Guillotin et Littoral Automobile entendus lors de la séance du 3 avril 2019, le commissaire du Gouvernement ayant été régulièrement convoqué ; Adopte la décision suivante :

Résumé1 :

Aux termes de la présente décision, l'Autorité de la concurrence rejette la saisine des sociétés Garage Richard Drevet, Garage Guillotin et Littoral Automobile pour défaut d'éléments suffisamment probants.

Dans leur saisine, les sociétés dénonçaient des pratiques mises en œuvre par la société Hyundai Motor France et son réseau de réparateurs agréés dans le secteur de l'après-vente des véhicules de marque Hyundai susceptibles, selon elle, de constituer une entente prohibée par les articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Les sociétés saisissantes soutenaient que les trois refus ou résiliations d'agrément ayant visé ces dernières auraient eu pour effet de les sortir du réseau de réparateurs agréés ou de ne pas leur permettre de l'intégrer.

Elles dénonçaient, en outre, une politique générale d'exclusion du réseau après-vente de Hyundai des réparateurs agréés seuls.

À cet égard, le nouveau cadre européen préconise, pour les constructeurs têtes de réseaux, de recourir à un système de distribution sélective purement qualitatif. Au sein d'un tel système de distribution sélective, tout candidat qui satisfait aux critères qualitatifs requis doit être, en principe, agréé.

Au cas d'espèce et après vérifications opérées par les services d'instruction de l'Autorité, les critères instaurés par Hyundai sont exclusivement qualitatifs (qualification professionnelle du revendeur, du personnel, des installations...) et aucun élément n'a permis de démontrer que Hyundai cherchait à intégrer de manière indirecte, parmi les critères d'entrée dans son réseau après-vente, des critères quantitatifs, qui auraient motivé un refus d'accès au réseau ou une résiliation des contrats d'agrément des saisissantes.

En outre, aucun élément factuel n'a mis en évidence que Hyundai poursuivrait une stratégie générale d'éviction de son réseau d'opérateurs qui ne seraient pas, dans le même temps, concessionnaires de sa marque.

Dès lors, les éléments apportés par la saisissante n'ont pas permis de démontrer l'existence des pratiques alléguées.

1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

I. Constatations

1. Par lettre, enregistrée le 19 octobre 2017, les sociétés Garage Richard Drevet, Garage Guillotin et Littoral Automobile ont, par l'intermédiaire de la SCP Bourgeon Meresse Guillin Bellet & associés (BMGB), saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Hyundai Motor France (ci-après " Hyundai ") et son réseau de réparateurs agréés dans le secteur de l'après-vente automobile.

A. LES ENTREPRISES ET LEUR SECTEUR D'ACTIVITÉ

1. LA SOCIÉTÉ HYUNDAI

a) Présentation de la société

2. Hyundai est une entreprise coréenne créée par Monsieur X... à Séoul en 1947 et toujours détenue à 100 % par la famille X... en 2019. D'abord connue sous le nom de Hyundai Engineering and Construction et dédiée à l'entretien automobile et à la construction lourde, elle s'est scindée en 1967 en plusieurs branches d'activités. De cette scission est née la marque Hyundai Motor. En 1973, l'entreprise a produit la première voiture 100 % sud-coréenne, la Hyundai Pony. Hyundai a racheté l'entreprise Kia Motors en 1999.

3. Hyundai occupe aujourd'hui la place de cinquième constructeur automobile mondial et celle de premier constructeur coréen de voitures.

4. Présente en France depuis 1992, Hyundai y est implantée sous la forme d'une société par actions simplifiée (S.A.S.) au capital social de 7 349 627 € (R.C.S. de Nanterre, 411 394 893).

5. Hyundai voit progresser depuis plusieurs années son chiffre d'affaires en France, alors même qu'au niveau mondial, la marque subit un léger tassement de ses ventes, sous la barre des 5 millions d'unités. Ainsi, en 2018, pour la quatrième année consécutive, Hyundai a connu une hausse de ses immatriculations en France, qui ont atteint sur l'année 35 542 unités, lui permettant ainsi de détenir une part de marché de 1,64 % sur le marché français (3,5 % sur le marché européen). Ses ventes sont favorisées notamment par le succès de son modèle Tucson.

b) Organisation et évolution du réseau Hyundai

6. Pour accompagner la croissance des ventes qu'elle réalise sur le marché français, notamment par le biais de ses distributeurs agréés, Hyundai a développé un réseau de réparateurs agréés pour l'après-vente. Les deux activités - distribution de véhicules et après-vente - font l'objet de contrats distincts de la part de Hyundai, même lorsque les opérateurs sont présents sur les deux segments d'activité.

7. À la suite de la modification du cadre européen applicable aux réseaux automobiles agréés (cf. ci-après), et à l'image de l'ensemble du secteur, Hyundai a procédé à partir de 2012 à la refonte progressive de ses réseaux de distribution de véhicules et d'après-vente. Ainsi, les contrats existants jusqu'alors ont été résiliés et de nouveaux contrats ont été signés. À cet égard, certains opérateurs précédemment agréés, pour la distribution comme pour l'après-vente, n'ont pas vu leur contrat renouvelé, tandis que de nouveaux opérateurs ont été intégrés au réseau.

2. LES RÉPARATEURS AGRÉÉS DU RÉSEAU HYUNDAI

8. 183 opérateurs sont agréés par Hyundai en France - dont une partie importante, 169, est également agréée pour la distribution de véhicules neufs.

9. Les opérateurs agréés pour l'après-vente sont répartis de manière assez homogène sur l'ensemble du territoire. Interrogé sur la stratégie du groupe en matière de conquête de nouveaux établissements agréés pour l'après-vente, Hyundai a indiqué : " Ce n'est pas nécessairement un choix de notre part que les établissements soient à la fois agréés pour la distribution et pour la réparation. La plupart du temps, comme notre parc de voitures en circulation est encore faible, nous n'avons que peu de candidatures d'opérateurs demandant à être exclusivement réparateurs, car ce ne serait pas forcément très rentable de leur point de vue " (cote 1046).

10. Les contrats de réparateurs agréés sont conclus entre Hyundai et les garagistes pour une durée indéterminée, chaque partie pouvant mettre fin au contrat moyennant un préavis de deux ans. Il est prévu contractuellement que la résiliation puisse se faire sans motif.

11. S'agissant des critères d'agrément auxquels les prétendants à l'entrée dans le réseau de réparateurs agréés doivent répondre, Hyundai a indiqué : " nous avons une longue liste de standards annexée au contrat. Il y a notamment une partie visible : l'immobilier et l'identification propre à la marque. Il y a aussi une partie technique de formation du personnel du réparateur. Il y a également la disponibilité d'outillages nécessaires à la réparation des véhicules Hyundai. Il y a un outillage spécifique à la marque pour traiter nos véhicules. Il y a un package de lancement pour le réparateur, et en fonction de l'évolution des technologies, on peut avoir besoin de compléter cet outillage. Il y a également une partie financière pour s'assurer de la pérennité du point de réparation : si le réparateur n'est pas solide et ferme au bout de 6 mois, ce serait préjudiciable en termes d'image et également pour les consommateurs qui pourraient avoir des véhicules immobilisés " (cote 1047).

12. Selon une étude citée dans un document interne de Hyundai, la part de marché des réparateurs agréés Hyundai sur les interventions après-vente réalisées sur des véhicules de la marque (dénommée " taux de rétention ") est estimée à 32 %. Elle est, à titre de comparaison, un peu moins importante que les parts de marché détenues par la quasi-totalité de ses concurrents constructeurs sur leurs marchés après-vente respectifs (42 % en moyenne).

Figure 1 Etude Kantar-TNS (extrait) (cote 1313)

3. LES RÉPARATEURS NON AGRÉÉS PAR HYUNDAI

13. Comme pour les autres marques automobiles, les véhicules Hyundai peuvent également être pris en charge, s'agissant de l'après-vente, par des réparateurs non agréés. Cette catégorie regroupe l'ensemble des établissements susceptibles d'effectuer des opérations d'entretien-réparation sur les véhicules Hyundai et qui ne bénéficient pas d'un contrat d'agrément avec le constructeur à ce titre.

14. En nombre, cette catégorie englobe plusieurs milliers d'opérateurs sensiblement différents dans leur forme juridique et leur importance (mécaniciens réparateurs automobiles indépendants ou centres d'entretien de réparation rapide comme Midas ou Speedy).

B. LES PRATIQUES DÉNONCÉES

15. Les demandes formulées par les saisissantes pointent des pratiques mises en œuvre par Hyundai ayant eu pour effet de les sortir du réseau de réparateurs agréés ou de ne pas leur avoir permis d'intégrer ce réseau. Les trois refus ou résiliations d'agrément ayant visé les saisissantes sont considérés par elles comme étant discriminatoires et contraires aux dispositions des articles 101, §1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce.

16. Au-delà de ces trois cas particuliers, les saisissants dénoncent une politique générale d'exclusion du réseau après-vente de Hyundai des réparateurs agréés seuls. Cette politique aurait pour effet de réduire la concurrence intra-marque sur le marché français de la réparation de véhicules Hyundai, en limitant l'accès au réseau des réparateurs agréés aux seuls opérateurs présents simultanément sur la distribution de véhicule et leur réparation.

17. Au cours du dernier trimestre de l'année 2016, les sociétés Richard Drevet et Guillotin se sont vu notifier par Hyundai la résiliation de leurs contrats de réparateur agréé :

- pour la société Richard Drevet, par lettres de Hyundai des 16 septembre 2016 (cotes 165 et 166) et 27 décembre 2016 (cotes 170 et 171) ;

- pour la société Garage Guillotin, par lettres de Hyundai des 10 octobre 2016 (cotes 173 et 174) et 15 décembre 2016 (cote 178).

18. Par ailleurs, par lettre du 14 juin 2017, Hyundai a refusé d'accéder à la demande d'agrément de Littoral Automobile, déjà réparateur agréé Fiat et Land Rover à Saint-Pol-sur-Mer (Nord), (cote 182).

19. Ce refus et ces deux résiliations de contrats d'agrément n'ont pas été motivés par Hyundai. Le constructeur s'est borné à indiquer que les résiliations contractuelles étaient effectuées conformément à la jurisprudence ou aux stipulations contractuelles qui le liait auxdits garagistes.

20. En réponse aux demandes d'explications des opérateurs concernés, Hyundai n'a pas apporté de justifications. Toutefois, en réponse aux demandes des services d'instruction, le constructeur a fourni des justifications, accompagnées d'éléments de preuve vérifiables, présentées comme ayant motivé les résiliations contestées.

21. Par ailleurs, ont été portés à la connaissance des services d'instruction d'autres cas de résiliations de contrats de réparateurs agréés Hyundai lors des dernières années. Comme pour les cas des saisissantes, Hyundai a fourni un certain nombre d'éléments de justification de ces résiliations, indiquant qu'elles découlaient soit d'une faute contractuelle, soit d'un commun accord, soit d'un dépôt de bilan (cote 1144).

II. Discussion

22. L'article L. 462-8 du code de commerce prévoit que l'Autorité peut " rejeter la saisine par décision motivée lorsque les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ".

A. SUR LE MARCHÉ CONCERNÉ

23. Le marché sur lequel il est allégué que des pratiques anticoncurrentielles ont été commises est celui de l'après-vente des véhicules de marque Hyundai.

24. Aux termes des considérants du règlement (CE) n° 461/2010, on peut considérer, pour les besoins de la présente affaire, qu'il existe un marché de la réparation et de l'entretien propre à chaque marque automobile :

" Les frais de réparation et d'entretien automobile supportés par les consommateurs dans l'Union Européenne représentent en moyenne une part élevée de l'ensemble de leurs dépenses en véhicules automobiles " (considérant 11).

" Dans la mesure où il est possible de définir un marché distinct de l'après-vente, une concurrence effective sur les marchés de l'achat et de la vente des pièces de rechange et sur les marchés de fourniture des services de réparation et d'entretien de véhicules automobiles dépend du degré d'interaction, sur le plan de la concurrence, entre les réparateurs agréés appartenant à un réseau de réparateurs établi directement ou indirectement par un constructeur automobile, ainsi qu'entre opérateurs agréés et indépendants, notamment les fournisseurs de pièces de rechange et les réparateurs indépendants " (considérant 13).

25. Au point 57 des lignes directrices sur les accords de réparation et de distribution de pièces de rechange de véhicules automobiles (2012), la Commission a en outre précisé les éléments à prendre en considération pour conclure à l'existence ou non d'un marché de l'après-vente spécifique à une marque de véhicules automobiles distinct du marché de la vente des véhicules neufs de cette même marque :

" Un facteur important à prendre en considération est le fait de savoir si une proportion significative des acheteurs fait son choix en tenant compte ou non des coûts encourus pendant la durée de vie du véhicule. Le comportement peut par exemple être très différent entre l'acheteur d'un camion, qui gère une flotte et prend en compte, au moment de l'achat, le coût de l'entretien du véhicule, et l'acheteur d'un véhicule automobile particulier [...] Dans la majorité des cas, il y aura probablement un marché de l'après-vente propre à chaque marque, notamment parce que les acheteurs sont en majorité des particuliers ou des petites et moyennes entreprises qui achètent des véhicules automobiles et des services après-vente séparément et n 'ont pas systématiquement accès aux données qui leur permettraient d'évaluer préalablement le coût global lié à la possession d'un véhicule automobile ".

26. Conformément aux lignes directrices de la Commission, l'Autorité de la Concurrence a considéré, dans son avis n° 12-A-21 en date du 8 octobre 2012 relatif au fonctionnement concurrentiel des secteurs de la réparation et de l'entretien des véhicules et de la distribution des pièces de rechange, que les marchés de l'après-vente devaient être analysés comme spécifiques à chaque constructeur. L'avis indique ainsi dans son point 134 :

" Le consommateur est plus ou moins captif sur le marché de l'après-vente, la plupart des pièces de rechange étant spécifiques à la marque du véhicule, voire à son modèle ou à sa série. Une fois un véhicule acheté, la concurrence sur le secteur de l'après-vente automobile ne s'exerce donc plus qu'au sein d'une même marque. Il est peu probable que la limitation de la concurrence, ainsi entraînée sur le marché de l'après-vente, puisse être compensée par une plus forte concurrence sur le marché de la vente de véhicules : à l'heure actuelle, l'information sur les prix des services après-vente est trop diffuse et complexe à traiter pour que le consommateur individuel l'intègre dans son choix de véhicule, sauf cas rares, et les véhicules automobiles étant des biens durables et coûteux, le consommateur ne substituera pas un autre véhicule à celui dont la réparation et l'entretien s'avéreraient trop coûteux ".

27. La cour d'appel de Paris, de son côté, a suivi un raisonnement similaire dans un récent arrêt concernant un litige opposant le constructeur Mazda à un distributeur-réparateur ayant été exclu des réseaux agréés du constructeur (CA Paris, 23 janvier 2019, SAS Automobiles Palau c/ SAS Mazda Automobiles France, n° 16/16856).

B. SUR LES REFUS D'AGRÉMENT DISCRIMINATOIRES

28. Les principes selon lesquels un fournisseur tête de réseau est libre de contracter et dispose ainsi d'une certaine marge de manœuvre dans la détermination des critères de constitution de son réseau, ne s'opposent pas à ce que les autorités de concurrence veillent au respect des règles de concurrence dans la mise en place ou la gestion de ce réseau.

29. Afin d'apprécier les critères de licéité d'un réseau tels qu'ils ont été fixés par la jurisprudence (cf. CJCE, 25 octobre 1977, Metro SB-Grossmärkte GmbH & Co, aff. 26-76), les autorités de concurrence doivent pouvoir vérifier, au besoin en accédant à des informations non publiques détenues par la tête de réseau, les conditions dans lesquelles des refus d'agrément ont été opposés à des candidats. L'objectif est de s'assurer que le choix des opérateurs agréés s'opère en fonction de critères objectifs, relatifs notamment à la qualification professionnelle du revendeur, de son personnel et de ses installations, et que ces critères sont fixés d'une manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire.

30. Une politique générale d'une tête de réseau qui viserait à exclure une ou des formes particulières de distribution et attesterait de l'existence d'un plan anticoncurrentiel global ne peut être identifiée qu'au terme d'une analyse concrète des modalités de mise en place et de fonctionnement dudit réseau.

1. LES PRINCIPES APPLICABLES

a) Sur l'accord de volontés

31. Les articles 101, §1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce prohibent, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à la constitution d'une entente anticoncurrentielle.

32. L'application de ces dispositions suppose l'existence d'un concours de volontés entre au moins deux opérateurs.

33. À cet égard, l'adhésion des distributeurs à un système de distribution sélective, concrétisée par la signature d'un contrat entre la tête de réseau et les distributeurs, traduit l'existence d'un accord de volontés entre la tête de réseau et chacun de ses distributeurs.

34. Selon la Cour de Justice, " la mise en œuvre d'un système de distribution sélective fondé sur des critères autres que ceux précités constitue une infraction à l'article 85, paragraphe 1 (devenu 101, alinéa 1 du TFUE). Il en est de même pour le cas où un système en principe conforme au droit communautaire est appliqué dans la pratique d'une manière incompatible avec celui-ci " (§ 36). " En effet, une telle pratique doit être considérée comme illicite, lorsque le fabricant, en vue de maintenir un niveau de prix élevé ou d'exclure certaines voies de commercialisation modernes, refuse d'agréer des distributeurs qui répondent aux critères qualitatifs du système " (§ 37). " Une pareille attitude de la part du fabricant ne constitue pas un comportement unilatéral de l'entreprise qui, comme le soutient AEG, échapperait à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Elle s'insère, par contre, dans les relations contractuelles que l'entreprise entretient avec les revendeurs. En effet, dans le cas d'admission d'un distributeur, l'agrément se fonde sur l'acceptation, expresse ou tacite, de la part des contractants, de la politique poursuivie par AEG exigeant, entre autres, l'exclusion du réseau de distributeurs ayant les qualités pour y être admis, mais n'étant pas disposés à adhérer à cette politique " (§ 38 de l'arrêt CJCE, Allgemeine Elektrizitäts-Gesellschaft AEG-Telefunken AG, 25 octobre 1983, aff. 107/82).

35. La jurisprudence plus récente, tant européenne que nationale, a conforté cet arrêt de principe. La cour d'appel de Paris, dans le récent arrêt Mazda déjà mentionné, indique à cet égard, après avoir cité les extraits de l'arrêt AEG repris-ci avant : " Un refus d'agrément non discriminatoire constitue donc un concours de volontés entre fabricant et distributeurs qui consentent par avance, en signant les contrats, aux critères de sélection et au principe de leur application non discriminatoire, qui veut que ne soient admis dans le réseau que les distributeurs qui en remplissent les critères et qu'inversement ceux qui ne les remplissent pas en soient exclus ". Elle précise également : " Il n'est pas envisageable [qu'] un refus d'agrément non discriminatoire soit considéré comme un concours de volontés alors qu'un refus d'agrément discriminatoire ne le serait pas, car cela viderait les règles de licéité des réseaux de toute efficacité [...] " (cour d'appel de Paris, 23 janvier 2019, SAS Automobiles Palau c/ SAS Mazda Automobiles France, n° 16/16856).

b) Sur la réglementation spécifique au secteur automobile

36. Le secteur automobile a fait l'objet d'une réglementation spécifique établie au niveau européen à partir de 1985. Cette réglementation précisait notamment les cas dans lesquels des pratiques contraires à l'article 101, §1 du TFUE pouvaient être exemptées, et à quelles conditions. Tel était notamment le cas du règlement spécifique d'exemption de 2002 (règlement n° 1400/2002 de la Commission du 31 juillet 2002 concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile).

37. La Commission européenne a toutefois engagé, à partir de 2010, la transition de cette réglementation sectorielle vers le régime général. Parallèlement au règlement général n° 330/2010, elle a en effet adopté le règlement n° 461/2010 du 27 mai 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du TFUE à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile en remplacement du précédent règlement sectoriel. Ce nouveau règlement, complété par des lignes directrices de la Commission (2010/C 138/05), prévoit :

- s'agissant de la vente de véhicules neufs, la bascule vers le régime général à la date du 1er juin 2013, en prolongeant transitoirement les dispositions du règlement n° 1400/2002 qu'il remplace ;

- s'agissant de l'après-vente, que les dispositions du régime général trouvent désormais à s'appliquer sans transition, mais avec un certain nombre de consignes spécifiques (cf. infra).

38. Le nouveau cadre européen préconise, pour les constructeurs têtes de réseaux, de recourir à un système de distribution sélective purement qualitatif. Au sein d'un tel système de distribution sélective, tout candidat qui satisfait aux critères qualitatifs requis doit être, en principe, agréé. La Commission précise ainsi dans les lignes directrices, au point 70 :

" La concurrence entre réparateurs agréés et réparateurs indépendants n'est pas la seule forme de concurrence qui doive être prise en compte lors de l'analyse de la compatibilité des accords conclus avec des réparateurs agréés avec l'article 101 du traité. Les parties doivent aussi évaluer la mesure dans laquelle les réparateurs agréés du réseau en cause sont à même de se faire concurrence. L'un des principaux facteurs favorisant l'intensité de cette concurrence est lié aux conditions d'accès au réseau établies par les accords types avec des réparateurs agréés. Compte tenu de la position généralement forte des réseaux de réparateurs agréés sur le marché, de leur importance particulière pour les propriétaires de véhicules automobiles neufs et du fait que les consommateurs ne sont pas prêts à parcourir de longues distances pour faire réparer leur véhicule, la Commission juge important que l'accès aux réseaux de réparateurs agréés reste généralement ouvert à toutes les sociétés qui répondent aux critères de qualité définis. Le fait de soumettre les requérants à une sélection quantitative risque de faire entrer l'accord dans le champ d'application de l'article 101, paragraphe 1, du traité ".

39. La préférence exprimée par la Commission pour le recours à des critères qualitatifs, s'agissant des réseaux agréés après-vente, découle également des points 57 à 60 de ces lignes directrices. Après avoir rappelé les problématiques spécifiques liées aux contrats passés entre les têtes de réseau et les réparateurs agréés, elle conclut en indiquant :

" Le nouveau cadre réglementaire permet à la Commission et aux autorités nationales de la concurrence de défendre plus aisément la concurrence entre les garages indépendants et les réparateurs agréés, ainsi qu'entre les membres de chaque réseau de réparateurs agréés. En particulier, l'abaissement de 100 % à 30 % du seuil de part de marché pour bénéficier de l'exemption relative à la distribution sélective qualitative élargit les possibilités d'action des autorités de la concurrence ".

2. APPLICATION AU CAS D'ESPÈCE

40. La lecture de l'annexe qui accompagne les contrats d'agrément signés par Hyundai avec chacun des garagistes agréés apparaît conforme aux lignes directrices de la Commission européenne, dans la mesure où le réseau mis en place pour l'après-vente est basé sur des critères exclusivement qualitatifs.

41. Toutefois, dans la mesure où les règles de constitution de réseaux de distribution de véhicules neufs sont moins contraignantes que celles relatives à l'après-vente, en ce qu'elles autorisent l'usage de critères quantitatifs, il y a lieu de vérifier que l'appartenance à un réseau de distribution ne constitue pas le prérequis indispensable pour pouvoir opérer également sur le segment de l'après-vente.

42. En l'espèce, aucun élément ne permet de démontrer que Hyundai chercherait à intégrer de manière indirecte, parmi les critères d'entrée dans son réseau après-vente, des critères quantitatifs, qui auraient motivé un refus d'accès au réseau ou une résiliation des contrats d'agrément des saisissantes.

43. D'une part, bien que les réparateurs agréés soient répartis sur le territoire national de manière relativement homogène, rien ne démontre que le fournisseur tête de réseau mettrait en œuvre une forme de numerus clausus géographique (ou zonage) de ses réparateurs agréés. Ainsi, si l'on dénombre plus d'opérateurs agréés dans les régions du territoire où la densité est forte (Côte-d'Azur, Île-de-France, agglomération lilloise, par exemple), certaines zones moins densément peuplées sont caractérisées par la présence de plusieurs opérateurs agréés : c'est le cas de l'agglomération de Niort, où l'on compte deux garagistes agréés ; de même, l'axe Angoulême-Royan, long de 110 kilomètres et assez peu dense, dispose de 4 garagistes agréés pour l'après-vente ; enfin, en Normandie des réparateurs agréés Hyundai sont implantés à Saint-Lô, Bayeux, Caen et Lisieux. À l'inverse, Montpellier ou Rennes, dont les aires urbaines comptent plusieurs centaines de milliers d'habitants, ne disposent chacune que d'un seul garagiste agréé Hyundai.

44. D'autre part, aucun élément factuel ne permet de démontrer que Hyundai poursuivrait une stratégie d'éviction de son réseau d'opérateurs qui ne seraient pas, dans le même temps, concessionnaires de sa marque.

45. Il est vrai qu'au cours des dernières années, le réseau après-vente de Hyundai s'est resserré autour d'un nombre de partenaires plus restreint qu'auparavant. En effet, la refonte des réseaux, entreprise à la suite de l'entrée en vigueur du nouveau cadre européen rappelé ci-avant, a entrainé la résiliation d'un certain nombre de contrats, notamment ceux d'opérateurs agréés pour l'après-vente qui n'étaient pas, dans le même temps, concessionnaires.

46. Mais le constat selon lequel le réseau après-vente se resserre autour d'opérateurs qui sont également agréés pour la distribution de véhicules Hyundai peut résulter du fait que les demandes spontanées provenant de garagistes souhaitant être agréés uniquement pour l'après-vente sont extrêmement rares.

47. De plus, si les sites d'opérateurs agréés par Hyundai uniquement pour la distribution ou l'après-vente sont minoritaires au regard de l'ensemble du réseau, ils ne sont toutefois pas inexistants. On les retrouve en particulier dans des zones denses : c'est le cas par exemple en région parisienne, où l'on compte quatre sites agréés seulement pour l'après-vente, et deux sites agréés seulement pour la distribution.

III. Conclusion

48. Eu égard à l'ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu de constater que la saisine n'est pas appuyée d'éléments suffisamment probants. Il convient donc de la rejeter en application du deuxième alinéa de l'article L. 462-8 du code de commerce.

DÉCISION

Article unique : La saisine enregistrée sous le numéro 17/0209 F est rejetée.