ADLC, 27 mai 2019, n° 19-D-10
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de l'acquisition de droits relatifs aux œuvres cinématographiques d'expression originale française dites " de catalogue "
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Julien Neto, rapporteur, lintervention de Mme Juliette Théry-Schultz, rapporteure générale adjointe, par Mme Fabienne Siredey-Garnier, vice-présidente, présidente de séance, Mme Chantal Chomel, Mme Séverine Larere, M. Noël Diricq, M. Olivier dOrmesson, membres.
L'Autorité de la concurrence (section II),
Vu la saisine, enregistrée le 9 décembre 2013 sous le numéro 13/0092 F, par laquelle les sociétés Groupe Canal Plus, D8 et D17, devenues C8 et CStar, ont saisi l'Autorité de la concurrence de certaines pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'acquisition de droits relatifs aux œuvres cinématographiques d'expression originale française, dites de " catalogue " ; Vu l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les décisions de secret d'affaires n° 15-DSA-108 du 9 mars 2015, n° 15-DSA-164 du 29 avril 2015, n° 15-DSA-168 du 14 avril 2015, n° 15-DSA-182 du 29 avril 2015, n° 15-DSA-180 du 29 avril 2015, n° 15-DSA-224 du 16 juin 2015, n° 15-DSA-230 du 23 juin 2015, n° 15-DSA-234 du 24 juin 2015, n° 15-DSA-317 du 11 septembre 2015, n° 15-DSA-324 du 16 septembre 2015, n° 15-DSA-325 du 16 septembre 2015, n° 16-DSA-64 du 10 mars 2016, n° 16-DSA-65 du 14 mars 2016, n° 16-DSA-204 du 27 juillet 2016, n° 16-DSA-215 du 11 août 2016, n° 16-DSA-218 du 17 août 2016, n° 16-DSA-227 du 18 août 2016, n° 16-DSA-228 du 18 août 2016, n° 16-DSA-229 du 19 août 2016, n° 16-DSA-230 du 19 août 2016, n° 16-DSA-231 du 19 août 2016, n° 16-DSA-232 du 19 août 2016, n° 16-DSA-235 du 19 août 2016, n° 16-DSA-236 du 19 août 2016, n° 16-DSA-238 du 22 août 2016, n° 16-DSA-255 du 25 août 2016, n° 16-DSA-262 du 29 août 2016, n° 16-DSA-263 du 30 août 2016, n° 16-DSA-270 du 1er septembre 2016, n° 16-DSA-290 du 19 septembre 2016, n° 16-DSA-307 du 27 septembre 2016, n° 16-DSA-374 du 4 novembre 2016, n° 16-DSA-378 du 17 novembre 2016, n° 17-DECR-569 du 21 décembre 2017, n° 17-DEC-571 du 21 décembre 2017, n° 18-DEC-001 du 2 janvier 2018, n° 18-DEC-002 du 2 janvier 2018, n° 18-DEC-003 du 2 janvier 2018, n° 18-DEC-039 du 24 janvier 2018, n° 18-DEC-046 du 2 février 2018, n° 18-DEC-048 du 5 février 2018, n° 18-DSA-188 du 14 juin 2018, n° 18-DSA-189 du 14 juin 2018, n° 18-DSA-206 du 4 juillet 2018, n° 18-DSA-452 du 11 décembre 2018, n° 19-DSA-018 du 8 janvier 2019 ; Vu les observations présentées par les sociétés Groupe Canal Plus, C8 et CStar, TF1, France Télévisions, Métropole Télévision et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, les représentants des sociétés C8, CStar, Groupe Canal Plus, TF1, France Télévisions et Métropole Télévision entendus lors de la séance du 13 février 2019 ; Adopte la décision suivante :
Résumé(1) :
Par la présente décision, l'Autorité de la concurrence a considéré qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre la procédure ouverte à la suite d'une saisine des sociétés Groupe Canal Plus, D8 et D17 (devenues C8 et CStar) dénonçant des pratiques mises en œuvre par TF1, France Télévisions et Métropole Télévision sur le marché de l'acquisition des droits relatifs aux œuvres cinématographiques d'expression originale française (ci-après " films EOF "), dites " de catalogue ".
Selon les saisissantes, les chaînes historiques en clair restreignent l'accès des autres chaînes de la TNT gratuite aux films EOF de catalogue en faisant figurer des clauses de priorité et de préemption dans tous les contrats de préfinancement qu'elles concluent avec les producteurs des films. Ces clauses leur permettraient, en pratique, de réserver la diffusion des films concernés à leur propre antenne ou à celle des chaînes qui leur sont affiliées, sans limitation de durée, au détriment des chaînes concurrentes, et alors même que les diffusions préachetées sont déjà intervenues. Les pratiques alléguées constitueraient ainsi des ententes anticoncurrentielles entre les chaînes historiques en clair et les producteurs de films EOF, qui auraient pour effet cumulatif de verrouiller l'accès des chaînes non adossées à une chaîne historique en clair aux droits de diffusion des films français de catalogue.
L'Autorité a relevé que le vivier des films de catalogue au sein duquel les chaînes de la TNT gratuite peuvent puiser pour élaborer leur grille de programmes et remplir leurs obligations de diffusion de films EOF est particulièrement important (plus de 8 000 films). Elle a également constaté que les droits de priorité et de préemption ne sont susceptibles d'être exercés que sur 20 % des films français de ce vivier dans la mesure où ils n'ont été stipulés par les chaînes en clair qu'à compter des années 1990 sur les films qu'elles ont contribué à financer, ce qui ne représente qu'une fraction des films de catalogue disponibles (20% environ). L'Autorité en a déduit qu'il ne peut être utilement soutenu que les accords en cause sont susceptibles de produire un effet cumulatif de verrouillage suffisamment significatif pour empêcher les concurrents des entreprises mises en cause de s'approvisionner en droits de diffusion de films EOF de catalogue.
Par ailleurs, l'Autorité a relevé, après une analyse in concreto de l'effet des pratiques alléguées, qu'aucun effet actuel de verrouillage n'est établi en l'espèce, dans la mesure où le droit de préemption n'est exercé que de manière extrêmement marginale par les chaînes qui en sont titulaires ; il ressort de l'instruction en effet que moins de 8 % des offres soumises à la préemption ont été effectivement préemptées par leur titulaire sur la période observée.
I. Constatations
A. RAPPEL DE LA PROCÉDURE
1. LA SAISINE
1. Par lettre enregistrée le 9 décembre 2013 sous le numéro 13/0092 F, l'Autorité de la concurrence (ci-après " l'Autorité ") a été saisie par les sociétés Groupe Canal Plus, D8 et D17 (ci-après " GCP " ou " les saisissantes ") de pratiques qui auraient été mises en œuvre dans le secteur de l'acquisition de droits relatifs aux œuvres cinématographiques d'expression originale française (ci-après " films EOF "), dites " de catalogue ".
2. Les saisissantes allèguent que les groupes TF1, France Télévisions et Métropole Télévision restreignent l'accès des chaînes de la télévision numérique terrestre (ci-après " TNT ") gratuite, qui ne sont pas adossées à une chaîne historique en clair (c'est-à-dire l'une des chaînes qui préexistait à la création de la télévision numérique terrestre - soit TF1, France 2, France 3 et M6) aux films EOF de catalogue.
3. Selon GCP, les restrictions en cause résultent des clauses de priorité et de préemption qui figurent dans l'ensemble des contrats de préachat ou de coproduction que concluent les chaînes historiques en clair avec les producteurs de films EOF et leur permettraient, en pratique, de réserver la diffusion des films concernés à leur propre antenne ou à celles des chaînes qui leur sont affiliées, sans limitation de durée, au détriment des chaînes concurrentes, alors même que les diffusions préachetées sont déjà intervenues (cotes 5, 6, 24 et 33).
4. GCP allègue que les pratiques ainsi visées constituent des ententes anticoncurrentielles entre les chaînes historiques en clair et les producteurs de films EOF ayant pour objet, et pour effet cumulatif, de verrouiller l'accès des chaînes de la TNT non adossées à une chaîne historique en clair aux droits des films EOF de catalogue en général, et aux droits des films les plus attractifs, en particulier (cote 29). Selon GCP, les chaînes de la TNT gratuite non adossées à une chaîne historique en clair sont donc tributaires de la stratégie des chaînes historiques en clair pour leur accès aux films EOF de catalogue, alors même qu'elles sont en concurrence directe avec les chaînes de la TNT filiales de celles-ci (cote 32).
5. Les saisissantes soutiennent également que, dans la mesure où les offres soumises à préemption sont transmises au titulaire de ces droits en faisant apparaître les modalités de diffusion envisagées, ainsi que le prix proposé par l'acquéreur potentiel, les chaînes historiques en clair - qui sont titulaires de la quasi-totalité des droits de préemption portant sur des films EOF de catalogue - sont en mesure de connaître les détails des offres qui émanent de chaînes tierces (cote 2792).
6. Elles affirment également que D8 (devenue C8) a ainsi été directement confrontée à de nombreux refus de vente - qu'elles estiment à près de 40 en 2013 et 2014 (cote 12 327) - liés à l'exercice, par une chaîne historique en clair, de son droit de préemption (cote 32).
7. Les pratiques alléguées expliqueraient les contre-performances de D8 (devenue C8) en matière de cinéma EOF. Selon les saisissantes, D8 (devenue C8) est, du fait des pratiques visées, incitée à acheter des films de catalogue très anciens - non susceptibles d'être préemptés - qui ne correspondent pas à sa ligne éditoriale et qui réalisent une faible audience sur les cibles qui génèrent ses recettes publicitaires. D8 (devenue C8) estime ainsi subir un préjudice de marque.
8. Sur ce point, GCP souligne que l'évolution des audiences de D8 (devenue C8) sur les films EOF est contraire à celle de sa part d'audience générale, alors que sur la même période, soit 2013 à 2014, ses concurrentes TMC et W9 ont vu leurs parts d'audience sur le cinéma EOF auprès des 15-49 ans augmenter et leur part d'audience générale diminuer (cote 2850).
9. Selon GCP, l'effet de verrouillage décrit ci-dessus résulte principalement de trois causes. D'abord, la circonstance que les clauses de priorité et de préemption sont stipulées pour une durée indéterminée. Ensuite, le fait que le bénéfice de ces clauses s'étend, en pratique, non seulement aux chaînes qui ont préfinancé le film, mais également aux chaînes qui leur sont affiliées, même si ces dernières n'ont pas participé au financement (cote 31). Enfin, GCP relève que le mécanisme de l'exercice du droit de préemption n'impose pas à la chaîne titulaire de ce droit de surenchérir, ce qui nuirait au producteur, celui-ci ne pouvant espérer en retirer un gain supplémentaire (cote 34).
10. GCP conclut que les pratiques en cause sont contraires aux dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 du TFUEet demande à l'Autorité d'enjoindre aux groupes TF1, France Télévisions et Métropole Télévision de :
- limiter la présence des clauses de préemption ou d'option prioritaire dans les contrats de coproduction ou de préachats signés par les chaînes TF1, France 2, France 3 et M6 aux films EOF dont elles assurent au minimum 20 % du préfinancement ;
- limiter, après la première diffusion inédite en clair du film, l'exercice des droits de préemption ou options prioritaires, à une seule préemption sur une période donnée avec obligation de surenchérir ;
- limiter l'exercice du droit de préemption à la seule chaîne qui a effectivement financé le film et non à ses filiales ;
- publier le dispositif de la décision à intervenir dans 5 quotidiens nationaux et/ou quotidiens et magazines spécialisés (cote 41).
11. GCP demande, en outre, à l'Autorité de prononcer une sanction pécuniaire tenant compte de la gravité des pratiques des groupes TF1, Métropole Télévision et France Télévisions, du dommage causé à l'économie et de la récidive du groupe TF1 en matière de pratiques anticoncurrentielles (cote 42).
2. LA NOTIFICATION DES GRIEFS ET LE RAPPORT
12. Les services d'instruction ont adressé une notification des griefs à TF1, France Télévisions et Métropole Télévision le 23 février 2018 dans laquelle il était fait grief :
- pour la période courant d'octobre 2004 à décembre 2008, aux sociétés France 2, France 3, TF1 et Métropole Télévision ;
- pour la période courant de janvier 2009 à aujourd'hui, aux sociétés France Télévisions, TF1 et Métropole Télévision,
en raison de leur participation directe, d'avoir mis en œuvre des ententes avec les producteurs de films EOF au préfinancement desquels elles ont participé visant à limiter la concurrence sur le marché de l'achat des droits de diffusions de films de catalogue EOF.
13. Dans le rapport qui a été notifié aux saisissantes et aux entreprises mises en cause le 26 septembre 2018, les services d'instruction ont toutefois révisé la délimitation du marché opérée dans la notification des griefs, à la lumière notamment des éléments apportés par les entreprises mises en cause dans leurs observations. Ils ont, ainsi, considéré que le marché pertinent était celui des achats de droits de diffusion en clair de films EOF de catalogue. Compte tenu de cette définition, ils ont estimé que les accords conclus entre les groupes historiques en clair et les producteurs de films EOF ne pouvaient plus être considérés comme ayant pour effet cumulatif d'entraver la concurrence et ont donc proposé au collège de ne pas retenir le grief notifié.
B. LES ENTREPRISES CONCERNÉES
1. LES SAISISSANTES
a) Groupe Canal Plus
14. La société Groupe Canal Plus (ci-après " GCP "), immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro 420 624 777, est une filiale à 100 % du groupe Vivendi, active dans les domaines de la télévision payante et de la télévision gratuite. En 2017, GCP a réalisé un chiffre d'affaires de 5,166 milliards d'euros.
15. Dans le domaine de la télévision payante, GCP a une activité d'édition de chaînes dites " premium " (Canal+, Canal+ Cinéma, Canal+ Sport, Canal+ Séries, Canal+ Family et Canal+ Décalé) et de chaînes thématiques (vingt chaînes cinéma, sport, jeunesse etc.), ainsi qu'une activité d'agrégation et de distribution des offres linéaires " Les Chaînes Canal+ " (regroupant la chaîne Canal+ et ses cinq déclinaisons précitées) et " CanalSat " (intégrant plus de 150 chaînes dont une cinquantaine en exclusivité), qu'elle commercialise directement sur l'ensemble des plateformes de diffusion.
16. Le groupe propose également des offres non linéaires de services de vidéo à la demande (" CanalPlay VoD ") et de vidéo à la demande par abonnement (" CanalPlay "). En outre, GCP distribue ses offres de télévision payante outremer (via sa filiale Canal+ Overseas) et à l'international (Canal+ Overseas en Afrique, K+ au Vietnam et nc+ en Pologne) (cotes 4598 et 4599).
17. En 2018, le groupe comptait 16,2 millions d'abonnés, dont 8,011 millions en France.
18. Dans le domaine de la télévision gratuite, GCP édite trois chaînes gratuites (Canal8, CanalStar et CanalNews). En 2015, cette activité a généré un chiffre d'affaires de 203 millions d'euros (cote 9).
19. Le groupe est, enfin, actif dans la production, l'acquisition, la distribution et les ventes internationales de films et de séries, via sa filiale StudioCanal qui a réalisé 462 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2018.
b) D8, devenue C8
20. La société C8 est une filiale à 100 % de GCP, qui édite et exploite la chaîne de la TNT gratuite C8. Elle a été dénommée Direct 8 jusqu'à sa reprise par GCP en octobre 2012, puis D8 jusqu'à la rentrée 2016. La chaîne, autorisée en 2001, a été intégrée à la TNT en 2005. Elle est désormais disponible sur l'ensemble des plateformes de diffusion.
21. La convention conclue entre C8 et le CSA prévoit que la programmation de la chaîne est généraliste, destinée au grand public, et qu'elle privilégie les émissions inédites, les émissions en direct, les retransmissions d'événements, l'information, le divertissement, la découverte des nouveaux talents, la culture et le cinéma (cote 5041). En pratique, C8 indique qu'elle concentre sa programmation sur le divertissement, les séries (françaises et américaines), essentiellement en rediffusion, et les magazines (cote 2785).
22. Son coût de grille - qui représente le coût de l'ensemble des programmes diffusés pendant une année - s'élevait à [80-90] millions d'euros en 2014 (cote 13 111). Son coût de grille prévisionnel pour 2015 était de 120 millions d'euros (cote 4546).
23. Le chiffre d'affaires de la chaîne s'élevait à 112,8 millions d'euros en 2017.
24. Depuis sa reprise par GCP, l'audience de C8 s'est régulièrement accrue. Elle est, depuis 2015, la première des nouvelles chaînes de la TNT. En 2017, sa part d'audience générale s'établissait à 3,4 % contre 3,2 % pour TMC et 2,6 % pour W9 (voir le " Guide des chaînes numériques " édité par le Centre national du cinéma et de l'image animée (" CNC "), 16ème édition d'avril 2018, p. 30).
c) D17, devenue CStar
25. La société CStar, immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro 384 939 484 est une filiale à 100 % de GCP. Initialement dénommée Europe 2 TV (entre 2005 et 2007), puis Virgin 17 (entre janvier 2008 et août 2010), Direct Star (entre septembre 2010 et sa reprise par GCP en octobre 2012) et D17 (entre octobre 2012 et la rentrée 2016), CStar est disponible sur l'ensemble des plateformes de diffusion.
26. Selon la convention conclue entre CStar et le CSA, la chaîne propose une programmation musicale destinée au grand public. Les programmes musicaux représentent au moins 75 % du temps d'antenne. Les autres programmes visent la cible des 18-35 ans : séries américaines, animation japonaise, divertissements.
27. En 2017, la chaîne détenait une part d'audience générale de 1,2 % (voir le " Guide des chaînes numériques " édité par le CNC, 16ème édition d'avril 2018, p. 30). Son chiffre d'affaires s'élevait à 27,93 millions d'euros en 2017.
2. LES ENTREPRISES VISÉES PAR LA SAISINE
a) TF1
28. La société Télévision Française 1, ou " TF1 ", immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro 326 300 159, est la société de tête du groupe TF1, opérateur audiovisuel privé majeur en France.
29. Le groupe édite cinq chaînes de la TNT gratuite, présentes sur l'ensemble des plateformes de diffusion :
- TF1, chaîne hertzienne historique généraliste qui détenait, en 2015, une part d'audience générale de 21,4 % ;
- TMC, chaîne généraliste diffusée en TNT depuis 2005, qui détenait, en 2015, une part d'audience générale de 3,1 % ;
- NT1 (devenue " TFX " à compter du 30 janvier 2018), chaîne diffusée en TNT depuis 2005, orientée vers les 16-35 ans, qui détenait en 2015 une part d'audience générale de 2,0 % ;
- HD1 (devenue " TF1 Séries Films " à compter du 29 janvier 2018), nouvelle chaîne de la TNT lancée en 2012, orientée " création ", qui détenait en 2015 une part d'audience générale de 1,0 %(cote 3186) ; et
- LCI, ancienne chaîne de l'offre payante de la TNT, diffusée en TNT gratuite depuis le mois d'avril 2016.
30. En 2015, le groupe TF1 a consacré 956,2 millions d'euros aux programmes des quatre chaînes TF1, TMC, NT1 et HD1 (cote 11 361).
31. Le groupe édite également plusieurs chaînes thématiques qui sont diffusées sur les plateformes filaires et le satellite, comme TV Breizh, Ushuaia TV ou Histoire.
32. Outre l'édition de services de télévision, le groupe TF1 est également présent dans les secteurs de la production et de l'acquisition de droits, à travers ses filiales TF1 Droits Audiovisuels, TF1 Production et TF1 Films Production.
33. En 2017, le groupe TF1 a réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 2,124 milliards d'euros. Les quatre chaînes TF1, TMC, NT1 et HD1 ont généré en 2017 un chiffre d'affaires de 1,71 milliard d'euros.
b) France Télévisions
34. La société France Télévisions, immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 432 766 947, est une société nationale de programmes qui est notamment chargée, conformément à l'article 44 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, d'éditer plusieurs services de télévision répondant à ses missions de service public dont les caractéristiques sont précisées par son cahier des charges. Le groupe public est également lié par le contrat d'objectifs et de moyens qu'il conclut avec l'État tous les cinq ans. Ce contrat instaure un lien entre les engagements du groupe en matière de contenus et de développement, et le financement auquel s'engage l'État pour leur réalisation.
35. France Télévisions édite cinq chaînes de la TNT gratuite qui sont disponibles sur l'ensemble des plateformes de diffusion :
- France 2, chaîne généraliste nationale dont les deux principaux axes de programmation sont l'événement d'une part, et la création cinématographique et audiovisuelle française et européenne d'autre part. La chaîne détenait en 2015 une part d'audience générale de 14,3 % ;
- France 3, chaîne nationale à vocation régionale et locale, dont la programmation vise principalement à contribuer à la connaissance et au rayonnement des territoires. France 3 détenait en 2015 une part d'audience générale de 9,2 % ;
- France 4, " chaîne de la jeunesse et des nouvelles générations " lancée en 2005, qui détenait en 2015 une part d'audience générale de 1,7 % ;
- France 5, " chaîne du décryptage, du partage des savoirs et de la transmission des connaissances ", qui détenait en 2015 une part d'audience générale de 3,4 % ;
- France Ô, " chaîne de l'ouverture sur le monde, sur les cultures populaires modernes et les récits humains " qui détenait en 2015 une part d'audience générale de 0,7 % (cotes 4642 et 4643).
36. En 2014, les coûts de grille de l'ensemble de ces chaînes s'élevaient à 2,09 milliards d'euros. Le cinéma représentait 6 % de ce montant (cote 4086). La même année, France Télévisions a réalisé 2,81 milliards d'euros de recettes, dont 88,6 % issues de ressources publiques (redevance et ressources complémentaires de l'État, cote 4085) .
37. Outre l'édition de services de télévision, France Télévisions est également présent dans les secteurs de la production et de la distribution de droits, à travers ses filiales Multimédia France Production et Francetv Distribution.
c) Métropole Télévision
38. La société Métropole Télévision, immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro 339 012 452, édite trois chaînes de la TNT gratuite reprises sur l'ensemble des plateformes de diffusion :
- M6, chaîne généraliste qui, conformément à la convention qui la lie au CSA, doit proposer des programmes à destination de l'ensemble du public et notamment des jeunes et des jeunes adultes, détenait en 2015 une part d'audience générale de 9,9 % ;
- W9, chaîne généraliste au positionnement plus jeune, lancée en mars 2005, qui détenait, en 2015, une part d'audience générale de 2,6 % ;
- 6ter, chaîne familiale lancée en 2012, dont la convention conclue avec le CSA stipule qu'elle doit favoriser le lien entre les générations, qui détenait en 2015 une part d'audience générale de 1,1 % (cotes 11 037 et 11 038).
39. Les coûts de grille de ces trois chaînes s'élevaient à 418,5 millions d'euros en 2015 (cote 10 933).
40. Le groupe Métropole Télévision édite également plusieurs chaînes diffusées sur les plateformes filaires et le satellite, comme Paris Première, Téva ou M6 Music.
41. Outre l'édition de services de télévision, Métropole Télévision est également actif en matière de production, à travers ses filiales M6 Films et M6 Studio (qui produisent des longs métrages et séries d'animation), ou de distribution, à travers ses filiales Société Nouvelle de Distribution (SND) et Société Nouvelle de Cinématographie (SNC).
42. En 2015, le groupe a réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 1,25 milliard d'euros (cote 10 923).
C. LE SECTEUR
1. LES CHAÎNES DE LA TÉLÉVISION NUMÉRIQUE TERRESTRE GRATUITE
43. La TNT a été lancée en mars 2005. L'offre hertzienne de télévision gratuite a alors été considérablement élargie, passant de 6 à 18 chaînes. Des mouvements de concentration successifs ont permis à des groupes positionnés en analogique de prendre le contrôle de plusieurs chaînes appartenant aux nouveaux opérateurs :
- en 2010, le groupe TF1 a racheté au groupe AB ses parts dans la chaîne TMC, ainsi que la chaîne NT1 ;
- en 2012, GCP a racheté au groupe Bolloré les chaînes Direct 8 et Direct Star.
44. En décembre 2012, six nouvelles chaînes gratuites ont été lancées : HD1 (groupe TF1), L'Équipe 21 (groupe Amaury), 6ter (groupe Métropole Télévision), Numéro 23 (société Diversité TV France), RMC Découverte (groupe NextRadio TV) et Chérie 25 (groupe NRJ). En avril 2016, l'offre de TNT gratuite s'est encore élargie avec le lancement de la chaîne d'information en continu LCI, auparavant diffusée en payant.
45. Au jour de la présente décision, l'offre de TNT gratuite comprend 25 chaînes :
- les chaînes nationales publiques : France 2, France 3, France 4, France 5 et France Ô (groupe France Télévisions), Arte et La Chaîne Parlementaire ;
- TF1, TMC, NT1 (devenue " TFX "), HD1 (devenue " TF1 Séries Films ") et LCI (groupe TF1) ;
- M6, W9 et 6ter (groupe Métropole Télévision) ;
- Canal8, CanalStar et CanalNews (GCP) ;
- NRJ12 et Chérie 25 (groupe NRJ) ;
- BFM TV, RMC Découverte et Numéro 23, devenue " RMC Story " (groupe Nextradio TV) ;
- L'Équipe 21 (groupe Amaury) ;
- Gulli (groupe Lagardère).
46. L'augmentation du nombre de chaînes a conduit à un accroissement du nombre d'écrans publicitaires sur le marché de la publicité télévisuelle, si bien que la concurrence entre les chaînes qui présentent des lignes éditoriales et des cibles d'audience similaires s'est intensifiée.
47. Les chaînes de télévision sont, en outre, confrontées à un contexte macroéconomique difficile, en raison notamment de l'arrivée de nouveaux acteurs (voir l'avis de l'Autorité n° 19-A-04 du 21 février 2019 relatif à une demande d'avis de la commission des Affaires culturelles et de l'Éducation de l'Assemblée nationale dans le secteur de l'audiovisuel, paragraphes 149 et suivants).
48. Le graphique reproduit ci-après retrace l'évolution respective des parts d'audience des chaînes gratuites de la TNT lancées en 2005 entre 2008 et 2017 :
[GRAPHIQUE]
Source : CSA
2. LA CONTRIBUTION DES CHAÎNES DE TÉLÉVISION À LA PRODUCTION CINÉMATOGRAPHIQUE
a) Les règles relatives à la contribution des chaînes à la production cinématographique
49. Les chaînes de la TNT utilisent gratuitement des fréquences radioélectriques qui sont des ressources rares appartenant au domaine public de l'État. En contrepartie, elles sont notamment soumises à des obligations de contribution à la production cinématographique.
Les règles applicables aux chaînes de la TNT gratuite
50. Les obligations d'investissement des chaînes de la TNT gratuite dans la production cinématographique sont prévues par le décret n° 2010-747 du 2 juillet 2010 relatif à la contribution à la production d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre.
Les différents types de dépenses prises en compte
51. L'article 4 du décret du 2 juillet 2010 précité prévoit que constituent notamment des dépenses contribuant au développement de la production cinématographique les préachats de droits de diffusion, les investissements en parts de coproduction et l'achat de droits de diffusion.
52. Dans le cadre des préachats de droits - qui interviennent auprès des producteurs ou de leurs mandataires - la chaîne intéressée prend la décision d'acquérir une ou plusieurs fenêtres de diffusion exclusive d'un film, en amont de la production. Les préachats doivent être effectués avant la fin de la période de prise de vues.
53. Les préachats peuvent être complétés par des investissements en parts de coproduction. Ces derniers doivent, conformément à l'article 5 du décret du 2 juillet 2010 précité, être réalisés par l'intermédiaire d'une filiale de production dont l'objet social est exclusivement consacré à la production cinématographique (telle que TF1 Films Production, France 2 Cinéma, France 3 Cinéma, M6 Films, Arte France Cinéma, C8 Films).
54. Cette modalité d'investissement permet notamment aux chaînes, en qualité de coproductrices, de tirer des recettes de chaque étape du cycle d'exploitation du film et de bénéficier d'une diffusion plus précoce du film, 22 mois après sa sortie en salle au lieu de 30 mois si elles n'étaient pas coproductrices.
55. Lorsqu'une chaîne historique en clair investit dans un film EOF sous forme de préachat, celui-ci est presque systématiquement accompagné d'un investissement en parts de coproduction (cote 3158).
56. Outre les investissements effectués en amont du tournage, les chaînes de télévision contribuent à la production cinématographique en achetant les droits de diffusion des films après que les fenêtres préachetées ont donné lieu à diffusion. Les films sont alors dits " de catalogue ". Les chaînes intéressées par l'acquisition d'un film " de catalogue " ont connaissance, le plus souvent, du nombre d'entrées en salle qu'il a suscité ainsi que de ses résultats d'audience lors des diffusions au sein des différentes fenêtres préachetées.
Les obligations incombant à l'ensemble des chaînes de la TNT gratuite (à l'exception d'Arte)
57. Il ressort des articles 1er et 3 du décret du 2 juillet 2010 précité que les chaînes de la TNT gratuite qui diffusent plus de 52 films par an doivent consacrer chaque année au moins 3,2 % du chiffre d'affaires annuel net qu'elles ont réalisé lors de l'exercice précédent à des dépenses contribuant au développement de la production de films européens, dont 2,5 % à des dépenses contribuant au développement de la production de films EOF.
58. Conformément à l'article 4 du même décret, pour remplir les obligations qui leur incombent, les chaînes de la TNT dont le chiffre d'affaires est supérieur à 150 millions d'euros sont tenues d'investir dans la production de films inédits sous forme de préachats et d'investissements en parts de coproduction. Les chaînes dont le chiffre d'affaires est inférieur à 150 millions d'euros peuvent recourir à des achats de droits de films de catalogue. Toutefois, dès lors qu'elles réalisent au moins 75 millions d'euros de chiffre d'affaires, elles sont également tenues d'investir sous forme de préachat selon les conditions définies dans les conventions qu'elles ont conclues avec le CSA.
59. Conformément à l'article 5 du même décret, lorsque les chaînes de la TNT gratuite contribuent à la production de films sous forme de préachats et d'investissements en parts de coproduction, les montants pris en compte pour apprécier le respect de leurs obligations ne peuvent excéder 50 % du coût total du film.
60. Compte tenu de l'importance de leur chiffre d'affaires, sont soumises aux obligations de préfinancement les chaînes TF1, France 2, France 3 et M6 ainsi que TMC, W9 et C8 (cette dernière par engagement conventionnel). Les chaînes HD1 (devenue " TF1 Séries Films "), NT1 (devenue " TFX "), TMC, France 4, France 5, NRJ12 et Gulli préfinancent également des films mais hors obligation réglementaire (cotes 12 871 à 12 914).
61. Arte France, en tant que chaîne franco-allemande, ne relève pas du droit français et n'est ainsi pas tenue, d'un point de vue légal ou réglementaire, de contribuer à la production de films EOF (cote 8377).
Les obligations propres à France Télévisions
62. France Télévisions, en tant que société nationale de programme, est soumise à des obligations légales et réglementaires particulières de contribution à la production cinématographique. France Télévisions doit ainsi consacrer 3,5 % des chiffres d'affaires annuels nets de l'exercice précédent de France 2, France 3 et France 4 à des dépenses contribuant au développement de la production de films européens (cote 12 268). France Télévisions est, par ailleurs, tenue de réaffirmer " son soutien à un cinéma d'initiative française et européenne fort, diversifié, renouvelé et indépendant ", de poursuivre " sa politique de soutien à la création cinématographique dans toute sa diversité, exprimée tant au niveau artistique que financier " et de porter " notamment une attention particulière aux premiers films " (cote 12 268).
Les obligations incombant à la chaîne Canal+
63. Des obligations particulières incombent à Canal+ eu égard à sa qualité d'éditeur d'un service de cinéma au sens du décret du 2 juillet 2010 précité. En vertu de l'article 35 du même décret, Canal+ doit consacrer chaque année au moins 12,5 % de ses ressources totales de l'exercice en cours à des dépenses contribuant au développement de la production de films européens, dont 9,5 % à des dépenses contribuant au développement de la production de films EOF.
64. Le même article prévoit que 85 % des sommes concernées doivent être des préachats. Les 15 % restants correspondent à des achats de films de catalogue. En effet, à la différence des chaînes historiques en clair, et bien qu'aucun texte ne le lui interdise, la chaîne Canal+ n'intervient pas dans le préfinancement des films sous la forme d'achat de parts de coproduction. En pratique, 95 % de la contribution de la chaîne Canal+ à la production de films prend la forme de préachats (cote 2191).
65. Par ailleurs, la chaîne Canal+ a conclu un nouvel accord avec les organisations professionnelles du cinéma le 6 novembre 2018, qui réitère, en les précisant, les obligations d'investissement qui lui incombent.
b) La participation des chaînes de télévision au préfinancement des films d'initiative française
66. Les films d'initiative française (ci-après " FIF ") sont des films uniquement financés par des investisseurs français ou des coproductions majoritairement françaises (document du CNC intitulé " Production cinématographique - données statistiques ", cote 11 677), quelle que soit la langue d'expression originale. Ainsi, un FIF peut ne pas être un film EOF. Toutefois, en pratique, la quasi-totalité des FIF sont des films EOF.
67. Les premiers préfinanceurs des FIF en termes de montants investis sont les chaînes de télévision (gratuites et payantes). Ces dernières achètent à l'avance des fenêtres de diffusion exclusive du film et, pour certaines d'entre elles, investissent en parts de coproduction. Outre la contribution des chaînes, le préfinancement des FIF repose sur la contribution des producteurs eux-mêmes, les apports étrangers, les mandats, les fonds publics issus du dispositif de soutien public à la production cinématographique (avance sur recettes notamment) et les apports des sociétés de financement de l'industrie cinématographique et de l'audiovisuel (SOFICA).
68. En 2017, la contribution des différents intervenants dans le financement des FIF se répartissait comme suit :
[GRAPHIQUE]
Répartition du financement des FIF en 2017 (source : CNC)
69. En 2016, la contribution des chaînes à la production cinématographique s'est élevée à 410 millions d'euros - dont 325,7 millions d'euros sous forme de préachats ou de coproductions - soit 79 %des dépenses (CSA, guide des chaînes numériques 2018, page 44).
[GRAPHIQUE]
Dépenses retenues au titre des obligations de contribution à la production cinématographique et audiovisuelle de l'exercice 2016 (en millions d'euros)
[GRAPHIQUES]
Source : CSA
La contribution des chaînes en clair
La contribution de l'ensemble des chaînes en clair
70. Entre 1994 et 2017 inclus, les chaînes en clair ont préfinancé 2 119 des 4 163 FIF agréés par le CNC(2), soit 51 %des FIF agréés. Sur la période 1994 à 2014, 1 688 FIF ont été préfinancés par les chaînes en clair, dont 1 074 ont été coproduits (CNC, données statistiques sur la production cinématographie, version mise à jour le 27 mars 2018, cotes 16 021 à 16 041).
<TABLEAU>
71. Le tableau ci-après détaille le nombre de films préfinancés par les chaînes gratuites entre 1994 et 2017.
Source : CNC
72. Le groupe France Télévisions est celui qui a investi le plus, en valeur, dans le cinéma entre 1994 et 2017 inclus (44,25 % des investissements consentis par les chaînes en clair depuis 1994 dans le cinéma), devant TF1 (36,3 %), M6 (12,6 %), Arte (5,1 %) et les autres chaînes de la TNT (1,7 %) (calculs réalisés sur la base des données statistiques du CNC sur la production cinématographique, version à jour au 27 mars 2018, cotes 16 021 à 16 041).
73. Selon le CSA, en 2017, les investissements des chaînes en clair ont consisté, pour 65,5 % en des préachats de droits de diffusion et 34,5 % en achats de parts de coproduction.
La contribution des nouvelles chaînes de la TNT gratuite
74. En 2017, six chaînes de la TNT gratuite (hors chaînes historiques) - C8, France 4, TFX, TMC, W9 et 6ter - ont investi dans la production cinématographique sous forme de préachats dans 43 films (dont 42 d'initiative française). L'investissement moyen de ces chaînes s'établit à 0,30 million d'euros par film.
75. Parmi ces films, 41 ont également été préfinancés par une chaîne payante sous forme de préachat d'une première fenêtre, dont 35 également pour une deuxième fenêtre. 31 ont été préfinancés par une chaîne historique en clair.
76. Selon le CSA, les chaînes intégrées à la TNT en 2005 et 2012 interviennent rarement dans le préachat de premières fenêtres de diffusion. Toutefois, TMC, TFX, TF1 Séries Films et W9 préachètent quasi-systématiquement les deuxième et troisième fenêtres de films dont leur chaîne mère a préacheté la première fenêtre de diffusion (cote 3819).
77. C8, via sa filiale de coproduction et de préachat de droits C8 Films, est la nouvelle chaîne de la TNT la plus active dans la production de films. En 2017, elle a préfinancé 19 films, soit un investissement total de 6,57 millions d'euros.
La contribution de Canal+
78. La chaîne Canal+ est le premier investisseur du cinéma français. En 2017, Canal+ a investi 153,69 millions d'euros dans la production cinématographique.
79. Canal+ a contribué au financement de 136 films agréés en 2017 (contre 103 en 2014), dont 117 FIF, soit 52,7 % des FIF agréés cette même année.
80. En 2017, la chaîne a investi 1,13 million d'euros par FIF en moyenne.
Les films sans préfinancement
81. En 2017, 57 FIF n'ont été préfinancés par aucune chaîne soit 25,6 % de l'ensemble des FIF agréés cette même année.
3. LA DIFFUSION DE FILMS PAR LES CHAÎNES DE LA TNT GRATUITE
a) Le cadre réglementaire
Les règles établissant la chronologie des médias
82. Les délais d'exploitation des films relèvent d'accords contractuels conclus entre les ayants droit et les différents distributeurs et diffuseurs de l'œuvre. Ces délais contractuels doivent toutefois respecter les règles dites de la " chronologie des médias ", qui résultent d'un accord interprofessionnel étendu par arrêté sur le fondement des articles L. 231-1 à L. 234-2 du code du cinéma et de l'image animée.
83. Les délais minimaux prévus par l'accord interprofessionnel du 6 juillet 2009 ont été modifiés par l'accord pour le réaménagement de la chronologie des médias du 6 septembre 2018 et son avenant du 21 décembre 2018. Ils ont été rendus obligatoires pour toute entreprise du secteur du cinéma ainsi que pour tout éditeur de services de télévisions par un arrêté du 25 janvier 2019.
84. Les délais amendés sont les suivants :
<TABLEAU>
85. Les droits de diffusion en clair d'un film EOF sont négociés de gré à gré entre les détenteurs de droits et les chaînes de télévision. Les contrats de cession de droits confèrent aux chaînes une exclusivité pendant une " fenêtre de diffusion ", c'est-à-dire pour une période déterminée. Le nombre de fenêtres de diffusion en clair pour un film donné est déterminé librement par les ayants droit et les chaînes de télévision. Il dépend en pratique de la capacité des producteurs à commercialiser les droits correspondants (voir la décision n° 14-DCC-50 du 2 avril 2014 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Direct 8, Direct Star, Direct Productions, Direct Digital et Bolloré Intermédia par Vivendi SA et Groupe Canal Plus, paragraphes 44 et 46).
86. Généralement, les premières et deuxièmes fenêtres en clair ont une durée de 18 mois au cours de laquelle une seule diffusion du film est prévue (cote 2788). Les troisièmes fenêtres sont, en pratique, réservées aux films les plus attractifs (voir la décision n° 14-DCC-50 précitée, paragraphe 46).
Les règles relatives au plafond de diffusion de films EOF
87. Conformément à l'article 8 du décret n° 90-66 du 17 janvier 1990 modifié pris pour application de la loi du 30 septembre 1986 fixant les principes généraux concernant la diffusion des œuvres cinématographiques et audiovisuelles par les éditeurs de services de télévision, les chaînes publiques et privées de la TNT ne peuvent diffuser plus de 192 longs métrages chaque année, dont 144 en première partie de soirée. Les chaînes peuvent également diffuser 52 films supplémentaires par an s'il s'agit d'œuvres d'art et d'essai.
88. Conformément à l'article 7 du même décret, les chaînes sont tenues de consacrer au moins 60 % des diffusions et rediffusions de films à des films européens, dont 40 % à la diffusion de films EOF. Cette obligation doit être respectée aux heures de grande écoute. Les diffusions de films EOF doivent représenter au moins 35 % du nombre total de diffusions et de rediffusions, y compris aux heures de grande écoute.
Les obligations conventionnelles supplémentaires qui incombent aux chaînes du groupe France Télévisions
89. Outre les obligations communes aux chaînes en clair, le groupe France Télévisions est tenu de diffuser une offre abondante et diversifiée, afin d'encourager la création et la diversité (article 10 du décret n° 2009-796 du 23 juin 2009 fixant le cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions).
90. Par ailleurs, le groupe a conclu, en décembre 2007, un accord avec le Bureau de liaison des industries cinématographiques (BLIC), le Bureau de liaison des organisations du cinéma (BLOC) et la Société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs (ARP). Aux termes de cet accord, modifié en mars 2012, France Télévisions s'engage à ne pas diffuser moins de 420 films par an sur les antennes du groupe, dont 210 films EOF ou européens sur France 2 et France 3 (cote 3273).
b) La diffusion de films EOF par les nouvelles chaînes de la TNT
91. En 2014, le cinéma a représenté 3,8 % de l'offre de programmes des chaînes de la TNT gratuite et 5,6 % de la consommation télévisuelle (cote 4891).
92. En pratique, tous films confondus, les chaînes de la TNT gratuite ont diffusé 2 100 films différents en 2017. Avec 451 films diffusés en 2017, le groupe France Télévisions est le premier diffuseur de cinéma en clair. Parmi les chaînes privées, Chérie 25 et D8 (devenue C8) sont les chaînes qui ont programmé le plus de films en 2014 (respectivement 143 et 141), devant TMC (134 films), TF1 (133 films) et W9 (119 films).
93. Selon le CSA, les chaînes de télévision respectent les quotas réglementaires de diffusion de films EOF, sauf quelques rares exceptions ponctuelles (cote 3807).
Sur la diffusion des films inédits et des films de catalogue
94. Un film devient un film de catalogue pour une chaîne en clair après un premier cycle d'exploitation en télévision payante et gratuite, c'est-à-dire à partir de la première diffusion télévisuelle en clair non prévue au plan de financement, laquelle intervient, en pratique, environ quatre ans après sa sortie en salle.
95. En 2017, les chaînes nationales gratuites ont diffusé 21,6 % de films inédits. Sur la même période, les films dits " de catalogue " ont représenté 91,9 % de l'offre de films des chaînes privées de la TNT gratuite. Sur ces chaînes, en 2017, les films diffusés avaient, en moyenne, fait préalablement l'objet de sept diffusions depuis leur première diffusion à la télévision (Bilan 2017 du CNC, p. 119).
96. À la différence des chaînes historiques de la TNT gratuite - qui diffusent une part importante de films inédits dont elles ont préacheté les droits - les nouvelles chaînes de la TNT gratuite diffusent quasi-exclusivement des films de catalogue. Le tableau ci-après dénombre les films EOF de catalogue qui ont été diffusés par les chaînes de la TNT gratuite entre 2009 et 2015, ainsi que le nombre moyen de diffusions de ces films au cours de l'année 2015.
[TABLEAU]
Nombre de films EOF de catalogue diffusés par les chaînes de la TNT gratuite entre 2009 et 2015 et nombre moyen de diffusions de ces films en 2015 Source : CNC-CSA
97. Selon le CNC, les chaînes de la TNT gratuite ont diffusé 797 films EOF de catalogue différents en 2015. Ces films ont été diffusés 1,7 fois en moyenne.
98. Il ressort du tableau figurant au paragraphe 96 ci-dessus qu'en 2015, les groupes France Télévisions, TF1 et Métropole Télévision ont respectivement acheté les droits portant sur 22,3 %, 19,2 % et 14,9 % des diffusions en TNT gratuite de films EOF de catalogue, soit au total 56,5 % de l'ensemble des diffusions des films EOF de catalogue intervenues au cours de l'année.
99. Les films dits " de patrimoine ", c'est-à-dire ceux qui ont plus de dix ans, représentaient 55,2 % de l'offre de films des chaînes de la TNT gratuite en 2017. Parmi les films diffusés par les chaînes nationales gratuites en 2017, 14,1% ont plus de 40 ans.
Sur le volume de films de catalogue EOF disponibles
100. Il existe des estimations divergentes quant au volume de films EOF de catalogue disponibles.
101. Dans ses observations au rapport, GCP soutient que le nombre de films de catalogue exploitable par les chaînes en clair est d'environ 6 000 films (cote 15 880).
102. Dans son avis du 24 juin 2015 précité, le CSA a relevé que peu d'informations précises sont disponibles sur la composition effective des catalogues, le nombre de films disponibles sur le marché français et la répartition des titres par nationalité. Il a estimé toutefois à environ 9 650 le nombre de films de catalogue détenus par des ayants droit français ou leurs mandataires (cotes 3830 et 3831).
103. Le CNC, dans sa réponse au questionnaire des services d'instruction, a quant à lui estimé le volume de films EOF de catalogue de long métrage (hors films tombés dans le domaine public) à environ 10 000 (cote 3153).
104. Les statistiques publiques mises à disposition par le CNC sur son site Internet permettent de dénombrer, au jour de la présente décision, 8 376 FIF de catalogue (entendus comme les films dont l'agrément a été délivré il y a plus de cinq ans - soit tous les films agréés entre 1952 et 2013 compris(3)).
105. Le vivier des films de catalogue comprend également de nombreux films produits avant 1952. Ainsi près de 137 films français sortis en salle avant 1952 ont été (multi) diffusés sur les chaînes de la TNT gratuite entre 2009 et 2015 soit environ 7 % de l'ensemble des films de catalogue diffusés sur la même période (données CNC, cotes 10 206 à 10 492).
106. Après examen, les estimations du volume de films français de catalogue disponibles effectuées par le CNC qui figurent au paragraphe 104 ci-dessus apparaissent comme les plus pertinentes, eu égard à la fiabilité et à l'exhaustivité des sources de cet organisme. Elles seront donc retenues pour les besoins de la présente décision.
Sur les déterminants de la demande des chaînes de la TNT gratuite en films de catalogue EOF
Sur l'attractivité des films EOF de catalogue
107. L'attractivité d'un film dépend d'un ensemble de facteurs dont la pondération varie en fonction de la ligne éditoriale de chaque chaîne (voir en ce sens la décision n° 14-DCC-50 précitée, paragraphe 326). Le CNC relève, à cet égard, que chaque chaîne en clair apprécie l'attractivité d'un film de catalogue à la lumière de la structure sociodémographique de son public, de sa cible commerciale et de sa ligne éditoriale et qu'un film de catalogue donné apparaîtra attractif pour une chaîne mais pas nécessairement pour une autre (cote 3155).
108. Parmi les critères pris en compte par les chaînes, le CNC retient le genre du film, sa distribution, son réalisateur, son nombre d'entrées en salle (en France et à l'étranger), sa durée de vie en salle, les récompenses qu'il a reçues, la performance de ses diffusions télévisées (nombre de téléspectateurs sur telle ou telle cible en fonction du positionnement éditorial de la chaîne), sa performance sur le marché de la vidéo, ou encore le fait qu'il soit en couleurs ou en noir et blanc, en haute définition ou en définition standard (cote 3154 et 3155).
109. L'instruction du présent dossier a notamment permis de constater que l'âge d'un film n'est qu'un critère d'attractivité parmi d'autres pour les chaînes en clair. Il ressort, en effet, de la liste des films français figurant parmi les 10 meilleures audiences cinéma des chaînes historiques de la TNT en première partie de soirée qu'il ne peut être établi de lien systématique entre l'âge d'un film et son succès d'audience.
<TABLEAU>
Liste des films diffusés en 2014, figurant dans la liste des 10 meilleures audiences cinéma réalisées par les chaînes historiques de la TNT en première partie de soirée Source : CNC
110. Ainsi, certains films qui ont connu un grand succès critique ou d'audience lors de leur sortie en salle continuent de rassembler un large public lors de leurs diffusions télévisées. Certains de ces films, tels que " La grande vadrouille ", " Les aventures de Rabbi Jacob ", " Le mur de l'Atlantique " sont en outre considérés comme des films " culte " ou des films emblématiques du patrimoine culturel français et sont donc demandés et diffusés régulièrement par les chaînes de télévision, malgré leur ancienneté.
111. De même, la circonstance que le film a été ou non préfinancé par une chaîne historique en clair n'est pas un critère déterminant, même si l'on peut constater un tropisme de la demande des chaînes vers des films qui ont été préfinancés par des chaînes en clair. Ces derniers sont, en effet, souvent ceux qui, comme le souligne le CSA, ont les budgets les plus élevés, la meilleure distribution et les sujets les plus familiaux et partant, sont les plus aptes à réaliser des audiences satisfaisantes en salle ou à la télévision.
Le montant des droits de diffusion des films EOF de catalogue
112. De manière générale, le succès d'un film lors de son premier cycle d'exploitation est le principal facteur d'appréciation du montant de ses droits de diffusion lorsqu'il devient film de catalogue. Le nombre d'entrées en salle est, à cet égard, déterminant, de même que l'audience réalisée lors des diffusions antérieures.
113. Par ailleurs, le montant des droits, à l'exception de ceux relatifs à certains films de patrimoine, tend généralement à diminuer au fur et à mesure que le film est diffusé.
114. De manière générale, les droits des films de catalogue achetés par les chaînes historiques en clair sont plus onéreux que ceux des films achetés par les nouvelles chaînes de la TNT. À cet égard, dans son avis du 24 juin 2015, le CSA a relevé que la différence entre les montants versés par ces deux types de chaînes peut se situer dans un rapport de 1 à 10 (cote 3990).
115. Dans sa décision n° 14-DCC-50 précitée, l'Autorité relevait sur ce point que : " (...) les prix d'acquisition des films varient en fonction des chaînes, c'est-à-dire en fonction de l'audience, de l'exposition et la promotion du film. Par conséquent certains films attractifs, dont les prix peuvent être élevés, sont, en pratique, fréquemment achetés par les chaînes gratuites historiques dont les budgets sont moins contraints que ceux des nouvelles chaînes de la TNT " (paragraphe 326).
116. Dans son avis, le CSA observe également que certains films, les plus onéreux, ceux qui présentent, a priori, le meilleur potentiel d'audience, sont uniquement achetés par les chaînes historiques (cote 3990).
117. La représentante du studio Pathé a souligné, lors de son audition par les services d'instruction, que les films peuvent généralement être classés en trois catégories en fonction de leur potentiel commercial.
118. La " catégorie A ", qui désigne ceux qui ont le plus fort potentiel d'audience télévisée, est celle à laquelle appartiennent des films comme " Bienvenue chez les Ch'tis " ou les trois films " Astérix ", qui ont rencontré un grand succès en salle et qui " sont de facto "réservés" aux chaînes hertziennes historiques pour des raisons tarifaires " (cote 3332).
119. La " catégorie B " comprend des films plus anciens qui ont été diffusés en première partie de soirée sur des antennes historiques. Ces derniers conservent une certaine valeur commerciale pour des diffusions l'après-midi sur des chaînes historiques ou en première partie de soirée sur des chaînes de la TNT lancées en 2005. Concrètement, ce sont les films que les chaînes D8, W9 et TMC - qui ont des niveaux d'audience et des moyens comparables - se disputent. Il s'agit par exemple de films tels que " Germinal " ou " Gazon Maudit ".
120. Enfin, les films dits de " catégorie C " qui sont ceux qui ont le potentiel le moins fort. Ce sont des films qui sont généralement acquis par les chaînes qui ont des ressources moins importantes, comme NT1 (devenue " TFX "), NRJ12, Chérie 25 ou Numéro 23.
121. L'existence de disparités aussi marquées dans les montants que les chaînes sont susceptibles d'engager pour acquérir un film est de nature à inciter les distributeurs à contacter d'abord les chaînes historiques en clair avant de s'adresser aux nouvelles chaînes de la TNT (cote 2789). Dans son avis du 24 juin 2015, le CSA a souligné, à cet égard, que " les distributeurs, dans une logique d'efficacité, ciblent leurs propositions d'acquisition sur les chaînes susceptibles d'être les plus intéressées et ayant les moyens financiers de les acquérir au meilleur prix " (cote 4014). De même, dans sa décision n° 14-DCC-50 précitée, l'Autorité indiquait que les listes sont " d'abord proposées aux chaînes gratuites historiques puis aux nouvelles chaînes de la TNT, les disponibilités des films s'amenuisant au fil des achats des premiers acheteurs sollicités " (paragraphe 323).
122. Selon le CSA, les statistiques relatives à la diffusion des films confirment que les films diffusés par les nouvelles chaînes de la TNT sont généralement plus anciens que ceux diffusés par les chaînes historiques en clair qui ont notamment recours à des préachats. En effet, seuls 426 des 1 880 FIF diffusés entre 2011 et 2014 par D8 (devenue C8), NRJ12, TMC et W9 étaient sortis en salle moins de 10 ans avant leur diffusion (12 % des films diffusés par D8, 22 % de ceux diffusés par TMC, 32 % des films diffusés par NRJ12 et 34 % des films diffusés par W9) (cote 3827).
123. Parmi la catégorie des films les plus récents diffusés sur les nouvelles chaînes de la TNT, on peut observer des disparités notables entre chaînes affiliées ou non à une chaîne historique quant au succès en salle. Ainsi, les films produits depuis moins de 10 ans qui ont été diffusés sur D8 (devenue C8) et NRJ12 en 2014 ont, en moyenne, eu moins de succès en salle que ceux diffusés sur TMC et W9 (13 des 14 films diffusés par TMC et W9 ayant réalisé plus de 2 millions d'entrées ont été coproduits par la chaîne mère).
Le nombre de diffusions
124. Dans son avis du 24 juin 2015, le CSA a souligné que les chaînes historiques négocient une seule diffusion par fenêtre, là où les nouvelles chaînes de la TNT achètent souvent une multidiffusion. C'est notamment le cas de France 4, NRJ12 ou Gulli, qui achètent souvent deux diffusions au sein d'une même fenêtre - une en première partie de soirée et une autre l'après-midi ou en deuxième partie de soirée (cote 3990).
La durée des droits et la fréquence des diffusions
125. Le CSA a souligné, dans son avis du 24 juin 2015 que, compte tenu du montant très élevé qu'elles sont capables de consacrer aux achats de droits de films de catalogue, les chaînes historiques peuvent négocier une durée d'exclusivité de diffusion d'un film de catalogue de 18 mois, ce qui permet de préserver le caractère événementiel de la diffusion, alors que les nouvelles chaînes de la TNT négocient des durées bien plus courtes, d'une durée minimale de trois mois et plus généralement de six ou neuf mois (cote 3990).
126. Dans sa décision n° 14-DCC-50 précitée, l'Autorité relevait : " Les films les plus attractifs ne sont généralement pas reproposés immédiatement à la vente pour préserver une certaine durée entre deux diffusions. Pendant ce délai, les films concernés ne sont plus mis en vente afin de conserver un certain degré de rareté ce qui permet de maintenir leur valeur. Celle-ci est en effet susceptible de diminuer lorsqu'un film est diffusé un grand nombre de fois à la télévision sur de courtes périodes, ce qui entraîne une " usure " du film en termes de potentiel d'audience " (point 324). StudioCanal a précisé à cet égard, au cours de l'instruction, que : " Si plusieurs chaînes se positionnent sur un ou plusieurs mêmes films (cas très fréquent car les chaînes veulent toutes acquérir les films disposant du plus fort potentiel commercial qui sont en fait assez peu nombreux), Studio Canal réalise des arbitrages au regard de l'attractivité des différentes propositions évidemment mais aussi au regard de l'intérêt pour la préservation de la valeur du film sur le long terme (si un film est surexploité dans un intervalle de temps court, il va perdre de sa valeur) " (cote 3757).
127. Dans son rapport sur le financement de la production et de la distribution cinématographiques à l'heure du numérique publié en décembre 2013, René Bonnell, producteur et ancien directeur de la stratégie des programmes de France Télévisions, avait souligné que " le développement des technologies numériques de diffusion en accélère l'usage, la généralisation de la multidiffusion en intensifie l'usure et l'abondance de l'offre en relativise l'impact commercial ", ce qui ne serait pas " sans conséquence sur la valorisation de l'actif film et les techniques d'amortissement de l'investissement en production " (page 34). Il avait ajouté que, de manière générale, " pour les chaînes généralistes, le programme cinématographique a perdu partout dans le monde son importance en raison de l'usage préalable intense qu'en fait le marché avant le passage sur leur antenne " (page 85).
128. Les films de catalogue diffusés sur les antennes des nouvelles chaînes de la TNT tendent ainsi, généralement, à présenter un " état d'usure " supérieur à celui des films de catalogue diffusés sur celles des chaînes historiques. Certains distributeurs et ayants droit ont souligné, à cet égard, au cours de l'instruction que, pour veiller à ne pas altérer la valeur économique d'un film à fort potentiel d'audience, ils n'envisageaient pas d'en vendre les droits de diffusion à une nouvelle chaîne de la TNT (cotes 3222 et 3232).
D. LES PRATIQUES CONSTATÉES
1. L'AJOUT SYSTÉMATIQUE DE CLAUSES DE PRIORITÉ ET DE PRÉEMPTION DANS LES CONTRATS DE PRÉFINANCEMENT DES FILMS EOF DEPUIS LE DÉBUT DES ANNÉES 1990
129. Les clauses de priorité et de préemption - aussi appelées clauses de " premier et dernier refus " - sont des clauses types instaurant des droits préférentiels qui figurent dans les contrats de préfinancement des films EOF conclus par les chaînes en clair. Les droits qu'elles confèrent à leurs bénéficiaires ont vocation à être mis en œuvre après que les fenêtres en clair préachetées sont arrivées à échéance, dans le cadre des discussions relatives aux cessions de droits de films de catalogue(4).
130. L'insertion des clauses de priorité et de préemption dans les contrats de préfinancement des films français s'est généralisée à partir des années 1990, au point que ces clauses sont devenues omniprésentes dans les contrats conclus à partir de cette période. Dans son avis du 24 juin 2015 précité, le CSA relève que " sur la base des réponses aux questionnaires envoyées aux groupes TF1, France Télévisions, Métropole Télévision et Canal Plus, il ressort que les chaînes liées à ces groupes négocient systématiquement auprès des producteurs des clauses de priorité et de préemption des films qu'ils coproduisent et pour lesquels ils ont préacheté la première fenêtre de diffusion en clair. Les autres groupes ou chaînes hertziennes en clair (Arte, Gulli, NRJ12...) ont le même type de pratique " (cote 3843).
131. L'introduction de droits préférentiels dans les contrats de préfinancement résulte d'une négociation entre la chaîne et le producteur. Il s'agit d'une pratique strictement contractuelle qui ne résulte d'aucune obligation réglementaire.
132. Les clauses de priorité et de préemption - dont les caractéristiques et le fonctionnement sont détaillés ci-après - sont toujours stipulées conjointement. Le droit de préemption n'a vocation à être mis en œuvre que si la chaîne titulaire du droit de priorité n'a pas acquis les droits de diffusion au cours des différentes discussions avec les ayants droit.
133. Lorsque plusieurs chaînes en clair investissent dans un même film, chacune des chaînes concernées peut convenir de bénéficier elle-même ou de faire bénéficier l'une quelconque de ses filiales de droits de priorité et de préemption. Le cas échéant, ceux-ci sont mis en œuvre de manière alternative ou successive sur le fondement de critères définis au contrat.
134. Bien qu'elles puissent donner lieu à des formulations différentes, les stipulations des contrats conclus par les filiales des groupes TF1, France Télévisions et Métropole Télévision qui confèrent des droits de priorité et de préemption à une ou plusieurs chaînes du groupe participant au préfinancement de films EOF sont similaires dans leur finalité (cotes 3000, 3241 et 3433). Seules leurs modalités de mise en œuvre peuvent différer selon les contrats de préfinancement concernés.
a) Le droit de priorité
135. Le droit de priorité prévu dans les contrats de préfinancement garantit à la chaîne qui a préfinancé un film que son producteur ou son mandataire s'adressera prioritairement à elle lorsqu'il souhaitera vendre les droits de diffusion d'un film EOF de catalogue. Il s'agit donc d'un droit de première présentation.
136. Si la chaîne titulaire de ce droit est intéressée par les droits, elle entre dans une négociation classique, aux conditions de marché, avec l'ayant droit ou son mandataire. Si ce dernier est satisfait du niveau de la proposition, les droits sont cédés. Sinon, il peut chercher à recueillir d'éventuelles autres offres émanant de chaînes tierces.
137. En pratique, il ressort de la plupart des contrats de préfinancement examinés par les services d'instruction que l'exercice du droit de priorité revêt, le plus souvent, un caractère informel. Il est ainsi mis en œuvre dans le cadre d'une simple discussion entre la chaîne qui en est titulaire et le producteur du film ou son mandataire, sans qu'il soit besoin que les négociations soient précédées de la transmission d'une offre émanant d'une chaîne tierce.
b) Le droit de préemption
138. Lorsque les discussions entre la chaîne qui a préfinancé un film et le producteur (ou son mandataire) ne conduisent pas à un accord sur le montant et/ou les modalités de cession d'une fenêtre de diffusion exclusive d'un film dans le cadre prévu pour le droit de priorité, le producteur (ou son mandataire) examine les offres qu'il a reçues des différentes chaînes, sans être tenu de les divulguer aux tiers intéressés.
139. La mise en œuvre du droit de préemption obéit à un certain formalisme. Si le producteur du film ou le distributeur juge satisfaisante l'offre d'une chaîne tierce, il est tenu de la transmettre à la chaîne qui détient le droit de préemption, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par courriel, ouvrant ainsi son droit de préemption pour une période donnée. La chaîne titulaire peut choisir de préempter l'offre ou non.
140. L'offre doit être ferme et, en toute hypothèse, " prête à être acceptée ". La faculté de préempter est, parallèlement, soumise à la condition que la chaîne titulaire du droit de préemption acquière le film à un prix et selon des modalités de diffusion au moins équivalents à ceux proposés dans l'offre ferme (prix, durée de la fenêtre, type de droits, nombre de diffusions, plateforme de diffusion concernée, modalités de paiement, etc.). La chaîne tierce n'a pas la faculté de surenchérir par rapport à l'offre ferme qu'elle a formulée.
141. L'ayant droit est, par ailleurs, libre de retirer le film du marché, sans que la chaîne qui l'a préfinancé ait à donner son accord (cote 2816).
142. Si certains distributeurs, comme Europacorp ou Pathé, ont déclaré systématiquement informer les chaînes émettrices d'une offre du devenir de celle-ci, d'autres ont en revanche indiqué qu'il ne s'agissait pas pour eux d'une pratique habituelle (cote 3224). Ainsi, la chaîne qui émet une offre et ne peut in fine acheter les droits d'un film n'est pas toujours en mesure de savoir si cette situation est due à l'exercice d'un droit de préemption. Elle peut donc parfois estimer, à tort, que les droits de certains films EOF ont été préemptés, alors que son offre n'a pas prospéré pour un autre motif.
143. Le CSA a souligné, dans son avis précité, que l'existence du droit de préemption était de nature à sensiblement ralentir et complexifier le processus de négociation lorsque les producteurs discutent avec une chaîne les droits d'un film coproduit par une autre chaîne (cote 3862).
c) Le champ d'application des droits de priorité et de préemption
Le champ temporel des droits de priorité et de préemption
144. Les droits de priorité et de préemption ne sont pas limités dans le temps et peuvent ainsi être exercés chaque fois que les droits de diffusion du film concerné sont vendus. Par conséquent, la chaîne qui détient des droits préférentiels peut décider de préempter un film dont elle n'avait pas souhaité acheter ou préempter les droits auparavant en raison, par exemple, du succès d'audience observé lors de la diffusion précédente.
145. Par ailleurs, les clauses de préemption des contrats de préfinancement ne prévoient pas explicitement d'obligation de diffuser le film pour la chaîne qui l'exerce. Cette hypothèse reste toutefois purement théorique, dans la mesure où les clauses de priorité et de préemption imposent une diffusion dans les mêmes conditions que celles de l'offre et où les groupes audiovisuels ne disposent pas de ressources suffisantes pour se permettre de procéder à un tel " gel des droits " au détriment de leurs concurrents en achetant des droits de diffusion sans diffuser le film.
L'extension du bénéfice des droits de priorité et de préemption aux chaînes qui préachètent sans coproduire
146. À l'origine, les clauses préférentielles étaient insérées dans les contrats de coproduction, ou bien dans les contrats de préachat dès lors que la chaîne qui préachetait des droits investissait également en parts de coproduction.
147. Il a toutefois été constaté que la pratique a évolué dans le sens d'une déconnexion de plus en plus marquée entre le statut de copropriétaire de l'œuvre (via la coproduction) et le fait de négocier des clauses de priorité et de préemption. En effet, certaines chaînes qui ne sont pas coproductrices bénéficient tout de même de ce type de clauses dans leur contrat de préachat. C'est le cas des chaînes TMC, NT1 (devenue " TFX "), HD1 (devenue " TF1 Séries Films "), M6 et W9 (cote 4030). De même, C8 dispose de cette faculté, conformément à l'engagement 2.2.2 proposé par GCP en 2014 au moment du rachat de D8 et D17, révisé en 2017.
148. Le plus souvent, les chaînes précitées bénéficient des droits de priorité et de préemption lorsqu'elles préachètent une première fenêtre de diffusion en clair. Lorsqu'elles préachètent uniquement des deuxièmes et/ou troisièmes fenêtres, les nouvelles chaînes de la TNT ne bénéficient pas systématiquement de tels droits.
L'extension du bénéfice des droits préférentiels à l'ensemble des chaînes du groupe qui contribue au préfinancement
149. Le bénéfice des droits de priorité et de préemption a été progressivement étendu à l'ensemble des chaînes du groupe à l'origine du préfinancement, même lorsque celles-ci n'existaient pas au moment de la sortie du film en salle. En effet, si, à l'origine, seule la chaîne qui intervenait en tant que coproducteur d'un film pouvait bénéficier de la mise en œuvre des clauses de priorité ou de préemption, l'émergence de groupes audiovisuels regroupant plusieurs chaînes en clair a permis aux chaînes hertziennes " historiques " d'étendre le bénéfice de ces clauses aux nouvelles chaînes de leur groupe - TMC, TFX et TF1 Séries Films pour le groupe TF1, France 4 et France Ô pour le groupe France Télévisions, et W9 et 6ter pour le groupe Métropole Télévision - y compris lorsque celles-ci n'ont pas participé au préfinancement du film.
d) Les justifications à l'ajout des clauses de priorité et de préemption
Une contrepartie du risque pris par les chaînes coproductrices
150. Dans son avis du 24 juin 2015 précité, le CSA a souligné que les droits de priorité et de préemption sont généralement perçus par les chaînes en clair comme une contrepartie du risque pris au moment du préfinancement du film. En effet, de manière générale, l'octroi de ces droits est conditionné à l'importance du risque pris par la chaîne au bénéfice de laquelle il est stipulé. Le producteur ou son mandataire peut refuser de les accorder s'il juge le montant de l'investissement proposé par la chaîne insuffisant (cote 2816).
151. Le CSA a relevé à cet égard, dans son étude d'impact de la demande de modification des conventions des services D8 et D17 (devenus C8 et CStar), que " la pratique habituelle du secteur est que seuls les éditeurs qui acquièrent les premières fenêtres de diffusion des droits de diffusion de films EOF préachetés, négocient des droits de préemption. En effet, le montant des préachats pour les premières fenêtres de diffusion est systématiquement plus élevé que celui investi dans le préachat des fenêtres de diffusion ultérieures. Le primo-diffuseur des films EOF préachetés est donc celui qui bénéficie des clauses de préemption " (cote 4578).
152. Les représentants des chaînes coproductrices auditionnés par les services d'instruction ont unanimement souligné le lien entre les droits de priorité et de préemption et le risque qu'elles prennent au moment du préfinancement des films EOF. Cette analyse est au demeurant partagée par les saisissantes elles-mêmes - pour qui ce type de clauses constitue une compensation du risque de préfinancement en lien avec la logique de coproduction (cote 2794) - ainsi que par les principaux syndicats de coproducteurs et les principaux distributeurs auditionnés par les services d'instruction (cotes 3316, 3321 et 3334).
La rentabilisation des investissements dans la production de films EOF
153. Dans son avis du 24 juin 2015, le CSA a relevé que, selon les responsables des groupes historiques en clair " l'exercice des droits de priorité et de préemption, en sécurisant la diffusion sur leurs différentes antennes de titres porteurs qu'ils avaient préfinancés, permettait de rentabiliser les investissements effectués dans le préfinancement que les seules diffusions des fenêtres préachetées ne permettent que rarement " (cote 3838). Le CSA considère d'ailleurs que l'avantage concurrentiel dont bénéficient les groupes TF1, France Télévisions et Métropole Télévision du fait des clauses de priorité et de préemption peut " être perçu comme représentant une juste contrepartie des investissements élevés de ces groupes dans la production d'œuvres cinématographiques ", et que celles-ci " constituent l'un des facteurs centraux de la pérennité du financement dans la production cinématographique ". Le CSA précise être " soucieux de ne pas rompre les dynamiques actuelles des groupes audiovisuels, qui ont notamment pour effet d'améliorer la rentabilité de leurs investissements en préfinancement dans le cinéma français et ainsi favoriser un cercle vertueux " (cote 3837).
154. En outre, le CSA a souligné que TF1 et M6 s'interrogent régulièrement sur l'efficacité économique et la pérennité de leurs investissements dans le contexte actuel de contraction de la demande des annonceurs et de diminution de leurs recettes publicitaires. Au terme d'une étude visant à mesurer l'efficacité économique de l'investissement des chaînes en clair dans les préachats de films EOF - dont les conclusions figurent dans l'avis lui-même - le CSA a, en effet, observé que peu de films réalisaient lors de leur(s) diffusion(s) des recettes publicitaires supérieures aux montants investis en préachat. Il a également relevé que " l'efficacité " économique des films préachetés s'améliore de façon non négligeable lorsque sont pris en compte l'ensemble des préachats entre chaînes intervenant au préfinancement au sein d'un même groupe, et donc l'ensemble des diffusions effectuées sur les chaînes d'un même groupe (cotes 3837 et 3838).
155. Lors de leur audition par les services d'instruction, les représentants de Métropole Télévision ont confirmé ce constat et déclaré que les investissements en parts de coproduction permettaient de limiter la perte qui résulte nécessairement, selon eux, de l'investissement dans la production cinématographique. Ils ont souligné qu'en facilitant l'accès aux diffusions ultérieures d'un film, les droits de priorité et de préemption permettent au groupe d'envisager une meilleure rentabilisation de ses investissements dans le préfinancement des films EOF, ce qui est de nature à l'inciter à investir en préachats (cotes 3426, 3435 et 12 316). Ils ont, enfin, indiqué que, sans le bénéfice des droits de priorité et de préemption, M6 envisagerait sans doute de diffuser moins de 52 films par an, ce qui aurait pour conséquence de la faire passer sous le seuil d'application du cadre réglementaire relatif à la production cinématographique et ainsi la conduirait à n'acquérir que des films de catalogue (cote 3436).
156. Cette analyse est partagée par les représentants de TF1 (cote 3238).
157. S'agissant des contraintes relatives à la rentabilisation des investissements dans la production cinématographique, France Télévisions se trouve dans une situation singulière parmi les chaînes historiques. Selon les représentants du groupe, le choix d'investir dans un film est en effet moins motivé par une contrainte de rentabilité que par l'obligation de favoriser la diversité et la profondeur de l'offre dans le cinéma telle qu'elle est inscrite dans son cahier des charges (cote 3257). France 2 Cinéma et France 3 Cinéma ne seraient d'ailleurs, selon eux, pas rentables (cote 3258).
2. L'EXERCICE DES DROITS DE PRIORITÉ ET DE PRÉEMPTION
a) L'exercice des droits préférentiels par les chaînes de la TNT gratuite
L'exercice du droit de priorité
158. Il ressort de la lettre des contrats de préfinancement versés au dossier que le droit de priorité doit être systématiquement mis en œuvre par les producteurs (ou leurs mandataires) pour l'exploitation télévisuelle des films dont ils détiennent les droits.
159. Si ces derniers ne sont, en principe, pas censés avoir sollicité le marché avant d'approcher la chaîne titulaire du droit de priorité, les chaînes concernées ne sont pas en mesure de le vérifier. Il a ainsi été observé que certains distributeurs interrogent le marché avant de solliciter la chaîne qui bénéficie du droit de priorité en lui présentant de façon informelle une ou plusieurs offres pressenties. Parfois, également, les ayants droit reçoivent des manifestations d'intérêt de chaînes concurrentes avant que la chaîne qui détient le droit de priorité soit sollicitée dans le cadre de l'exercice de ce droit ou encore que la discussion soit initiée par la chaîne titulaire de ce droit, par exemple au vu des audiences réalisées après la dernière fenêtre préachetée d'un film.
160. Dès lors, les chaînes titulaires du droit de priorité ne sont pas en mesure de s'assurer que les ayants droit n'ont pas sollicité le marché avant de les approcher ou qu'elles n'ont pas été démarchées en ce sens par d'autres chaînes intéressées. Eu égard à ces circonstances, il n'est pas possible d'évaluer, avec une précision suffisante, la mise en œuvre effective de ce droit.
L'exercice du droit de préemption
Les offres préemptées observées sur la période 2009-2015
161. À la différence du droit de priorité, l'exercice effectif du droit de préemption, compte tenu du formalisme dont il est empreint, est quantifiable. Pour la période 2009-2015 - seules données disponibles au dossier - les services d'instruction ont recensé, sans être utilement contestés sur ce point, 54 offres fermes d'achat de droits de diffusion de films EOF de catalogue, concernant 38 films, qui ont été préemptées pour le compte de chaînes de la TNT gratuite sur les 683 offres distinctes transmises au titre de la préemption, soit 7,9 % d'entre elles.
162. Les films préemptés ne présentent pas de caractéristiques homogènes. Les services d'instruction ont constaté que leurs caractéristiques objectives - telles que leur ancienneté au moment de l'édition des offres préemptées, leur budget ou le nombre d'entrées en salle qu'ils ont réalisés - peuvent varier d'un facteur de 1 à 10. Ainsi, à titre d'exemple, ont été préemptés le film Irène - qui a réalisé 240 000 entrées en salle - et le film Taxi 2 - qui en a totalisé 10 millions de plus (cote 13 322).
Le profil des chaînes bénéficiaires des préemptions observées
163. De manière générale, les préemptions portent essentiellement sur des films préfinancés par les chaînes historiques en clair. Cela s'explique par le faible nombre de films préfinancés par les nouvelles chaînes de la TNT, d'une part, mais également, d'autre part, par la difficulté, pour ces dernières, de s'aligner sur les montants plusieurs fois supérieurs aux capacités des nouvelles chaînes de la TNT qui sont proposés par les chaînes historiques en clair pour la diffusion de ces films.
164. Les préemptions observées sur la période 2009-2015 ont essentiellement été exercées au bénéfice des nouvelles chaînes de la TNT appartenant aux groupes qui ont préfinancé les films concernés, et portaient sur des offres émises par d'autres nouvelles chaînes de la TNT. Sur l'ensemble des offres préemptées, seules trois concernaient des diffusions sur des antennes historiques.
165. 32 offres préemptées au bénéfice de nouvelles chaînes de la TNT (soit 59,3 % des offres préemptées observées) portaient sur des films sortis en salle avant le lancement de ces chaînes en 2005.
Les groupes bénéficiaires des préemptions observées
166. Les groupes TF1, Métropole Télévision et France Télévisions ont préempté respectivement 83 %, 11 % et 6 % des offres préemptées observées entre 2009 et 2015.
167. Le nombre de préemptions exercées par le groupe TF1 sur cette période a été compris entre 5 et 9 chaque année de la période considérée : 7 en 2010, 10 en 2011, 9 en 2012, 8 en 2013, 6 en 2014 et 5 en 2015. Métropole Télévision n'a préempté qu'une seule offre en 2009, 2 en 2011, une en 2013 et 2 en 2014. Enfin, les trois offres préemptées par France Télévisions l'ont été en 2009, 2010 et 2012.
Les groupes au détriment desquels s'effectuent les préemptions observées
168. Le graphique ci-après ventile les 54 préemptions observées entre 2009 et 2015 en fonction du groupe auxquelles appartiennent les chaînes dont émanait l'offre ferme qui a été préemptée.
[GRAPHIQUE]
Groupes au détriment desquels se sont exercées les préemptions observées entre 2009 et 2015
169. La plupart des préemptions sont intervenues pour des offres qui émanaient de GCP (41 %) et de Métropole Télévision (35 %).
E. LES ENGAGEMENTS SOUSCRITS PAR LES SAISISSANTES DANS LE CADRE DES DÉCISIONS N° 14-DCC-50 ET N° 17-DCC-93 S'AGISSANT DES FILMS EOF DE CATALOGUE
170. GCP s'est engagé, dans le cadre de la décision n° 14-DCC-50 précitée, puis de la décision n° 17-DCC-93 du 22 juin 2017 portant réexamen des engagements de la décision n° 14-DCC-50 du 2 avril 2014 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Direct 8, Direct Star, Direct Productions, Direct Digital et Bolloré Intermédia par Vivendi SA et Groupe Canal Plus, à limiter le bénéfice des droits préférentiels pour ses filiales en clair et à encadrer l'ensemble des conditions d'achat de droits en clair de films EOF de catalogue.
a) La limitation du bénéfice des droits préférentiels
171. Si, comme indiqué ci-dessus, GCP ne bénéficie pas de droits de priorité et de préemption au titre des préachats de fenêtres payantes par la chaîne Canal Plus, il n'en est pas de même pour les préfinancements de fenêtres en clair par les chaînes C8 et CStar.
172. En 2014, GCP s'est engagé à " Renoncer à toute Clause de Préemption au bénéfice des Chaînes Concernées associée à la diffusion d'un film d'expression originale française dès lors qu'elles n'auraient pas préacheté le droit relatif à la première diffusion en clair de ce film " (engagement 2.2.2).
173. Dans sa décision n° 17-DCC-93 précitée, l'Autorité a accepté de modifier cet engagement, compte tenu de la pratique de marché qui prévaut lorsque plusieurs groupes audiovisuels préachètent les fenêtres de diffusion en clair d'un même film EOF. Désormais, GCP, dès lors qu'il a préacheté une fenêtre en clair d'un film EOF, peut bénéficier d'une clause de priorité et/ou de préemption exerçable de manière alternée avec l'autre chaîne bénéficiant également d'une même clause au titre du préachat d'une autre fenêtre en clair de ce film. Dans ce cas, la clause ne peut être exercée que pour une durée de cinq ans à compter de l'expiration de la dernière fenêtre de diffusion en clair ayant fait l'objet d'un préachat.
b) L'encadrement de la possibilité d'acheter les droits d'un même film en payant et en clair
174. GCP s'est engagé, en 2014 et à nouveau en 2017, à " Ne pas procéder au préachat de droits de diffusion en télévision payante et en télévision en clair pour le même film EOF, pour plus de 20 films au cours d'une même année calendaire dont :
- Au maximum 2 films d'un devis de plus de 15 millions d'euros ;
- Au maximum 3 films d'un devis compris entre 10 et 15 millions d'euros ;
- Au maximum 5 films d'un devis compris entre 7 et 10 millions d'euros (...) " (engagement 2.2.1).
175. Au-delà des 20 films évoqués, GCP s'est notamment engagé à négocier, par le biais d'équipes spécifiques, les droits de diffusion en clair des films EOF de manière séparée et autonome de ses activités de télévision payante. Ces équipes relèveront d'une société distincte pour l'acquisition de droits de diffusion pour la télévision gratuite. GCP ne pratiquera par ailleurs aucune forme de couplage, de subordination, d'avantage ou de contrepartie entre les acquisitions de droits de diffusion en clair et les acquisitions de droits de diffusion en télévision payante (engagement 2.6).
c) La limitation des acquisitions de droits des films EOF auprès de StudioCanal
176. En 2014, puis à nouveau en 2017, GCP s'est engagé à limiter les acquisitions de films français de catalogue par ses chaînes en clair auprès de StudioCanal. En effet, si les droits de préemption dont disposent les chaînes historiques en clair contrebalançaient, en partie, la puissance de GCP qui, via sa filiale StudioCanal, était susceptible d'alimenter ses chaînes gratuites à des conditions préférentielles, l'accès au portefeuille de films de StudioCanal pouvait se trouver verrouillé pour les nouvelles chaînes de la TNT qui ne contribuaient pas significativement à la production cinématographique et ne jouissaient, par suite, que d'un nombre très marginal de droits de préemption.
177. Pour répondre à cette préoccupation, GCP a pris en 2014 l'engagement de limiter les acquisitions de C8 et CStar à StudioCanal au niveau constaté avant le rachat de ces chaînes, c'est-à-dire à 36 % du nombre total et 41 % de la valeur totale de films français de catalogue acquis annuellement par chacune d'elles (engagement 2.3).
178. En 2017, lors de la révision des engagements, l'Autorité a constaté que le catalogue de StudioCanal était devenu moins incontournable qu'en 2014 et a estimé justifié, via l'acceptation d'un engagement modifié de GCP, de rehausser à 50 % en volume et valeur le plafond des achats que ses chaînes en clair peuvent réaliser auprès de StudioCanal.
179. En outre, GCP s'est engagé à limiter la durée des cessions de droits des films du catalogue de StudioCanal à ses chaînes gratuites et à ne pas leur accorder de conditions discriminatoires et préférentielles par rapport aux chaînes gratuites concurrentes (engagement 2.3).
II. Discussion
A. SUR LA DÉLIMITATION DU MARCHÉ PERTINENT
1. SUR LE DEGRÉ DE PRÉCISION DE LA DÉFINITION DES MARCHÉS
180. Il est constant qu'en matière d'ententes anticoncurrentielles, il n'est pas nécessaire de définir le marché avec précision, comme en matière d'abus de position dominante, dès lors que le secteur et les marchés ont été suffisamment identifiés pour permettre de qualifier les pratiques observées et de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en œuvre (voir les décisions n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale, paragraphe 169, n° 17-D-20 du 18 octobre 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des revêtements de sol résilients, paragraphes 417 et suivants, et l'arrêt du Tribunal de première instance du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T-62/98, Rec. p. II-2707, point 230).
181. Il en va toutefois différemment pour des pratiques telles que celles alléguées en l'espèce qui, prises isolément, n'affectent pas le libre jeu de la concurrence de manière suffisamment significative, mais qui sont susceptibles de produire un effet anticoncurrentiel de nature cumulative. Compte tenu des critères posés par la jurisprudence (voir les paragraphes 205 et suivants ci-dessous), une telle hypothèse impose de délimiter le marché pertinent avec une précision suffisante pour être en mesure d'examiner les possibilités pour les concurrents des entreprises mises en cause de s'insérer sur le marché, nonobstant l'existence des pratiques alléguées.
2. SUR LES MARCHÉS DE L'ACQUISITION DE DROITS DE DIFFUSION DE FILMS EOF
a) Sur les délimitations de marché retenues par l'Autorité au titre du contrôle des concentrations
182. Dans sa décision n° 14-DCC-50 précitée, l'Autorité a rappelé, s'agissant de la délimitation des marchés d'acquisition de droits de diffusion télévisuelle d'œuvres cinématographiques, que la pratique décisionnelle effectue traditionnellement une double segmentation en fonction des fenêtres et modes de diffusion, d'une part, et de l'origine de l'œuvre acquise, d'autre part (paragraphe 35).
183. S'agissant plus particulièrement des droits de diffusion en clair de films EOF pour une diffusion gratuite, la pratique décisionnelle distingue traditionnellement le marché de l'achat des droits de films récents et celui de l'achat de droits relatifs aux films de catalogue (paragraphe 38). Cette distinction, qui reste pertinente, est fondée sur la circonstance qu'alors que l'acquisition de films EOF récents prend la forme de préachats qui interviennent avant le tournage, l'acquisition de films de catalogue intervient alors que les films concernés ont déjà fait l'objet d'un premier cycle d'exploitation et que la chaîne connaît leurs entrées en salle et leurs résultats d'audience (voir le paragraphe 112 ci-dessus).
184. Tirant les conséquences de la décision d'annulation du Conseil d'État du 23 décembre 2013 (décision n° 363702), l'Autorité a affiné cette segmentation traditionnelle dans sa décision n° 14-DCC-50 précitée. En effet, pour mémoire, le Conseil d'État avait considéré que l'Autorité avait commis une erreur d'appréciation en acceptant l'un des engagements qui encadrait les acquisitions des parties sur les marchés de droits pour les films français récents en clair. Selon le Conseil d'État en effet, cet engagement ne portait que sur les droits de diffusion de films inédits alors que les chaînes font également l'acquisition, au stade du préfinancement, des droits en clair pour une deuxième et troisième diffusion.
185. L'Autorité a ainsi segmenté le marché des droits de diffusion en clair des films français à la fois selon les modalités d'acquisition, en distinguant les préachats des achats de films de catalogue, et selon le " fenêtrage ", en distinguant, pour les préachats, les droits relatifs à la première fenêtre en clair des droits relatifs aux fenêtres subséquentes. Les premières fenêtres présentent, en effet, une attractivité particulière dans le secteur de la télévision gratuite, liée à la nouveauté du film et à son caractère inédit, atouts potentiels que n'ont pas, sauf exception, les fenêtres subséquentes. Comme il a été constaté ci-dessus (voir le paragraphe 76 ci-dessus) les droits relatifs à une première diffusion en clair sont acquis quasi-exclusivement par les chaînes historiques (TF1, France 2, France 3 et M6) alors que les chaînes de la TNT 2005 et 2012 acquièrent généralement uniquement des fenêtres subséquentes.
186. S'agissant de l'achat de droits de diffusion de films de catalogue, l'Autorité a rappelé, conformément à sa pratique décisionnelle antérieure (voir la décision n° 10-DCC-11 du 26 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe TF1 des sociétés NT1 et Monte-Carlo Participations), que les achats de droits de diffusion de films de catalogue français et américains constituent des marchés distincts compte tenu de leur faible degré de substituabilité, imputable aux obligations de diffusions d'œuvres européennes qui empêchent le report de la demande des chaînes vers des films américains en cas d'indisponibilité ou d'augmentation des prix des films français (paragraphe 70).
187. Dans sa décision n° 17-DCC-93 du 22 juin 2017 précitée, l'Autorité a considéré, sur le fondement des tests de marché réalisés auprès des opérateurs du secteur, qu'il n'y avait pas lieu d'envisager une définition du marché des droits de diffusion en clair des films EOF différente de celle retenue dans la décision n° 14-DCC-50 (paragraphe 60).
b) Sur la nécessité de segmenter le marché des achats de droits de diffusion de films EOF de catalogue
Rappel liminaire
188. Dans la notification des griefs, les services d'instruction avaient estimé que la demande des chaînes en clair avait tendance à s'orienter en priorité vers les films préfinancés par les chaînes en clair et avaient considéré, partant, que ceux-ci étaient les plus attractifs. Ils avaient, de ce fait, restreint le marché pertinent de l'achat de droits de diffusion de films EOF aux seuls films préfinancés par les chaînes en clair (cote 13 330).
189. Mais, au regard des éléments apportés par les entreprises mises en cause dans leurs observations, les services d'instruction ont été conduits à modifier cette analyse et ont finalement retenu dans leur rapport une délimitation du marché pertinent conforme à la pratique décisionnelle rappelée ci-dessus, à savoir le marché des droits de diffusion en clair des films EOF de catalogue.
Les arguments de GCP
190. Dans leurs observations, les saisissantes contestent la délimitation de marché résultant du rapport et appuient celle proposée par la notification des griefs.
191. Elles soutiennent que les films EOF de catalogue préfinancés par les chaînes historiques en clair diffèrent substantiellement des films EOF de catalogue qui n'ont pas bénéficié de ce type de financement et, par conséquent, ne peuvent être considérés comme substituables au sens du droit de la concurrence.
192. Selon elles, en effet, les films préfinancés par les chaînes en clair sont beaucoup plus nombreux que ceux préfinancés par les chaînes de la TNT non adossées. Ils se distinguent par ailleurs des films non préfinancés par le fait qu'ils ont des budgets plus importants et un plus fort potentiel d'audience. De plus, l'accès aux films préfinancés par les chaînes en clair, s'il n'est pas impossible pour les chaînes non adossées à un groupe historique en clair, serait plus difficile, dès lors d'une part qu'elles devraient " surpayer " les droits de diffusion, d'autre part qu'elles sont confrontées à l'exercice des droits de priorité et de préemption. Enfin, le nombre de films de patrimoine - qui ne font, pour la plupart, pas l'objet de droits de priorité et de préemption - serait limité et les chaînes en clair porteraient un intérêt limité aux films récents non préfinancés.
Discussion
193. Aucun des arguments exposés ci-avant n'est de nature à justifier une délimitation du marché pertinent restreinte aux seuls films préfinancés par des chaînes en clair.
194. À titre liminaire, comme rappelé au paragraphe 187 ci-dessus, l'Autorité, dans sa décision n° 17-DCC-93 du 22 juin 2017 dans laquelle elle a procédé au réexamen des engagements pris par les sociétés Vivendi et Groupe Canal Plus dans la décision n° 14-DCC-50, n'a pas considéré nécessaire, au vu du test de marché réalisé auprès des opérateurs du secteur, d'envisager une délimitation du marché des droits de diffusion en clair des films EOF de catalogue différente de celle retenue dans la décision n° 14-DCC-50.
195. Certes, il ressort d'une pratique décisionnelle et d'une jurisprudence constantes que l'examen des marchés pertinents dans le cadre du contrôle des concentrations a un objectif différent de celui auquel il est procédé en matière de pratiques anticoncurrentielles et, qu'en matière de pratiques anticoncurrentielles, l'Autorité n'est pas tenue par cette analyse de marché (voir notamment l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 17 mai 2018, Umicore, n° 2016/16621). Il n'est toutefois nullement exclu que dans certaines hypothèses, les constats opérés lors de l'examen d'une concentration puissent éclairer, dans une certaine mesure, l'analyse du marché propre à l'examen de pratiques anticoncurrentielles. Tel est le cas, notamment, lorsque, comme en l'espèce, les pratiques alléguées sont mises en œuvre à la même époque et que les entreprises concernées sont identiques.
196. Au cas particulier, rien ne justifie que soit retenue une délimitation des marchés pertinents différente de celle qui figure dans la décision n° 17-DCC-93 du 22 juin 2017.
197. En effet, la circonstance que les films préfinancés par les chaînes en clair sont plus nombreux en volume chaque année que ceux préfinancés par les chaînes de la TNT non adossées, est indifférente à l'analyse, dans la mesure où, comme rappelé aux paragraphes 74 et 75 ci-dessus, la quasi-totalité des films préfinancés par les nouvelles chaînes de la TNT sont également préfinancés par des chaînes payantes et, pour la majorité des films concernés en 2017, étaient également préfinancés par des chaînes historiques gratuites.
198. Il en est de même des arguments des saisissantes selon lesquels l'attractivité supérieure des films préfinancés par les chaînes historiques en clair reposerait sur la circonstance que ces derniers sont, le plus souvent, des films au budget important et dont le potentiel d'audience est avéré, ainsi que sur l'existence d'un nombre limité de films de patrimoine attractifs et sur l'intérêt limité porté par les chaînes de télévision aux films non préfinancés.
199. De fait, il peut être admis que les chaînes de télévision gratuite sont amenées, dans leur stratégie de préfinancement, à cibler les films les plus à même de réaliser des audiences conséquentes afin de maximiser la rentabilité de leurs investissements et donc - comme le souligne le CSA dans son avis - à préfinancer en priorité ceux qui ont les budgets les plus élevés, la meilleure distribution et les sujets les plus familiaux. Ce constat ne remet cependant pas en cause la possibilité, pour les chaînes en clair, de substituer à ces films un nombre très important de films qui satisfont aux critères réglementaires relatifs à la diffusion rappelés aux paragraphes 82 à 84 et 87 et suivants de la présente décision.
200. Par ailleurs, il s'excipe de la notion même de marché pertinent, que des produits situés sur le même marché pertinent en raison de leurs caractéristiques objectives, et ainsi considérés comme substituables du point de vue de la concurrence, peuvent être perçus comme différemment attractifs par les consommateurs. Une substituabilité parfaite entre des produits situés sur le même marché s'observant rarement, les autorités de concurrence considèrent comme substituables les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les considèrent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande (voir notamment en ce sens la décision n° 09-D-14 du 25 mars 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de l'électricité, paragraphe 44). Ainsi, le fait - quod non - que les films préfinancés par les chaînes historiques seraient intrinsèquement plus attractifs ne constitue pas, à lui seul, un critère d'appréciation de leur substituabilité.
201. Au surplus, les allégations des saisissantes quant à l'absence d'attractivité des films de catalogue non préfinancés par une ou plusieurs chaînes historiques en clair, ne sauraient être accueillies. En effet, la catégorie des films de catalogue comprend un nombre important de films de cette nature - qu'il s'agisse de films de patrimoine ou de films qui n'ont été préfinancés que par des chaînes de télévision payante - et qui, compte tenu de leurs succès d'audience, peuvent être considérés comme des films attractifs (voir les paragraphes 107 et suivants ci-dessus).
202. Enfin, les allégations de GCP relatives aux difficultés d'accès auxquelles seraient confrontées les chaînes qui ne sont pas adossées à un groupe historique en clair aux films préfinancés par les chaînes historiques en clair en raison de l'existence des droits de priorité et de préemption, portent, en réalité, non sur la délimitation du marché mais sur l'effet des pratiques alléguées et seront examinées à ce titre.
203. Compte tenu de ce qui précède, l'Autorité considère que le marché pertinent sur lequel les effets des pratiques alléguées doivent être appréciés est le marché des achats de droits de diffusion en clair de films EOF de catalogue.
B. SUR LES ENTENTES ALLÉGUÉES
1. SUR LE DROIT APPLICABLE
204. En matière d'effet cumulatif des contrats, les pratiques anticoncurrentielles ne résultent pas d'un accord de volontés de plusieurs concurrents visant à s'entendre, mais de la mise en œuvre indépendante de plusieurs contrats identiques passés par chacun d'entre eux et dont l'effet cumulatif est restrictif de concurrence.
205. La théorie de l'effet cumulatif a pour origine l'arrêt de l'arrêt de la Cour de justice du 12 décembre 1967, Brasseries de Haecht, Aff. 23/67, Rec. p. I-525, dans lequel la Cour a considéré qu'en frappant les accords, décisions ou pratiques en raison, non seulement de leur objet, mais aussi de leurs effets au regard de la concurrence, l'article 85, paragraphe 1, du Traité (devenu article 101, paragraphe 1 du TFUE) implique la nécessité d'observer ces effets dans le cadre où ils se produisent, c'est-à-dire dans le contexte économique et juridique au sein duquel ces accords, décisions ou pratiques se situent et où ils peuvent concourir, avec d'autres, à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence. La Cour a ainsi énoncé que " pour apprécier si elle est frappée par l'article 85, paragraphe 1 [devenu article 101, paragraphe 1 du TFUE], une convention ne peut donc être isolée de ce contexte, c'est-à-dire des circonstances de fait ou de droit ayant pour conséquence qu'elle a pour effet d'empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence ; que, par rapport à cet objectif, l'existence de contrats similaires peut être prise en considération dans la mesure où l'ensemble des contrats de ce genre est de nature à restreindre la liberté du commerce ".
206. Dans une ordonnance du 3 septembre 2009, Lubricantes y Carburantes Galaicos SL, C-506/07, la Cour a précisé, s'agissant d'accords d'achat exclusif, que " si de tels accords n'ont pas pour objet de restreindre la concurrence, au sens de l'article 81, paragraphe 1, CE [devenu 101 du TFUE], il convient toutefois de vérifier s'ils n'ont pas pour effet de l'empêcher, de la restreindre ou d'en fausser le jeu " et que " l'appréciation des effets d'un accord d'achat exclusif implique la nécessité de prendre en considération le contexte économique et juridique au sein duquel celui-ci se situe et où il peut concourir, avec d'autres, à un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence ". Pour procéder à l'examen de tels accords, il convient " d'analyser les effets que produit un tel contrat, en combinaison avec d'autres contrats de même type, sur les possibilités, pour les concurrents nationaux ou originaires d'autres États membres, de s'implanter sur le marché de référence ou d'y agrandir leur part de marché (voir arrêts du 28 février 1991, Delimitis, C-234/89, Rec. p. I-935, points 13 à 15, et du 7 décembre 2000, Neste, C-214/99, Rec. p. I-11121, point 25) " (point 30).
207. Selon la Cour, il importe, à cette fin, en premier lieu, " d'examiner la nature et l'importance de l'ensemble des contrats similaires qui lient un nombre important de points de vente à plusieurs fournisseurs et de prendre en compte, parmi les autres éléments du contexte économique et juridique dans lequel les contrats s'insèrent, ceux qui déterminent les possibilités d'accès au marché de référence. À cet égard, il convient d'examiner s'il existe des possibilités réelles et concrètes pour un nouveau concurrent de s'infiltrer dans le faisceau de contrats. Il y a lieu de tenir compte également des conditions dans lesquelles s'accomplit le jeu de la concurrence sur le marché de référence (arrêts précités Delimitis, points 19 à 22, et Neste, point 26) " (point 31).
208. Cette analyse a été reprise par les juridictions nationales. La cour d'appel de Paris a ainsi considéré, dans un arrêt du 7 mai 2002 relatif à des contrats de prêt de congélateurs prévoyant une exclusivité de stockage, que " l'effet restrictif de concurrence résultant d'un ensemble d'accords de distribution doit s'apprécier au regard de la nature et de l'importance des contrats sur le marché en cause, de l'existence de possibilités réelles et concrètes pour un nouveau concurrent de s'infiltrer dans le faisceau des contrats, et des conditions dans lesquelles s'accomplit le jeu de la concurrence sur le marché de référence, à savoir, notamment, le nombre et la taille des producteurs présents sur le marché, la fidélité de la clientèle aux marques existantes " (cour d'appel de Paris, 7 mai 2002, Masterfoods, n° 2001/06033 et 2001/06091).
209. En second lieu, les juridictions de l'Union comme les juridictions internes jugent avec constance que lorsque l'examen de l'ensemble des contrats similaires révèle que le marché en cause est difficilement accessible, il convient d'apprécier dans quelle mesure les contrats conclus par le fournisseur concerné contribuent à l'effet cumulatif produit par cet ensemble de contrats. La Cour de justice a ainsi jugé, dans un arrêt du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, que " la responsabilité de cet effet de fermeture du marché doit être imputée, selon les règles de concurrence communautaires, aux fournisseurs qui y contribuent de manière significative. Les contrats conclus par des fournisseurs dont la contribution à l'effet cumulatif est insignifiante ne tombent dès lors pas sous le coup de l'interdiction de l'article 81, paragraphe 1, CE [devenu l'article 101, paragraphe 1 du TFUE]. Afin d'apprécier l'importance de la contribution des contrats conclus par un fournisseur à l'effet de blocage cumulatif, il faut prendre en considération la position des parties contractantes sur le marché. Cette contribution dépend, en outre, de la durée desdits contrats. Si cette durée est manifestement excessive par rapport à la durée moyenne des contrats généralement conclus sur le marché en cause, le contrat individuel relève de l'interdiction de l'article 81, paragraphe 1, CE [devenu l'article 101, paragraphe 1 du TFUE] (arrêts précités Delimitis, points 24 à 26, et Neste, point 27) " (voir l'arrêt de la CJCE du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, Aff. C-345/14, non encore publié au recueil, point 32).
210. À cet égard, s'agissant de la contribution de chaque fournisseur (ou distributeur) individuel à l'effet cumulatif de verrouillage, la Commission européenne considère, dans sa communication concernant les accords d'importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE (dite " communication de minimis "), que " lorsque, sur un marché en cause, la concurrence est restreinte par l'effet cumulatif d'accords de vente de biens ou de services contractés par différents fournisseurs ou distributeurs (effet cumulatif de verrouillage de réseaux parallèles d'accords ayant des effets similaires sur le marché), [...] les fournisseurs ou distributeurs individuels dont la part de marché n'excède pas 5 % ne contribuent en général pas d'une manière significative à un effet cumulatif de verrouillage. Un effet cumulatif de verrouillage n'existera vraisemblablement pas si moins de 30 % du marché en cause est couvert par des (réseaux) d'accords parallèles ayant des effets similaires " (Communication concernant les accords d'importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, 2014/C 291/01, point 10).
211. La théorie de l'effet cumulatif a donné lieu à une jurisprudence abondante en droit de l'Union, portant par exemple sur des hypothèses d'engagements d'achat exclusif de bière dans les débits de boisson (voir l'arrêt de la CJCE du 28 février 1991, Delimitis, Aff. C-234/89), d'obligations d'achat exclusif dans le secteur des glaces (voir l'arrêt du TPICE du 8 juin 1995, Langnese Igloo, Aff. T-7/93), de contrats prévoyant des exclusivités de stockage des produits dans des congélateurs mis à disposition à titre gracieux par les fournisseurs (voir l'arrêt du TPICE du 23 octobre 2003, Van Den Berg Food, Aff. T-65/98), de contrats d'exclusivité d'approvisionnement en carburant (voir l'arrêt de la CJCE du 7 décembre 2000, Neste, Aff. C-214/99) ou encore s'agissant d'une clause contenue dans un contrat de location d'espaces commerciaux permettant au preneur de s'opposer à l'implantation de concurrents (voir l'arrêt de la CJCE du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, précité).
2. APPLICATION À L'ESPÈCE
212. Compte tenu du périmètre du marché pertinent retenu, les pratiques alléguées par GCP ne sont pas susceptibles de produire un effet cumulatif de verrouillage suffisamment significatif pour justifier l'application des articles 101, paragraphe 1 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce.
213. En effet, il a été constaté qu'il existe à ce jour un vivier important, que l'on peut estimer, en se fondant sur les données publiques du CNC, à au moins 8376 FIF de catalogue (voir les paragraphes 100 et suivants ci-dessus) au sein duquel les chaînes de la TNT gratuite peuvent puiser pour constituer leur grille de programmes et remplir les obligations de diffusion de films EOF qui leur incombent.
214. Comme relevé au paragraphe 70 ci-dessus, le CNC dénombre 1688 FIF préfinancés par les chaînes en clair agréés entre 1994 et 2014, dont 1074 ont été coproduits.
215. En conséquence, dans la mesure où seuls les films préfinancés par les chaînes en clair font l'objet de droits de priorité et de préemption, ces mêmes droits ne sont susceptibles d'être exercés que sur 20 %des films français de catalogue disponibles (voire 13 %si l'on ne prend en compte que les films coproduits).
216. Or, comme le rappelle la Commission dans sa communication dite " de minimis " précitée, qui, bien que d'application non impérative, constitue un guide d'analyse utile, " un effet cumulatif de verrouillage n'existera vraisemblablement pas si moins de 30 % du marché en cause est couvert par des (réseaux) d'accords parallèles ayant des effets similaires " (point 10).
217. En l'espèce, et en toute hypothèse, il ne saurait être utilement soutenu qu'un faisceau d'accords couvrant le cinquième du marché en cause est susceptible de produire un effet cumulatif de verrouillage suffisamment significatif pour empêcher les concurrents des entreprises mises en cause de s'approvisionner en droits de diffusions de films EOF de catalogue.
218. Par ailleurs, et au surplus, il sera précisé qu'en tout état de cause, l'analyse in concreto de l'effet des pratiques alléguées démontre qu'aucun effet actuel de verrouillage ne pourrait être établi à suffisance en l'espèce.
219. En effet, à supposer qu'un effet cumulatif puisse être reconnu aux contrats de préfinancement conclus par les chaînes en clair depuis le début des années 1990, nonobstant la faible proportion du marché couvert par lesdits accords, force est de constater que le droit de préemption, compte tenu notamment des conditions tenant à la nécessité d'égaler les caractéristiques des offres émanant des tiers, n'est exercé que de manière extrêmement marginale. Ainsi, comme il a été relevé au paragraphe 161 ci-dessus, seules 54 offres fermes d'achat de droits de diffusion de films EOF de catalogue ont été préemptées sur la période étudiée pour le compte des chaînes de la TNT sur les 683 offres distinctes transmises au titre de la préemption, soit moins de 8 % d'entre elles. Dans ces circonstances, il ne peut être utilement soutenu que les clauses de préemption, même envisagées cumulativement, produisent un effet anticoncurrentiel de verrouillage qui aurait pour effet d'empêcher les concurrents de leurs titulaires de s'approvisionner en films EOF de catalogue.
220. Il résulte de ce qui précède que les accords conclus entre les groupes historiques en clair et les producteurs de films EOF ne sont pas susceptibles d'avoir pour effet cumulatif d'entraver la concurrence sur le marché des achats de droits de diffusion des films EOF de catalogue.
III. Conclusion
221. Au vu de ce qui précède et sur la base des informations dont dispose l'Autorité, les conditions d'une interdiction au titre des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce ne sont pas réunies en l'espèce. Il n'y a, par conséquent, pas lieu de poursuivre la procédure, en application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce.
DÉCISION
Article unique : Sur la base des informations dont l'Autorité de la concurrence dispose, il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.
NOTES :
1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.
2 L'agrément de production ou " agrément ", qui est délivré par le CNC, est le préalable nécessaire au déclenchement du soutien financier automatique à la production et il est indispensable pour prétendre aux aides sélectives du CNC. Il concerne tous les films de long métrage français ou réalisés en coproduction internationale qui, dès lors qu'ils remplissent les conditions fixées par la réglementation, sont générateurs de soutien financier du fait de leur exploitation commerciale en salle, de leur diffusion télévisuelle et de leur exploitation sous forme de vidéogrammes destinés à l'usage privé du public. Tous les films français qui sont exploités en salle et diffusés à la télévision ont préalablement reçu un agrément de production du CNC.
3 On peut considérer qu'un film EOF devient film de catalogue cinq ans après la date de délivrance de l'agrément. En effet, un film EOF devient film de catalogue environ quatre ans après sa sortie en salle compte tenu de la chronologie des medias. Il faut ajouter à ce délai celui qui s'écoule entre l'agrément par le CNC et la sortie en salle. Sur la base des données recueillies au cours de l'instruction, ce délai a été estimé à un an en moyenne (pour les films de catalogue agréés depuis 1994 et diffusés au moins une fois en TNT gratuite entre 2009 et 2015, la date de sortie en salle est intervenue en moyenne un an après la date de délivrance de l'agrément (estimations réalisées à partir des tableaux produits par le CNC le 10 mai 2016, cotes 10211 à 10378, et le 11 mai 2017, cotes 12871 à 12914).
4 Les contrats de préfinancement conclus par la chaîne Canal+ pour l'acquisition de fenêtres de diffusion payantes ne comportent jamais de telles stipulations qui, outre le fait qu'elles sont historiquement liées au statut de coproducteur - dont Canal+ ne bénéficie pas lorsqu'elle intervient dans le financement de cette manière - n'ont aucun intérêt pratique compte tenu de la logique éditoriale et économique des chaînes payantes de cinéma qui repose sur l'acquisition et la diffusion de contenus inédits.