CA Rouen, ch. civ. et com., 23 mai 2019, n° 17-01793
ROUEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fécamp Distribution (SAS)
Défendeur :
Carrefour Hypermarchés (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bertoux
Conseillers :
Mmes Mantion, Debeugny
Avocats :
Mes Gacouin, Langlois, Moreau
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant requête en date du 11 décembre 2013, la société Fécamp Distribution a saisi le président du tribunal de commerce du Havre, au visa de l'article 145 du Code de procédure civile, afin qu'il désigne un huissier chargé notamment de se rendre au supermarché à l'enseigne Carrefour rue Charles Leborgne à Fécamp (76400) afin d'établir un constat relativement à la présentation à l'intérieur du magasin de deux caddies présentant des articles mis en vente d'une part par la société Fécamp Distribution et d'autre part par la société Carrefour Hypermarchés comportant une comparaison de prix entre les différents caddies exposés faisant ressortir un avantage profit de la société Carrefour Hypermarchés et vérifier la présence des produits, objets de cette publicité au sein des magasins Carrefour de Fécamp, ainsi que le cas échéant dans les stocks du magasin, ainsi que les prix affichés et pratiqués au passage en caisse.
Le 11 décembre 2013, le président du tribunal de commerce du Havre a rendu une ordonnance autorisant la société Fécamp Distribution à faire constater par voie d'huissier la présentation de cette publicité comparative.
Le 19 décembre 2013, l'huissier de justice a établi son constat et son rapport.
Le 11 février 2014, la société Fécamp Distribution a sollicité en référé la désignation d'un expert chargé d'analyser les informations recueillies par l'huissier de justice, demande à laquelle il a été fait droit, par ordonnance du 26 mars 2014 du président du tribunal de commerce du Havre.
La société Carrefour Hypermarchés ayant fait appel de l'ordonnance du 26 mars 2014 rendue par monsieur le président du tribunal de commerce du Havre, celle-ci a été confirmée par arrêt de cette cour en date du 20 janvier 2015, le premier président de la cour d'appel de Rouen, par une ordonnance du 18 juin 2014, ayant par ailleurs rejeté la demande de suspension d'exécution provisoire présentée par la société Carrefour Hypermarchés.
La société Carrefour Hypermarchés s'étant pourvue en cassation le 29 avril 2015 contre l'arrêt de la cour du 20 janvier 2015, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi.
Par assignation en date du 14 octobre 2015, la société Fécamp Distribution a assigné la société Carrefour Hypermarchés devant le tribunal de commerce du Havre aux fins de dire que cette dernière a commis des actes de concurrence déloyale en effectuant une publicité comparative illicite et non conforme aux exigences requises par la loi et la condamner en conséquence au paiement de la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts et voir ordonner la publication du jugement par insertion dans un journal et affichage du jugement au sein du magasin Carrefour de Fécamp.
La société Carrefour Hypermarchés s'est opposée à ces demandes et a formé une demande reconventionnelle afin que le tribunal dise que la publicité " Bravo vous avez fait vos courses chez le moins cher " apposée en bas du ticket de caisse de la société Fécamp Distribution est constitutive de publicité trompeuse et/ou de publicité comparative illicite ; lui enjoindre de cesser cette pratique sous astreinte et ordonner la publication du jugement à intervenir notamment en bas des tickets de caisse, sollicitant en outre sa condamnation au paiement d'un euro symbolique à titre de dommages et intérêts.
Par jugement en date du 24 mars 2017, le tribunal de commerce du Havre a :
- reçu la société Fécamp Distribution en ses demandes mais les a déclarées non fondées ;
- reçu la société Carrefour Hypermarchés en ses demandes reconventionnelles et les a déclarées partiellement fondées ;
- jugé que la publicité élaborée par la société Fécamp Distribution est constitutive de publicité trompeuse et de publicité comparative illicite,
- enjoint à la société Fécamp Distribution de cesser d'apposer le slogan " Bravo, vous avez fait vos courses chez le moins cher " sur tous ses tickets de caisse, et ce, sous astreinte de 100 euros par tickets, violant cette interdiction à compter de la signification du jugement ;
- condamné la société Fécamp Distribution à verser à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 1 euro symbolique à titre de dommages et intérêts,
- ordonné à la société Fécamp Distribution de reproduire sur ses tickets de caisse la mention suivante : " par jugement du (...) rendu par le tribunal de commerce du Havre, la mention suivante reproduite sur nos tickets de caisse " Bravo, vous avez fait vos courses chez le moins cher " a été déclarée trompeuse et dénigrante à l'égard du magasin Carrefour de Fécamp " et ce, au même emplacement que le slogan dénoncé et selon les mêmes polices et taille de caractères, pendant le délai d'un mois, et sous astreinte de 100 euros par ticket non conforme à compter d'un délai de 8 jours suivant la signification du jugement,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
- débouté les parties de leurs autres ou plus amples demandes ;
- condamné la société Fécamp Distribution aux entiers dépens, ceux visés à l'article 701 du Code de procédure civile étant liquidé à la somme de 82,08 euros et à payer à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 7 500 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Fécamp Distribution a formé appel de ce jugement, par déclaration reçue le 4 avril 2017 au greffe de la cour.
Par ailleurs, elle a fait assigner la société Carrefour Hypermarchés devant le premier président de la cour qui par ordonnance en date du 17 mai 2017 a ordonné la suspension de l'exécution provisoire du jugement relativement à la mesure de publicité sur les tickets de caisse de la société Fécamp Distribution disant que la publicité " Bravo vous avez fait vos courses chez le moins cher " a été déclarée trompeuse.
Par conclusions notifiées le 14 décembre 2018, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés, la société Fécamp Distribution demande à la cour, au visa des articles L. 122-1 et suivants du Code de la consommation et de l'article 1240 du Code civil, de :
- la recevoir en son appel et le déclarer bien fondé ;
En conséquence :
- dire et juger que la société Carrefour Hypermarchés exploitant un fonds de commerce à Fécamp sous l'enseigne Carrefour a commis des actes de concurrence déloyale au détriment de la société Fécamp Distribution en effectuant une publicité comparative illicite et non conforme aux exigences requises par la loi ;
En conséquence :
- condamner la société Carrefour Hypermarchés à verser à la société Fécamp Distribution la somme de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- ordonner la publication du jugement à intervenir dans le journal régional Paris Normandie et ce à raison de 2 500 euros par insertion, et ce au besoin à titre de dommages et intérêts complémentaires ;
- ordonner l'affichage du jugement à intervenir sur les portes d'accès du magasin de la société Carrefour Hypermarchés de Fécamp sous forme d'affiche de taille similaire à celle qui avait été réalisée pour la publicité comparative et sur des affiches à l'endroit où l'affichage litigieux avait été constaté, de même taille que celle qui avait été apposée à l'intérieur du centre commercial pendant une durée d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard en cas de non affichage dans le délai et pendant la durée prévue;
- dire et juger que la mention " bravo, vous avez fait vos courses chez le moins cher. A très bientôt " n'est ni une publicité comparative, ni une publicité trompeuse, ni une publicité dénigrante à l'encontre de la société Carrefour Hypermarchés ;
- débouter la société Carrefour Hypermarchés de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Très subsidiairement :
- réformer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société Fécamp Distribution à faire figurer sous astreinte pendant un mois à compter de la signification de la décision la mention par jugement du 24 mars 2017 rendu par le Tribunal de Commerce du Havre, la mention suivante " bravo vous avez fait vos courses chez le moins cher " a été déclarée trompeuse et dénigrante à l'égard du magasin Carrefour de Fécamp ;
- condamner la société Carrefour Hypermarchés à verser à la société Fécamp Distribution la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Carrefour Hypermarchés aux entiers dépens comprenant notamment les frais d'huissier et d'expertise.
La société Fécamp Distribution fait valoir au soutien de son appel que la publicité comparative de la société Carrefour Hypermarchés est illicite en ce qu'elle viole l'obligation générale de loyauté dans l'élaboration d'une publicité ; Que la société Carrefour Hypermarchés n'a nullement communiqué les éléments justificatifs de sa publicité ; Que la demande de la société Fécamp Distribution était pertinente car elle lui aurait permis d'obtenir le ticket de caisse litigieux dans son intégralité en dehors de toutes procédures judiciaires ; Que la société Carrefour Hypermarchés a commis une faute à l'égard de la société Fécamp Distribution en refusant de donner suite à la demande formulée par la société Fécamp Distribution ; Que la publicité réalisée par la société Carrefour Hypermarchés est trompeuse et de nature à induire le consommateur en erreur ; Que le ticket de caisse de la société Carrefour Hypermarchés a été élaboré à l'aide d'une caisse enregistreuse en mode formation permettant de modifier manuellement les opérations qu'elle réalise ; Qu'un ticket de caisse élaboré sur une telle caisse enregistreuse ne constitue pas une preuve permettant au consommateur de s'assurer de la sincérité de la publicité, ceux-ci ne pouvant alors connaître si les prix affichés sur le ticket ont ou non été modifiés ; Que la société Carrefour Hypermarchés a manipulé les prix dans le processus d'élaboration de la publicité comparative en faisant apparaître des produits à un prix inférieur à celui réellement pratiqué ; Que le fait de s'être livré, au détriment d'un concurrent direct à une publicité comparative illicite constitue un acte de concurrence déloyale ; Que la publicité élaborée par la société Fécamp Distribution n'est pas constitutive d'une publicité comparative illicite et trompeuse car le message est parfaitement exact malgré sa forme ; Que la mention litigieuse n'est pas dénigrante ; Que le message contenu dans une publicité peut être faux, sans pour autant receler un caractère trompeur, si au regard de sa présentation, le consommateur normalement avisé ne peut se méprendre sur le caractère volontairement erroné de la publicité ; Que la société Fécamp Distribution n'a pas fait référence à un concurrent identifiable ; Que si le jugement rendu par le tribunal de commerce du Havre le 24 mars 2017 n'est pas réformé, la cour devra prononcer une sanction compatible avec les contraintes liées au système informatique de la société Fécamp Distribution car le système informatique n'allouait que 6 lignes en pied de ticket de caisse pour une éventuelle mention alors que la condamnation prononcée en exigeait 15.
Par conclusions notifiées le 7 janvier 2019, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens développés, la société Carrefour Hypermarchés demande à la cour au visa des articles L. 121-2, L. 121-11, L. 122-1 et L. 122-2 du Code de la consommation, l'article 1240 du Code civil, de :
- juger que la publicité comparative diffusée au sein du magasin à enseigne Carrefour à Fécamp au mois de décembre 2013 n'était pas illicite ;
- débouter en conséquence la société Fécamp Distribution de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- juger que la publicité constituée par le slogan " Bravo vous avez fait vos courses chez le moins cher " apposée en bas du ticket de caisse de la société Fécamp Distribution était constitutive de publicité trompeuse et de publicité comparative illicite ;
- enjoindre à la société Fécamp Distribution de cesser d'apposer ledit slogan sur tous ses tickets de caisse, et ce, sous astreinte de 100 euros par ticket violant cette interdiction à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
- condamner la société Fécamp Distribution à verser à la société Carrefour Hypermarchés la somme d'1 euro symbolique à titre de dommages-intérêts ;
- ordonner à la société Fécamp Distribution de reproduire sur ses tickets de caisse la mention suivante : Par arrêt du [...] de la cour d'appel de Rouen, la mention suivante reproduite sur nos tickets de caisse " Bravo vous avez fait vos courses chez le moins cher " a été déclarée trompeuse et dénigrante à l'égard du magasin Carrefour de Fécamp, et ce, au même emplacement que le slogan dénoncé et selon les mêmes police et taille de caractères, pendant un délai d'un mois, et sous astreinte de 100 euros par ticket non conforme à compter d'un délai de 8 jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir ;
- condamner la société Fécamp Distribution à payer à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
A titre subsidiaire :
- condamner la société Carrefour à la somme symbolique d'un euro au profit de la société Fécamp Distribution ;
- ordonner à la société Fécamp Distribution de reproduire sur ses tickets de caisse la mention suivante : La mention " Bravo vous avez fait vos courses chez le moins cher sur nos tickets de caisse a été déclarée trompeuse et dénigrante par la Cour d'appel de Rouen à l'égard du magasin Carrefour Fécamp ", et ce, au même emplacement que le slogan dénoncé et selon les mêmes police et taille de caractères, pendant un délai d'un mois, et sous astreinte de 100 euros par ticket non conforme à compter d'un délai de 8 jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir ;
A titre encore plus subsidiaire :
- condamner la société Fécamp Distribution à verser à la société Carrefour Hypermarchés le même montant que celui auquel la société Carrefour Hypermarchés aura été condamnée à payer à la société Fécamp Distribution, et en conséquence, ordonner la compensation des sommes dues ;
A titre infiniment plus subsidiaire ;
- ordonner à la société Fécamp Distribution de reproduire sur ses tickets de caisse la mention suivante : " Leclerc Fécamp condamné pour publicité trompeuse et dénigrante à l'égard de Carrefour Fécamp " et ce, au même emplacement que le slogan dénoncé et selon les mêmes police et taille de caractères, pendant un délai d'un mois, et sous astreinte de 100 euros par ticket non conforme à compter d'un délai de 8 jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir ;
En tout état de cause,
- condamner la société Fécamp Distribution à verser à la société Carrefour Hypermarchés la somme complémentaire de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Fécamp Distribution aux entiers dépens, de première instance et d'appel.
La société Carrefour Hypermarchés fait valoir que la demande de la société Fécamp Distribution relative à la communication des éléments justificatifs de la publicité était dénuée d'objet dans la mesure où cette dernière était déjà en possession des éléments dont elle sollicitait la communication; Que la société Carrefour Hypermarchés a communiqué à la société Fécamp Distribution le ticket de caisse Carrefour ayant servi à l'élaboration de la publicité comparative incriminée ; Que la publicité élaborée par la société Carrefour Hypermarchés était licite ; Que le fait que le ticket de caisse Carrefour affiché sur la publicité litigieuse ait été élaboré par une caisse enregistreuse en mode formation est indifférent dans la mesure où l'expert a confirmé que les prix affichés sur le ticket de caisse correspondaient bien aux prix pratiqués par le magasin Carrefour; Que la variation des prix constatée par l'expert ne fait qu'attester de la volatilité des prix sur ces produits de grande consommation, normale dans le secteur de la grande distribution; Qu'il n'existe aucune obligation de maintien des prix mise à la charge de l'annonceur pendant la durée de la publicité ; Qu'il n'existe donc pas de manipulation fautive des prix; Que la société Carrefour était libre de sélectionner les produits à comparer ;
Que la société Carrefour Hypermarchés n'a causé aucun dénigrement à la société Fécamp Distribution ; Que les mesures sollicitées par la société Fécamp Distribution revêtent un caractère disproportionnées ; Que la société Fécamp Distribution ne saurait obtenir de dommages et intérêts en raison de l'absence de faute de la société Carrefour Hypermarchés ; Que la société Fécamp Distribution n'a donc pas subi de préjudice ; Qu'en tout état de cause, même si l'existence d'un préjudice était démontrée par l'appelante, aucune réparation forfaitaire ne pourrait lui être accordée ; Que seule une indemnité symbolique pourrait être attribuée à la société Fécamp Distribution; Que la demande de publication et d'affichage ne saurait prospérer compte tenu de sa disproportion par rapport à la nature des faits qui remontent à plus de 3 ans ; Que le slogan " bravo, vous avez fait vos courses chez le moins cher " est trompeur ; Que la publicité litigieuse n'est ni objective, ni vérifiable ; Qu'il s'agit d'une publicité comparative ; Que la publicité comparative est interdite sur les tickets de caisse ; Que derrière cette déclaration trompeuse se trouve un enjeu commercial et un contexte de concurrence ; Que la concurrence déloyale est donc caractérisée ; Que la reproduction de cette publicité comparative trompeuse pendant plus de deux ans a nécessairement causé un préjudice à la société Carrefour Hypermarchés ; Que la condamnation de la société Fécamp Distribution à la publication de la mention énoncée par le jugement sur tous les tickets de caisse de cette dernière, et ce, sous astreinte, doit être confirmée.
SUR CE:
1°) Sur l'action dirigée à l'encontre de la société Carrefour Hypermarchés
Il ressort des débats que la société Fécamp Distribution exploite un hypermarché à l'enseigne E.Leclerc à Saint Léonard, commune proche de Fécamp.
La société Carrefour Hypermarchés exploite en location-gérance un hypermarché à l'enseigne Carrefour, rue Charles Leborgne, Carrefour de l'Europe à Fécamp.
En novembre 2013, la société Fécamp Distribution a constaté que la société Carrefour Hypermarchés exposait, dans la galerie marchande où est situé son magasin, deux caddies contenant des articles, surmontés de photocopies de deux tickets de caisse, l'un imprimé par une caisse de la société Carrefour Hypermarchés Fécamp portant une liste de 26 produits pour un total de 140,23 euros et un second caddie surmonté d'un fac similé du ticket de caisse du magasin exploité par la société Fécamp Distribution, lequel reprend une liste de 26 produits pour un montant de 144,23 euros, le tout surmontés d'affiches portant la mention :
" Carrefour Moins Cher Que E.Leclerc "
" Garanti Prix Le Plus Bas Carrefour "
" Les Moins Chers C'est Chez Carrefour, La Preuve Votre Magasin Carrefour 6 % Moins Cher "
Faisant application des dispositions de l'article L. 121-12 du Code de la consommation, dans sa version alors en vigueur, relative à l'obligation faite à l'annonceur pour le compte duquel la publicité comparative est diffusée de prouver dans un bref délai l'exactitude matérielle des énonciations, indications et présentations contenues dans la publicité, le conseil de la société Fécamp Distribution a sollicité par courrier du 3 février 2014, la transmission notamment de la copie des affiches et supports publicitaires à l'attention de la clientèle et les tickets de caisse correspondant ayant servi de support à la publicité.
Or, si la société Carrefour Hypermarchés n'a pas répondu favorablement à cette demande de communication de pièces, celle-ci n'avait plus d'intérêt alors que Maître X avait d'ores et déjà été missionné et disposait des éléments qui ont servi à l'établissement de son procès-verbal en date du 19 décembre 2013, de telle sorte qu'aucun préjudice n'est justifié par la société Fécamp Distribution s'agissant du non-respect des dispositions du texte précité.
Par ailleurs, l'article L. 121-8 du Code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur lors des faits, dispose que :
" Toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si :
1° Elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ;
2° Elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ;
3° Elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie. "
Cette législation est la transposition en droit interne de plusieurs directives européennes qui imposent, pour éviter que la publicité comparative ne soit utilisée de manière anticoncurrentielle et déloyale, de ne permettre que les comparaisons entre des biens et des services concurrents répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif.
En l'espèce, les deux caddies exposés dans le magasin géré par la société Carrefour Hypermarchés étaient composés de produits de marques nationales munis d'un code barre, dont la liste et des photographies figurent au procès-verbal de Maître X en date du 19 décembre 2013, qui démontre que l'exigence du 2° de l'article L. 121-8 du Code de la consommation est satisfaite en ce que la publicité comparative portait sur des biens répondant aux mêmes besoins et ayant le même objectif.
Néanmoins, pour être licite la publicité comparative doit se fonder sur une comparaison objective, fondée sur une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie, ce dernier élément n'étant pas exclusif.
En l'espèce, l'expert commis en exécution de l'ordonnance du président du tribunal de commerce en date du 26 mars 2014, a eu pour mission de collecter les informations relatives aux prix pratiqués et à leur variation pour les 26 produits ayant fait l'objet de la publicité comparative pour la période du premier novembre 2013 au 30 novembre 2013 et dire s'il a constaté pour certains d'entre eux des variations importantes sur la période considérée et notamment autour du 18 novembre 2013, date figurant sur le fac similé du ticket de caisse du magasin E. Leclerc exploité par la société Fécamp Distribution, le ticket de caisse de la société Carrefour Hypermarchés, auteur de l'opération publicitaire, ne comportant pas de date.
Par ailleurs, il résulte du rapport d'expertise que les prix relatifs aux produits distribués par la société Carrefour Hypermarchés sur la période considérée, correspondant au panel des 26 produits objets de la publicité comparative, ne présentent pas des chroniques identiques au regard de la fréquence de leur passage en caisse.
Ainsi, l'expert a déterminé trois périodes au cours du mois de novembre 2013 : la première du premier au 12 novembre, la seconde du 12 au 21 novembre et la troisième du 21 au 30 novembre, le passage d'une période à l'autre correspondant au jour où au moins l'un des produits du panel a connu un changement de prix à la baisse ou à la hausse.
Sur les 26 produits objets du panel l'expert a constaté ce qui suit :
- le 12 novembre, 17 produits présentent un prix en baisse, les 9 autre produits n'étant pas achetés ce jour
- le 21 novembre, 7 produits présentent un prix en hausse, les 19 autres n'étant pas achetés.
L'expert relève :
- au cours de la première période du premier au 11 novembre 2013, les prix sont stables ;
- au cours de la deuxième période du 12 au 20 novembre 2013, les prix sont en baisse et restent stables sur cette période ;
- au cours de la troisième période du 21 au 30 novembre 2013, les prix sont en hausse par rapport à ceux de la période précédente, à l'exception d'un produit dont le prix baisse de 5,03 %, ces nouveaux prix restant stables sur la période à l'exception d'un produit qui fait l'objet d'une deuxième augmentation le 28 du mois.
S'agissant du choix de la société Carrefour Hypermarchés de présenter un panel de produits dont le montant est repris sur un ticket issu d'une caisse-école de son magasin de Fécamp, la cour relève qu'il est fait état d'un seul ticket de caisse et que celui-ci a servi de référence pour le travail de l'expert qui s'est fondé sur le procès-verbal de constat du 19 décembre 2013 sachant que celui-ci ne permet pas de connaître les prix affichés en magasin relativement aux produits du panel, le constat de Maître X ayant été réalisé le 19 décembre 2013, aucune constatation en magasin n'étant alors possible relativement à la période de référence du mois de novembre 2013 pour laquelle il était mandaté.
La société Carrefour Hypermarchés, pour justifier des variations de prix constatées sur les prix pratiqués au passage en caisse, invoque un mail interne en date du 18 novembre 2014, dont l'auteur indique que le magasin n'a pas la main, ni sur les prix initiaux, ni sur leur variation qu'il justifie par la volatilité des prix dans la grande distribution.
Or, d'une part, il n'appartient pas à une partie de se constituer sa propre preuve. D'autre part, le constat d'une variation de prix, à la hausse ou à la baisse sur la période considérée, est incompatible avec la fiabilité de l'information relative au prix de chacun des produits du panel objet de la publicité comparative, l'expert indiquant que les prix vantés sont fiables pour le 18 novembre, alors que des variations à la baisse sont enregistrées sur la période du 12 au 20 novembre, puis à la hausse avec des variations comprises entre 1,87 % et 4,34 % et que le dispositif publicitaire a été maintenu en place sur une période correspondant sensiblement à un mois de la mi-novembre à la mi-décembre.
Ainsi, s'il ressort du constat dressé le 19 décembre 2013 et de l'expertise que le total des 25 produits s'élevait à 136,19 euros chez Carrefour contre 138,51 euros chez Leclerc un mois après le début de la publicité comparative incriminée, il n'en demeure pas moins que la variabilité des prix rapportée à chacun des produits du panel pris isolément démontre que l'information qui en résultait était obligatoirement faussée, l'intérêt du consommateur à acquérir l'ensemble des produits du panel étant quasiment nul compte tenu notamment de leur hétérogénéité, d'où il se déduit que le seul intérêt était pour la société Carrefour Hypermarchés de faire admettre qu'elle est globalement moins chère que son concurrent. Ce fait ressort particulièrement de l'affichage en gros caractères du message rapporté ci-dessus laissant à penser que la société Carrefour Hypermarchés est moins chère que l'enseigne concurrente E. Leclerc.
En effet, le caractère général du message tend à laisser croire au consommateur que le panel des produits choisis est représentatif des prix pratiqués de manière générale par l'enseigne et méconnaît les prescriptions de l'article L. 121-9 du Code de la consommation qui indique que la publicité comparative ne peut tirer indûment profit de la notoriété attachée notamment à un nom commercial et ne peut se fonder sur le dénigrement de marques et noms commerciaux.
Ainsi, la société Fécamp Distribution démontre que la publicité à laquelle la société Carrefour Hypermarchés s'est livrée est constitutive d'une concurrence déloyale qui engage la responsabilité de son auteur à son égard, le jugement ayant lieu d'être réformé sur ce point.
2°) Sur la demande reconventionnelle dirigée contre la société Fécamp Distribution
La société Fécamp Distribution qui est contestée pour sa pratique ayant consisté à faire figurer sur les tickets de caisse délivrés à ses clients l'indication suivante: " Bravo vous avez fait vos courses chez le moins cher ", ne conteste pas les faits mais estime que cette publicité n'est pas de nature à tromper le consommateur au motif que l'information est exacte, si l'on tient compte des synthèses de relevés de prix réalisés trimestriellement par la société Nielsen, prestataire indépendant, sur les années 2012 à 2016, alors en outre que le consommateur n'a connaissance de ce message qu'après l'acte d'achat, la société Fécamp Distribution estimant qu'il ne s'agit en aucun cas d'une publicité comparative visant particulièrement la société Carrefour Hypermarchés.
Or, le caractère indépendant de la société Nielsen résulte des seules affirmations de la société Fécamp Distribution, les tableaux fournis à la cour ne reflétant pas une analyse exhaustive dans le temps et ne permettant pas d'admettre pour établi un niveau de prix inférieur dans les magasins exploités par la société Fécamp Distribution notamment par rapport à la société Carrefour Hypermarchés dont l'établissement est situé dans une zone proche de celle de son concurrent immédiat.
Dès lors, il y a lieu de dire que la publicité pratiquée destinée à s'assurer la fidélité de la clientèle au motif d'un niveau de prix généralement plus bas, est trompeuse, la cour faisant sienne la motivation des premiers juges qui rappellent que l'article L. 121-11 du Code de la consommation interdit de faire figurer des annonces comparatives telles que définies aux articles L. 121-8 et L. 121-9 sur les emballages, des factures, des titres de transport, des moyens de paiement ou des billets d'accès à des spectacles ou des lieux ouverts au public.
3°) Sur les préjudices allégués et leur indemnisation
La société Fécamp Distribution fait valoir que la publicité litigieuse constitue un procédé déloyal qui lui a causé un préjudice en terme d'image auprès de la clientèle, ce qui ressort suffisamment du fait que la publicité a été maintenue pendant un mois sur la période de fin d'année où les magasins sont particulièrement fréquentés.
Dans ces conditions, il y a lieu de condamner la société Carrefour Hypermarchés au paiement de la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts.
S'agissant de la demande reconventionnelle de la société Carrefour Hypermarchés à la suite des faits établis à l'encontre de la société Fécamp Distribution, il est notable que le préjudice est moindre en ce que la publicité illégale ne faisait nullement mention du nom du concurrent dont le préjudice est partagé avec l'ensemble des concurrents de la zone de Fécamp et alentours.
Dès lors, il y a lieu de faire droit à la demande principale de la société Carrefour Hypermarchés qui a fixé l'indemnisation de son préjudice à un euro symbolique, sa demande subsidiaire tendant à obtenir que son préjudice soit exactement évalué à celui de la société Fécamp Distribution avec compensation entre les deux sommes n'ayant pas lieu d'être examinée, dès lors qu'il a été fait droit à la demande principale.
4°) Sur les mesures de publicité demandées
Les parties ont sollicité, chacune pour ce qui la concerne, des mesures de publicité par voie de presse, par affichage dans les locaux du concurrent ou tous autre supports (tickets de caisse) à titre de dommages et intérêts complémentaires.
Or, outre les difficultés matérielles empêchant de publier une mention sur un ticket de caisse, mesure ordonnée en première instance à la charge de la société Fécamp Distribution et suspendue par ordonnance du premier président en date du 17 mai 2017, il apparaît que les sommes allouées de part et d'autre sont suffisantes eu égard aux préjudices et à l'ancienneté des faits qui enlèvent tout intérêt aux mesure sollicitées, les parties ayant lieu d'être déboutées de ce chef.
5°) Sur les frais et dépens
Chacune des parties succombant au moins partiellement, il y a lieu de dire qu'elles conserveront la charge de leurs propres dépens.
Par ailleurs, l'équité n'impose pas de faire application en l'espèce de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs LA COUR, statuant par décision rendue contradictoirement par mise à disposition au greffe, Infirme le jugement du 24 mars 2017 en ce qu'ayant reçu la société Fécamp Distribution en ses demandes, il les a déclarées mal fondées et a condamné la société Fécamp Distribution aux entiers dépens et au paiement de la somme de 7500 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Statuant à nouveau, Dit que la société Carrefour Hypermarchés est responsable d'actes de concurrence déloyale ; La condamne à payer à la société Fécamp Distribution la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts, Confirme pour le surplus le jugement, sauf en ce qu'il a ordonné à la société Fécamp Distribution de reproduire sur ses tickets la mention relative à la condamnation prononcée à son encontre ; Dit n'y avoir lieu de prononcer toute autre mesure de publicité du présent arrêt, Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires, Dit n'y avoir lieu de faire application des disposition de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.