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Décisions

Cass. com., 5 juin 2019, n° 17-26.119

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Transgourmet opérations (SAS)

Défendeur :

Slad multifrais (SAS) , Slad Holding (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Sudre

Avocat général :

Mme Pénichon

Avocats :

SCP L. Poulet-Odent, SCP Célice, Soltner, Texidor, Périer

T. com. Caen, du 6 janv. 2016

6 janvier 2016

LA COUR : - Vu leur connexité, joint les pourvois n° 17-26.119 et 18-10.359 ; - Attendu, selon les arrêts attaqués, que la Société landaise d'achats directs produits frais (la société Slad produits frais) a conclu un contrat d'affiliation avec la société Prodirest, filiale du groupe Promodès ; qu'aux termes de ce contrat, la société Prodirest s'engageait à négocier pour le compte de son affiliée, via la centrale d'achat du groupe Promodès, les conditions d'achat auprès des fournisseurs de produits alimentaires, à communiquer ces conditions à la société Slad produits frais et à la faire bénéficier des avantages obtenus des fournisseurs ; que la société Slad produits frais a cédé son fonds de commerce à la société Slad multifrais laquelle a résilié, le 29 juin 1998, le contrat d'affiliation la liant à la société Prodirest ; que, reprochant à cette dernière de ne pas leur avoir reversé certaines ristournes différées, acquittées par les fournisseurs auprès du groupe Promodès, la société Slad Holding, venant aux droits de la société Slad produits frais, et la société Slad multifrais (les sociétés Slad) l'ont assignée en paiement des sommes dues en exécution du contrat d'affiliation ; que la société Transgourmet opérations (la société TGO), venant aux droits de la société Prodirest, a formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts, au titre de la perte des cotisations d'enseigne à échoir et pour rupture brutale des relations commerciales établies ; qu'après avoir, par le premier arrêt attaqué, fait droit à la demande des sociétés Slad, rejeté celle formée par la société TGO au titre de la perte des cotisations d'enseigne et sursis à statuer sur sa demande d'indemnité pour rupture des relations commerciales établies, la cour d'appel, par le second arrêt attaqué, a rejeté cette demande ;

Sur le moyen unique, pris en ses première et quatrième branches, du pourvoi n° 17-26.119 : - Attendu que la société TGO fait grief à l'arrêt du 6 juillet 2017 de la condamner à payer aux sociétés Slad la somme, en principal, de 562 267 euros au titre des remises différées et budgets restant dus et de rejeter sa demande de dommages-intérêts au titre de la perte des cotisations d'enseigne alors, selon le moyen : 1°) que s'il incombe à un mandataire de communiquer à son mandant les documents lui permettant de vérifier que l'intégralité des sommes encaissées pour son compte lui ont été reversées, il ne peut être imposé à une centrale de référencement, même mandatée par un franchisé dans la négociation avec les fournisseurs, de lui révéler la teneur de ses négociations, lesquelles relèvent du secret des affaires ; qu'il lui appartient seulement d'en faire connaître l'issue ; que, pour condamner la société TGO, venant aux droits de la société Prodirest, au paiement de ristournes, la cour a retenu que si les pièces n° 36 à 38 produites par cette dernière renseignaient sur les sommes versées aux sociétés Slad au titre des ristournes 1997 et 1998, elles ne donnaient aucun renseignement sur le contenu des accords conclus avec les fournisseurs référencés et, par voie de conséquence, sur le montant des sommes à revenir aux sociétés Slad, ce qui ne mettait pas le mandant en mesure de s'assurer que l'intégralité des sommes encaissées pour son compte par sa mandataire lui avait été reversée ; qu'en jugeant dès lors que le manquement de la société Prodirest à son obligation de rendre des comptes était ainsi caractérisé, quand ladite société n'avait aucune obligation de communiquer les contrats-cadres conclus avec les fournisseurs, dont le contenu était couvert par le secret des affaires, la cour a violé les articles 1134 ancien et 1993 du Code civil ; 2°) que la société TGO avait soutenu que si la résiliation unilatérale du contrat d'affiliation était possible, puisqu'elle était prévue par les stipulations de l'article 9 dudit contrat, ces dernières la soumettaient cependant à la délivrance préalable d'une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception, laquelle n'était pas intervenue ; que dès lors, la société TGO avait sollicité de ce chef l'allocation d'une indemnité de 83 850 euros, correspondant à la perte de cotisation d'enseigne subie ; que la cour, après avoir déclaré cette demande recevable, l'a néanmoins rejetée, au motif que le manquement consistant pour la société Prodirest à n'avoir pas reversé à son affiliée la totalité des avantages commerciaux auxquels elle pouvait prétendre autorisait cette dernière à résilier le contrat avant son terme ; qu'en se déterminant ainsi, sans avoir constaté que les sociétés Slad aient adressé, préalablement à cette rupture, une mise en demeure, telle qu'elle était prévue par les stipulations de l'article 9 du contrat d'affiliation, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1884 ancien du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, qu'après avoir relevé que le contrat d'affiliation faisait obligation à la société TGO de transmettre aux sociétés Slad les conditions traitées avec les fournisseurs et de les faire bénéficier de tous les avantages et conditions négociés, l'arrêt constate que la société TGO a refusé de communiquer les contrats-cadres conclus avec chaque fournisseur et s'est abstenue de répondre aux différentes lettres adressées par les sociétés Slad pour obtenir, par tous moyens, des informations complètes sur ces points, incluant les budgets, se contentant de leur transmettre un décompte des ristournes accordées pour les années 1997 et 1998, établi par ses soins ; qu'en cet état, la cour d'appel, qui ne s'est pas bornée à tirer les conséquences du défaut de communication des contrats-cadres, mais a aussi pris en considération l'absence de remise de tout autre document comportant des informations objectives permettant aux sociétés Slad de s'assurer que l'intégralité des sommes encaissées, pour leur compte, leur avaient été reversées, a, sans méconnaître le droit au secret des affaires, pu en déduire que la société TGO n'avait pas exécuté son obligation de rendre des comptes ;

Et attendu, d'autre part, qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des conclusions d'appel que la société TGO ait soutenu que les sociétés Slad avaient omis de respecter la clause du contrat subordonnant la faculté de résiliation unilatérale du contrat à l'envoi d'une mise en demeure préalable ; que le moyen est nouveau, et mélangé de fait et de droit ; d'où il suit, que le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le moyen unique, pris en sa troisième branche, du pourvoi n° 18-10.359 : - Attendu que la société TGO fait grief à l'arrêt du 30 novembre 2017 de rejeter sa demande d'indemnité pour rupture brutale des relations commerciales établies alors, selon le moyen, qu'en toute hypothèse, la société TGO, venant aux droits de la société Prodirest, a formé un pourvoi [n° 17-26.119] contre l'arrêt rendu par la même cour d'appel de Caen le 6 juillet 2017, en ce qu'il l'a condamnée au paiement de diverses sommes pour des manquements de la société Prodirest à ses engagements contractuels ; que, pour rejeter la demande de la société TGO, dirigée contre les sociétés Slad au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la cour s'est fondée sur les fautes attribuées à la société Prodirest par cet arrêt du 6 juillet 2017, et notamment sur le fait que cette dernière n'aurait pas exécuté son obligation de rendre des comptes aux sociétés Slad Holding et multifrais " en se refusant notamment à leur communiquer les contrats-cadres conclus avec chaque fournisseur et définissant l'ensemble des conditions et avantages consentis et qu'elle ne leur avait pas reversé la totalité des sommes devant leur revenir au titre des remises différées et des budgets " ; que la cassation à intervenir sur le pourvoi formé contre l'arrêt du 6 juillet 2017 entraînera, par voie de conséquence, sur le fondement de l'article 625 du Code de procédure civile, la cassation de l'arrêt rendu par la même cour le 30 novembre 2017, le premier étant le soutien nécessaire du second ;

Mais attendu que le rejet du moyen unique, pris en sa première branche, du pourvoi n° 17-26.119, rend le moyen sans portée ;

Mais sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches, du pourvoi n° 17-26.119 : - Vu l'article 1153, alinéa 4, du Code civil, devenu 1231-6, alinéa 3, du même Code ; - Attendu que pour condamner la société TGO au paiement, à titre de dommages-intérêts distincts de l'intérêt moratoire, d'une majoration de cinq points de l'intérêt au taux légal de la somme allouée en principal, l'arrêt se borne à retenir que, n'ayant pas bénéficié de la trésorerie constituée par les sommes non reversées depuis 1997 et 1998, les sociétés Slad ont été privées de la possibilité de développement correspondante ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la mauvaise foi de la société TGO et l'existence d'un préjudice distinct de celui résultant du retard de paiement, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche, du pourvoi n°18-10.359 : - Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; - Attendu que pour rejeter la demande d'indemnité de la société TGO, pour rupture brutale des relations commerciales établies, la cour d'appel, après avoir rappelé que par arrêt du 6 juillet 2017, elle avait jugé que la société TGO, en refusant de communiquer aux sociétés Slad les contrats-cadres conclus avec les fournisseurs et en ne leur reversant pas la totalité des sommes dues au titre des remises différées et des budgets, n'avait pas exécuté son obligation de rendre des comptes, a relevé que les sociétés Slad avaient vainement réclamé, dès le mois de juin 1997, à la société TGO, des informations complètes sur les avantages négociés et leur versement, et estimé que la rupture de la relation commerciale intervenue le 29 juin 1998, ne revêtait aucun caractère brutal et abusif ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans préciser si le manquement qu'elle retenait était suffisamment grave pour justifier la rupture sans préavis des relations commerciales établies, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief du pourvoi n° 18-10.359 : Sur le pourvoi n° 17-26.119 : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société TGO au paiement d'une majoration de cinq points de l'intérêt au taux légal de la somme allouée en principal, à titre de dommages-intérêts distincts de l'intérêt moratoire, et en ce qu'il statue sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 6 juillet 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; Sur le pourvoi n° 18-10.359 : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'indemnité pour rupture brutale des relations commerciales établies, et en ce qu'il statue sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 30 novembre 2017, par la cour d'appel de Caen ; Remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.