CAA Paris, 3e ch., 16 avril 2019, n° 17PA03030
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cshort (Sté)
Défendeur :
Directeur départemental de la protection des populations de Paris
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bouleau
Rapporteur :
M. Bernier
Rapporteur public :
Mme Delamarre
Conseiller :
Mme Pena
LA COUR : - Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Cshort a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 25 août 2016 par laquelle le directeur départemental de la protection des populations de Paris lui a infligé une amende d'un montant de 40 000 euros ; à titre subsidiaire, de réduire le montant de cette amende.
Par un jugement n° 1618583 du 7 juillet 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistré les 6 septembre 2017 et 23 mai 2018, la société Cshort, représentée par Me BA, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 7 juillet 2017 ;
2°) d'annuler la décision du 25 août 2016 par laquelle le directeur départemental de la protection des populations de Paris lui a infligé une amende d'un montant de 40 000 euros ;
3°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de cette amende :
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal a insuffisamment motivé en droit l'interprétation qu'il a donnée de l'article L. 221-25 du Code de la consommation ;
- en écartant comme inopérantes les circonstances qui la conduisaient à demander une modération de l'amende, le tribunal administratif a omis de statuer sur les moyens qu'elle soulevait ;
- la décision contestée qui ne précise pas les modalités de calcul de l'amende, et notamment du montant de 1 000 euros par infraction est insuffisamment motivée ;
- l'article L. 221-25 du Code de la consommation ne saurait être interprété comme imposant au professionnel de recueillir le consentement exprès du consommateur pour que la prestation commence avant l'expiration du délai de rétractation ;
- elle n'a pas violé l'article L. 221-25 dont elle appliquait l'alinéa 3, ainsi que cette disposition lui en laissait le choix, car elle remboursait intégralement les consommateurs qui se rétractaient et pour lesquels elle n'avait pas recueilli le consentement exprès pour que la prestation débute avant la fin du délai de rétractation ;
- le montant de l'amende, de 1 000 euros, est sans rapport avec les sommes versées par les consommateurs qui n'ont pas au demeurant été lésés ;
- les dispositions de l'article L. 221-25 sont ambiguës et le remboursement immédiat des consommateurs atteste son absence de malice ;
- la société, qui n'a jamais fait de bénéfices, est dans une situation financière précaire.
Par un mémoire enregistré le 24 avril 2018, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le jugement n'est pas irrégulier ;
- la décision est suffisamment motivée ;
- l'interprétation donnée par le tribunal à l'article L. 221-25 qui correspond à sa signification littérale est conforme à l'article 8.8 de la directive 2011/83 du 25 octobre 2011 qu'il transpose ;
- la sanction a tenu compte du nombre des consommateurs lésés, de celui des plaignants, de la progression et du montant du chiffre d'affaires de la société, en sorte qu'elle présente un caractère dissuasif.
La clôture de l'instruction est intervenue le 5 décembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le Code de la consommation,
- le Code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bernier,
- et les conclusions de Mme Delamarre, rapporteur public.
Sur la régularité du jugement :
1. Pour répondre au moyen soulevé par la société CShort tiré de ce que l'article L. 121-21-5 du Code de la consommation n'imposait aucune obligation à la charge du professionnel quant au recueil du consentement exprès du consommateur, le tribunal administratif de Paris a cité les dispositions dont il faisait application et en a déduit que le professionnel était dans l'obligation de recueillir la demande expresse du consommateur si ce dernier souhaitait qu'une prestation de services débute avant l'expiration du délai de rétractation. Ce faisant, et contrairement à ce qui est soutenu, il a suffisamment motivé son jugement sur ce point.
2. Le fait, pour le juge de première instance, d'écarter à tort un moyen comme inopérant ne constitue pas une irrégularité de nature à entraîner l'annulation du jugement par le juge d'appel saisi d'un moyen en ce sens. Il appartient seulement à ce dernier, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, et après avoir, en répondant à l'argumentation dont il était saisi, relevé cette erreur, de se prononcer sur le bien-fondé du moyen écarté à tort comme inopérant. En écartant comme inopérantes les circonstances avancées par la société CShort pour obtenir d'être dispensée de toute sanction ou qu'à tout le moins son montant soit modéré, les premiers juges n'ont pas omis d'y statuer. La circonstance que ces moyens auraient été écartés à tort comme inopérants n'entache donc pas le jugement attaqué d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision :
3. L'article L. 242-13 du Code de la consommation punit d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 15 000 euros pour une personne physique et 75 000 euros pour une personne morale tout manquement aux règles encadrant les conditions d'exercice du droit de rétractation reconnu au consommateur, ainsi que ses effets. Aux termes de l'article L. 522-5 du même Code, la décision qui prononce l'amende est motivée.
4. La décision contestée du 25 août 2016 comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle se réfère au procès-verbal qui détaillait les infractions et aux échanges intervenus pendant la procédure contradictoire, relatifs au calcul de l'amende. Elle rappelle que la société a commis quarante manquements à l'article L. 121-21-5 du Code de la consommation, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 221-25 du même Code, relatif au droit de rétractation du consommateur. Elle indique que l'amende de 40 000 euros qui est infligée à la société CShort correspond à un montant de 1 000 euros par manquement constaté. L'administration n'était pas tenue de justifier spécifiquement le quantum de 1 000 euros qu'elle avait retenu pour sanctionner chaque infraction. En portant une appréciation globale sur les infractions et la sanction qui s'y rapporte, l'administration a suffisamment motivé sa décision.
En ce qui concerne le moyen tiré de l'erreur de droit :
5. L'article L. 221-18 du Code de la consommation assure au consommateur un droit de rétractation d'un contrat conclu à distance qui s'exerce dans un délai de quatorze jours. Ce délai court à compter du jour de la conclusion du contrat portant sur la fourniture de contenu numérique indépendamment de tout support matériel. Il résulte par ailleurs du 13° de l'article L. 221-28 que le droit de rétractation ne peut être exercé pour les contrats de fourniture d'un contenu numérique non fourni sur un support matériel dont l'exécution a commencé après accord préalable exprès du consommateur et renoncement exprès à son droit de rétractation.
6. Le premier paragraphe de l'article L. 121-21-5 du Code de la consommation, applicable à la date du procès-verbal de manquements, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 221-25 du même Code, dispose que : " Si le consommateur souhaite que l'exécution d'une prestation de services ou d'un contrat mentionné au premier alinéa de l'article L. 221-4 commence avant la fin du délai de rétractation mentionné à l'article L. 221-18, le professionnel recueille sa demande expresse par tout moyen pour les contrats conclus à distance et sur papier ou sur support durable pour les contrats conclus hors établissement ".
7. Ces dispositions ont pour objet de permettre qu'à la demande du consommateur, l'exécution d'un contrat puisse commencer avant l'expiration du délai de quatorze jours prévus pour la rétractation. Elles imposent au professionnel de recueillir une demande expresse en ce sens du consommateur.
8. Le deuxième paragraphe de l'article L. 121-21-5 du Code de la consommation, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 221-25, qui prévoit que le consommateur qui a exercé son droit de rétractation d'un contrat dont l'exécution a commencé, à sa demande expresse, avant la fin du délai de rétractation verse au professionnel un montant correspondant au service fourni, et le troisième paragraphe du même article qui prévoit qu'aucune somme n'est due par le consommateur ayant exercé son droit de rétractation si sa demande expresse n'a pas été recueillie, n'ont pas pour objet et ne pourraient avoir pour effet de permettre au professionnel de commencer l'exécution du contrat avant l'expiration du délai de rétractation sans qu'ait été recueillie une demande expresse du consommateur. L'objet de ces dispositions est de limiter les conséquences financières d'une rétractation pour le consommateur dont la demande expresse aurait été recueillie par le professionnel, et de libérer le consommateur de toute obligation financière dans l'hypothèse où le professionnel aurait commencé l'exécution du contrat sans avoir recueilli de demande expresse en ce sens. La société CShort n'est donc pas fondée à soutenir que les dispositions du deuxième et du troisième paragraphe de l'article L. 121-21-5, devenu l'article L. 221-25, qui visent à protéger le consommateur, libéreraient le professionnel de l'obligation mise à sa charge par le premier paragraphe de recueillir une demande expresse du consommateur pour que l'exécution du contrat puisse commencer avant l'expiration du délai de quatorze jours prévus pour la rétractation.
9. La société CShort, qui exploite le site Luckxper dédié à la diffusion de statistiques et de pronostics sur les jeux de la Française des Jeux, et le site Patschool dédié à l'apprentissage en mathématiques et en français d'enfants de 4 à 8 ans, avait mis en place un système d'offres ouvrant l'accès des sites gratuitement ou pour la somme d'un euro pendant 72 heures. Cet accès au site se transformait automatiquement en un abonnement plus couteux au terme de cette période d'essai, en l'absence de désabonnement exprès du consommateur. En considérant que ce système, qui conduisait à ce que la prestation du service débute avant la fin du délai de rétractation sans que l'accord exprès du consommateur ait été recueilli, méconnaissait les exigences de l'article L. 121-21-5, devenu l'article L. 221-25 du Code de la consommation, l'administration n'a pas commis d'erreur de droit. La circonstance que la société Cshort ait intégralement ou très largement remboursé les consommateurs qui en ont fait la demande est, à cet égard, indifférente.
En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction :
10. Si la société Cshort fait valoir que le montant de l'amende qui lui a été infligé est supérieur au préjudice qu'aurait subi les consommateurs concernés, cette circonstance est, par elle-même, sans incidence sur le bien-fondé de la sanction contestée dont la finalité est de sanctionner à des fins pédagogiques et dissuasives les manquements à une réglementation qui vise à protéger les consommateurs contre les mauvaises pratiques de professionnels. En revanche, il convient dans les circonstances de l'espèce de tenir compte de la rapidité avec laquelle la société a intégralement remboursé ses abonnés, du montant assez modeste des sommes en cause et de la situation financière difficile de la société dont la survie n'est pas assurée. Il y a donc lieu dans les circonstances de l'espèce de ramener l'amende à 700 euros par infraction constatée, soit à la somme totale de 28 000 euros.
11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société Cshort fondées sur l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le montant de l'amende administrative que la société Cshort est condamnée à verser à l'Etat pour ses manquements à l'article L. 121-21-5 du Code de la consommation est ramené à 28 000 euros.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cshort, et au ministre de l'économie et des finances.