CA Toulouse, 2e ch., 29 mai 2019, n° 17-06076
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Dike Deco (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Penavayre
Conseillers :
Mme Truche, M. Sonneville
Avocats :
Mes Narboni, Alis
EXPOSE DU LITIGE
La SARL Dike Deco a pour activité la fabrication, l'achat et la vente d'articles de décoration pour tous types de magasins, centres commerciaux et centrales.
Suivant contrat à durée indéterminée conclu le 22 février 2010, la SARL Dike Deco a donné mandat à Monsieur X de la représenter, sans exclusivité, dans les départements 31, 81, 82, 12, 65, 32 et 11 en vue de la vente des produits visés dans une liste annexée au contrat.
Par lettre recommandée du 4 juillet 2013, la société Dike Deco a notifié à son agent qu'elle reprenait directement la gestion les centres commerciaux Toulouse/Purpan et Le Méridien à Ibos (65), lui demandant de ne plus démarcher ces clients.
Par courriel du 17 janvier 2014, la SARL Dike Deco lui a demandé d'envoyer le récapitulatif de son chiffre d'affaires depuis février 2010 " afin de mettre fin au contrat ".
Par courriel du 29 janvier 2014, elle a proposé de lui verser la somme de 1 945,86 euros (8 % sur le montant des commissions depuis 2010) à titre de fin de contrat.
Par courrier officiel du 18 février 2014, le conseil de Monsieur X a pris acte de la rupture du contrat d'agent commercial et sollicité une indemnité de 15 820,62 euros outre solde de commissions de l'année 2013.
Par courrier du 23 avril 2015, la société Dike Deco a contesté qu'une rupture du contrat soit intervenue.
Par acte d'huissier du 18 août 2014, Monsieur X a assigné la SARL Dike Deco devant le tribunal de grande instance de Toulouse en paiement de différentes indemnités au titre de la rupture du contrat.
Par jugement du 20 juin 2017, le tribunal de grande instance de Toulouse a :
- dit que la rupture du contrat d'agent commercial liant les parties est imputable à la SARL Dike Deco
- condamné cette dernière à payer à Monsieur X la somme de 9 389,50 euros au titre de l'indemnité de rupture et 1 173,69 euros au titre de l'indemnité de préavis
- rejeté les autres demandes
- condamné la SARL Dike Deco à payer à Monsieur X la somme de 2 500 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
- rejeté les autres demandes.
La SARL Dike Deco a interjeté appel de cette décision le 21 décembre 2017.
Au terme de ses conclusions notifiées le 30 juillet 2018, la SARL Dike Deco demande à la cour :
- d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit que la rupture du contrat d'agent commercial est imputable à la société,
- de débouter Monsieur X de sa demande de résiliation du contrat d'agent commercial,
- de dire qu'il est à l'origine de la rupture du contrat
- de débouter Monsieur X de l'ensemble de ses demandes
- de confirmer la décision en ce qu'elle a débouté Monsieur X de sa demande de dommages et intérêts complémentaires pour manquement à l'obligation de loyauté
- de condamner Monsieur X à lui payer la somme de 4 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
- de mettre à sa charge les entiers dépens de l'instance.
Elle soutient pour l'essentiel qu'elle n'a pas pris l'initiative de la rupture et que cette dernière ne lui est pas imputable dès lors que l'agent ne bénéficiait d'aucune exclusivité. Elle rappelle qu'elle était en droit de démarcher par elle-même les deux clients litigieux dès lors que le droit à commission était respecté.
Elle prétend également qu'aucune indemnité de contrat n'est due à un agent commercial qui manifeste son désintérêt dans l'exécution de son mandat en ne prospectant pas la clientèle ainsi qu'en témoigne la baisse constante du chiffre d'affaire de Monsieur X qui est passé de 7 719,23 euros en 2010 à 1 909,54 euros en 2013.
À titre subsidiaire, elle soutient qu'il ne peut se prévaloir d'aucun préjudice dès lors que si les relations s'étaient poursuivies, il n'aurait pas perçu de commissions dans les proportions qu'il revendique.
Monsieur X a conclu le 12 juin 2018 à la confirmation de la décision en ce qu'elle a jugé que la rupture du contrat d'agent commercial était imputable à la SARL Dike Deco et à l'infirmation pour le surplus.
Il réclame la condamnation de la société Dike Deco à lui payer les sommes suivantes :
- 1 473,58 euros au titre de l'indemnité de préavis
- 11 788 au titre de l'indemnité de rupture
- 3 500 à titre de dommages et intérêts en raison de la déloyauté du mandant
- 3 500 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
ainsi que le rejet des prétentions adverses.
Il fait valoir :
- que la société Dike Deco s'est attribuée, de façon déloyale, deux clients représentant plus des deux tiers de son chiffre d'affaires qu'il avait personnellement démarchés et que la clause de non exclusivité ne l'autorisait pas à s'attribuer des clients déjà traités par lui
- que la société Dike Deco a exécuté de mauvaise foi le contrat d'agence commerciale et la rupture du contrat lui est imputable en raison de son comportement fautif dès lors qu'elle lui a retiré 70 % de son chiffre d'affaires
- qu'il a exécuté loyalement son mandat et aucune faute ne peut lui être reprochée.
Il réclame une indemnité de résiliation calculée sur la moyenne des commissions perçues depuis 2010 pour tenir compte du fait qu'en 2013 son chiffre d'affaires a chuté de plus de 50 % du fait du retrait des deux clients litigieux.
Il y a lieu de se reporter expressément aux conclusions susvisées pour plus ample informé sur les faits de la cause, moyens et prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est en date du 11 février 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la rupture du contrat d'agent commercial :
L'article L. 134-12 du Code de commerce dispose qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice du préjudice subi.
Selon l'article L. 134-13 du même Code la réparation prévue à l'article précédent n'est pas due dans les cas suivants :
- lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial
- lorsque la cessation du contrat résulte d'une initiative de l'agent, à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant.
En l'espèce la société Dike Deco conteste être à l'initiative de la rupture et prétend qu'en réalité le contrat n'a jamais été rompu ni en janvier 2014 ni par la suite.
Cependant il résulte de la chronologie des courriels échangés entre les parties que par mail du 27 janvier 2014, elle lui a demandé de communiquer le récapitulatif de son chiffre d'affaires " afin de mettre fin au contrat " et que le 29 janvier 2014, elle lui a effectué une proposition " de fin de contrat " qu'elle a chiffrée à 8 % du montant des commissions versées depuis 2010 (pour un total de 24 323,66 euros) soit la somme de 1 945,86 euros.
Par la suite des pourparlers ont été engagés entre les parties qui n'ont pu parvenir à un accord sur le montant de l'indemnité de rupture et que c'est dans ce contexte que le conseil de Monsieur X a, par courrier officiel du 18 avril 2014 pris acte officiellement de la rupture du contrat et réclamé une indemnité de rupture de 15 820,62 euros outre le solde des commissions de l'année 2013.
Il en résulte que contrairement à ce qu'elle soutient, la rupture du contrat a bien été signifiée par la société mandante en janvier 2014, bien que les conditions formelles prévues au contrat d'agence commerciale n'aient pas été respectées (notification par lettre recommandée) et les relations contractuelles ont cessé entre les parties à partir de cette date, ce qui n'est pas contesté.
À ce stade il n'y a pas lieu d'examiner les raisons qui ont motivé la rupture de confiance entre les parties dès lors que le mandant peut toujours mettre fin au contrat, en respectant les conditions contractuelles et statutaires.
La société Dike Deco est donc redevable de l'indemnité de fin de contrat sauf à ce qu'elle établisse que la cessation des relations contractuelles résulte d'une faute grave de l'agent commercial.
La faute grave est celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel.
Il convient de distinguer la faute grave justifiant la privation d'indemnité de rupture, du simple manquement aux obligations contractuelles justifiant la rupture du contrat.
Il sera observé qu'à aucun moment, la société Dike Deco n'a formulé au cours de l'exécution du contrat et en tout cas antérieurement au mois de janvier 2014, un quelconque reproche concernant l'activité de prospection de son agent qu'elle estime aujourd'hui insuffisante et il n'est justifié d'aucun élément à l'appui de son courrier du 23 avril 2014 qui en fait état pour la première fois.
L'insuffisance de prospection ne peut se déduire de la seule baisse du chiffre d'affaires alors qu'en l'espèce il a été retiré l'agent commercial deux clients importants, à savoir le centre commercial Toulouse/Purpan ainsi que le centre commercial Carrefour Le Méridien à Ibos qui représentaient environ 70 % de son chiffre d'affaires.
Dès lors, faute pour elle de prouver que Monsieur X a commis une faute d'une gravité telle qu'elle serait de nature à le priver du versement de l'indemnité de rupture, il y a lieu de confirmer le jugement du 20 juin 2017 qui a dit que Monsieur X avait droit au versement de l'indemnité de rupture prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce.
Sur le montant de l'indemnité de rupture :
L'indemnité de cessation de contrat dû à l'agent commercial a pour objet de réparer le préjudice subi qui comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon leur nature.
Selon les usages, elle est fixée à la moyenne du chiffre d'affaires des trois dernières années mais le tribunal peut allouer une somme moindre ou plus élevée en fonction du préjudice effectivement subi.
Le montant des commissions perçues par Monsieur X sur la période 2010 à 2013 n'est pas contesté.
La rupture étant intervenue en janvier 2014, il y a lieu de prendre en compte la moyenne des trois dernières années c'est-à-dire les années 2011 à 2013 et de confirmer la décision du premier juge qui, après avoir déterminé un chiffre d'affaires moyen de 4 694,75 euros, a alloué une indemnité de rupture de 9 389,50 euros et une indemnité de préavis de 1 173,69 euros.
Monsieur X ne peut sérieusement demander de prendre en compte l'année 2010 pour calculer la moyenne de son chiffre d'affaires alors que cette année est hors période.
Quant à la société Dike Deco qui demande de réduire l'indemnité au motif que si les relations s'étaient poursuivies, il n'aurait pas perçu de commissions dans les proportions qu'il revendique du fait de la perte du client Carrefour Purpan notifiée le 15 juillet 2013, elle ne peut être suivie dans ses explications puisque l'indemnité est calculée sur les indemnités effectivement perçues et non pas sur des bases prospectives.
Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté :
Monsieur X réclame une indemnité de 3 500 en faisant valoir que son cocontractant a manqué de loyauté dans l'exécution du contrat les liant.
Il est établi que la société B. a notifié le 4 juillet 2013 à son agent qu'elle reprenait directement la prospection des centres commerciaux de Toulouse et d'Ibos ce qui représentait une part très importante de son chiffre d'affaires.
Toutefois selon l'article 3 du contrat d'agence commerciale, l'agent ne bénéficiait d'aucune exclusivité sur le secteur concédé et la zone pouvait également être prospectée par d'autres préposés de la société ainsi que par la direction.
En l'absence d'exclusivité et sous réserve que son droit à commission soit respecté, Monsieur X ne peut dès lors se plaindre d'aucun agissement déloyal de la part de la société mandante et ce d'autant que dès la fin du mois de juillet 2013, le centre commercial de Purpan/Toulouse notifiait à la société Dike Deco qu'elle n'était pas retenue pour le marché des décorations de Noël en sorte le montant de ses commissions aurait nécessairement subi une baisse notable, indépendamment du changement de politique commerciale de son mandant.
En tout état de cause l'intimé ne justifie d'aucun préjudice distinct de celui occasionné par la rupture pour lequel il a été indemnisé.
Dès lors il y a lieu de confirmer la décision qui a à bon droit rejeté ses prétentions de ce chef.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimé, partie des frais irrépétibles qu'il a exposés pour assurer sa représentation en justice. Il y a lieu de confirmer la somme allouée en première instance et de lui allouer un outre pour les frais exposés en cause d'appel la somme de 2 000.
La société Dike Deco qui succombe dans ses prétentions ne peut prétendre à aucune indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement du 20 juin 2017 en toutes ses dispositions, Déboute la société Dike Deco de l'ensemble de ses prétentions contraires ; Dit n'y avoir lieu à allouer une indemnité sur le fondement de l'article 700 à la société Dike Deco, Condamne la société Dike Deco à payer à Monsieur X une somme de 2 000 pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel.