CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 22 mai 2019, n° 17-23267
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
FG Restauration (SARL)
Défendeur :
Tradiplus (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
M. Bedouet, Mme Comte
Avocats :
Mes Grappotte-Benetreau, Bouzidi-Fabre, Deschryver
EXPOSÉ DU LITIGE
Vu le jugement rendu le 28 novembre 2017 par le tribunal de commerce de Lille qui a :
- débouté la société FG Restauration de toutes ses demandes,
- condamné la société FG Restauration, par application de l'article 700 du Code de procédure civile, à payer la somme de 7 000 euros à la société Tradiplus, celle de 1 500 euros à la société Groupe La Boucherie et celle de 1 500 euros à la société Agapes,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné la société FG Restauration aux dépens.
Vu l'appel relevé par la société FG Restauration à l'encontre de la société Tradiplus, et ses dernières conclusions notifiées le 28 février 2019 par lesquelles elle demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et de l'article 1120 du Code civil, d'infirmer le jugement et de :
1) juger que la société Tradiplus a engagé sa responsabilité contractuelle à son égard en manquant à ses obligations contractuelles d'assistance, de transmission de savoir-faire et d'approvisionnement, en conséquence, la condamner à lui payer la somme de 26 591 euros, sauf à parfaire, à titre de dommages-intérêts et en compensation des redevances versées en 2014 et 2015 sans véritable contrepartie,
2) juger que la société Tradiplus a engagé sa responsabilité en rompant brutalement la relation commerciale de 14 années entières et consécutives qui les liait, que cette rupture est intervenue sans aucun préavis, qu'elle est constitutive d'une faute et que le préavis aurait dû être de 14 mois, constater qu'il en est résulté pour elle un préjudice matériel, financier et moral important, en conséquence, condamner la société Tradiplus à lui payer :
* 99 580,83 euros, sauf à parfaire, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice lié à la rupture brutale des relations commerciales, avec intérêts au taux légal et anatocisme,
* 99 400 euros HT, à parfaire, à titre de dommages-intérêts, en réparation des dépenses induites par les fautes du franchiseur, avec intérêts au taux légal et anatocisme,
* 30 000 euros, à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal et anatocisme en raison du préjudice subi lié à la perte d'image et d'opportunités publicitaires du fait exclusif des agissements de franchiseur,
* 10 000 euros, à titre de dommages-intérêts en raison du préjudice moral subi,
3) condamner la société Tradiplus aux entiers dépens et à lui payer la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions notifiées le 4 mai 2018 par la société Tradiplus qui demande à la cour, au visa des articles L. 442-6 I 5° du Code de commerce ainsi que des anciens articles 1134 et 1147 du Code civil, de :
- constater qu'elle a respecté l'ensemble de ses obligations dans le contrat de franchise conclu avec la société FG Restauration,
- juger que la société FG Restauration est à l'initiative du non-renouvellement du contrat de franchise et qu'elle est responsable de la fin des relations contractuelles,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- débouter la société FG Restauration de toutes ses demandes,
- condamner la société FG Restauration aux entiers dépens et à lui payer la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Le 5 juillet 2001, la société FG Restauration a signé avec la société MS/CO Restauration un contrat de franchise " Bistrot du Boucher " d'une durée de 7 ans pour l'exploitation d'un restaurant à Limoges.
Un nouveau contrat de franchise a été conclu le 3 août 2008 par lequel la société Tradiplus, substituée dans les droits du franchiseur, a concédé à la société FG Restauration l'exclusivité d'exploitation de la marque et de l'enseigne " Le Bistrot du Boucher " pour la ville de Limoges.
Son article 14, intitulé Durée, stipulait :
" Le présent contrat est conclu pour une durée de sept années prenant effet à compter du jour de la signature des présentes. Il ne se renouvellera pas par tacite reconduction. Toutefois, le franchiseur ne pourra pas refuser au franchisé qui aura respecté les dispositions contractuelles la signature d'un contrat identique à celui proposé aux candidats à la franchise Bistrot du Boucher au moment de la fin du présent contrat, sous réserve du droit d'entrée qui sera égal à la moitié du droit d'entrée alors en vigueur dans le réseau. A compter de sept mois avant le terme des présentes, le franchisé pourra exiger du franchiseur l'envoi d'un exemplaire du contrat alors en vigueur dans le réseau.
Pour bénéficier de la poursuite des relations contractuelles, le franchisé devra manifester sa volonté de rester dans le réseau, au moins six mois avant la fin des présentes, par lettre recommandée avec accusé de réception. Le franchiseur devra confirmer ou infirmer le renouvellement au moins trois mois avant la fin du contrat, dans la mesure où le franchisé en fait la demande au moins six mois avant la fin du contrat. "
Le 25 février 2015, la société FG Restauration a adressé à la société Tradiplus une lettre recommandée avec avis de réception rédigée en ces termes : " Par la présente, je vous notifie mon intention de poursuivre nos relations contractuelles ; toutefois, afin de me permettre de me prononcer définitivement, je souhaiterais que vous me fassiez parvenir pour étude et pour asseoir ma position définitive le contrat accompagné de ses avenants que vous entendez me faire régulariser et qui finaliseront la poursuite de nos relations. "
Par lettre recommandée avec avis de réception du 19 mai 2015, la société FG Restauration a écrit à la société Tradiplus : " Par la présente, je prends acte de la rupture du contrat de franchise en date du 3 août 2008... En effet, conformément aux termes de la convention susvisée (article 14) je vous ai informé par courrier recommandé AR en date du 25 février 2015, de mon intention de poursuivre nos relations contractuelles et sollicitais de votre part l'envoi du contrat de franchise à renouveler, notamment pour en connaître les termes précis.
A ma connaissance, ce dernier ne m'a toujours pas été transmis depuis cette date.
Pire, vous n'avez pas estimé utile de confirmer ni d'infirmer une éventuelle perspective du renouvellement dans les délais pourtant stipulés dans le contrat de franchise en date de 2008 (cf. article 14).
En conséquence, et au vu des divers manquements à vos obligations contractuelles en qualité de franchiseur " Bistrot du Boucher ", que j'ai pu constater ces derniers mois, je me vois contraint de quitter le réseau de franchisé au terme du contrat actuellement en vigueur, étant soumis à l'impossibilité matérielle de pouvoir le renouveler dans des conditions acceptables pour la société que je gère. "
Après avoir saisi le tribunal de commerce de Versailles en application d'une clause attributive de juridiction, la société FG Restauration s'est désistée de son instance et a saisi le tribunal de commerce de Lille qui, par le jugement déféré, l'a déboutée de toutes ses demandes.
Sur la demande de dommages-intérêts de la société FG Restauration pour manquement du franchiseur à ses obligations
L'appelante soutient, en premier lieu, que la société Tradiplus a manqué à son obligation d'assistance.
Elle expose en ce sens que le franchiseur :
- n'a pas effectué les visites de formation-assistance semestrielles d'une journée dans son établissement, comme prévu par l'article 9 du contrat,
- l'a privée de toute formation, ne la faisant donc pas bénéficier d'une quelconque transmission de savoir-faire,
- l'a laissée seule lors d'un contrôle réalisé en novembre 2014 par la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (ex DGCCRF) suite à son opération publicitaire indiquant que ses viandes étaient exclusivement d'origine française.
Il apparaît toutefois que c'est seulement par lettre du 25 mars 2015 que la société FG Restauration a fait grief à la société Tradiplus de ne pas l'avoir conseillée ni assistée lors d'un contrôle effectué en novembre 2014.
Dans sa réponse du 1er avril 2015, la société Tradiplus :
- a rappelé à la société FG Restauration qu'elle avait eu à plusieurs reprises M. X et M. Y au téléphone afin de leur donner des éléments de réponse et/ou les procédures à suivre,
- a mentionné que le 8 décembre 2014, elle lui avait fait parvenir les éléments demandés par la DDPP sur la partie animation " menu découverte ",
- lui a précisé, concernant les autres griefs qui portaient sur les annonces du franchisé sur son propre site internet et ses achats de viande, qu'elle ne pouvait avoir plus d'éléments que lui mais qu'elle lui avait demandé par téléphone de lui adresser ses éléments de réponse afin de les transmettre à son service juridique pour relecture, et qu'elle n'avait cependant rien reçu.
La société Tradiplus justifie avoir envoyé un courriel à la société FG Restaurant le 8 décembre 2014 comportant les éléments d'information relatifs au " menu découverte " ; en cet état, le manquement à l'obligation d'assistance n'est pas caractérisé.
Si la société Tradiplus ne produit aucun compte-rendu de visites semestrielles dans le restaurant de la société RG Restauration, cette dernière ne démontre nullement avoir souffert d'un préjudice qui aurait pu résulter de l'absence de ces visites ou d'un manque de formation ou d'assistance.
L'appelante reproche en deuxième lieu à la société Tradiplus une information tardive ou inexistante sur les évolutions de prix des fournisseurs ainsi que l'absence de fournitures d'outils fiables de gestion des dits prix.
Elle se borne de ce chef à se référer à ses pièces 10 à 15 sans toutefois procéder à leur analyse.
Seules la pièce 10 contenant un échange de courriels entre franchisés au cours du mois d'avril 2015 et la pièce 14 relative à un compte rendu de réunion franchiseur/bureau des franchisés portant la date du 13 mai 2015, font état, pour la première de mécontentements sur des prix, et pour la seconde, d'un manque d'information et d'un souhait d'amélioration.
Ces éléments sont insuffisants pour caractériser un préjudice en lien de causalité avec la faute prétendue du franchiseur.
L'appelante reproche en troisième lieu à la société Tradiplus de ne pas lui avoir transmis un quelconque savoir-faire pendant 14 ans; elle rappelle que le dit savoir-faire doit être original, spécifique, éprouvé, actualisé, identifié et doit fournir un avantage concurrentiel; elle allègue que le franchiseur l'a laissée sans assistance, sans formation, sans soutien, abandonnée dans un réseau où de multiples dysfonctionnements sont intervenus tels des problèmes de changement de tarif, de livraison de viande et de communication.
La société Tradiplus réplique à juste raison qu'elle a transmis un savoir-faire, décrit dans le cahier des charges et les manuels remis au franchisé, consistant notamment dans :
- la mise au point d'une formule de repas type " viande et tradition française " vendue " tout compris ", composée de recettes élaborées pour partie par le franchiseur et pour partie par le franchisé,
- une décoration et une ambiance distinguant le restaurant Bistrot du Boucher d'autres concepts de restauration,
- le choix de fournisseurs, pour leur régularité dans la qualité des produits offerts et la ponctualité de leurs livraisons, auxquels toutefois les franchisés ne sont pas contraints de s'adresser,
- une exigence d'homogénéité du réseau cohabitant avec une grande autonomie du franchisé.
La société Restauration ne conteste pas que, comme prévu au contrat, son responsable a bénéficié d'une formation initiale au concept, par le biais d'un stage dans un autre restaurant Bistrot du Boucher d'une durée au moins égale à 1 mois, et que ses responsables de cuisine et maître d'hôtel ont bénéficié d'une formation d'au moins 15 jours.
Le grief tiré de l'absence de transmission d'un savoir-faire sera donc rejeté.
En conséquence, la demande de l'appelante en paiement de la somme de 26 951 euros, à titre de dommages-intérêts, est mal fondée.
Sur les demandes de dommages-intérêts de la société FG Restauration pour rupture brutale de la relation commerciale établie
Au soutien de cette prétention, l'appelante fait valoir :
- que la succession de contrats à durée déterminée est constitutive d'une relation commerciale établie et qu'à l'approche du terme du contrat conclu le 3 août 2008, elle pouvait légitimement croire que ce contrat allait être renouvelé,
- qu'elle se trouvait dans un état de dépendance économique vis-à-vis du franchiseur, ce qui rend la rupture d'autant plus brutale,
- que par sa lettre du 25 février 2015, elle a exprimé sa volonté de poursuivre la relation commerciale et que même auparavant elle l'avait fait en se rendant à une réunion le 28 janvier 2015 à Paris pour négocier les conditions du contrat renouvelé ainsi qu'à d'autres réunions avec le franchiseur,
- que la société Tradiplus lui a laissé croire qu'elle resterait dans le réseau en lui proposant en août 2014 de devenir le pilote du concept à Limoges et en lui adressant le compte rendu des réunions des 11 et 12 mai 2015 ainsi que l'ordre du jour de la commission de réseau tenue les 6 et 7 juillet 2015,
- que la société Tradiplus a laissé expirer le délai de 3 mois dans lequel elle devait se prononcer sur la poursuite ou non de leur relation commerciale,
- que dans une conversation téléphonique du 26 mai 2015, enregistrée sur répondeur, la société Tradiplus a reconnu être à l'origine du non-renouvellement, mais qu'elle n'a rien fait après pour réparer son erreur, ce qui démontre sa volonté de ne pas renouveler le contrat,
- que le compte rendu du 13 mai 2015 ne renferme aucune indication précise sur des renouvellements de contrats et encore moins sur celui conclu avec FG Restauration,
- que le silence gardé par le franchiseur suite à sa lettre du 25 février ainsi qu'à sa lettre du 19 mai 2015 constitue une rupture brutale de la relation commerciale et que c'est son silence fautif qui a conduit au non-renouvellement du contrat.
Elle ajoute que :
- contrairement à ce que prétend la société Tradiplus, ses demandes ne sont pas contradictoires mais fondées sur des fautes distinctes commises à deux moments différents du contrat,
- que lors du renouvellement du premier contrat en 2008, l'article 14 n'a pas été appliqué et que, cette non-application faisant la loi des parties, la société Tradiplus ne peut plus opposer son non-respect, sauf à être déloyale et de mauvaise foi,
- que la société Tradiplus n'a pas respecté l'obligation de mettre à sa disposition un exemplaire du contrat de renouvellement 7 mois avant l'expiration du contrat, comme stipulé à l'article 14, et qu'elle n'était pas en mesure de le faire ainsi qu'elle l'a reconnu lors de la réunion du 13 mai 2015 avec le bureau des franchisés.
Il doit cependant être souligné que le contrat de franchise du 3 août 2008 était conclu pour une durée de 7 ans, sans tacite reconduction de sorte que la société FG Restauration ne pouvait légitimement croire que la relation commerciale allait se poursuivre après le 3 août 2015 sans conclusion d'un nouveau contrat ou nouvel accord entre les parties.
Conformément à l'article 14 du contrat, qui faisait la loi des parties en l'absence de modification ultérieure :
- le franchisé devait manifester sa volonté de rester dans le réseau, par lettre recommandée avec avis de réception, six mois avant l'expiration du contrat, soit avant le 3 février 2015,
- le franchiseur devait confirmer ou infirmer le renouvellement du contrat au moins 3 mois avant la fin du contrat dans la mesure où le franchisé en aurait fait la demande au moins 6 mois avant la fin du contrat.
C'est en vain que la société FG Restauration invoque des pourparlers qui auraient eu lieu pour le renouvellement du contrat avant le 2 février 2015, dont au demeurant elle ne rapporte pas la preuve, la notification de sa volonté de rester dans le réseau de franchise devant faire l'objet d'une lettre recommandée avec avis de réception.
Or, elle n'a manifesté cette volonté que par lettre recommandée avec avis de réception du 25 février 2015, soit après expiration du délai de 6 mois ; elle ne peut donc valablement reprocher à la société Tradiplus de ne pas avoir pris parti sur le renouvellement du contrat au moins 3 mois avant la fin du contrat.
Elle n'a pas usé de la possibilité offerte par l'article 14 d'exiger du franchiseur de lui communiquer, 7 mois avant la fin du contrat, un exemplaire du contrat alors en vigueur dans le réseau ; après sa lettre du 25 février 2015, restée sans réponse, elle n'a pas non plus formulé cette exigence.
Par le compte rendu de la réunion du 13 mai 2015 tenue entre la société Tradiplus et le bureau des franchisés, qu'elle ne conteste pas avoir reçu, la société FG Restauration savait que les franchisés dont le contrat arrivait à échéance cette année-là - tout comme le sien - étaient en attente de contact avec le franchiseur pour discuter des conditions de renouvellement de leurs contrats ; elle a pourtant choisi de rompre la relation commerciale par lettre du 19 mai 2015.
Dans sa conversation téléphonique du 26 mai 2015, la société Tradiplus n'a aucunement reconnu être l'auteur de la rupture, mais a seulement déclaré que c'était en raison d'un "loupé" qu'il n'avait pas été donné suite à la lettre du 25 février 2015.
Elle a regretté cette situation et proposé au dirigeant de la société FG Restauration de le rappeler pour trouver une solution ; cependant la société FG Restauration n'a pas donné suite à cette proposition, ne revenant pas sur la rupture qu'elle avait signifiée au franchiseur par sa lettre du 19 mai 2015.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Tradiplus n'a en aucune façon rompu brutalement la relation commerciale existante, de sorte que les demandes de dommages-intérêts présentées sur ce fondement par la société FG Restauration doivent être rejetées.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
La société FG Restauration, qui succombe, doit supporter les dépens.
Au vu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme supplémentaire de 5 000 euros à la société Tradiplus et de débouter la société FG Restauration de sa demande à ce titre.
Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne la société FG Restauration à payer la somme supplémentaire de 5 000 euros à la société Tradiplus par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la société FG Restauration de l'intégralité de ses demandes, Condamne la société FG Restauration aux dépens de première instance et d'appel.