CA Reims, ch. civ. sect. 1, 29 mai 2019, n° 18-01717
REIMS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Société Synap (SARL)
Défendeur :
Champagne et Vins (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Martin
Conseillers :
Mmes Mathieu, Lefort
Avocats :
Mes Ginestra, Hubsch
Exposé du litige :
La SARL Champagne et Vins exerce une activité de commerce de détail de boissons sous l'enseigne " Le Parvis ".
Dans le cadre de son activité, la SARL Champagne et Vins a commandé à la SARL Société Synap, spécialisée dans la vente et l'installation de matériel de sécurité, un enregistreur vidéo pour assurer sa protection vidéo.
Selon devis n° 20120289 signé avec mention " pose caméra sous-sol offerte ", le matériel a été installé le 21 août 2014 dans les locaux de la SARL Champagne et Vins.
Le 8 septembre 2014, une facture d'un montant de 2 892 euros HT, soit 3 470,40 euros TTC, a été établie par la SARL Société Synap au titre de la prestation, facture précisant " installation selon devis n° 20120289 ". La facture a été acquittée le jour même par la SARL Champagne et Vins.
Par mail en date du 3 décembre 2014, M. X A, gérant de la SARL Champagne et Vins, a fait part de son mécontentement à la SARL Société Synap à propos du matériel livré et installé lequel, selon lui, ne correspondrait pas au devis, n'offrirait qu'un résultat médiocre en matière d'image et n'était accompagné d'aucune notice technique.
Par retour de mail en date du 4 décembre 2014, M. Z, pour la SARL Société Synap, a répondu à M. A qu'aucune marque de matériel n'avait été précisée sur le devis et que le matériel installé était conforme audit devis.
Par mail en date du 8 décembre 2014, M. X A a maintenu ses critiques et il a demandé à la SARL Société Synap la résolution de la vente.
Par LRAR en date du 6 juillet 2015, la SARL Champagne et Vins a mis en demeure la SARL Société Synap de procéder sous huitaine au remboursement de la facture acquittée et de reprendre le matériel jugé par elle non conforme et de piètre qualité.
Par LRAR en date du 9 juillet 2015, la SARL Société Synap a rejeté les demandes de la SARL Champagne et
Vins et a joint à son courrier une notice d'utilisation.
Par acte d'huissier en date du 14 décembre 2016, la SARL Champagne et Vins a fait assigner la SARL Société Synap devant de tribunal de commerce de Reims, afin de voir prononcer la résolution de la vente conclue avec la défenderesse, de voir condamner cette dernière à lui payer la somme de 3 470,40 euros en remboursement du prix de vente et à procéder à ses frais à l'enlèvement du matériel livré et installé dans ses locaux, ainsi qu'à la remise en état initial, et ce sous astreinte de 300 euros par jour de retard dans un délai d'un mois après la signification de la décision à intervenir ; la société Champagne et Vins a également demandé la condamnation de la société Synap à lui payer les sommes de 561 euros au titre des dégradations causées à la cloison et de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.
La SARL Société Synap a demandé au tribunal de débouter la société Champagne et Vins de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui payer les sommes de 5 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée et de 3 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par jugement en date du 12 juin 2018, le tribunal de commerce de Reims a :
- constaté que la SARL Société Synap avait manqué à l'obligation de délivrance conforme qui lui incombait,
- prononcé la résolution de la vente de l'enregistreur vendu par la SARL Société Synap à la SARL Champagne et Vins,
- condamné la SARL Société Synap à régler à la SARL Champagne et Vins la somme de 3 470,40 euros,
- débouté la SARL Champagne et Vins de sa demande d'enlèvement du matériel livré et installé dans ses locaux et à la remise en état initial sous peine d'astreinte,
- condamné la SARL Société Synap à payer à la SARL Champagne et Vins la somme de 561 euros au titre des dégradations causées à une cloison,
- condamné la SARL Société Synap à verser à la SARL Champagne et Vins la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté la SARL Société Synap de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles,
- condamné la SARL Société Synap aux entiers dépens.
Par déclaration enregistrée le 1er août 2018, la SARL Société Synap a interjeté appel de ce jugement,
Par conclusions déposées le 11 novembre 2018, la SARL Société Synap demande à la cour de réformer le jugement attaqué et, statuant à nouveau, de :
- débouter la société Champagne et Vins de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société Champagne et Vins à lui payer les sommes de :
* 5 031,40 euros au titre de la somme qu'elle a versée en exécution du jugement de première instance, avec intérêts à compter du 8 novembre 2018,
* 5 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée,
* 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les dépens.
A l'appui de son appel, la SARL Société Synap expose :
- qu'elle a émis un premier devis en 2012, qui portait sur un enregistreur Asutsa Pro 7, mais que le devis accepté par la société Champagne et Vins est un devis de 2014 qui ne portait plus sur un enregistreur de cette marque,
- que le devis de 2012 dont se prévaut la société Champagne et Vins n'a pas été signé par cette dernière,
- que la société Champagne et Vins a accepté le matériel livré, l'a réglé et ne s'est pas manifestée durant 4 mois, d'août à décembre 2014,
- que le matériel de marque Y livré à la société Champagne et Vins est en fait plus performant que le matériel Asutsa qu'elle lui avait proposé en 2012,
- que la société Champagne et Vins ne se plaint d'ailleurs pas que le matériel qui lui a été livré et installé ne marche pas,
- que la société Champagne et Vins se plaint également de ce que l'installation ne serait pas compatible avec ses appareils de marque Apple, mais lorsqu'elle a voulu prendre rendez-vous avec la société Champagne et Vins pour vérifier ces problèmes de compatibilité elle n'a jamais reçu de réponse,
- que la société Champagne et Vins ne démontre pas que son technicien aurait commis des dégradations sur une cloison lorsqu'il a installé le matériel,
- que la société Champagne et Vins n'a engagé cette procédure judiciaire que pour se venger du témoignage qu'elle a apporté dans un autre litige au profit d'une ancienne salariée de cette société.
Par conclusions déposées le 10 septembre 2018, la SARL Champagne et Vins demande à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à voir condamner la SARL Société Synap à procéder à ses frais à l'enlèvement du matériel livré et installé dans ses locaux et à la remise en état initial et ce, sous astreinte de 300 euros par jour de retard dans un délai d'un mois après la signification de la décision à intervenir, et statuant à nouveau sur ce point, la société Champagne et Vins demande à la cour de :
- condamner la SARL Société Synap à procéder à ses frais à l'enlèvement du matériel livré et installé dans les locaux de la société Champagne et Vins et à la remise en état initial et ce, sous astreinte de 300 euros par jour de retard dans un délai d'un mois après la signification de la décision à intervenir,
- en tout état de cause, débouter la SARL Société Synap de l'intégralité de ses demandes,
- condamner la SARL Société Synap à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés à hauteur de cour d'appel, outre les dépens.
La société Champagne et Vins fait valoir :
- que suivant le devis qu'elle a signé, le matériel à livrer devait être un enregistreur " Asutsa Pro 7 ", alors que le matériel livré ne correspond ni à cette marque ni à ce modèle, de sorte que la vente doit être résolue pour violation de l'obligation de délivrance conforme,
- qu'en outre, le matériel commandé devait être compatible avec les produits Mac de marque Apple, alors que ce n'est pas le cas,
- que l'installation du matériel a été faite dans des conditions désastreuses, puisqu'une cloison a été détériorée lors des travaux de branchement de l'enregistreur à un écran vidéo.
MOTIFS DE LA DECISION
Vu les dernières écritures déposées par la société Synap et par la société Champagne et Vins,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 7 mai 2019.
Sur la résolution de la vente
La chose livrée par le vendeur à l'acquéreur doit présenter les caractéristiques spécifiées par la convention des parties. A défaut, l'acquéreur peut demander la résolution de la vente.
La preuve de la non-conformité à la commande du matériel livré incombe à l'acquéreur qui soulève cette exception.
En l'espèce, les parties produisent chacune un devis avec une page " descriptif " qui est différente. Ces deux pages de descriptifs différents portent le même numéro de devis, mais celle qui est produite par la société Champagne et Vins vise un " enregistreur Asutsa Pro 7 - 8 voies - 1 téra ", tandis que celle produite par la société Synap vise un " enregistreur - 8 voies - 1 téra " (le prix étant le même pour chacun des deux matériels). Dans les deux cas, il s'agit d'un enregistreur présentant des caractéristiques identiques, mais selon l'exemplaire produit par la société Champagne et Vins la marque et le modèle étaient spécifiés, alors qu'ils ne l'étaient pas sur l'exemplaire de la société Synap.
La société Champagne et Vins se plaint de ce que l'enregistreur livré n'est pas conforme puisqu'il n'est pas de marque " Asutsa " et de modèle " Pro 7 ". La société Synap lui réplique que le dernier devis accepté, suivant la page descriptif qu'elle produit, ne précisait aucune marque et que la livraison qu'elle a faite se trouve donc conforme.
Les deux pages intitulées " descriptif " produites ne sont ni datées, ni signées des deux parties. Il est donc impossible de déterminer laquelle des deux est entrée dans le champ contractuel des parties. La société Champagne et Vins, à qui incombe la charge de rapporter la preuve de la non-conformité de la chose livrée, ne prouve donc pas la non-conformité dont elle se prévaut.
Au surplus, la société Synap démontre, en produisant une attestation de son fournisseur, que l'enregistreur qu'elle a livré à la société Champagne et Vins, qui était de marque Y, présente des caractéristiques supérieures à l'enregistreur de marque Asutsa que la société Champagne et Vins soutient avoir commandé (ces qualités supérieures sont détaillées de façon précise dans la lettre de la société Francofa Eurodis du 9 janvier 2017). Ce fournisseur précise également que le matériel Y présente l'avantage d'être fabriqué par l'un des cinq plus gros fabricants de vidéo surveillance du monde, alors que le fabricant du modèle Atutsa que revendique la société Champagne et Vins a " déposé le bilan ", ce qui rend difficile son suivi en après-vente et rend désormais impossible son application smartphone sur l'Iphone.
Certes, la société Champagne et Vins conteste que l'enregistreur qui lui a été livré soit de marque Y, dans la mesure où l'indication de cette marque n'apparaît pas sur l'appareil. Mais, la comparaison de la photo de l'enregistreur qui apparaît sur la fiche technique du fabricant Y (pièce n° 2 de la société Synap) avec la photo du matériel livré qui a été prise par l'huissier de justice mandaté par la société Champagne et Vins (page 3 du PV de constat) ne laisse aucun doute sur le fait que le matériel livré est bien un enregistreur Y. La désignation du modèle livré, soit DVR0804HF L, correspond d'ailleurs bien au matériel de marque Y, alors que le matériel de marque Vigitronic que la société Champagne et Vins reproche à la société Synap de lui avoir livré porte la référence DVR0804- D1.
Ainsi, outre le fait que la société Champagne et Vins ne rapporte pas la preuve de la non-conformité de la chose livrée, elle ne démontre pas non plus en quoi la livraison réalisée par la société Synap lui serait dommageable.
La société Champagne et Vins ne démontre pas davantage la non compatibilité des appareils de marque Apple avec l'utilisation de l'installation de vidéo surveillance qui lui a été livrée par la société Synap.
Par conséquent, il n'y a pas lieu à résolution de la vente pour défaut de délivrance conforme de la chose vendue. Le jugement déféré sera infirmé sur ce point. Il n'y a pas lieu d'ordonner expressément à la société Champagne et Vins de rembourser la somme que la société Synap lui a versée en exécution du jugement réformé, car l'arrêt d'infirmation constitue par lui-même un titre exécutoire pour procéder aux restitutions.
Le rejet de la demande en résolution de la vente rend sans objet la demande formée par la société Champagne et Vins afin de voir condamner la société Synap à enlever le matériel livré et installé dans ses locaux sous peine d'astreinte. La société Champagne et Vins sera déboutée de ce chef de demande et le jugement déféré sera confirmé à cet égard.
Sur la dégradation de la cloison
Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
En l'espèce, la société Champagne et Vins reproche à la société Synap d'avoir abîmé une cloison de ses locaux commerciaux en perçant cette cloison pour raccorder l'enregistreur à un écran vidéo.
La société Synap nie être l'auteur de cette dégradation. Pourtant, lorsqu'elle a été interpellée sur ce point par l'avocat de la société Champagne et Vins (dans la lettre de mise en demeure du 6 juillet 2015), elle a répondu dans son courrier du 9 juillet 2015 sans contester ni l'existence ni la responsabilité de cette dégradation : " Concernant l'éclat de plâtre lors de la pose du moniteur. M. A nous a dit que ce n'était pas grave ".
Que le gérant de la société Champagne et Vins ait dit à l'époque que cette dégradation n'était " pas grave " est sans conséquence sur la responsabilité de la société Synap, qui est tenue d'indemniser ses clients de la mauvaise exécution des travaux qu'elle réalise pour leur compte.
La société Champagne et Vins produit un devis de réparation à hauteur de 561 euros. C'est dès lors à juste titre que le tribunal a condamné la société Synap à payer à la société Champagne et Vins cette somme de 561 euros. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur le caractère abusif de la procédure
Le droit d'agir en justice ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ou s'il s'agit d'une erreur équipollente au dol.
En l'espèce, la société Synap soutient que l'action en justice intentée par la société Champagne et Vins ne procéderait que d'une vengeance pour une autre affaire concernant une salariée de la société Champagne et Vins. Toutefois, les faits allégués ne sont nullement prouvés.
La demande en dommages et intérêts formée par la société Synap pour procédure abusive sera donc rejetée. Le jugement déféré sera également confirmé sur ce point.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
La société Champagne et Vins, qui échoue en la plupart de ses demandes, supportera les dépens de première instance et d'appel et elle sera déboutée de sa demande de remboursement de ses frais de justice irrépétibles. En outre, il est équitable qu'elle soit condamnée à payer à la société Synap la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs LA COUR, statuant en audience publique et par arrêt contradictoire, Déclare l'appel recevable, Confirme le jugement déféré : en ce qu'il a débouté la société Champagne et Vins de sa demande tendant à voir condamner la société Synap à enlever le matériel livré, en ce qu'il a condamné la société Synap à payer à la société Champagne et Vins la somme de 561 euros au titre des dégradations causées à la cloison, en ce qu'il a débouté la société Synap de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, Infirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions et, statuant à nouveau, DIT que la société Champagne et Vins ne rapporte pas la preuve que la société Synap a manqué à son obligation de délivrance conforme, En conséquence, DIT n'y avoir lieu à résolution de la vente et à condamnation de la société Synap à rembourser à la société Champagne et Vins le prix de vente de 3 470,40 euros, Déboute la société Champagne et Vins de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Champagne et Vins à payer à la société Synap la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Champagne et Vins aux dépens.