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Décisions

CA Rennes, 5e ch., 29 mai 2019, n° 16-05312

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

ENEDIS Anciennement Dénommée ERDF (SA)

Défendeur :

Crama Bretagne - Pays De Loire AGNEI (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lachal

Conseillers :

Mmes Sochacki, Le Potier

Avocats :

Mes Chaudet, Postic

TGI Quimper, du 7 juin 2016

7 juin 2016

Vu le jugement, frappé du présent appel, rendu le 7 juin 2016 par le tribunal de grande instance de Quimper, qui a :

Déclaré la société Groupama, en qualité d'assureur subrogée dans les droits de son assuré, M. B X, recevable en ses demandes dans la limite des sommes pour le règlement desquelles elle a reçu quittance subrogative ;

Déclaré la société ERDF entièrement responsable de l'incendie survenu le 2 mai 2013 à Quemeneven ;

Par voie de conséquence,

Condamné la société ERDF à régler à la société Groupama la somme de 238 942,59 € au titre de la réparation des dommages matériels subis par M. B X, déduction faite de la franchise de l'article 1386-2 du Code civil ;

Condamné la société ERDF à régler à M. B X la somme de 8 250 € au titre du solde de son préjudice de jouissance et la somme de 92 825,41 €, au titre du solde de son préjudice matériel ; dit que ces sommes porteront intérêts à compter de la présente décision ; dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamné la société ERDF à supporter les dépens de l'instance et ceux du référé, incluant les frais de l'expertise judiciaire ordonnée ;

Rejeté toute autre demande ; ordonné l'exécution provisoire de la décision ;

Vu les dernières conclusions, en date du 12 janvier 2017, de la société Enedis, nouvelle dénomination de la société Electricité réseau distribution de France (ERDF), appelante, tendant à : réformer le jugement rendu le 7 juin 2016 par le tribunal de grande instance de Quimper ;

Statuant à nouveau,

À titre principal,

Constater qu'il n'y a pas de lien de causalité entre la surtension et la survenance de l'incendie chez M. X ;

Dire et juger que la responsabilité de la société Enedis n'est pas engagée dans la survenance de cet incendie ;

En conséquence, mettre hors de cause la société Enedis ; débouter M. X et Groupama Loire Bretagne de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

À titre subsidiaire,

Dire et juger Groupama Loire Bretagne irrecevable en ses demandes ; débouter M. X et Groupama Loire Bretagne de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

À tout le moins,

Réduire dans de plus justes proportions la demande de M. X au titre de l'indemnité de jouissance ;

Dire et juger que la franchise de 500 € résultant des dispositions de l'article 1386-2 du Code civil et du décret du 11 février 2005 devra s'appliquer sur les sommes qui pourraient être allouées ;

En toutes hypothèses,

Condamner in solidum M. X et Groupama Loire Bretagne à verser à la société Enedis la somme de 8 000 € au titre des frais irrépétibles ;

Condamner in solidum M. X et Groupama Loire Bretagne aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris les dépens relatifs au référé et à l'expertise judiciaire, lesquels seront recouvrés par la SCP Jean David Chaudet, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions, en date du 10 mars 2017, de Groupama Loire Bretagne et de M. B X, intimés, tendant à :

Débouter la société Enedis de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Confirmer la décision dont appel en ce qu'elle a :

- déclaré Groupama en qualité d'assureur subrogé dans les droits de son assuré, M. X, recevable en ses demandes,

- déclaré la société ERDF devenue Enedis entièrement responsable de l'incendie survenu le 2 mai 2013,

- condamné la société ERDF devenue Enedis à régler à la compagnie Groupama la somme de 238 942,59 € au titre de la réparation des dommages matériels subis par M. X,

- condamné la société ERDF aux droits de laquelle vient la société Enedis à régler à M. B X les sommes de : 92 825,41€ au titre de la réparation de ses préjudices immobiliers et mobiliers et 8 250 € au titre du solde de son préjudice de jouissance,

Réformer la décision dont appel en ce qu'elle a rejeté la demande présentée par Groupama sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et au titre des frais et honoraires de son expert conseil,

Statuant à nouveau,

Condamner la société Enedis au paiement de la somme de :

- 6 864 € correspondant aux honoraires d'assistance à expertise du cabinet Mahé Villa,

- 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner la société Enedis aux entiers dépens qui comprendront les dépens de référé ainsi que les frais et honoraires de l'expert judiciaire ainsi que ceux de première instance et d'appel ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 7 février 2019 ;

Sur quoi, la cour

M. B X, propriétaire d'une maison d'habitation située à Quemeneven, assurée auprès de Groupama Loire Bretagne, a été victime le 2 mai 2013 d'un incendie qui s'est déclaré au niveau d'un appentis dans lequel se trouvaient le tableau électrique privatif, des appareils électroménagers et la chaudière. L'incendie s'est propagé rapidement et a dévasté la maison d'habitation.

M. X a déclaré le sinistre à son assureur qui a mandaté un expert, lequel a retenu, au terme de son rapport en date du 13 mai 2013, l'hypothèse d'un incendie consécutif à une surtension électrique ayant provoqué un départ de feu du sèche-linge ou du tableau privatif.

En l'absence d'accord entre les parties, quant aux responsabilités, C et M. X ont sollicité en référé l'organisation d'une expertise.

Par ordonnance du 28 août 2013, le juge des référés du tribunal de grande instance de Quimper a désigné M. Z en qualité d'expert aux fins de déterminer l'origine et la cause de l'incendie.

En parallèle, une expertise amiable et contradictoire a été organisée le 5 février 2014. Les parties se sont mises d'accord sur l'évaluation des préjudices matériels, estimés à la somme de 332 268 €, dans l'attente du rapport de l'expert judiciaire quant aux causes de l'incendie et des responsabilité encourues.

L'expert judiciaire a déposé son rapport le 3 septembre 2014.

Par acte du 18 février 2015, Groupama et M. Billon ont assigné la société ERDF devant le tribunal de grande instance de Quimper aux fins de l'entendre déclarer responsable du sinistre, en l'état de la surtension et condamner à réparer les préjudices subis.

Par le jugement déféré, le tribunal a estimé que l'action engagée par Groupama était recevable au motif qu'elle se trouve subrogée dans les droits de M. X pour agir contre le tiers responsable du dommage qui a donné lieu à la garantie de l'assureur. Le tribunal a jugé que les appareils ménagers ou la chaudière n'ont pas été la cause certaine des dommages, ne serait-ce que pour partie. Il a ainsi retenu la responsabilité de la société ERDF sur le fondement du produit défectueux des articles 1386-1 et suivants du Code civil, en considérant que la preuve du dommage, du défaut, et du lien de causalité entre les deux, exigée par l'article 1386-9, est rapportée, et que la société ERDF ne démontre aucun fait exonératoire de sa responsabilité tel que visé par les dispositions de l'article 1386-11 du Code civil.

1- La société Enedis reproche au tribunal d'avoir ainsi fait une mauvaise appréciation des données juridiques et techniques de l'espèce s'agissant de sa responsabilité.

Elle fait valoir que si l'expert a constaté la surtension électrique sur le réseau alimentant la propriété de M. X, il reste qu'il a aussi retenu que les conséquences de cette surtension ne doivent pas entraîner un processus de mise à feu des appareils électro ménagers, que si cette mise à feu survient c'est que les appareils électriques ne satisfont pas aux normes et présentent un défaut de conformité, et que l'incendie est dans ce cas exclusivement imputable au dysfonctionnement de l'appareil et relève de la responsabilité du fabricant .

M. E et Groupama demandent la confirmation du jugement en soulignant qu'il résulte de la combinaison des articles 1386-3 et 1386-4 du Code civil que l'électricité est considérée comme un produit défectueux lorsqu'elle n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et qu'il est de jurisprudence constante qu'en sa qualité de fournisseur de courant électrique la société Enedis est tenue d'une obligation de résultat en application de l'article L. 221-1 du Code de la consommation et qu'elle ne peut s'en exonérer qu'en rapportant la preuve d'une cause étrangère au sens de l'article 1386-1 du Code civil. Ils soutiennent que la société Enedis ne rapporte pas la preuve de ses allégations concernant la défectuosité d'un appareil électrique, ni de sa non-conformité aux normes en vigueur ni de leur vétusté.

L'article 1386-1 devenu 1245 du Code civil dispose que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime et selon l'article 1386-4 devenu 1245-3 du même Code un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.

La victime doit prouver outre l'existence d'un dommage, le défaut du produit et un lien de causalité entre le défaut et le dommage, et le producteur doit établir un fait exonératoire de sa responsabilité prévu par les articles 1245-10 et 1245-12.

L'article 1386-3 devenu 1245-2 du Code civil dispose spécifiquement que l'électricité est considérée comme un produit.

Il résulte des constatations, non contestées, d'un électricien qui intervenait chez la voisine de M. X qu'il venait de mesurer une tension entre phase et neutre de 329 V au lieu de 234 V, lorsqu'il a aperçu de la fumée provenant de l'arrière de la maison de M. X puis a appelé les pompiers.

La surtension sur le réseau électrique alimentant la propriété de M. X, confirmée par l'expert judiciaire, n'est pas contestée et il est établi que l'électricité parvenue dans la propriété a été pendant un moment d'une puissance inadaptée et donc défectueuse, et que cette surtension est concomitante avec le départ de l'incendie qui a détruit la maison de M. Y A surtension est un défaut du produit livré par la société Enedis et constitue la cause de l'incendie.

Pour s'exonérer de sa responsabilité, la société Enedis soutient, en s'appuyant sur les considérations de l'expert judiciaire, que si les appareils électriques avaient été conformes aux normes en vigueur la surtension électrique n'aurait eu aucune conséquence et que l'incendie ne se serait pas produit.

L'expert qui a consacré de longs développements sur les normes de sécurité des appareils électro domestiques et sur l'exégèse de ces règles quant à la rupture du neutre et qui a conclu à l'hypothèse vraisemblable de la défaillance d'un appareil électrique, a pourtant écrit aussi que les appareils sont en état de ruine avancée et qu'il n'est pas possible d'incriminer plus particulièrement un appareil.

La société Enedis est mal fondée à reprocher à M. X et à son assureur de ne pas avoir fait procéder aux recherches sur les restes d'appareils électriques pour vérifier son hypothèse alors qu'il appartenait à l'expert de demander l'extension de sa mission à ce sujet et qu'elle-même, qui entend se prévaloir de la responsabilité exclusive des producteurs des appareils électro ménagers, qu'elle ne désigne pas et qu'elle n'a pas appelés à la cause, devait demander une mesure d'instruction complémentaire à ce sujet .

Elle ne rapporte aucunement la preuve de l'effectivité de sa thèse selon laquelle l'incendie provient du non-respect par les fabricants des appareils électro ménagers, qu'elle n'identifie pas, de normes de sécurité anti incendie et il lui faudrait encore démontrer que ces normes étaient applicables aux appareils équipant la maison de M. X au jour du sinistre, que cette non-conformité à des normes a été la cause de l'incendie.

De plus, à supposer même établie la défaillance d'un appareil, elle n'exonérerait pas la société Enedis de son entière responsabilité à l'égard de M. X, eu égard à son obligation de résultat de sécurité et en vertu de l'article 1245-13 du Code civil qui stipule que la responsabilité du producteur envers la victime n'est pas réduite par le fait d'un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage.

En conséquence, la société ERDF aux droits de laquelle vient la société Enedis est responsable des dommages subis par M. X et doit en supporter la réparation intégrale, le jugement étant confirmé.

2- Subsidiairement, la société Enedis reproche au tribunal d'avoir reçu le recours subrogatoire de Groupama au motif que celle-ci ne justifie pas de son obligation contractuelle de garantie à l'égard de M. X, n'explique pas le montant des indemnisations retenues et ne justifie pas de leur versement effectif.

La société Groupama conclut à la confirmation du jugement en soutenant qu'elle produit tous les justificatifs de son recours subrogatoire.

En effet, la société Groupama produit les conditions générales et particulières du contrat d'assurance habitation prenant effet le 1er mars 2007 souscrit par M. X et la quittance subrogative du 14 août 2014 et les justificatifs de paiement.

La société Groupama bénéficie donc de la subrogation légale prévue par l'article L. 121-12 du Code des assurances et le jugement sera confirmé en ce qu'il a reçu l'assureur en son recours subrogatoire.

3- La société Enedis critique le montant des condamnations à paiement prononcées à son encontre en faisant valoir, comme en première instance, que l'assureur ne justifie pas du montant réclamé et des règlements, et que s'agissant de la créance de M. X, d'une part, la réparation ne saurait excéder la valeur de remplacement des biens endommagés avec prise en compte d'un coefficient de vétusté et, d'autre part, l'indemnité pour trouble de jouissance doit être réduite en ce que le délai des opérations d'expertise serait imputable à M. X et son assureur.

Mais, la société Groupama et M. Billon sollicitent à raison la confirmation du jugement en rappelant que le chiffrage des dommages subis par M. X a été entériné contradictoirement par les experts mandatés par Groupama et ERDF à 332 668 € en valeur à neuf et à 750 € de valeur locative mensuel, que Groupama a versé l'indemnité d'assurance de 239 442,59 € vétusté déduite, que M. X a droit à la différence de 92 825,41 € sans qu'il y ait lieu de lui faire subir un coefficient de vétusté et que le tribunal a exactement motivé la fixation d'un préjudice de jouissance jusqu'en juillet 2015, au vu des factures de travaux versées aux débats, à la somme de 8 250 €, soit 26 mois à 750 €, 19 500 € moins la somme de 11 250 € reçue de l'assureur.

4- La société Groupama demande l'infirmation du jugement qui l'a déboutée de sa demande en remboursement de ses frais irrépétibles et réclame à cet égard la somme de 10 000 € par application l'article 700 du Code de procédure civile outre celle de 6 864 € correspondant aux honoraires d'assistance à expertise du cabinet Mahé Villa.

Le jugement qui a condamné la société ERDF à supporter les dépens de l'instance et ceux du référé, incluant les frais de l'expertise judiciaire sera confirmé.

La société Enedis, dont aucune des prétentions ne prospère, sera tenue aux dépens d'appel, et devra payer à la société Groupama la somme de 8 000 € en remboursement de ses frais irrépétibles.

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe, Confirme le jugement déféré ; Condamne la société Enedis aux dépens d'appel ; Condamne la société Enedis à payer à la société CRAMA Groupama Loire Bretagne la somme de 8 000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande.