CA Bordeaux, président, 6 juin 2019, n° 19-00045
BORDEAUX
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
La Patate d'Eux (SAS)
Défendeur :
French Burgers Holding (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Heyte
Par acte sous-seing privé du 20 mai 2016, la société French Burgers Holding a signé un contrat de franchise avec Monsieur Stéphane B. et la société la Patate d'Eux au terme duquel notamment ces derniers s'interdisaient pendant une durée d'un an et à partir du local objet de la franchise d'exploiter directement ou indirectement un service de restauration ou de brasserie pour la fabrication et/ou la vente de burgers.
Des échanges ont eu lieu entre les parties à compter de l'été 2018 concernant l'éventuelle évolution du cadre juridique de leurs relations d'affaires, aucun contrat n'étant cependant conclu ni accord formalisé.
La société French Burgers Holding a été mise en procédure de redressement judiciaire par décision du 3 octobre 2018, la Selarl M. étant désignée en qualité de mandataire judiciaire, remplacée par la Selarl Ekip, en raison d'une fusion absorption.
Par assignation du 13 décembre 2018, la société French Burgers Holding a saisi le juge des référés du tribunal de commerce au motif que, bien qu'ils aient indiqué quitter la franchise, Monsieur B. et la société La Patate d'Eux ont continué à vendre des burgers et à utiliser le logo et la signalétique de la société French Burgers Holding en violation du contrat de franchise.
L'ordonnance de référé précitée a été rendue le 5 mars 2019 avec le dispositif suivant :
- condamnons Monsieur Stéphane B. et la société la Patate d'Eux SAS de cesser immédiatement toute commercialisation de BURGERS en application de l'article 14. 1 du contrat, sous astreinte de 500 par jour, à compter de la signification de la présente décision, pendant un mois, passé ce délai, il sera à nouveau fait droit,
- interdisons Monsieur Stéphane B. et la société la Patate d'Eux SAS d'utiliser sans autorisation préalable de la société French Burger holding SA S, la marque French Burgers Made in Chef ou tout autre élément d'identification se rattachant à ce concept ;
- condamnons Monsieur Stéphane B. et la société la Patate d'Eux SAS a déposé leur enseigne le tout sous astreinte de 500 par jour, à compter de la signification de la présente décision, pendant un mois, passé ce délai il sera à nouveau fait droit,
- condamnons à titre provisionnel en application de l'article 873 du Code de procédure civile, Monsieur Stéphane B. et la société la Patate d'Eux SAS à payer à la société French Burger Holding SA S la somme de 3000 par mois et ce à compter du 6 octobre 2018 jusqu'à la cessation effective de la vente de Burgers,
- déboutons Monsieur Stéphane B. et la société la Patate d'Eux SAS de leurs demandes reconventionnelles ;
- condamnons Monsieur Stéphane B. et la société la Patate d'Eux SA à payer à la société
French Burger Holding SA S la somme de 2 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; (...).
Dans leurs assignation et conclusions développées à l'audience, les demandeurs sollicitent à titre principal d'arrêter l'exécution provisoire assortissant cette ordonnance, à titre subsidiaire de limiter l'exécution provisoire à un montant raisonnable ; à titre infiniment subsidiaire d'ordonner la consignation d'une somme suffisante par exemple entre les mains du bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Bordeaux désigné en qualité de séquestre ou d'ordonner la fourniture de toute garantie par la société French Burgers Holding et en tout état de cause de condamner la société French Burgers Holding à payer à la société et à M. B. la somme de 3 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Ils soutiennent que le contrat de franchise a été rompu et qu'un nouveau contrat a été conclu issu de la rencontre entre l'offre de la société French Burgers et son acceptation ferme et définitive par la société la Patate d'Eux, portant notamment sur la conservation de trois burgers sur sa nouvelle carte de brasserie.
Ils avancent que le juge des référés a statué en violation de l'article 12 du Code de procédure civile en donnant une qualification erronée aux faits et aux actes en l'espèce en se basant sur le contrat de franchise rompu et a statué ultra petita en interdisant aux demandeurs de commercialiser des burgers quels qu'ils soient alors que la demande de la société FBH ne concernait que la cessation de la commercialisation des seuls french burgers non estampillés French Burgers.
Ils soutiennent que l'exécution provisoire aura des conséquences irréparables et manifestement excessives, la plaçant en difficulté alors que son chiffre d'affaires est en grande partie réalisé par la catégorie
Burger et susceptible d'entraîner la cessation des paiements de la société, que Monsieur B. risquerait de perdre son emploi alors qu'il est caution personnelle et solidaire de la société ; que le risque de non restitution constitue également une conséquence manifestement excessive ce qui est le cas pour la société FBH puisqu'elle fait l'objet d'un redressement judiciaire.
Dans leurs conclusions développées à l'audience, la société French Burgers Holding et la société Ekip mandataire judiciaire demandent de dire Monsieur B. et la société la Patate d'Eux mal fondés en leurs demandes et de les en débouter ; à titre subsidiaire d'ordonner la consignation des condamnations prononcées à l'encontre à leur rencontre sur le compte Carpa du conseil de la société French Burgers Holding et de condamner Monsieur B. et la société la Patate d'Eux solidairement à payer la somme de 1 500 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens.
Pour l'essentiel, ils soutiennent qu'après divers échanges par courrier du 19 juillet 2018, la société la Patate d'Eux a choisi de quitter l'enseigne tout en conservant à la carte un à trois burgers French Burgers sans toutefois préciser la date de sortie de son établissement du réseau de franchise, ni préciser le nom et le nombre de burgers qu'elle souhaitait conserver sur sa carte ou encore les modalités financières et les conditions d'utilisation de la marque ; qu'elle a notifié sa sortie du réseau le 6 octobre 2018 bien qu'aucun protocole n'ait été signé entre les parties pour encadrer cette sortie ; qu'elle a postérieurement à cette date continué à vendre des burgers de surcroît non estampillés French Burgers et sous enseigne French Burgers en violation de la clause de non-concurrence ; que cette situation lui cause un grave préjudice alors qu'elle souhaite ouvrir un nouveau point de vente de burgers à Mérignac pour pallier au départ de ce franchisé ; que malgré mise en demeure du 12 novembre 2018 la société la Patate d'Eux a continué à vendre des burgers et à utiliser des éléments d'identification de la marque French Burger Made in Chef créant la confusion chez le consommateur.
Ils contestent le risque de conséquences manifestement excessives soulignant que la vente de burgers n'était pas originairement l'activité principale de la société la Patate d'Eux, qu'elle s'est engagée dès la signature du contrat de franchise à ne pas commercialiser des burgers à l'issue du contrat de franchise et ce pendant la durée d'un an ; que la brièveté de ce délai justifie de ne pas faire cesser l'exécution provisoire; que les documents comptables que la société la Patate d'Eux versés finalement au débat démontrent que son chiffre d'affaires sur 12 mois au regard du bilan clos au 31 décembre 2018 est en constante progression et que son chiffre d'affaires réalisé au mois d'avril 2019 s'élève à 72 034,99 , alors qu'en avril 2016, juste avant de rentrer dans le réseau de franchise ; son chiffre d'affaires était de 64 023 ; que l'interdiction de commercialiser des burgers n'entraîne pas de conséquences manifestement excessives.
Ils soutiennent que dans le cadre de son redressement judiciaire la société French Burger s'est restructurée et ne présente aucune difficulté actuelle et que les demandeurs au référé ne cherchent qu'à retarder le prononcé des condamnations à leur encontre.
Pour le surplus ils soulignent qu'une éventuelle erreur commise par le premier juge ne constitue pas une violation manifeste des devoirs du juge tirés de l'article 12 précité au sens de l'article 524 du Code de procédure civile ; que le juge a fait une juste application du contrat de franchise qui interdit à la société la Patate d'Eux de commercialiser des burgers, et que le juge n'a fait que répondre qu'aux observations faites à la barre par la société la Patate d'Eux qui prétendait ne pas comprendre ce qui étaient des " burgers non estampillés French Burger ".
Motifs de la décision :
Aux termes de l'article 524 du Code de procédure civile,
Lorsque l'exécution provisoire a été ordonnée, elle ne peut être arrêtée, en cas d'appel, que par le premier président et dans les cas suivants :
1° Si elle est interdite par la loi ;
2° Si elle risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives ; dans ce dernier cas, le premier président peut aussi prendre les mesures prévues aux articles 517 à 522.
Le même pouvoir appartient, en cas d'opposition, au juge qui a rendu la décision.
Lorsque l'exécution provisoire est de droit, le premier président peut prendre les mesures prévues au deuxième alinéa de l'article 521 et à l'article 522.
Le premier président peut arrêter l'exécution provisoire de droit en cas de violation manifeste du principe du contradictoire ou de l'article 12 et lorsque l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives
Il résulte des dispositions ci-dessus mentionnées que les deux termes de la proposition sont cumulatifs et que l'éventualité de conséquences manifestement excessives n'a lieu d'être examinée qu'à la condition que l'une ou l'autre des conditions du premier terme de la proposition est caractérisée.
En l'espèce, il résulte des pièces versées et des débats qu'aucune violation manifeste du principe du contradictoire n'est reprochée à l'ordonnance déférée.
L'article 12 du Code de procédure civile dispose que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat.
Les demandeurs au référé font grief au premier juge d'avoir commis une erreur dans la qualification des faits alors que, selon eux, il ne fait aucun doute que le contrat de franchise avait pris fin et qu'un nouvel accord avait été conclu entre les parties ; que le franchiseur qui avait accepté de mettre fin au contrat ne peut se prévaloir du contrat de franchise et que le juge a statué ultra petita en ordonnant la cessation de la vente de tout burger quel qu'il soit.
Le seul fait que les demandeurs au référé contestent l'analyse en droit et en fait du premier juge ne suffit pas à constituer une violation caractérisée de l'article 12, notion qui renvoie à une violation manifeste par le juge des obligations de son office.
Or, le premier juge s'est à l'évidence strictement inscrit dans le cadre juridique des relations et des prétentions entre les parties , en l'espèce un contrat de franchise conclu entre elles le 20 mai 2016 comportant notamment une clause de non-concurrence au terme de laquelle Monsieur Stéphane B. et la société la Patate d'Eux s'interdisaient pendant une durée de un an et à partir du local objet de la franchise d'exploiter directement ou indirectement un service de restauration ou de brasserie pour la fabrication et/ou la vente de burgers.
Si Monsieur Stéphane B. et la société la Patate d'Eux prétendent quant à eux qu'un nouvel accord a mis à néant cette précédente convention, le premier juge a examiné cette thèse mais au vu des débats et des éléments produits , n'a pas considéré comme suffisamment caractérisés les éléments indispensables à toute convention à savoir l'accord sur la chose (le nombre exact de burgers French Burgers qui pourraient figurer à leur carte et leur dénomination) le prix et les limites temporelles de nature à fonder leurs prétentions à l'arrêt de l'exécution provisoire.
Dès lors il ne résulte pas des débats et des pièces versées l'existence d'une violation caractérisée de l'article 12 par le premier juge, lequel a statué en considération de la clause de non-concurrence du contrat de franchise (article 14.1) qui dispose notamment s'agissant des conséquences de la cessation du contrat : (..) " à la cessation du contrat, le franchisé pourra continuer l'exploitation d'une activité de restauration dans son établissement. Toutefois, et aux fins de protéger les méthodes originales et le savoir spécifique transmis dans le cadre du contrat, le franchisé s'interdit pendant une durée d'un an et à partir du local objet de la présente franchise, d'exploiter, directement ou indirectement, un service de restauration ou de brasserie pour la fabrication et/ou la vente de burgers, que ce soit à titre exclusif et spécialisé ou à titre complémentaire à une autre offre de restauration, et qu'il s'agit d'une exploitation isolée ou affiliée un réseau d'enseigne ".
La condamnation " à cesser immédiatement toute commercialisation de burgers en application de l'article 14. 1 du contrat ", mentionnée au dispositif de l'ordonnance de référé, en corrélation directe avec la clause ci-dessus reproduite et avec les éléments de faits du litige, ne constitue en l'état des débats une violation manifeste de l'article 12 au sens de l'article 524 du Code de procédure civile.
Cette première condition n'étant pas caractérisée, il n'y a pas lieu d'examiner l'éventualité de conséquences manifestement excessives.
En conséquence la demande d'arrêt de l'exécution provisoire est mal fondée et M.B. et la SAS la Patate d'eux doivent être déboutés de l'ensemble de leurs prétentions principales ou subsidiaires.
Ils seront solidairement condamnés aux dépens et l'équité commande de les condamner in solidum à payer à la société French Burgers Holding la somme de 3 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Déclarons mal fondée la demande d'arrêt de l'exécution provisoire attachée l'ordonnance de référé du tribunal de commerce de Bordeaux du 5 mars 2019. Déboutons la société Sas la Patate d'Eux et M. Stéphane B. de l'ensemble de leurs prétentions. Condamnons in solidum la société Sas la Patate d'Eux et M. Stéphane B. aux entiers dépens de la présente instance ainsi qu'à payer à la société Sas French Burgers Holding la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.