CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 31 mai 2019, n° 18-24101
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Mareli Medical AB (SARL)
Défendeur :
Laboratoires Vivacy (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gaber
Conseillers :
Mmes Lehmann, Barutel
Avocats :
Mes Vignes, Okraj, Boccon-Gibod, Derot
Vu l'ordonnance contradictoire du 14 septembre 2018 rendue par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris (3e chambre 3e section),
Vu l'appel interjeté le 14 novembre 2018 par la société de droit suédois Mareli Médical AB anciennement dénommée Klinikkdrift Sverige (société Mareli) ;
Vu les dernières conclusions remises au greffe, et notifiées, par voie électronique, le 20 février 2019 par la société appelante ;
Vu les dernières conclusions remises au greffe, et notifiées, par voie électronique, le 12 mars 2019 par la société Laboratoires Vivacy (société Vivacy), intimée ;
Vu l'ordonnance de clôture du 11 avril 2019 ;
SUR CE, LA COUR,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties, étant observé que la cour ne peut apprécier les mentions en langue étrangère non traduites en français, langue du procès.
Il sera simplement rappelé que la société Vivacy domiciliée en France, qui conçoit et distribue des dispositifs médicaux injectables destinés au comblement des rides, reprochant à la société de droit suédois Mareli des actes de concurrence déloyale et de contrefaçon du fait de la commercialisation sur son site internet " marelimedical.com " accessible depuis la France, de produits de ses marques " Stylage " et " Laboratoires Vivacy " sans être agréée en qualité de distributeur exclusif de ces produits, après l'avoir mise en demeure le 26 janvier 2017 de cesser ces pratiques, l'a faite assigner à ces fins le 16 mai 2017 devant le tribunal de grande instance de Paris et réclame la réparation de préjudices d'image, de réputation, ainsi qu'au titre de la diminution de son chiffre d'affaires sur la vente des produits " Stylage ", de l'atteinte à l'image de cette marque et de la perte des investissements réalisés.
Le juge de la mise en état a été saisi par la société Mareli d'un incident aux fins de déclarer les juridictions françaises incompétentes pour connaître de ces demandes et d'inviter la société Vivacy à se mieux pourvoir devant le tribunal des affaires et des droits de la propriété intellectuelle suédois situé dans la juridiction de Stockholm.
Par décision dont appel, le premier juge a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Mareli. Il a par ailleurs dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et réservé les dépens, après avoir mentionné dans ses motifs que les dépens et indemnités pour frais irrépétibles seront réservés.
La société Mareli, appelante, maintient que les juridictions françaises sont territorialement incompétentes pour connaître des actes de concurrence déloyale et parasitaires résultant d'une prétendue atteinte à un réseau de distribution exclusive, ainsi que de la contrefaçon de marques, et réclame 13 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
L'intimée fait valoir que ses demandes au fond ayant une nature délictuelle, elle est fondée à agir devant les juridictions du lieu du fait dommageable.
Il ressort d'un procès-verbal de constat internet du 28 mars 2017 que le site marelimedical.com présente divers produits " Stylage ".
Il n'est pas discuté qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne (UE) peut être attraite devant les juridictions d'un autre Etat membre où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire en matière délictuelle ou quasi délictuelle.
Le premier juge a exactement rappelé qu'en ce qui concerne les faits de concurrence déloyale et parasitaire pour atteinte au réseau de distribution sélectif, il convient de rechercher le point de rattachement objectif et pertinent, que le tribunal saisi doit être situé sur le territoire de l'Etat membre qui protège l'interdiction de vente en dehors d'un réseau de distribution exclusive et que le distributeur doit pouvoir faire valoir un dommage sur ce territoire.
La société Mareli domiciliée dans un Etat membre de l'UE soutient cependant que :
- l'existence d'un réseau de distribution exclusive en France n'est pas démontrée, le contrat de distribution invoqué ne visant pas la France,
- le litige est né en Suède ensuite de la réclamation formée à son encontre par un distributeur suédois (la société Medicera) de la société Vivacy,
- seule une réduction des ventes des produits litigieux sur le territoire français pourrait justifier la compétence du juge français,
- il n'est fait état d'aucun dommage commis ou susceptible d'être commis en France ni baisse du chiffre d'affaires, ni perte d'investissements promotionnels.
Il résulte des pièces produites que la société française Vivacy, fabricant et distributeur des produits " Stylage " a entendu étendre la distribution de ses produits à d'autres pays.
Elle a conclu en novembre 2016 avec une société suédoise, la société Medicera précitée, qui n'est pas en cause, un contrat de distribution exclusive de ses produits pour la Suède et trois autres pays mais non la France.
Toutefois, le distributeur suédois s'est engagé, tant dans le contrat que dans l'annexe "qualité" à communiquer les informations relatives à son marché pour que le fournisseur domicilié en France puisse s'y adapter et il n'est pas sérieusement contesté que c'est ce distributeur qui a alerté la société Vivacy de la difficulté tenant à la commercialisation par une autre société suédoise des produits en cause.
Il ne saurait dès lors être considéré que la société Vivacy n'a pas intérêt à agir à l'encontre du concurrent suédois de son distributeur exclusif, ni que la France ne constituerait pas un point de rattachement objectif et pertinent, alors que le contrat de distribution a été conclu en France, qu'il prévoit que les juridictions parisiennes sont compétentes pour toutes contestations relatives à son exécution, et qu'il y a bien un risque de dommage en France pour le fournisseur du fait de la commercialisation des produits dont s'agit sans son autorisation dès lors qu'il a consenti un contrat de distribution exclusive à un autre acteur suédois, étant observé qu'il importe peu que d'autres acteurs puissent également agir en violation d'un contrat de distribution exclusive.
Le premier juge a ainsi pu pertinemment relever que l'interdiction de revente hors réseau était sanctionnée par le droit français et qu'étaient invoqués des dommages subis sur le territoire français par la société Vivacy en sa qualité de fournisseur, laquelle invoque notamment une diminution du chiffre d'affaires consécutive à la baisse des prix de vente consentis à son distributeur à raison de la violation de revente hors réseau en cause.
Il s'en infère que la cour ne peut qu'approuver la décision de première instance en ce qu'elle a retenu que le tribunal de grande instance de Paris était compétent pour connaître du litige.
S'agissant de la contrefaçon, il n'est pas contesté que le tribunal des marques communautaires français est compétent territorialement si les faits sont commis ou menacent d'être commis en France.
La société Vivacy est titulaire, entre autres, des marques communautaire et française " Stylage " enregistrées respectivement le19 juin 2008 et le 18 décembre 2014 (n° 7002132 et 4143136) ainsi que d'une marque internationale " Stylage " désignant l'UE enregistrée le 18 mai 2015 (n° 1258327) en particulier pour des gels à usage médical pour le comblement des rides, et il n'est pas discuté que des produits marqués " Stylage " sont commercialisés par la société Mareli sur son site internet.
La société Mareli soutient cependant qu'il ne suffit pas en matière de contrefaçon de maques que le site internet incriminé comme reproduisant les produits contrefaisants soit accessible en France et qu'il n'existe pas de lien significatif avec la France, s'agissant d'un site qui n'est pas destiné au public français, étant édité en suédois et en anglais sans proposition de traduction en français alors que la traduction est un élément essentiel pour l'acheteur de produits relevant du domaine médical et qu'ainsi aucun impact sur le territoire français ne peut être retenu.
S'il résulte du procès-verbal de constat précité que le site marelimedical.com est en langue anglaise, il n'est pas sans intérêt d'observer qu'il montre clairement des boites " Stylage " avec des prix en euros, et non en monnaie suédoise, et que d'autres sites (prime-journal.com, cosmetcinewsuk.com ou le site vivacy.eu) présentent des articles sur les " laboratoires Vivacy " ou " Stylage " également en langue anglaise.
Les produits litigieux s'adressent par ailleurs aux professionnels de santé, soit, selon un article de presse produit aux débats en pièce 13 par l'intimée, à une clientèle de médecins esthétiques, chirurgiens plastiques et dermatologues, laquelle peut facilement connaître ces produits dès lors qu'ils sont fabriqués et commercialisés en France, d'autant que des articles de presse en langue française montrent que la gamme Stylage a fait l'objet d'une communication sur le territoire national (article du quotidien Le Monde du 26 septembre 2015, articles de la revue Entreprendre et d'Anti-Age magazine).
Il ne peut dès lors être retenu que le seul fait que le site incriminé ne soit accessible en France qu'en langue anglaise permettrait de considérer qu'il n'est pas à destination du public français pertinent.
Il en résulte que le premier juge a à juste titre rejeté l'exception d'incompétence retenant que le tribunal des marques communautaires français est compétent territorialement.
Il convient en conséquence de confirmer la décision entreprise, sauf à statuer sur les frais et dépens d'incident qui apparaissent avoir été réservés.
Par ces motifs, Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en celle relative aux frais et dépens, Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ; Condamne la société Mareli Medical AB aux dépens de première instance et d'appel, et, vu l'article 700 du Code de procédure civile, rejette toutes les demandes formées à ce titre par les sociétés Mareli Medical AB et Laboratoires Vivacy pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel.