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Décisions

CA Colmar, 3e ch. civ. A, 13 mai 2019, n° 18-00389

COLMAR

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Afibel (Sa)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Martino

Conseillers :

Mmes Fabreguettes, Arnold

TI Saverne, du 8 déc. 2017

8 décembre 2017

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Faisant valoir qu'elle a été destinataire d'un courrier du 4 octobre 2016 émanant de la SA Afibel, l'informant de ce qu'il lui avait été attribué un numéro gagnant 264992 après tirage au sort par huissier de justice dans le cadre d'une loterie intitulée " Grand tirage du Numéro Gagnant doté de 10 000 € ", Mme Alphonsine H. a, le 17 janvier 2017 , fait citer la SA Afibel devant le tribunal d'instance de Saverne aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 10 000 € avec intérêts au taux légal à compter du jugement et la somme de 1 200 € par application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

La SA Afibel a conclu au rejet des demandes et a sollicité paiement d'une somme de 2 000 € au titre des frais de procédure. Elle a fait valoir qu'il appartenait au client de vérifier que le numéro personnel qui lui était attribué correspondait bien au numéro gagnant.

Par jugement du 8 décembre 2017, le tribunal d'instance de Saverne a :

- déclaré la demande recevable,

- condamné la SA Afibel à payer à Mme Alphonsine H. la somme de 10 000 € avec intérêts légaux à compter du jugement,

- condamné la SA Afibel aux entiers dépens de l'instance,

- condamné la SA Afibel à payer à Mme Alphonsine H. à la somme de 1 200 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, le conseil de Mme Alphonsine H. pouvant faire application de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique,

- rejeté la demande de la SA Afibel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

La SA Afibel a interjeté appel de cette décision le 26 janvier 2018.

Par écritures du 27 novembre 2018, elle conclut à l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande la cour de :

- débouter Mme Alphonsine H. et de l'intégralité de ses fins, moyens et prétentions,

- condamner Mme Alphonsine H. à lui payer la somme de 2 000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner Mme Alphonsine H. aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.

Elle rappelle qu'elle est une société de vente à distance et organise régulièrement des opérations commerciales, notamment des opérations soumises à un tirage au sort à destination de ses clients ; que ces opérations sont licites au regard des dispositions du Code de la consommation, dès lors qu'elles ne sont pas déloyales ; qu'elle privilégie le pré tirage, afin de garantir la gratuité de l'opération, avant l'envoi des documents consommateur ; que le nom du grand gagnant pré tiré est conservé secret par l'huissier de justice jusqu'à la clôture de l'opération ; que ce n'est qu'à la clôture de l'opération que celui-ci révèle le nom du grand gagnant et vérifie qu'il a effectivement participé, pour valider son statut ; que ce n'est qu'à défaut de validation du statut par le grand gagnant qu'il est procédé à un post-tirage parmi tous les bons de participation retournés ; qu'il appartient consommateur qui prétend engager la responsabilité de l'organisateur au titre d'une loterie publicitaire, de démontrer qu'il a fait l'objet d'une annonce nominative et qu'un gain lui a été annoncé sans qu'il puisse percevoir de manière suffisante l'existence d'un aléa ; que l'appréciation de l'aléa doit se faire en considération de l'ensemble des documents publicitaires sans se limiter à une lecture rapide des seules mentions en gros caractères.

Elle fait valoir qu'aux termes de l'opération " grand tirage du numéro gagnant ", la cliente qui s'était vue attribuer le numéro gagnant 264992 n'était pas Mme Alphonsine H., mais Madame Pierrette T. ; que celle-ci n'ayant pas retourné son bon de participation, l'huissier a procédé à un post-tirage, de sorte que le prix a été attribué à une autre participante ; que Mme Alphonsine H., qui était titulaire du numéro 729510, ne peut en conséquence prétendre au paiement du grand prix dans la mesure où le sort ne l'a pas désignée.

Elle soutient que l'ensemble des documents remis à Mme Alphonsine H. ne lui permettaient pas de penser qu'elle était indéfectiblement gagnante de la somme de 10 000 € ; qu'à défaut de numéro personnel identique au numéro gagnant, le retour du bon de participation permettait néanmoins à la cliente de valider sa participation à un tirage supplémentaire doté de 1 000 € ; que Mme Alphonsine H., qui a reconnu avoir pris connaissance du règlement du jeu, disposait de tous les éléments permettant de connaître l'attribution des différents numéros aux clients et du tirage au sort par huissier d'un seul numéro gagnant.

Elle critique le jugement déféré en ce que les documents remis à Mme Alphonsine H. mettent en évidence l'existence d'un aléa et ne comportaient à aucun endroit une annonce nominative de gain à l'intimée ; que celle-ci n'a d'ailleurs pas participé à l'opération litigieuse, alors que la nécessité de retourner le formulaire d'enregistrement était clairement prévue dans les documents publicitaires.

Par écritures du 21 janvier 2019, Mme Alphonsine H. a conclu au rejet de l'appel et sollicite la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, ainsi que condamnation de la SA Afibel aux entiers frais et dépens et à lui payer la somme de 1500 € au titre de l'article 700-2 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir qu'elle a passé commande et répondu dans le délai imparti, sollicitant le paiement de son prix par remise d'un chèque ; que la participation effective n'est pas un élément fondamental à la formation du quasi contrat ; qu'elle a été mise en possession d'un document sur lequel était mentionné, en grands caractères sur fond rouge, " paiement garanti " ; qu'il ressort de l'ensemble des documents qui lui ont été remis qu'elle était bien détentrice du numéro gagnant 26492, de sorte que le premier juge a retenu exactement que les mentions ne faisaient pas référence à l'existence d'un aléa et qu'elle est fondée à obtenir paiement du prix promis. Elle conteste avoir été informée qu'un autre numéro lui aurait été attribué dans le cadre du tirage, de sorte que le seul numéro porté à sa connaissance était le gagnant ; qu'elle n'a pas plus été informée de l'existence d'un pré tirage.

MOTIFS

Vu l'ordonnance de clôture en date du 22 janvier 2019 ;

Vu les dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile ;

Vu les écritures des parties ci-dessus spécifiées et auxquelles il est référé pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens ;

L'article L. 121-20 du Code de la consommation, dans sa version applicable au litige, dispose que dès lors qu'elles sont déloyales au sens de l'article " L. 121-1, sont interdites les pratiques commerciales mises en œuvre par les professionnels à l'égard des consommateurs, sous la forme d'opérations promotionnelles tendant à l'attribution d'un gain ou d'un avantage de toute nature par la voie d'un tirage au sort, quelles qu'en soient les modalités, ou par l'intervention d'un élément aléatoire.

L'article L. 121-1 du même Code dispose que les pratiques commerciales déloyales sont interdites. " Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service. "

Le caractère déloyal d'une pratique commerciale visant une catégorie particulière de consommateurs ou un groupe de consommateurs vulnérables en raison d'une infirmité mentale ou physique, de leur âge ou de leur crédulité s'apprécie au regard de la capacité moyenne de discernement de la catégorie ou du groupe constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 121-6'et L. 121-7.

En vertu des dispositions de l'article 1371 ancien du Code civil, les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l'homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelquefois un engagement réciproque des deux parties.

Il résulte des pièces versées aux débats que par courrier du 4 octobre 2016, la SA Afibel a informé Mme Alphonsine H. de ce que Maître M., huissier de justice, avait désigné, dans le cadre de la procédure du " Grand tirage du Numéro Gagnant ", le numéro gagnant 264992 pour le gain de 10 000 € et lui indiquait que la personne détentrice du numéro gagnant se verrait attribuer la somme de 10 000 €, soit par chèque bancaire en courrier recommandé, soit par virement bancaire ; que conformément au règlement, les 10 000 € ne pourraient être versés en l'absence de retour du formulaire d'enregistrement sous dix jours par la gagnante, dont le numéro personnel situé sur le même formulaire d'enregistrement est identique au numéro désigné gagnant par Maître M. ; que si tel est le cas en ce qui la concerne, elle n'a que dix jours pour renvoyer son formulaire d'enregistrement.

Une attestation d'huissier de justice émanant de Maître M. a été jointe à ce courrier, par laquelle l'huissier atteste avoir procédé au grand tirage du numéro gagnant doté de 10 000 €, qui est le 264992.

Un autre formulaire joint, intitulé " paiement garanti ", comporte le fac-similé d'un ticket daté du mardi 4 octobre 2016 et mentionne : pour information à Mme Alphonsine H., grand tirage du numéro gagnant, avec rappel du numéro gagnant 264992 et du montant mis en jeu de 10 000 €. Il est précisé sur ce document que conformément au règlement, il est rappelé que si le numéro personnel qui est attribué à Mme Alphonsine H. et qui se trouve sur son formulaire d'enregistrement, est identique au seul et unique numéro désigné gagnant, le gain lui sera payé par chèque ou par virement selon son choix.

Contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, il ne résulte nullement de ces documents que le numéro gagnant 264992 a été attribué à Mme Alphonsine H. et que le gain promis lui était réservé.

Il est au contraire clairement fait mention d'un aléa en ce que l'appelante a bien précisé dans son courrier de 4 octobre 2016 que la personne détentrice du numéro gagnant se verra attribuer la somme de 10 000 € ; qu'il n'est, dans aucun des documents adressés à l'intimée, soutenu ni prétendu que le numéro gagnant était son numéro personnel, alors qu'il est indiqué au contraire que son numéro est celui figurant sur le formulaire d'enregistrement situé au-dessus du bon de commande remis dans le même envoi.

Mme Alphonsine H. n'a pas plus pu se convaincre au travers de l'attestation d'huissier de justice, de ce qu'elle était gagnante alors que ce document a pour unique but de préciser que le numéro désigné gagnant est le 264992, sans qu'aucun lien soit fait entre ce numéro et celui qui lui était attribué.

L'intimée était au contraire informée par la lettre du 4 octobre 2016 de ce que le numéro qui lui avait été attribué, figurant sur le formulaire d'enregistrement, était le 729510. Elle ne peut soutenir n'avoir pas eu connaissance de ce numéro personnel, dans la mesure où il était mentionné sur le bon de commande qu'elle affirme avoir retourné à la SA Afibel pour valider sa participation au tirage.

Il doit en conséquence être retenu que la SA Afibel ne s'est pas livrée à une pratique déloyale, en ce que l'intimée était en mesure, au travers d'une lecture normalement attentive de l'ensemble des documents qui lui ont été remis, de se convaincre qu'elle n'était pas automatiquement titulaire du numéro gagnant, qu'il existait un aléa, de sorte que la SA Afibel ne s'est pas engagée sans condition à lui verser la somme de 10 000 €, mais l'invitait à participer à un tirage au sort.

Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de Mme Alphonsine H. portant sur le paiement du gain de 10 000 €, alors que son numéro n'a pas été désigné par le sort comme numéro gagnant et qu'elle n'a pas été gagnante du second tirage au sort effectué à la suite de la non-validation par la titulaire du numéro gagnant de son formulaire d'enregistrement.

Sur les frais et dépens :

Les dispositions du jugement déféré quant aux frais et dépens seront infirmées, sauf en ce que la demande de la SA Afibel fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile a été rejetée.

Succombant en la procédure, Mme Alphonsine H. sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.

L'équité commande qu'il ne soit pas fait application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au bénéfice de la SA Afibel.

Par ces motifs LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de la SA Afibel fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile, Statuant à nouveau, Déboute Mme Alphonsine H. de sa demande tendant au paiement de la somme de 10 000 € dix mille euros , Déboute Mme Alphonsine H. de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Mme Alphonsine H. aux dépens de première instance, Y ajoutant, Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d'appel, Condamne Mme Alphonsine H. aux dépens de la procédure d'appel.