CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 6 juin 2019, n° 17-00683
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Société Générale de Transformation des Plastiques (SAS)
Défendeur :
Ates (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Soudry, Moreau
Avocats :
Mes Mourier, Régnier, Geyer
FAITS ET PROCEDURE :
A partir des années 1990, la Société Générale de Transformation des Plastiques (SGTP) a fabriqué des toiles pour la société Ates, fabricante de stores, les parties négociant annuellement les conditions tarifaires applicables, notamment les remises et les bonifications de fin d'année.
Le calcul de la bonification de fin d'année 2009 a révélé un désaccord entre les deux parties quant à ses modalités.
En 2011, la société SGTP a réduit la remise accordée à la société Ates, le chiffre d'affaires baisse de 72 %. La dernière facture a été émise le 31 octobre 2011.
Le 27 mai 2014, la société SGTP a mis en demeure la société Ates de rembourser la somme de 11 913,55 euros correspondant aux remises que Ates aurait, selon elle, obtenues indûment.
Par acte en date du 19 novembre 2014, la société SGTP, a assigné la société Ates devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir condamner au paiement de dommages et intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie et remboursement des remises contestées.
Par jugement rendu le 12 septembre 2016, le tribunal de commerce de Paris a :
- dit que la société Ates n'a pas rompu brutalement les relations commerciales établies avec la société SGTP ;
- débouté la société SGTP de sa demande de 204 060 euros au titre du préjudice causé par la rupture brutale de ces relations ;
- dit que la société Ates a obtenu sur l'année 2010 une remise supplémentaire de 4 % manifestement abusive ;
- condamné la société Ates à payer à la société SGTP une somme de 5 581 euros HT en réparation du préjudice causé par l'application d'une remise sur le chiffre d'affaires manifestement abusive ;
- condamné la société Ates à payer à la société SGTP la somme de 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du présent jugement ;
- condamné la société Ates aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.
Vu l'appel interjeté le 6 janvier 2017 par la société SGTP à l'encontre de cette décision ;
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société SGTP, par dernières conclusions signifiées le 31 janvier 2019, demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, de :
- dire recevable et bien fondée la société SGTP en son appel ;
- infirmer le jugement entrepris en ce que le tribunal a jugé que la rupture de la relation commerciale établie n'était pas brutale ;
Statuant à nouveau,
- juger que la société Ates a rompu brutalement les relations commerciales établies ayant existé avec la société SGTP de 1999 à 2011 ;
- condamner la société Ates à payer à la société SGTP la somme de 179 419 euros en réparation du préjudice qu'elle lui a causé ;
- confirmer le jugement du 12 septembre 2016 pour le surplus ;
- condamner la société Ates à payer à la société SGTP la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouter la société Ates de l'ensemble de ses demandes ;
- la condamner aux dépens.
Elle fait valoir que la société Ates a brutalement rompu la relation commerciale en 2011, après lui avoir laissé espérer une pérennité de leur relation : cette relation était établie depuis 1999, avec un volume régulier puis une progression à partir de 2007, date à laquelle la société Ates a décidé de lui confier l'essentiel de la confection de ses toiles.
La société SGTP considère que c'est à juste titre que le tribunal de commerce a jugé que la relation commerciale entre elle et la société Ates était constituée d'accords tarifaires indépendants les uns des autres, ce qui en soi n'était pas exclusif de l'application des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.
La société SGTP soutient qu'il y a eu rupture des relations en octobre 2011 du fait de la société Ates. Elle fait valoir que la rupture a été brutale, qu'il n'y a pas eu de préavis écrit. Elle précise qu'il n'y a pas eu de désaccord sur les tarifs applicables en 2011 mais seulement sur le taux de remise, et que de toute façon l'absence d'accord sur les tarifs applicables en 2011 n'aurait pas été incompatible avec le caractère brutal de la rupture, les désaccords sur les remises et bonus de fin d'année n'ayant jamais constitué un obstacle à la poursuite des relations commerciales entre les parties.
La société SGTP considère que contrairement à l'affirmation de la société Ates, la rupture des relations commerciales n'était absolument pas prévisible, et quand bien même elle l'aurait été, la prévisibilité ne constitue pas un obstacle à la brutalité de la rupture : rien dans les courriers de la société Ates ne laissait présager la fin des relations entre les parties, d'autant qu'il y a déjà eu des désaccords en 2009 et 2010 sur les remises et bonifications de fin d'année, lesquels ont tous été appliqués et payés par la société SGTP, sans qu'il y ait rupture. Elle ajoute que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, ni aucun autre texte, n'impose que l'action concernant la rupture brutale des relations commerciales établies soit engagée à bref délai.
Sur la réparation du préjudice, la société SGTP précise qu'entre 1999 et 2011, les deux sociétés ont entretenu des relations stables et régulières avec un chiffre d'affaires sous-traité de 200 - 230 k par an. Elle précise que les relations commerciales n'ont pas débuté en 2007, cette date ne correspondant qu'à la sous-traitance de l'essentiel des travaux. Elle considère qu'un préavis de 12 mois aurait dû être respecté et qu'un taux de marge sur coûts variables moyen de 52,28 % doit être pris en compte dans le calcul de la marge perdue.
Concernant l'appel incident de la société Ates, la société SGTP considère qu'en appliquant une remise de 14 %, contraire à l'accord convenu, la société Ates a obtenu une remise supplémentaire de 4 % manifestement abusive, soit un montant de 5 581 euros.
La société Ates, par dernières conclusions signifiées le 8 février 2019, demande à la cour de :
Sur l'appel principal,
- rejeter l'appel principal ;
- confirmer le jugement entrepris à l'exception de la condamnation de la société Ates au remboursement de la somme 5 581 euros HT à la société SGTP, et de celle de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Sur son appel incident,
- dire que les remises obtenues par la société Ates pour l'année 2010 ne sont pas abusives ;
- infirmer le jugement entrepris du 12 septembre 2016 rendu par le tribunal de commerce de Paris, en ce qu'il a condamné la société Ates au remboursement de la somme de 5 581 euros HT à la société SGTP au titre de l'obtention pour l'année 2010 d'une partie de remises jugée manifestement abusive ;
Statuant à nouveau,
- débouter la société SGTP de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
En tout état de cause,
- condamner la société SGTP au paiement d'une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle conteste l'existence d'une relation établie, en ce que la relation entre les sociétés Ates et SGTP ne revêtait aucun caractère de stabilité (aucun contrat commercial n'a jamais été signé, la relation restait soumise à des renégociations annuelles) ; elle ajoute que, si la relation devait être considérée par la cour comme établie, elle n'a en tout état de cause pas débuté avant 2007.
Elle explique par ailleurs que la rupture n'a pas été brutale dans la mesure où le 25 janvier 2011, la société SGTP a confirmé son taux de remise de 6 % sans condition de chiffre d'affaires, consommant le désaccord entre les parties ; elle estime qu'il existait de multiples désaccords, que les désaccords multiples ont de fait entraîné des changements dans la nature des relations entre les parties, comme en atteste la baisse de chiffre d'affaires entre 2009 et 2010, celui ci passant selon la société SGTP elle-même de 516 K à 239 K. Elle en infère que la rupture était dès lors prévisible.
La société Ates fait également valoir que, contrairement à ce que prétend la société SGTP, la rupture des relations peut se matérialiser par tout acte dès lors que le partenaire manifeste son intention de ne pas poursuivre les relations antérieures, et que, de ce fait, l'autre partenaire ne peut plus s'attendre à la poursuite des relations. Elle souligne que cette fin des relations commerciales n'a suscité aucune réaction, ni protestation de la part de la société SGTP pendant près de quatre ans, jusqu'à l'assignation, et que cette situation permet de douter du sérieux des griefs allégués.
A titre subsidiaire, la société Ates considère que le délai écoulé, de neuf mois, entre les échanges des parties manifestant l'intention de ne plus poursuivre les relations aux conditions antérieures (du 19 et 25 janvier 2011) jusqu'à la facturation de la société SGTP d'octobre 2011, correspond au délai suffisant à la reconversion de la société SGTP et est donc constitutif du délai de préavis nécessaire au sens de la loi.
Plus subsidiairement, sur le préjudice, elle considère que la cour doit rejeter la demande d'indemnisation à hauteur de 179 419 euros, en raison de la durée du préavis, de l'indicateur de marge sur coûts variables retenu par l'appelante, de la base de chiffre d'affaires retenue.
Sur son appel incident, la société Ates considère qu'il doit être relevé qu'en 2009, a été appliquée une remise globale de 13 % correspondant à la moyenne annuelle des remises en pied de factures de 6 % sur le 1er semestre + 10 % sur le second semestre, soit 6 % + 10 % ÷ 2 semestres, + BFA de 5 % sur l'année, que l'accord pour une remise globale de 14 % en 2010 s'inscrivait dans la continuité de l'accord intervenu pour les conditions de remises de 2009, lesquelles étaient d'un montant global de 13 %, que la société SGTP n'a émis aucune réclamation à cet égard , ni même dans sa mise en demeure du 27 mai 2014.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.
MOTIFS
Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie
Considérant que la société SGTP fait grief à la société Ates d'avoir rompu brutalement leur relation commerciale, la rupture étant intervenue en octobre 2011 du fait de la société Ates ; que cette dernière prétend que la rupture est en réalité imputable à SGTP ;
Considérant que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dispose, dans sa rédaction applicable à la cause, qu''engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) ;
Considérant que la société Ates n'est pas fondée à contester le caractère établi de la relation commerciale ; qu'en effet, si les relations entre les parties n'étaient formalisées par aucun contrat, il résulte des éléments de la procédure que SGTP a confectionné et livré sans interruption à la société Ates des toiles pour stores à partir de 1999 (pièces SGTP n° 4, 9, 18, 19, 20, 21) ; que l'existence d'une relation régulière n'est pas exclusive d'une concertation des parties sur les tarifs annuels, la société Ates ne rapportant pas au surplus la preuve des appels d'offres qu'elle invoque ; que, compte tenu de la pratique antérieure, du chiffre d'affaires généré par la relation et de la régularité des commandes, la relation revêtait les caractères d'une relation établie au sens de l'article susvisé, entendue comme une relation suivie, stable et habituelle ;
Mais considérant que la rupture brutale, au sens de l'article L. 442-6 I 5°, doit procéder d'une décision unilatérale de son auteur ; qu'en l'espèce, il est constant qu'un désaccord persistait sur les remises accordées, contestées à plusieurs reprises, en 2010 et 2011, unilatéralement par SGTP (pièces Ates n° 7, 8, et 9), désaccord constaté notamment par l'échange de lettres entre les parties des 19 et 25 janvier 2011 (pièces Ates n° 13 et 14) ; que le point de désaccord des parties portait sur des conditions substantielles de la relation commerciale, rendant dès lors impossible la poursuite de cette relation ; que la société SGTP n'est, dans ces conditions, pas fondée à prétendre que la rupture de la relation serait imputable à la société Ates ; que, par motif substitué, le jugement entrepris sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a débouté SGTP de sa demande fondée sur la rupture brutale de la relation commerciale établie ;
Sur les remises obtenues par la société Ates au titre de 2010
Considérant que la société Ates critique le jugement entrepris en ce qu'il a jugé qu'elle avait obtenu, lors de la négociation des remises et bonifications de fin d'année pour l'année 2010, des conditions manifestement abusives ;
Considérant que, par courrier du 29 septembre 2009, confirmé par celui du 22 janvier 2010 (pièces n° 12, 14) la société Ates a indiqué : " A compter de 2010, entrera en application une remise de 10 % indépendamment du chiffre d'affaires réalisé. A partir d'un chiffre d'affaires de 350 000 euros BFA de 1 % supplémentaire par tranche de 50 000 euros sera appliquée avec un plafonnement de 5 %... " ; que, par lettre du 4 février 2010 la société SGTP a précisé que la remise de 14 % s'appliquerait pour un chiffre d'affaires en 2010 identique à celui de 2009 (pièce n° 34) ; qu'Ates a, par courrier du 9 février 2010 (pièce n° 15), indiqué à SGTP : " Lors de votre dernier entretien téléphonique avec M. X, il a été convenu les points suivants : Remise immédiate de 14 % sur vos factures 2010 (...) Sans condition de chiffre d'affaires à l'identique de 2009, sans remise en cause en cas de non-atteinte du CA 2009 " (pièce Ates n° 11) ; que la remise de 14 % a été appliquée sur les factures émises en 2010 ; que SGTP ne soutient avoir contesté ni la position d'Ates telle qu'exposée dans son courrier du 9 février 2010, ni les factures payées pendant neuf mois, lesquelles prenaient en compte la remise de 14 % ; qu'elle n'invoque pas davantage la commission, par la société Ates, de manœuvres tendant à obtenir des remises hors de proportion avec celles pratiquées jusqu'alors ; qu'il s'en déduit que SGTP n'est pas fondée à contester une remise qu'elle a durablement validée ; qu'en conséquence, la cour la déboutera de sa demande de ce chef et infirmera en ce sens le jugement entrepris ;
Considérant que l'équité commande de condamner la société SGTP à payer à la société Ates la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SAS Société Générale de Transformation des Plastiques (SGTP) de sa demande fondée sur la rupture brutale de la relation commerciale établie ; L'infirme pour le surplus ; Déboute la SAS Société Générale de Transformation des Plastiques du surplus de ses demandes ; Condamne la SAS Société Générale de Transformation des Plastiques à payer à la SAS Ates la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SAS Société Générale de Transformation des Plastiques aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.