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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 mai 2019, n° 16-11338

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Club Opticlibre (SAS)

Défendeur :

Optic LBC (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

M. Bedouet, Mme Comte

Avocats :

Mes André, Di Galante, Lugosi, Segard

T. com. Paris, du 13 avr. 2016

13 avril 2016

FAITS ET PROCÉDURE

La société Club Opticlibre est une centrale d'achat dans le secteur d'activité de l'optique.

La société Optic LBC a pour activité le commerce de détail de produits d'optique.

Le 12 juillet 2012, un contrat de partenariat commercial à durée indéterminée a été conclu entre les sociétés Club Opticlibre et Optic LBC. Aux termes de ce contrat, la société Club Opticlibre s'engage à proposer à la société Optic LBC l'accès aux gammes de produits et services de ses fournisseurs à des conditions commerciales et tarifaires spécifiquement négociées, cette dernière s'engageant à se conformer aux dispositions du contrat afin de bénéficier de ces conditions commerciales et tarifaires et notamment à faire transiter ses achats chez les fournisseurs selon les négociations et référencements de cette dernière.

L'article VI dudit contrat prévoit que des remises de fin d'année personnalisée seront versées par la société Club Opticlibre et l'article X relatif à la durée du contrat indique que le contrat, qui est à durée indéterminée, pourra être dénoncé par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée en respectant un préavis de trois mois précédant la fin de l'année civile, sinon le contrat est reconduit de fait d'une année civile sur l'autre.

La société Club Opticlibre a constaté un arrêt des commandes par la société Optic LBC à compter du mois de février 2013.

Par courrier du 22 mars 2013, la société Club Opticlibre a informé la société Optic LBC qu'elle n'avait pas respecté le délai de préavis contractuel, qu'elle avait connu une baisse de ses commandes et qu'elle entendait obtenir réparation du préjudice que lui causait cette violation du contrat.

Par courrier du 20 juin 2013, la société Club Opticlibre a indiqué à la société Optic LBC qu'elle n'obtiendrait aucune somme au titre des remises de fin d'année 2012 (RFA 2012) dans la mesure où son préjudice excédait ce qui pouvait être dû à ce titre.

Par acte du 3 octobre 2014, la société Optic LBC a assigné la société Club Opticlibre devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir condamner au paiement du solde des remises de fins d'années 2012 dû, soit la somme de 1 952 euros TTC.

Par jugement du 13 avril 2016, le tribunal de commerce de Paris a :

- dit que le contrat n'a pas été valablement dénoncé,

- dit que la société Optic LBC a manqué à une clause essentielle du contrat,

- condamné la société Club Opticlibre à payer à la société Optic LBC la somme de 1 658,40 euros TTC en deniers ou quittance valable portant intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2014,

- débouté la société Optic LBC de sa demande au titre des dommages et intérêts,

- condamné la société Club Opticlibre à payer à la société Optic LBC la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- condamné la société Club Opticlibre aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

La société Club Opticlibre a interjeté appel du jugement par déclaration au greffe du 20 mai 2016.

La procédure devant la cour a été clôturée le 5 mars 2019.

Vu les conclusions du 7 décembre 2016 par lesquelles la société Club Opticlibre, appelante, invite la cour, au visa des articles 1134 et 1147 du Code civil, à :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 13 avril 2016 en ce qu'il a jugé que :

* la société Optic LBC n'a pas respecté les modalités de résiliation du contrat de partenariat,

* la société Optic LBC n'apporte pas la preuve d'un préjudice du fait d'une prétendue résistance abusive de sa part,

- dire que la société Optic LBC n'a pas respecté l'obligation d'approvisionnement exclusif prévue par le contrat,

à titre reconventionnel,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 13 avril 2016 en ce qu'il a jugé que la société Optic LBC a manqué à ses obligations contractuelles en ne respectant pas les modalités de résiliation du contrat de partenariat,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 13 avril 2016 en ce qu'il l'a déboutée pour le surplus et statuant à nouveau :

- fixer le montant de son préjudice à une somme de 2 070 euros,

- condamner en conséquence la société Optic LBC à lui rembourser la somme de 2.070 euros,

en toute hypothèse :

- condamner la société Optic LBC à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Optic LBC aux entiers dépens ;

Vu les conclusions du 10 octobre 2016 par lesquelles la société Optic LBC, intimée, demande à la cour, au visa des articles 1134 et suivants du Code civil, de :

- infirmer partiellement le jugement entrepris,

- condamner la société Club Opticlibre au paiement de la RFA 2012 due à la requérante, soit la somme de 1 952 euros TTC,

- dire que cette somme sera augmentée de l'intérêt légal à compter de l'assignation,

- condamner la société Club Opticlibre au paiement d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

y ajoutant,

- condamner la société Club Opticlibre au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens dont distraction au profit de Maître Lugosi, avocate aux offres de droit ;

SUR CE, LA COUR,

La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Sur les conditions de la résiliation du contrat

La société Club Opticlibre soutient que la société Optic LBC a résilié de fait le contrat en réduisant de manière substantielle ses approvisionnements à compter du mois de janvier 2013 puis en les stoppant totalement à compter de février 2013. Elle relève que cette résiliation s'inscrit dans le cadre du départ précipité de l'ensemble du réseau 10 Strict Opticiens, auquel appartient la société Optic LBC, vers une centrale d'achat concurrente. Elle précise qu'un contrat à durée indéterminée peut comporter des stipulations permettant d'aménager l'exercice de la liberté de résiliation unilatérale. Elle en déduit que les modalités contractuelles de résiliation n'ont pas été respectées, aucune lettre de résiliation n'ayant été envoyée et la résiliation du contrat ne pouvant pas prendre effet avant le 31 décembre 2013.

La société Optic LBC fait valoir que :

- la rédaction de l'article X du contrat est ambiguë dans la mesure où il est précisé que le contrat est à durée indéterminée mais également qu'il est renouvelé tacitement annuellement,

- en principe, lorsqu'un contrat est prévu pour une durée indéterminée, l'une ou l'autre des parties peut se libérer dans le respect d'un préavis dont la durée est fixée par contrat,

- le mécanisme de la tacite reconduction prévaut en matière de contrat à durée déterminée,

- ladite clause est donc rédigée de façon confuse et en déduit que l'opticien signataire pouvait légitimement penser que, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, le préavis de trois mois pouvait être donné à tout moment,

- en présence d'une clause de rédaction confuse et qui établit un véritable déséquilibre entre les parties, il ne peut lui être imposé un préavis supérieur à 3 mois.

- les relations commerciales ont duré moins de 6 mois et la société Club Opticlibre n'a consenti aucun investissement notable à son profit.

L'article X du contrat intitulé " Durée du Contrat " est rédigé comme suit :

" Le présent Contrat est conclu pour une durée indéterminée à compter de la signature et pourra être dénoncé par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en respectant un préavis de trois (3) mois précédant la fin de l'année civile (31/12/N). Sinon, le contrat sera de fait reconduit d'une année civile sur l'autre ".

Il n'est pas contesté par les parties que le contrat est à durée indéterminée mais elles s'opposent sur les modalités de résiliation du contrat.

Dès lors, la société Club Opticlibre ne peut pas soutenir que la résiliation dudit contrat à durée indéterminée ne peut prendre effet le 31 décembre 2013, soit 17 mois après sa signature, et que le contrat ne peut se reconduire tacitement pour une année, ces dispositions contractuelles étant contradictoires, comme le relève justement la société Optic LBC, et contraire au principe relatif à la résiliation des contrats à durée indéterminée, qui peut intervenir à tout moment de l'exécution du contrat.

Dans ces conditions, la résiliation peut être effectuée à tout moment de la durée contractuelle, sous réserve de respecter un délai de préavis de 3 mois.

En l'espèce, la société Optic LBC ne démontre pas avoir résilié le contrat par courrier recommandé respectant un délai de préavis contractuel de trois mois, de sorte qu'elle a commis une faute contractuelle à l'égard de la société Club Opticlibre, ayant cessé de commander significativement auprès de cette dernière à compter du mois de janvier 2013. Il y a donc lieu de fixer la date de la rupture à la date à laquelle les commandes ont baissé. La société Club Opticlibre aurait donc dû bénéficier d'un préavis expirant au 31 mars 2013, ce qui n'a pas été le cas.

Sur la violation de la clause d'approvisionnement

La société Club Opticlibre fait valoir que le contrat imposait à son cocontractant une obligation d'approvisionnement exclusif. Elle indique que le contrat précise d'ailleurs que cette exclusivité est une des conditions essentielles du contrat.

La société Optic LBC conteste avoir été liée auprès de la société Club Opticlibre par une clause d'approvisionnement exclusif.

L'article III intitulé " passation des commandes par l'opticien détaillant " est rédigé comme suit :

" En tant que condition essentielle à la signature du Contrat, l'Opticien Détaillant s'engage, pour la durée du présent Contrat, à transiter ses achats auprès des fournisseurs référencés chez Club Opticlibre ".

Cette clause impose donc à la société Optic LBC de s'approvisionner auprès des fournisseurs référencés par la société Club Opticlibre de manière exclusive pendant la durée du contrat. Cette dernière ne peut utilement invoquer la proposition d'avenant envoyée au mois de janvier 2013 par la société Club Opticlibre, non acceptée par la société Optic LBC, cette proposition d'avenant n'ayant d'ailleurs un effet que pour l'avenir.

La société Club Opticlibre reproche à la société Optic LBC de ne pas avoir respecté son obligation d'approvisionnement exclusif pendant l'année 2013. Aucun délai de préavis n'ayant été respecté, cette clause a nécessairement été violée par la société Optic LBC, qui a donc commis une faute à l'égard de la société Club Opticlibre, mais uniquement pendant la durée du préavis et non pas pendant toute la durée de l'année 2013.

Sur le préjudice subi par la société Club Opticlibre

Il ressort de l'attestation comptable communiquée par la société Opticlibre, dont les chiffres ne sont pas contestés par la société Optic LBC que le chiffre d'affaires annuel réalisé entre les parties en 2012 est de 14 413 euros et qu'en 2013 le chiffre d'affaires réalisé est de 1 186 euros.

Le chiffre d'affaires 2012 mensuel est de 1 201 euros, de sorte que la société Opticlibre pouvait espérer réaliser un chiffre d'affaires de 3 603 euros pendant la durée de préavis de 3 mois. Il apparaît donc que la société Optic LBC a commis une faute en ne respectant pas le délai de préavis la société Opticlibre a perdu un chiffre d'affaires de 2 417 euros (3 603-1 186).

Le préjudice subi par la société Club Opticlibre du fait de la violation des modalités de résiliation contractuelle et de la clause d'exclusivité est identique, correspondant à la marge perdue pendant la période de préavis de trois mois non respectée par la société Optic LBC.

La société Club Opticlibre soutient avoir perdu pour l'année 2013 une marge correspondant à 4,31 % du chiffre d'affaires réalisé avec la société Optic LBC. Ce taux de marge n'est pas contesté par cette dernière.

Ainsi, la société Club Opticlibre a subi comme préjudice la marge perdue pendant les trois mois de préavis dont elle a été privée, soit la somme de 104 euros (2 417 x 4,31 %).

Par ailleurs, la somme de 1 500 euros correspondant à la gestion de frais de dossier ne peut être octroyée, d'abord en ce que ces frais de dossier ne sont pas explicités mais aussi parce qu'ils correspondent aux montants alloués au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il y a donc lieu de condamner la société Optic LBC à verser à la société Club Opticlibre la somme de 104 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les remises de fin d'année personnalisées pour l'année 2012

La société Club Opticlibre explique que le contrat l'autorise à ne pas redistribuer la remise de fin d'année en cas de manquements audit contrat par l'opticien et indique que la clause contractuelle n'est pas déséquilibrée, devant être appréhendée au regard de l'équilibre global du contrat.

La société Optic LBC réplique que la société Club Opticlibre ne peut se prévaloir d'aucun préjudice indemnisable et que ce préjudice n'est ni liquide, ni exigible et, à la différence de la RFA 2012 de sorte que Club Opticlibre ne pouvait en aucun cas effectuer une quelconque compensation.

L'article VI du contrat stipule que :

" La remise de fin d'année personnalisée est versée annuellement par Club Opticlibre avant la fin du mois d'avril N+1, au titre des achats effectués par l'Opticien Détaillant l'année N.

Club Opticlibre se réserve la possibilité d'établir un avoir du montant de ces remises, lequel sera déductible de la facturation mensuelle des achats de l'opticien (c'est-à-dire du mois d'avril ou de mai N+1).

Elle peut être déduite de la facturation du mois d'avril, et des arriérés de paiement.

En cas de manquement au contrat, Club Opticlibre se réserve la possibilité de ne pas redistribuer la remise de fin d'année personnalisée à l'Opticien Détaillant. "

La seule résiliation du contrat ne peut suffire à faire cesser tout droit au paiement des remises de fin d'année sur la période d'exécution du contrat antérieure.

Par ailleurs, les remises de fin d'année dont il est question portent sur l'année 2012, période au cours de laquelle la société Club Opticlibre ne formule aucun grief à l'égard de la société Optic LBC, de sorte qu'elle ne peut invoquer des manquements contractuels de la part de cette dernière pour ne pas lui verser les sommes dues en vertu dudit contrat.

Il est constant que le montant des remises de fin d'année (RFA) due par la société Club Opticlibre à la société Optic LBC est de 1 952 euros TTC.

Il n'y a pas lieu de tenir compte des sommes versées en exécution du jugement prononcé sous le bénéfice de l'exécution provisoire, la cour étant saisie de l'appel de cette décision et devant se prononcer sur le bienfondé de la demande.

Il y a donc lieu de condamner la société Club Opticlibre à verser à la société Optic LBC la somme de 1 952 euros TTC au titre des RFA 2012 avec intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2014, date de l'assignation.

Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive

L'appréciation inexacte qu'une partie se fait de ses droits n'est pas constitutive en soi d'une faute.

La société Optic LBC ne rapporte pas la preuve de ce que la résistance de la société Club Opticlibre à payer les RFA réclamées aurait dégénéré en abus et doit donc être déboutée de sa demande de dommages intérêts.

Le jugement doit donc être infirmé sauf en ce qu'il a débouté la société Optic LBC de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et condamné la société Club Opticlibre aux dépens et à payer à la société Optic LBC la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

La société Club Opticlibre doit être condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à la société Optic LBC la somme de 1 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par la société Club Opticlibre.

Par ces motifs LA COUR, Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société Optic LBC de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et condamné la société Club Opticlibre aux dépens et à payer à la société Optic LBC la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Le confirmant sur ces points ; Statuant à nouveau ; Condamne la société Optic LBC à verser à la société Club Opticlibre la somme de 104 euros à titre de dommages et intérêts ; Condamne la société Club Opticlibre à verser à la société Optic LBC la somme de 1 952 euros TTC au titre des RFA 2012 avec intérêts au taux légal à compter du 3 octobre 2014 ; Y ajoutant ; Condamne la société Club Opticlibre aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à la société Optic LBC la somme de 1 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Rejette toute autre demande.