CA Rennes, 1re ch., 21 mai 2019, n° 17-03189
RENNES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Cora (Sté)
Défendeur :
Oxygen (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes André, Gros
Avocats :
Mes Lhermitte, Cordier, George, Degez Kerjean
EXPOSÉ DU LITIGE
Fondée en 2005, la SAS Oxygen fait fabriquer en Chine des chaussures qu'elle commercialise tant en France qu'à l'exportation, et notamment des bottes et sabots en plastic colorés détournés de leur fonctionnalité première et convertis en articles de mode. La SAS Cora exerce son activité dans le domaine de la grande distribution et exploite 59 hypermarchés en France. En mars 2004, la société Oxygen a sollicité son référencement dans les magasins à l'enseigne Cora et a communiqué à cet effet, outre le tarif des produits proposés, un exemplaire des dits produits. Par courrier électronique daté du 30 mai 2014, la société Cora l'a informée de ce qu'aucun de ses produits n'avait été retenu pour une commercialisation dans ses magasins.
Reprochant à la société Cora d'avoir mis en vente, dans les magasins à son enseigne, des sabots de jardin reproduisant les caractéristiques essentielles et originales de son propre modèle " Pepits ", la société Oxygen a, par acte du 15 juillet 2015, fait assigner la société Cora devant le tribunal de grande instance de Rennes en contrefaçon du droit d'auteur et en indemnisation d'actes de concurrence déloyale, de parasitisme et de pratiques commerciales déloyales.
Par jugement du 3 avril 2017, le tribunal de grande instance de Rennes a :
- dit que la société Cora a contrefait le motif " Pepits " créé par la société Oxygen ;
- condamné, en conséquence, la société Cora à verser à la société Oxygen la somme de 54 600 euros en réparation de son préjudice résultant de ces faits de contrefaçon ;
- débouté la société Oxygen de ses demandes relatives à la publication de la présente décision et au retrait sous astreinte de la vente des produits contrefaits ;
- condamné la société Cora à verser à la société Oxygen la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts pour pratiques commerciales déloyales ;
- débouté la société Oxygen de ses demandes formées au titre du parasitisme économique et de la concurrence déloyale ;
- condamné la société Cora à payer à la société Oxygen la somme de 5 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens.
La société Cora a relevé appel de ce jugement, demandant à la cour de l'infirmer sauf en ce qu'il a débouté la société Oxygen de ses demandes formées au titre du parasitisme économique et de la concurrence déloyale, ainsi que de celles de publication de la décision et de retrait sous astreinte de la vente des produits contrefaits et de :
- déclarer la société Oxygen irrecevable en ses demandes faute de démontrer sa titularité sur le supposé motif Pepits ;
- dire les pièces adverses 5, 6, 12, 16 dénuées de valeur probante ;
- déclarer nulles les pièces adverses 13 et 14 ;
- sur le droit d'auteur, dire que la société Oxygen ne caractérise pas l'œuvre sur laquelle elle revendique une protection ;
- dire qu'elle n'est titulaire d'aucun droit d'auteur sur le supposé motif " Pepits ",
- dire que le motif " Pepits " n'est pas protégeable au titre du droit d'auteur,
- en conséquence, la débouter de sa demande en contrefaçon du droit d'auteur ;
- débouter la société Oxygen de sa demande fondée sur des pratiques commerciales déloyales ;
- dire que la société Oxygen ne démontre pas l'existence d'un préjudice du fait de la reprise par la société Cora du motif Pepits et de la commercialisation des sabots litigieux ;
- dire qu'elle ne démontre pas l'existence d'un préjudice fondé sur la concurrence déloyale du fait de l'usage par Cora d'informations relatives à la stratégie commerciale d'Oxygen ;
- condamner la société Oxygen à lui payer la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
En réponse, la société Oxygen conclut :
- à la confirmation du jugement en ce qu'il a dit que la société Cora a contrefait son motif Pepits et l'a condamnée à lui verser la somme de 54 600 euros en réparation de son préjudice résultant de ces faits de contrefaçon et 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- à sa confirmation partielle sur le principe de la réparation allouée au titre de pratiques commerciales déloyales, sauf sur le montant, et sur la qualification erronée des faits retenus à ce titre, en ce qu'ils justifiaient le fondement de la concurrence déloyale ;
- à l'infirmation du jugement pour le surplus, demandant à la cour de : dire que la Société Cora a commis des actes de concurrence déloyale, de parasitisme et des pratiques commerciales déloyales ; déclarer la société Cora irrecevable en ses demandes de nullité des constats d'achat des 4 et 20 mars 2015 (pièces n° 13 et 14) ; rejeter les demandes de nullité des constats d'achat des 4 et 20 mars 2015 (pièces DK n° 13 et 14) ; condamner la société Cora à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale ; condamner la société Cora à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de parasitisme ; condamner la société Cora à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de pratiques commerciales déloyales ; condamner la société Cora à lui verser la somme complémentaire de 18 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées par la société Cora le 27 février 2019 et par la société Oxygen le 4 mars 2019.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Sur la contestation portant sur les pièces
La nullité des actes d'huissier de justice étant régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédure, les articles 74 et 112 du Code de procédure civile sont applicables aux constats d'achats d'articles effectués par huissier. Dès lors, la demande d'annulation des procès-verbaux des deux constats d'achat effectués sous le contrôle d'un huissier, formée par la société Cora le 27 février 2019, dans ses troisièmes conclusions devant la cour d'appel, alors qu'elle avait déjà conclu sur le fond à plusieurs reprises tant devant le tribunal que devant la cour est irrecevable.
Par ailleurs il appartient à la cour d'apprécier la valeur probante des pièces 5, 6, 12 et 16 versées aux débats par l'intimée, rien ne justifiant qu'elles soient d'emblée écartées des débats.
Sur la prétention tendant à l'irrecevabilité des demandes de la société Oxygen
La société Cora ne caractérise pas en quoi les demandes formées par la société Oxygen seraient irrecevables, la recevabilité d'une demande ne dépendant pas de son caractère ou non fondé.
Sur la contrefaçon de droit d'auteur
Il incombe à celui qui agit en contrefaçon de droits d'auteur d'identifier précisément, dans ses écritures, son œuvre et plus particulièrement les caractéristiques qui constituent selon lui le siège de son originalité et, partant, d'établir que l'œuvre remplit les conditions requises pour bénéficier de la protection légale au titre du droit d'auteur en ce que les caractéristiques revendiquées reflètent un parti pris esthétique portant l'empreinte de sa personnalité.
La société Cora fait justement valoir que la société Oxygen ne caractérise pas précisément l'œuvre sur laquelle elle revendique une protection au titre du droit d'auteur, oscillant entre la revendication d'un droit d'auteur sur un modèle, sur un article et sur un motif ou un dessin tout en étant en définitive défaillante à identifier précisément l'œuvre dont elle revendique la protection au titre du droit d'auteur.
Certes, contrairement à ce qui est soutenu par son adversaire, la société Oxygen établit avoir créé un motif à rayures reproduit sur le sabot versé aux débats, lequel apparaît, quoique qu'avec des caractéristiques différentes s'agissant de l'orientation des bandes, sur le modèle de bottes qu'elle a déposé à titre de dessin et modèle le 27 novembre 2014. Elle ne revendique cependant pas devant la cour une contrefaçon de ce modèle, ni du sabot copié par la société Cora mais d'un motif ornemental qu'il lui appartient dès lors de définir exactement.
A cet égard, la société Oxygen expose que sa revendication porte sur un motif ornemental créé par sa salariée, Mme X, le 4 novembre 2013, qui présente selon elle les caractéristiques originales suivantes :
- bandes de couleurs différentes, sélectionnées et choisies pour créer entre elles, et dans la tonalité et l'ordre dans lequel elles sont organisées, une harmonie chromatique spécifique sur la base des couleurs précises : jaune orangé, bleu cobalt, violet, rose pourpre ;
- chaque couleur est séparée de la suivante par une bande de couleur noire qui est le lien commun entre toutes les bandes et qui constitue la cinquième couleur de ce motif ;
- le calcul des espaces entre les bandes permet de mettre en valeur chacune d'elles et " les unes entre elles " ;
- l'ensemble des bandes étant orientées perpendiculairement à l'axe du pied dans la chaussure.
Il convient d'en déduire que la société Oxygen revendique un droit d'auteur non pas sur un dessin pris isolément, indépendamment de son utilisation, mais sur un motif appliqué sur une chaussure puisque l'une des caractéristiques spécifiques de l'originalité du motif résiderait dans la façon dont il est appliqué sur la chaussure.
Elle ajoute que pour le produit concerné par la contrefaçon, le motif a été associé à une couleur rose vif à l'intérieur du sabot. Mais elle ne revendique pas un droit d'auteur sur le sabot imité par la société Cora mais sur le seul motif ornemental apposé sur ce sabot de sorte qu'il ne peut être tenu compte de cet élément pour caractériser l'originalité du motif et partant son éligibilité à la protection au titre du droit d'auteur.
Il sera tout d'abord relevé que les couleurs du motif dont elle revendique l'exclusivité dans ses écritures ne sont pas objectivement définies, faute par elle de se référer à un nuancier déterminé. Rien ne permet en effet d'affirmer que les références communiquées à son fournisseur à une date indéterminée correspondent à l'œuvre invoquée, de nombreux tâtonnements étant intervenus au cours de leurs échanges. Or les couleurs dont elle se prévaut dans la procédure pour caractériser son œuvre correspondent à un champ chromatique plus ou moins étendu selon la couleur concernée, ce qui ne permet pas de définir précisément le motif pour lequel elle prétend bénéficier d'une exclusivité. Ainsi par exemple, dans sa pièce n° 6, elle présente comme joint au courriel adressé le 11 février 2014 à son fabricant un motif dit Pepit qui comporte, sur les quatre bandes roses composant l'imprimé, une bande d'un rose beaucoup plus soutenu que les trois autres. Il n'est donc pas possible de déduire de ses écritures et pièces que le motif litigieux dégage une harmonie chromatique originale puisque celle-ci est susceptible de variation selon les exemples qu'elle fournit.
Le deuxième critère d'originalité revendiqué réside dans le fait que chaque couleur est séparée de la suivante par une bande de couleur noire qui est le lien commun entre toutes les bandes et qui constitue la cinquième couleur du motif. Mais la société Cora démontre que ceci est un procédé largement utilisé au moins depuis les années 1990 dans les imprimés à rayures bi ou multicolores de sorte que cet arrangement ne révèle aucune originalité. Ainsi par exemple en 2011, la marque Little Marcel offrait déjà à la vente des espadrilles ornées d'un motif rayé comportant des bandes colorées et notamment des bandes de couleur jaune orangé, bleu vif, mauve et rose soutenu séparées par des bandes noires selon la même orientation perpendiculaire à l'axe du pied.
La société Oxygen ne précise pas la largeur des différentes bandes composant le motif revendiqué. Or celles-ci ne sont pas toutes égales sur le sabot qu'elle a versé aux débats, sur la pièce jointe au courriel versé en pièce 6 et sur les différentes séquences du motif reproduit dans ses conclusions, y compris pour des bandes de même couleur (notamment jaunes ou bleu sur la pièce 6). Or elle se contente d'affirmer, sans la moindre démonstration, que le calcul des espaces entre les bandes (donc la largeur des bandes noires) permet de mettre en valeur chacune d'elles et " les unes entre elles ". Rien ne permet à la cour de vérifier cette affirmation péremptoire qui suppose au préalable que le dessin revendiqué soit parfaitement défini, ce qui n'est pas le cas, des variations apparaissant sur les différentes reproductions du motif versées aux débats. En tout état de cause, il s'infère de sa description qu'elle ne caractérise pas l'originalité de son motif par la largeur différente des bandes en composant les séquences successives puisqu'elle ne fait état que du calcul d'un espace (ou d'espaces distincts) entre les bandes qui n'est ni objectivé, ni déterminable, mais apparaît présenter un certain aléa selon les exemples soumis à la cour.
La quatrième caractéristique avancée comme originale est constituée par l'orientation des rayures perpendiculairement à l'axe du pied dans la chaussure. Mais la société Cora démontre que cette disposition est courante, notamment dans les modèles de chaussures déjà exploités par la marque Little Marcel. Elle n'est en tout cas le fruit d'aucune étude préalable à la réalisation de l'article, ni d'aucun soin particulier dans sa mise en œuvre, n'étant que la reprise d'un choix d'orientation des rayures déjà retenu le 5 août 2013 à propos d'autres articles chaussants similaires ornés de rayures (pièce 6).
Il s'ensuit que l'œuvre revendiquée, telle que décrite et caractérisée par la société Oxygen, est constituée par un motif banal composé de rayures parallèles d'une largeur variable alternant des bandes de couleur noire et des bandes de quatre couleurs différentes susceptibles de nuances, sans qu'il puisse être déduit que ces éléments et leur association soient le fruit d'une étude d'impact visuel reposant sur des calculs précis et constants et qu'ils révèlent un effort personnel de création empreint de la personnalité de la société.
Ainsi que l'a d'ailleurs relevé le tribunal, la société Oxygen a repris un décor de motifs à rayures horizontales comportant une alternance de bandes noires et de quatre bandes de couleurs différentes dont l'intensité est rehaussée par la couleur noire intermédiaire, thème décoratif déjà largement exploité. Or le seul fait d'associer, selon cette disposition banale, des bandes de couleurs selon un ordre déterminé ne suffit pas à identifier et à caractériser une œuvre originale reflétant la personnalité de son auteur. En effet, si l'empreinte de la personnalité de l'auteur doit être recherchée dans l'aspect global du motif, pris dans la combinaison de chacun de ses éléments, encore faut-il que celui-ci soit clairement déterminé et non le fruit d'approximations. Même si les motifs similaires exploités par d'autres entreprises utilisent des couleurs en tout ou en partie différentes et qu'aucune combinaison strictement identique n'a été soumise à la cour, ceci n'est pas suffisant pour caractériser l'originalité du motif dessin en cause dès lors que la nouveauté d'un motif n'est pas synonyme de son originalité. En l'espèce, les caractéristiques mises en avant pour décrire le caractère remarquable du motif ornemental Pepit ne lui confèrent pas, par le choix, le nombre et l'ordre des couleurs ou la disposition et la largeur des rayures, une impression d'ensemble le démarquant, dans sa globalité, des autres motifs à rayures versés aux débats alternant des bandes noires et des bandes de couleurs plus claires.
La société Oxygen ne démontre donc pas en quoi le motif ornemental qu'elle décrit reflète un parti pris esthétique portant l'empreinte de sa personnalité. Cette empreinte ne peut résulter du fait qu'elle avait, comme ses concurrents, déjà décliné selon différentes couleurs alternatives, ce même procédé ornemental, notamment dans une chaussure déposée comme modèle à l'INPI reprenant des couleurs en partie similaires et en partie différentes de celles du motif litigieux. Ces différentes déclinaisons du motif en cause ne créent en effet aucune identité visuelle propre à ladite société. Dès lors que le procédé décoratif en cause a déjà été fréquemment exploité dans les mêmes conditions, dans les mêmes gammes de couleur, notamment dans le secteur des produits chaussants, sa reprise par la société Oxygen ne confère pas au motif appliqué sur son sabot une impression d'ensemble propre le distinguant des créations similaires antérieures. Il ne révèle pas en conséquence une démarche esthétique propre portant l'empreinte de sa personnalité mais procède seulement de l'exploitation d'un fonds commun décoratif non susceptible d'appropriation car entré dans le domaine public. Le jugement critiqué sera en conséquence infirmé en ce qu'il lui a reconnu un droit d'auteur sur le motif décoratif qu'elle revendique et partant en ce qu'il a condamné la société Cora pour contrefaçon de droit d'auteur.
Sur les demandes formées au titre de la concurrence déloyale, parasitaire et des pratiques commerciales déloyales
Dès lors que la protection au titre du droit d'auteur n'est pas accordée à la société Oxygen, sa demande d'indemnisation fondée sur la responsabilité délictuelle de droit commun, fût-ce pour des faits en tout ou partie similaire à ceux invoqués au titre de la contrefaçon de droit d'auteur, est recevable.
En premier lieu, la société Oxygen fait grief à la société Cora d'avoir utilisé les informations confidentielles qu'elles lui avaient adressées lors des négociations précontractuelles pour obtenir d'autres fournisseurs des réductions du prix de produits concurrents. Mais il ressort de sa pièce 7 qu'elle lui avait seulement transmis un tarif des différents produits dont elle sollicitait le référencement, tarif dont rien ne démontre que les concurrents ont été informé ou ont eu communication. Le fait que la société Cora se soit fondée sur lesdits prix pour obtenir de ses concurrents une baisse de leurs propres prix, ne constitue pas un acte de concurrence déloyale mais l'application du jeu normal de la concurrence. La prétention formée de ce chef sera en conséquence rejetée.
En second lieu, la société Oxygen reproche à la société Cora d'avoir commis des actes de parasitisme en s'immisçant dans son sillage, en usurpant les divers investissements réalisés dans la formation commerciale de ses employés pour la sélection et la détermination de modèles adaptés à la clientèle d'un prospect, et en reproduisant le motif phare de sa collection.
Il est établi que la société Oxygen a développé et commercialisé un sabot en plastic portant le motif à rayures litigieux dont elle a communiqué la représentation et un exemplaire en mars 2014 à la société Cora aux fins de référencement pour la saison 2015. La société Oxygen justifie donc de l'antériorité de la création de ce produit dont le décor était également reproduit sur le modèle de bottes qu'elle a déposé à titre de dessin et modèle le 27 novembre 2014, ce qui révèle l'importance qu'elle lui conférait dans la constitution de sa gamme, le développement de son image et partant son attractivité commerciale.
Il résulte de la propre pièce 17 versée aux débats par la société Cora et de ses écritures que celle-ci a commercialisé au printemps 2015 dans toutes les surfaces commerciales à son enseigne en France (à l'exception de 4 d'entre elles), au prix de 5 euros, un sabot de jardin qui présente une grande similitude avec celui qui lui avait été proposé, aux fins de commercialisation pour la même saison, par la société Oxygen. Elle reproduit dans ses écritures, page 33, une copie de ce sabot conforme aux photographies versées aux débats par son adversaire en pièce 12, lesquelles ont indiscutablement été prises dans un magasin à son enseigne. La discussion élevée artificiellement sur la valeur probante de cette pièce n° 12 est dès lors inopérante. Au demeurant, aucune critique n'est formée sur la pièce 15 qui est constituée par un constat d'huissier en date du 20 mars 2015 reproduisant le catalogue " jardin " commun à tous les magasins Cora à l'exception de trois d'entre eux, lequel comportait une gamme de sabots de jardin incluant le produit litigieux.
Or le sabot commercialisé par la société Cora, pour la même saison 2015, présente une parenté très étroite avec l'article conçu par la société Oxygen. Certes la société Cora se prévaut des différences suivantes :
- le motif Pepits utilise un jaune vif alors que le sabot Cora contient une bande jaune orangé ;
- le motif Pepits utilise un rose pâle alors que le sabot Cora contient une bande rose clair et une bande rose framboise ;
- le motif Pepits utilise une bande violette alors que le sabot Cora ne contient pas de bande de couleur violette ;
- le motif Pepits contient une bande bleu pastel alors que le sabot Cora contient une bande de couleur bleu claire ;
- l'ordre des couleurs diffère de même que la taille des rayures et leur courbure.
Mais la comparaison de son produit avec le sabot de la société Oxygen versé aux débats, qui n'est pas strictement identique à celui du motif annexé à la pièce 6, démontre que ses affirmations ne sont que très partiellement exactes. En effet, la bande de couleur violette du produit Pepits a été remplacée sur son sabot par une bande de couleur rose pâle mais ceci ne modifie pas la perception d'ensemble du motif, étant fait remarquer que la couleur rose pâle, contrairement à qu'elle soutient, est absente du produit Pepits. En revanche, les tonalités de jaune orangé, de rose soutenu et de bleu sont identiques sur les deux articles tandis que la largeur des rayures y apparaît similaire. Enfin, l'ordre des couleurs du produit Cora est le suivant : jaune orange, bleu cobalt, rose soutenu, rose pâle, ce qui révèle, par rapport au modèle copié, une permutation entre la bande violet devenue rose pâle et la bande rose soutenu. Cette légère modification n'a pas d'effet sur la perception d'ensemble des produits en cause et n'est détectable qu'à l'issue d'une comparaison attentive entre eux.
En dépit de ces variantes non significatives, il se dégage de la comparaison de ces articles concurrents une impression d'ensemble identique, renforcée par le fait que la perception du décor rayé appliqué sur le dessus du sabot est considérablement influencée par celle de l'intérieur et de la semelle rose soutenu identique aux deux articles. Il s'ensuit que l'absence d'origine commune des deux articles ne peut être décelée par un consommateur normalement attentif qui n'a pas sous les yeux simultanément lesdits articles. La mise en vente du produit copié avait donc nécessairement un effet sur le comportement du consommateur qui, face à deux produits perçus comme identiques proposés par des circuits de distribution similaires ou sur internet, ne pouvait que choisir celui dont le prix était le plus avantageux.
La similarité entre les deux articles, qui ne peut résulter du hasard, révèle que la société Cora a copié le produit Pepits non encore commercialisé qui lui était soumis aux seules fins d'examen, pour le faire fabriquer et l'exploiter sous son nom. Comme le fait justement remarquer la société Oxygen, le choix de copier cet article particulier n'était pas anodin. En effet, il était, pour le public visé par les deux sociétés, l'un des plus attractifs de la gamme des produits proposés par la société Oxygen comme surfant sur la mode des rayures et n'ayant pas d'équivalent chez d'autres fournisseurs pour des articles de qualité, de forme et d'usage similaires, se situant dans la même gamme de prix. Le fait que le même imprimé ait été utilisé pour un modèle déposé de botte indique que pour la société Oxygen, il avait une valeur attractive et commerciale très forte et participait au renforcement de son image de briseuse de Codes. Il s'en déduit que la société Cora a sélectionné l'article qui lui paraissait le plus intéressant et le plus vendeur pour compléter la gamme de huit sabots de jardin qu'elle avait elle-même constituée, faisant ainsi l'économie des coûts de développement, de marketing et de commercialisation exposés par la société Oxygen qui employait des salariés designers pour concevoir ses produits et avait développé des stratégies commerciales destinées à susciter l'intérêt du consommateur pour des produits de cette nature, détournés de leur fonction première, et à intensifier l'effet de mode dont ils bénéficiaient.
Le fait de détourner le sabot Pepits non encore offert à la vente, dans le seul but d'en effectuer une copie suffisamment fidèle pour ne pas permettre au public auquel ils étaient l'un et l'autre destinés de les distinguer entre eux, puis ensuite de commercialiser cette copie dans un réseau de distribution similaire à ceux visés par la société Oxygen, pour la même période de commercialisation, sur le même secteur géographique, en usurpant ainsi les frais de développement exposés par la société Oxygen pour rendre son produit attractif auprès de leur clientèle commune, ce qui lui permettait de le proposer à la vente à un prix moindre, constitue un acte de parasitisme ayant nécessairement causé un préjudice à la société Oxygen privée de retour sur ses investissements et qui subissait ainsi un détournement de sa clientèle et un préjudice d'image résultant de la banalisation de sa gamme de produits opérée de manière déloyale.
En troisième lieu, la société Oxygen reproche, sur le fondement de l'article L. 121-2 du Code de la consommation, à la société Cora d'avoir commis des pratiques commerciales déloyales en copiant le motif Pepits, en l'appliquant sur un produit identique (sabot) et en associant la vente de cette copie avec une forte promotion sur le prix pour inciter le consommateur à acheter son produit. Elle fait valoir que ces pratiques ont provoqué une confusion avec son propre produit et partant une altération du comportement économique du consommateur. Elle ajoute qu'avec les économies réalisées sur l'achat, la création et les investissements commerciaux et financiers, la société Cora a pu vendre le produit avec d'importantes promotions.
Mais la faute délictuelle reprochée à la société Cora, sur la base de cet article, se recoupe avec celle reprochée au titre du parasitisme, à savoir la création délibérée et de manière déloyale d'une confusion entre deux produits concurrents ainsi que l'appropriation, sans la moindre contrepartie, du bénéfice des investissements de la société concurrente, ce qui lui permettait, grâce aux économies réalisées, de proposer des prix moindres et de fausser ainsi le jeu d'une concurrence loyale. Il n'y a pas lieu dès lors de sanctionner doublement cette faute unique.
Il est établi que les articles litigieux ont été commercialisés par la société Cora dans 54 magasins répartis sur toute la France, lesquels pouvaient ainsi toucher la plus grande partie de la clientèle commune des parties, d'autant que l'offre de ces magasins était relayée sur Internet. Les sabots copiés ont été mis en vente du 4 mars 2015 au 20 avril 2015 au prix de 5 euros. En juillet 2014, la société Oxygen a commandé 6 788 paires de cet article au prix de 2,37 $ l'unité. Elle ne soutient pas avoir été dans l'incapacité de les commercialiser. Son préjudice réside néanmoins d'une part dans le fait qu'elle n'ait pu bénéficier du chiffre d'affaires réalisé sur le produit copié par la société Cora, pendant la période de commercialisation concurrente des deux articles, ainsi que de la banalisation du produit copié, de nature à porter atteinte à son attractivité commerciale et à celle des produits de sa gamme utilisant le même ornement. Cette banalisation lui a fait perdre une partie des investissements réalisés pour développer lesdits produits et, en écornant son image d'entreprise innovante, a porté atteinte à celle-ci auprès des réseaux de distribution susceptibles de distribuer ses produits.
Le préjudice subi de ces chefs sera intégralement indemnisé par l'octroi d'une somme de 30 000 euros.
Le retrait des produits copiés sera en tant que de besoin ordonné puisqu'il n'était effectué par la société Cora qu'à titre provisoire. Une astreinte ne se justifie néanmoins pas en l'état.
La publication du jugement n'apparaît pas nécessaire dès lors que la société Cora a immédiatement obtempéré à la demande de retrait des marchandises indûment copiées, cette publication n'étant pas de nature, au regard du temps écoulé, à réparer le préjudice subi lequel a été intégralement indemnisé par l'octroi de dommages intérêts.
En équité, une somme de 8 000 euros sera allouée à la société Oxygen sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR : Infirme le jugement rendu le 3 avril 2017 par le tribunal de grande instance de Rennes sauf en ce qu'il a rejeté la demande de publication du dit jugement ; Statuant à nouveau,
Dit irrecevable la demande de nullité des procès-verbaux d'huissier établis les 4 mars 2015 et 20 mars 2015 ; Déboute la société Oxygen de sa demande fondée sur la contrefaçon de droit d'auteur ; Condamne la société Cora à payer à la société Oxygen la somme de 30 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation des fautes commises ; Ordonne le retrait définitif par la société Cora des sabots à semelle rose portant un motif à rayures copiant le motif " Pepits " des sabots conçus et commercialisés par la société Oxygen ; Dit n'y avoir lieu à astreinte ; Condamne la société Cora à payer à la société Oxygen la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande plus ample ou contraire ; Condamne la société Cora aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.