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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 13 juin 2019, n° 18-20229

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Alcyon (SA), Alcyon France (SA)

Défendeur :

Ministre chargé de l'economie, Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Michel-Amsellem

Conseillers :

M. Mollard, Mme Tréard

Avocats :

Mes Baechlin, Vogel, Blouet

CA Paris n° 18-20229

13 juin 2019

Vu la décision de l’Autorité de la concurrence n° 18-D-15 du 26 juillet 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de médicaments vétérinaires ;

Vu les déclarations de recours formées contre cette décision, déposées au greffe de la cour par les sociétés Alcyon et Alcyon France le 4 septembre 2018, respectivement enregistrées sous les n° RG 18/20229 et RG 18/20242 ;

Vu le recours incident exercé contre la même décision par le ministre chargé de l’Economie, le 22 octobre 2018, enregistré sous le n° RG 18/22681 ;

Vu l’ordonnance du délégué du premier président du 18 septembre 2018 par laquelle ces procédures ont été jointes sous le n° RG 18/20229 ;

Vu les observations déposées au greffe de la cour par le ministre chargé de l’Economie le 14 novembre 2018 ;

Vu les observations déposées au greffe de la cour par l’Autorité de la concurrence le 15 janvier 2019 ;

Vu le mémoire récapitulatif déposé au greffe de la cour par les sociétés Alcyon et Alcyon France le 5 mars 2019 ;

Vu l’avis du Ministère public en date du 10 avril 2019, communiqué le même jour aux sociétés Alcyon France et Alcyon, à l’Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l’Economie ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 11 avril 2019 , en leurs observations orales les conseils des sociétés Alcyon et Alcyon France, l’Autorité de la concurrence, le ministre chargé de l’Economie et le Ministère public, les parties ayant été mises en mesure de répliquer ;

FAITS ET PROCÉDURE

1. Le 4 décembre 2013, le ministre chargé de l’Economie a, en application de l'article L. 450-3 II du Code du commerce, informé le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence (ci-après l' " Autorité ") du résultat d'investigations menées par ses services dans le secteur de la distribution de produits vétérinaires et lui a transmis un rapport administratif d'enquête identifiant, dans ce secteur, des pratiques susceptibles d'être contraires à l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Le secteur du médicament vétérinaire

2. Le circuit du médicament vétérinaire en France est organisé, aux termes de la décision attaquée, en trois niveaux distincts :

- en amont, se trouve la fabrication de médicaments vétérinaires par les laboratoires ;

- à un premier stade intermédiaire, intervient la distribution en gros des médicaments vétérinaires par des distributeurs, des dépositaires ou des groupements de vétérinaires aux professionnels habilités à vendre ces médicaments aux ayants droit, à savoir les vétérinaires, les groupements d'éleveurs et les pharmaciens ;

- à un second stade intermédiaire, intervient la vente au détail de ces médicaments par les ayants droit aux utilisateurs finaux (éleveurs, propriétaires d'animaux).

3. Trois types d'acteur sont schématiquement identifiés dans ce secteur :

- les fabricants, qui sont fortement concentrés. Les cinq premiers laboratoires représentent plus de 60 % du chiffre d'affaires du secteur ;

- les distributeurs, qui recouvrent les distributeurs en gros (également appelés " grossistes-répartiteurs "), les dépositaires et les groupements d'intérêt économique (ci-après les " GIE ") de vétérinaires. Moins d'une dizaine d'entreprises dispose de l'autorisation administrative, délivrée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, permettant d'exercer les fonctions de distributeur en gros. Les trois plus importantes, les sociétés Alcyon, Centravet et Coveto, sont constituées sous la forme de coopératives de vétérinaires. Elles représentent près de 70 % des ventes de médicaments vétérinaires en France ;

- les ayants droit, qui sont habilités à délivrer des médicaments vétérinaires soumis à autorisation de mise sur le marché. Il en existe trois catégories. Tout d'abord, les vétérinaires, qui peuvent à la fois prescrire et délivrer les médicaments. Ensuite, sous certaines conditions, les groupements de producteurs agréés, qui sont autorisés à vendre des médicaments vétérinaires auprès de leurs éleveurs adhérents. Enfin, les pharmaciens qui représentent 5 % des ventes de médicaments vétérinaires.

4. Il doit être précisé que les distributeurs en gros sont des centrales de distribution qui agissent en tant qu'intermédiaires entre les laboratoires et les vétérinaires. Ils ont pour fonction de référencer les produits des laboratoires, de les stocker et de les livrer à leurs vétérinaires adhérents (conformément à l'article R. 5142-1 alinéa 5 du Code de la santé publique). Ils permettent aux vétérinaires de passer une seule commande multi-laboratoires et de bénéficier de conditions financières avantageuses auprès des laboratoires.

5. Les dépositaires de médicaments vétérinaires agissent pour le compte des fabricants. Ils ont pour fonction principale de stocker les médicaments. Ils ne gèrent aucun flux financier, la vente étant effectuée directement entre le fabricant et l'ayant droit. Ils assurent une prestation logistique et se rémunèrent à la commission. Ils ne supportent ni les frais d'invendus ni le financement des stocks (conformément aux article R. 5142-1 alinéa 4 du Code précité). Ils représentent environ 10 % de la distribution des médicaments vétérinaires aux ayants droit.

6. Les GIE de vétérinaires sont le plus souvent des cabinets vétérinaires qui se regroupent pour négocier l'achat de leurs médicaments auprès des fabricants. Ces GIE ne peuvent pas acheter directement un produit, n'étant pas légalement des ayants droit au sens du Code de la santé publique.

7. La France figure parmi les premiers pays producteurs d'animaux d'élevage de l'Union européenne et dispose de la population d'animaux de compagnie la plus importante en Europe. Elle constitue le premier débouché européen du médicament vétérinaire et représentait en 2013, 24 % des ventes de médicaments vétérinaires en Europe.

8. C'est dans ce contexte que sont intervenues les pratiques mentionnées dans le rapport administratif d'enquête précité.

Les entreprises en cause

9. Plusieurs entreprises ont été mises en cause au cours de la procédure, seules deux d'entre elles ont toutefois saisi la cour. Les développements qui suivent seront donc limités aux éléments utiles à l'examen du recours entrepris.

10. La société Alcyon France est une société anonyme à conseil d'administration, filiale de la société anonyme Alcyon. Elle fonctionne selon le modèle coopératif et comporte un conseil d'administration uniquement composé de vétérinaires.

11. Elle est le leader de la distribution de produits vétérinaires en gros en France. Elle réalise l'essentiel de son chiffre d'affaires auprès des vétérinaires.

12. Issue du rapprochement de quatre centrales de distribution régionales (Pau, Lyon, Arras, Landerneau), la société Alcyon France est active sur l'ensemble du territoire national et chacun de ses quatre sites de distribution est responsable d'un secteur géographique.

13. Elle a réalisé un chiffre d'affaires hors taxes de 463 millions d'euros au cours de l'exercice clos le 30 septembre 2016.

14. La société Alcyon est détentrice de 99,94 % du capital de sa filiale Alcyon France.

15. Le chiffre d'affaires consolidé du groupe s'est élevé à 604,3 millions d'euros pour l'exercice clos le 30 septembre 2016 (cote 21039 du dossier de procédure).

16. Parmi les autres entités concernées par cette procédure, il convient de signaler la Fédération de la distribution du médicament vétérinaire (ci-après la " FDMV "), qui est un organisme professionnel, créée en octobre 2008 par sept distributeurs en gros de produits vétérinaires, parmi lesquels la société Alcyon France (cotes 18657 à 18732 du dossier de procédure). Cette association à but non lucratif a pour mission d'assurer la défense des intérêts économiques et industriels de ses membres et de les représenter auprès de l'administration.

La procédure

17. Par décision n° 14-SO-01 du 21 janvier 2014, l'Autorité s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits vétérinaires.

18. Par un courrier du 31 janvier 2018, le rapporteur général de l'Autorité a notifié trois griefs à plusieurs sociétés du secteur ainsi qu'à la FDMV.

19. Il a notamment été fait grief aux sociétés Alcyon France et Alcyon, la première en tant qu'auteur, la seconde en sa qualité de société mère, ainsi qu'à la société Coveto " d'avoir participé à une entente sur les marchés français de la distribution en gros de médicaments vétérinaires, d'aliments pour animaux de compagnie et de matériels et accessoires, en mettant en œuvre, dans le cadre de réunions bilatérales, un accord qualifié par les entreprises mise en cause de 'pacte de non-agression' visant à se répartir la clientèle ", cette pratique ayant eu " pour objet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur les marchés français de la distribution en gros de médicaments vétérinaires, d'aliments pour animaux de compagnie et de matériels et accessoires " (grief n° 1).

20. Il a également été fait grief aux sociétés Alcyon France et Alcyon, la première en tant qu'auteur, la seconde en sa qualité de société mère, ainsi qu'à de nombreuses autres sociétés " d'avoir sur le marché de la distribution de vaccins contre la FCO [fièvre catarrhale ovine] en France mis en œuvre une entente unique, complexe et continue en mettant en œuvre des pratiques participant au même objectif commun et global de réduction de l'incertitude concurrentielle consistant en :

- la fixation en commun des coûts d'acheminement des vaccins contre la FCO présentés à l'administration lors des campagnes de vaccination obligatoire contre la FCO de 2008, 2008/2009 et 2009/2010 ;

- la fixation en commun des prix facturés aux vétérinaires lors des campagnes de vaccination obligatoire contre la FCO de 2008/2009 et 2009/2010 ;

- des échanges de données individualisées récentes et détaillées sur les coûts ;

- des concertations sur la stratégie à adopter face à l'administration et aux vétérinaires ",

21. Ces pratiques ayant eu " pour objet d'imposer sur le marché de la distribution des vaccins contre la FCO en France de 2008 à 2010, un mode d'organisation substituant au libre exercice de la concurrence, à l'autonomie et à l'incertitude, une collusion généralisée entre les distributeurs en gros portant atteinte à la fixation des prix par le libre jeu du marché " (grief n° 3).

22. Les sociétés Alcyon France et Alcyon ne sont en revanche pas visées par le grief n° 2.

23. Les entreprises concernées ayant toutes sollicité le bénéfice de la procédure de transaction, prévue au III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, la mise en œuvre de ces dispositions a donné lieu, pour chacune d'entre elles, à l'établissement d'un procès-verbal de transaction, signé avec le rapporteur général adjoint, fixant les montants maximal et minimal de la sanction pécuniaire envisagée.

24. Un procès-verbal de transaction a ainsi été signé par le rapporteur général adjoint et les sociétés Alcyon et Alcyon France le 25 avril 2018, prévoyant que la sanction susceptible de leur être infligée serait comprise entre 6 et 11 millions d'euros.

25. Par décision n° 18-D-15 du 26 juillet 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de médicaments vétérinaires (ci-après la " décision attaquée "), l'Autorité a dit qu'un certain nombre d'entreprises, dont les sociétés Alcyon et Alcyon France, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et du paragraphe 1 de l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après le " TFUE ") en mettant en œuvre les pratiques visées par les griefs exposés aux paragraphes 144 à 146 de la décision.

26. Elle a notamment considéré que les sociétés Alcyon France, en tant qu'auteur des pratiques, et Alcyon, en sa qualité de société mère ayant exercé une influence déterminante sur sa filiale, ont mis en œuvre, pour la période du 17 janvier 2007 à fin décembre 2009, les pratiques visées par le grief n° 1 et, pour la période du 28 juin 2005 au 2 novembre 2010, les pratiques visées par le grief n° 3.

27. S'agissant de la fixation des sanctions, l'Autorité a estimé que des accords de répartition de clientèle tels que ceux objets des griefs n° 1 et 2 constituent, par leur nature même, des infractions graves au droit de la concurrence.

28. De même, elle a considéré que des pratiques d'entente telles que celles objet du grief n° 3 constituent, par leur nature même, des infractions particulièrement graves au droit de la concurrence.

29. Elle a également tenu compte de la particulière gravité de l'infraction objet du grief n°3, qui a été mise en œuvre sous l'égide de la FDMV durant la crise sanitaire de la fièvre catarrhale ovine (ci-après la " FCO "). Elle a en effet retenu que les distributeurs en gros avaient profité de l'urgence sanitaire liée à la propagation rapide de la FCO et de l'absence d'appel d'offres, pour induire sciemment en erreur l'acheteur public sur les véritables coûts logistiques de livraison des vaccins supportés par chacun d'entre eux, compromettant ainsi la bonne utilisation des deniers publics.

30. En conséquence, l'Autorité a infligé aux entreprises poursuivies des sanctions pécuniaires comprises entre 3 000 euros et dix millions d'euros. Les sociétés Alcyon France et Alcyon ont été solidairement condamnées, au titre des griefs n° 1 et 3, à une sanction pécuniaire unique de 10 millions d'euros, soit la plus lourde des sanctions prononcées.

Les recours entrepris

31. Les sociétés Alcyon et Alcyon France (ci-après les " sociétés Alcyon ") ont déposé un recours contre la décision attaquée, tandis que le ministre chargé de l’Economie a formé un recours incident.

32. Par leur recours, les sociétés Alcyon demandent à la cour de :

- déclarer leurs recours recevables et fondés ;

- rejeter l'ensemble des demandes du ministre chargé de l’Economie et de l'Autorité ;

- réformer la décision attaquée en ce qui concerne le montant de la sanction pécuniaire qui leur a été infligée et limiter le montant de celui-ci à la somme de 6 millions d'euros ;

- ordonner le remboursement par le Trésor public à la société Alcyon des sommes versées le cas échéant, au titre de la sanction pécuniaire prononcée à son encontre par la décision attaquée, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du Code civil.

33. Par son recours incident, le ministre chargé de l’Economie demande à la cour de :

- à titre principal, déclarer irrecevables les moyens venant au soutien des recours en réformation formés par les sociétés Alcyon ;

- à titre subsidiaire, constater que par ces recours les sociétés Alcyon remettent en cause la transaction et, par voie de conséquence, réformer l'article 2 de la décision attaquée en fixant une sanction d'un montant de 12 millions d'euros ;

- à titre très subsidiaire, réformer le montant de cette sanction et le fixer à 11 millions d'euros ;

- à titre infiniment subsidiaire, rejeter les moyens des sociétés Alcyon et les condamner aux dépens.

34. L'Autorité demande à la cour d'écarter l'ensemble des moyens invoqués par les requérantes et de rejeter leurs recours.

35. Le Ministère public conclut à la recevabilité du recours des sociétés Alcyon et à son bien-fondé en ce qui concerne le grief fondé sur l'absence de motivation de l'individualisation de la sanction des sociétés Alcyon. Il s'en remet à l'appréciation souveraine de la cour quant à la détermination du montant de la sanction et conclut au rejet de la demande de majoration de la sanction formée par le ministre chargé de l’Economie.

MOTIVATION

Sur la recevabilité des recours des sociétés Alcyon

36. Le ministre chargé de l’Economie et l'Autorité rappellent tout d'abord l'esprit de la transaction, qui a pour finalité de remédier à l'absence de prévisibilité de la sanction et de permettre une économie sur le temps d'instruction devant l'Autorité et sur le temps de procédure global en prévenant les recours. Ils insistent ainsi sur le fait qu'il s'agit d'une procédure négociée et qu'avant de statuer, le collège de l'Autorité s'assure auprès de la personne mise en cause qu'elle ne souhaite pas remettre en cause les termes de la transaction. Ils considèrent qu'en demandant, en substance, de réduire la sanction infligée, alors que son quantum est pourtant compris dans la fourchette convenue et acceptée en toute connaissance de cause, les sociétés Alcyon non seulement remettent en cause la transaction dans la présente espèce, mais, de manière générale, menacent la pérennité de cette procédure. Ils en déduisent qu'une telle contestation doit être considérée comme irrecevable, d'autant qu'elle permettrait à une partie d'agir contre ses propres actes.

37. Le ministre chargé de l’Economie oppose par ailleurs la règle de l'estoppel et le principe d'interdiction de se contredire au détriment d'autrui. Il fait observer que la mauvaise foi des requérantes contraint l'Autorité à présenter une défense ciblée sur la contestation d'éléments dont elle pouvait considérer que les parties à la transaction ne les remettraient plus en question.

38. Il invoque également l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 6 juillet 2017 (RG n° 2017/07296), dans lequel celle-ci a jugé que, dans le cadre de la procédure prévue par l'article L. 464-2 III du Code de commerce, "l'entreprise en cause accepte de ne pas contester les griefs, ainsi que le montant même de la sanction infligée, ce qui revient à une renonciation à ses droits de la défense et à son droit au recours sur ces points ", ainsi que la jurisprudence constante dont cet arrêt est le prolongement, rendue en matière de non-contestation de griefs, aux termes de laquelle une entreprise n'est pas recevable à remettre en cause des éléments de droit ou de fait qu'elle n'a pas contesté devant l'Autorité. Il ajoute que la même solution est retenue par la Cour de justice de l'Union européenne.

39. Enfin, il estime que, si les décisions rendues dans une procédure de transaction n'échappent pas à tout contrôle juridictionnel, ce contrôle doit toutefois être limité à des situations spécifiques telles que l'adoption d'une décision qui s'écarterait de la notification de griefs ou de la proposition de transaction. Il observe que tel n'est pas le cas de la décision attaquée.

40. En réplique, les sociétés Alcyon font valoir que le droit au recours est un droit fondamental protégé par l'article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, auquel il ne peut être renoncé que de manière expresse et non équivoque. Elles estiment également que l'analyse des différentes procédures de transaction prévues en droit français révèle qu'elles n'impliquent pas systématiquement renonciation au droit de contester la sanction et elles considèrent qu'une telle renonciation doit être prévue par les textes. Elles observent que la loi prévoit que la partie renonce à contester les griefs, mais non qu'elle renonce à son droit de recours contre la sanction, et que le procès-verbal de transaction ne l'indique pas non plus.

41. Elles ajoutent que l'importante marge d'appréciation laissée au collège de l'Autorité doit nécessairement faire l'objet d'un contrôle de la cour et qu'elles ne méconnaissent pas le principe de l'estoppel en exerçant un droit fondamental contre une décision qui n'a pas expliqué pourquoi l'Autorité a retenu le haut de la fourchette, ni tenu compte, notamment, de la situation financière fragile des requérantes.

42. Le Ministère public approuve cette analyse et conclut à la recevabilité de leurs recours.

43. La cour rappelle que l'article L. 464-2 III du Code de commerce, dans sa version résultant de l'article 218 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, applicable au litige, dispose : " Lorsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut lui soumettre une proposition de transaction fixant le montant minimal et le montant maximal de la sanction pécuniaire envisagée. Lorsque l'entreprise ou l'organisme s'engage à modifier son comportement, le rapporteur général peut en tenir compte dans sa proposition de transaction. Si, dans un délai fixé par le rapporteur général, l'organisme ou l'entreprise donne son accord à la proposition de transaction, le rapporteur général propose à l'Autorité de la concurrence, qui entend l'entreprise ou l'organisme et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I dans les limites fixées par la transaction. "

44. Aux termes de l'article L. 464-8 du même Code, " [l]es décisions de l'Autorité de la concurrence mentionnées aux articles L. 462-8, L. 464-2, L. 464-3, L. 464-5, L. 464-6, L. 464-6-1 et L. 752-27 sont notifiées aux parties en cause et au ministre chargé de l’Economie, qui peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours en annulation ou en réformation devant la cour d'appel de Paris. "

45. Il s'ensuit qu'un recours est ouvert contre les décisions prises par l'Autorité sur le fondement de l'article L. 464-2 III du Code de commerce.

46. Comme le confirment les termes de l'amendement n° SPE1541, présenté par le Gouvernement le 8 janvier 2015, qui a introduit, dans le projet de loi (n° 2447) pour la croissance et l'activité, un nouvel article devenu l'article 218 de la loi du 6 août 2015 précitée, la nouvelle procédure de transaction a été instaurée en vue de permettre " une économie sur le temps d'instruction devant l'autorité de la concurrence et sur le temps de procédure global, en prévenant les recours " (souligné par la cour). L'emploi du verbe " prévenir " démontre qu'il n'a pas été envisagé d'interdire tout recourt contre les décisions de sanctions prises à l'issue d'une procédure de transaction, le but recherché étant seulement d'en limiter le nombre, par rapport à la procédure de non-contestation des griefs.

47. De fait, consentir à ne pas contester la réalité des griefs notifiés et à cantonner la discussion relative au montant de la sanction à l'intérieur d'une fourchette prévoyant un montant minimal au-dessous duquel l'Autorité ne pourra pas descendre et un montant maximal qu'elle ne pourra pas dépasser, n'implique pas pour autant que l'entreprise renonce à toute voie de recours concernant la régularité de la procédure suivie et n'induit pas davantage qu'elle reconnaît la proportionnalité de la sanction infligée, où qu'elle se situe dans la fourchette.

48. En effet, l'entreprise ne saurait admettre la proportionnalité du montant d'une sanction qui n'a pas encore été arrêté par le collège de l'Autorité et dont elle ne pourra se convaincre qu'à la lumière des motifs de la décision qui la condamne. La possibilité pour une entreprise ayant accepté d'entrer en voie de transaction de former un recours contre la sanction qui lui est infligée, fût-elle comprise dans la fourchette qu'elle avait acceptée, n'est donc susceptible de méconnaître ni l'interdiction de ne pas se contredire au détriment d'autrui ni la règle de l'estoppel.

49. Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent l'Autorité et le ministre chargé de l’Economie, une telle possibilité de recours ne prive pas la procédure de transaction de son intérêt pour l'Autorité dès lors que les contestations qui pourront être élevées devant la cour d'appel demeurent limitées.

50. En conséquence, les recours des sociétés Alcyon doivent être déclarés recevables.

Sur le recours du ministre et le bien-fondé de sa demande principale

51. Le ministre chargé de l’Economie demande, à titre principal, la réformation du montant de la sanction afin qu'elle soit portée à 12 millions d'euros.

52. Il fait valoir qu'une telle augmentation est justifiée par la remise en cause de la transaction par les requérantes, qui a fait perdre à l'Autorité le bénéfice des gains procéduraux que devait lui apporter cette procédure. Selon le ministre, une augmentation de 10 % du montant maximal de la fourchette compenserait ainsi la réduction accordée au titre de la transaction.

53. Invoquant leur bonne foi, les sociétés Alcyon font valoir qu'elles n'entendent pas remettre en cause la fourchette de la transaction qui a été fixée par le rapporteur général, mais uniquement exercer leur droit de recours pour voir fixer le montant de la sanction au seuil plancher de 6 millions d'euros. Elles demandent donc à la cour de ne pas accueillir la demande du ministre.

54. Comme la cour l'a indiqué aux paragraphes 47 et suivants du présent arrêt, le recours formé par une entreprise sanctionnée, contre une décision rendue à l'issue d'une procédure de transaction, peut porter sur le montant de la sanction infligée, dès lors qu'il ne remet pas en cause la fourchette de transaction acceptée.

55. La cour observe que le ministre de l'économie ne remet en cause ni le principe ni la fourchette de transaction en cause mais fonde son recours incident sur l'abandon du bénéfice de cette procédure par suite du recours formé par les sociétés Alcyon.

56. Or, contrairement à ce que soutient le ministre chargé de l’Economie, les recours des sociétés Alcyon ne conduisent pas à un tel abandon en ce qu'ils ne privent pas l'Autorité du gain procédural escompté. En effet, les griefs ne sont pas contestés et la discussion a été circonscrite au seul contrôle des exigences légales de motivation et proportionnalité applicable à toute sanction.

57. Dans cette limite, les recours entrepris par les sociétés Alcyon ne sauraient s'analyser comme un abandon de la procédure de transaction, qui justifierait une sanction de 12 millions dépassant son plafond, comme le demande le ministre de l'économie, à titre principal, dans le cadre de son recours incident.

58. Cette demande doit donc être rejetée.

Sur la demande des sociétés Alcyon et la demande subsidiaire du ministre

S'agissant de la recevabilité des moyens des sociétés Alcyon

59. L'Autorité et le ministre chargé de l’Economie soutiennent que les sociétés Alcyon ne sont pas recevables à invoquer des moyens mettant en cause une sanction respectant la fourchette fixée dans la transaction.

60. Les sociétés Alcyon, comme le Ministère public, soutiennent la recevabilité des moyens invoqués, lesquels ne remettent en cause ni les griefs ni la fourchette retenue dans le procès-verbal de transaction.

61. À titre liminaire, la cour rappelle que le bénéfice de la procédure de transaction prévue à l'article L. 464-2 III du Code de commerce est limité aux organismes ou entreprises qui ne contestent pas la réalité des griefs qui leur ont été notifiés et que l'acceptation de la proposition de transaction fixe les limites du montant de la sanction qui peut leur être infligée.

62. Il s'ensuit que l'entreprise qui a donné son accord à une telle transaction ne peut invoquer, au soutien de son recours, aucun moyen qui tendrait à contester les griefs ou à remettre en cause les limites fixées par la transaction qu'elle a acceptée.

63. En l'espèce, le procès-verbal de transaction (pièce des requérantes n° 3) mentionne que la transaction proposée par le rapporteur général adjoint " tient compte des éléments relatifs à la situation des entreprises en cause " et que la sanction encourue a été évaluée " au vu des principes établis en matière de fixation des sanctions pécuniaires par le Code de commerce ". Il précise que le montant minimum de la sanction envisagée a été fixé à 6 millions d'euros et son montant maximum à 11 millions. Il indique ensuite que " [l]es sociétés Alcyon et Alcyon France donnent leur accord à cette proposition de transaction ".

64. Il est relevé, au point 150 de la décision attaquée, que, lors de la séance, les entreprises ont confirmé leur accord avec les termes de la transaction, dont elles ont accepté, " en toute connaissance de cause, les conséquences juridiques, notamment en ce qui concerne le montant de la sanction pécuniaire pouvant leur être infligée ".

65. Comme il a été rappelé aux paragraphes 48, la proportionnalité du montant d'une sanction ne peut s'apprécier qu'à la lumière des motifs de la décision qui la prononce. C'est donc à tort que l'Autorité et le ministre chargé de l’Economie estiment que les sociétés Alcyon ne sont pas recevables à invoquer des moyens mettant en cause une sanction respectant la fourchette fixée dans la transaction.

S'agissant du moyen des sociétés Alcyon tiré du défaut de mise en œuvre du communiqué sanctions

66. Les sociétés Alcyon font valoir que la sanction aurait dû être déterminée conformément au communiqué de l'Autorité du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après le " communiqué sanctions ").

67. L'Autorité et le ministre répondent que la méthode décrite dans le communiqué sanctions ne trouve pas à s'appliquer eu égard aux " circonstances particulières " propres à la mise en œuvre de la procédure de transaction, hypothèse prévue par ce communiqué pour s'affranchir de son application.

68. Le Ministère public partage cette analyse.

69. La cour rappelle que, lorsque l'Autorité publie un communiqué sur une méthodologie donnée, ce texte constitue une directive, au sens administratif du terme, qui s'impose à elle, sauf à ce qu'elle explique les circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général la conduisant à s'en écarter dans un cas donné.

70. Le 19 octobre 2017, l'Autorité a publié un communiqué relatif à la procédure de transaction et aux programmes de conformité (ci-après le " communiqué transaction "), qui précise notamment que " la mise en œuvre de la procédure de transaction fondée sur les nouvelles dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce justifie qu'en principe, les sanctions prononcées ne soient pas motivées par référence à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires énoncée dans le communiqué du 16 mai 2011 de l'Autorité "

71. Au paragraphe 201 de la décision attaquée, l'Autorité renvoie à ce communiqué pour rappeler que les circonstances particulières résultant de la procédure de transaction justifient de ne pas motiver les sanctions prononcées par référence à la méthode de détermination définie dans le communiqué sanctions.

72. En effet, cette procédure conduit les parties en cause et l'Autorité à négocier le montant de la sanction, entre un minimum et un maximum que ces parties estiment acceptables, en leur principe, au regard des pratiques qu'elles ont mises en œuvre. Cette sanction négociée est également proche d'une sanction forfaitaire. Sa nature rend en conséquence inutile la mise en œuvre des étapes et critères exposés dans le communiqué sanctions, lequel ne répond pas à la même finalité, ayant été élaboré pour " accroître la transparence, en faisant connaître par avance la façon concrète dont l'Autorité exerce son pouvoir de sanction, à l'intérieur du cadre prévu par le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce ".

73. L'Autorité s'est ainsi conformée à la directive qu'elle s'est fixée. La décision n'encourt pas de censure à ce titre.

S'agissant du moyen des sociétés Alcyon tiré d'une insuffisance de motivation

74. Les sociétés Alcyon soutiennent que la décision attaquée méconnaît l'obligation de motivation qui résulte de l'article L. 464-2 I du Code de commerce, de l'article 41 de la Charte des droit fondamentaux de l'Union européenne, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, arrêt du 9 décembre 1994, Hiro c/ Espagne, req. n° 18064/91) et de l'article L. 211-2 du Code des relations entre le public et l'administration, qu'elles considèrent applicable à la procédure de transaction. Elles invoquent en ce sens, notamment, l'arrêt du Tribunal de l'Union européenne du 13 décembre 2016, Printeos e.a./Commission (T-95/15), par lequel le Tribunal a rejeté la thèse de la Commission de l'Union européenne selon laquelle le requérant aurait, en acceptant la transaction, renoncé au bénéfice d'une décision motivée.

75. Elles ajoutent que la motivation doit porter sur chacun des éléments mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 464-2 I du Code de commerce, sans se limiter à une motivation expéditive et non individualisée, et considèrent que la motivation était ici d'autant plus importante que la fourchette retenue était extrêmement large.

76. Elles considèrent que ces carences font obstacle à une possible vérification de la proportionnalité du montant de la sanction et de l'absence de discrimination dont elles pourraient faire l'objet par rapport à la société Coveto, également concernée par les griefs n° 1 et 3.

77. En réplique, l'Autorité soutient que la décision est motivée, le montant de la sanction pécuniaire prononcée contre les requérantes ayant été déterminé en application des critères et du plafond légal figurant au I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, à savoir : la gravité des pratiques, du dommage qu'elles ont causé à l'économie et de la situation de l'entreprise.

78. Le ministre chargé de s'associe à cette argumentation et ajoute que l'exigence de motivation n'impose pas à l'Autorité de répondre de manière exhaustive à l'ensemble des arguments développés par l'entreprise poursuivie.

79. La cour rappelle qu'aux termes de l'article L. 464-2 I, alinéa 3 : " Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. "

80. Le respect des principes d'individualisation de la peine, d'égalité et de proportionnalité s'impose aussitôt qu'une sanction est prononcée sur le fondement de cette disposition, y compris lorsque l'Autorité fait le choix d'appliquer une sanction forfaitaire. Il en va de même du respect de l'exigence de motivation.

81. Toutefois, cette dernière exigence est nécessairement adaptée au cadre procédural dans lequel la décision s'inscrit.

82. Il résulte du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce que, dans le cadre de la procédure de transaction, " le rapporteur général propose à l'Autorité (...) de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I dans les limites fixées par la transaction " et que l'Autorité prononce la sanction " sans établissement préalable d'un rapport ".

83. Le caractère négocié de cette procédure, qui conduit l'Autorité à renoncer à infliger une sanction dont le montant excéderait le plafond fixé par la transaction, justifie la réalisation de gains procéduraux par l'Autorité au moyen d'une motivation plus succincte, ce que confirme l'absence d'établissement d'un rapport.

84. Les requérantes ne sont donc pas fondées à exiger une motivation aussi détaillée que celle qui est requise lorsque l'Autorité, faute de transaction, détermine la sanction en application du communiqué sanctions.

85. Dans le cadre d'une décision rendue après transaction, l'Autorité n'est donc tenue que d'indiquer les éléments essentiels permettant d'apprécier l'individualisation de la sanction infligée et d'en justifier la proportionnalité.

86. Dans les développements qui suivent, la cour appréciera si tel est le cas en l'espèce.

S'agissant de la contestation du montant de la sanction par les sociétés Alcyon et le ministre

87. Les sociétés Alcyon consacrent une analyse à la sanction de chacun des griefs, ainsi qu'à la question de l'individualisation de la sanction, appréhendée de manière plus globale.

88. S'agissant du pacte de non-agression (grief n° 1), elles soutiennent que l'application des critères de l'article L. 464-2 I du Code de commerce doit conduire à une réduction de la sanction. Elles invoquent également les points 33 et 39 du communiqué sanctions pour soutenir que la nature spécifique de l'activité de grossiste-répartiteur justifie que la sanction soit déterminée sur la base de la marge brute (correspondant à la valeur des ventes des médicaments vétérinaires diminuée du prix d'achat versé aux laboratoires), et non sur le chiffre d'affaires (valeur des ventes en relation avec l'infraction). Elles estiment également que le périmètre géographique à retenir doit être réduit au territoire couvert par les pratiques. Par référence au point 27 du communiqué sanctions, elles font valoir que le dommage causé à l'économie n'a pu être que résiduel, la pratique ayant concerné deux acteurs qui ne représentaient que 40 % du marché, de sorte que toute concurrence n'a pas été supprimée. Elles ajoutent que chacun d'eux a continué à conquérir la clientèle de l'autre et relèvent, notamment, que les acheteurs bénéficiaient d'un contre-pouvoir limitant l'impact de l'infraction. Elles précisent également que les acheteurs adhérents percevaient un reversement des excédents d'exploitation. Elles concluent enfin par le fait que le rôle des centrales étant limité aux services, l'accord n'a pas eu d'impact sur le prix des médicaments.

89. S'agissant de l'entente mise en œuvre lors des campagnes de vaccination contre la FCO (grief n° 3), elles font valoir que la méthode décrite dans le communiqué sanctions était inapplicable pour la détermination de la sanction qui leur a été infligée au titre de ce grief, en raison de l'absence de base homogène de cette infraction, qui regroupait des pratiques de nature diverse. Elles en déduisent que cette situation impliquait le recours à un montant forfaitaire, tenant également compte de ce que la pratique a été encouragée par les pouvoirs publics. Invoquant sur ce point le bénéfice du point 45 du communiqué sanctions, elles estiment que le contexte particulier dans lequel se sont déroulées les pratiques reprochées, à savoir celui de campagnes de vaccination obligatoire initiées dans un contexte de crise et d'urgence sanitaire constitue une circonstance atténuante justifiant que l'amende soit réduite en conséquence.

90. S'agissant de l'absence de prise en compte de leur capacité contributive, les sociétés Alcyon rappellent qu'elles ont fourni au collège de l'Autorité un dossier étayant leurs difficultés financières, notamment une trésorerie extrêmement tendue à raison d'une situation d'endettement net perpétuellement négative, et lui reproche de ne pas en avoir tenu compte lors de la détermination de la sanction.

91. Elles font valoir un certain nombre d'éléments comptables concernant la dégradation de leur situation après 2017, ainsi que le fait qu'elles n'ont pu procéder à un aménagement du paiement de la sanction, car l'administration fiscale conditionnait cet aménagement au paiement de pénalités de retard élevées. Elles font également état d'un recours à l'emprunt pour payer la sanction, alors que de nouveaux financements sont nécessaires pour la poursuite de leur activité.

92. Elles produisent en ce sens des notes et pièces comptables relatives à l'impact de la sanction de 10 millions sur leur situation financière. Elles font notamment valoir la dégradation de leur résultat d'exploitation par rapport à 2017 ainsi que celle de leur ratio d'endettement net sur l'excédent brut d'exploitation, qui est passé de 3,16 en 2017 à 12,87 à la fin de l'année 2018 et est désormais de 21,5 en y intégrant le financement de la sanction.

93. Elles invoquent également la jurisprudence de la présente cour, notamment les arrêts rendus les 19 janvier 2010 (RG n° 2009-00334) 23 mai 2017 (RG n° 2015-08224) et 15 mars 2018 (RG n° 16-14231), qui ont jugé :

- que l'absence de trésorerie suffisante et le risque effectif et concret que constitue pour l'entreprise le paiement d'une lourde amende doivent être pris en compte dans la détermination de la sanction ;

- que la capacité contributive s'apprécie au regard de l'actif mobilisable pour le paiement de la sanction et de la capacité de l'entreprise à générer des ressources pour en assurer le paiement ;

- qu'il convient de vérifier si l'entreprise peut, à l'aide de sa trésorerie et de ses actifs mobilisables, faire face à l'amende, sans renoncer aux investissements nécessaires pour son activité.

94. Elles sollicitent en conséquence la réduction du montant de la sanction infligée et sa fixation au plancher de la fourchette proposée dans le cadre de la transaction, soit 6 millions d'euros.

95. En réplique, l'Autorité rappelle que le communiqué sanctions n'a pas été appliqué et que la sanction prononcée se situe dans les limites de la transaction, sans outrepasser le plafond légal. Sous réserve de la recevabilité de l'objet du recours, qu'elle conteste. Elle fait observer que la décision est motivée au regard des éléments pertinents de l'article L. 464-2 du Code de commerce et permet d'apprécier la proportionnalité de la sanction.

96. S'agissant du grief n° 1, elle estime que l'analyse du dommage causé à l'économie par une pratique n'implique pas systématiquement une analyse contrefactuelle et fait observer qu'il est justifié de l'existence d'un dommage certain à l'économie du fait de l'ampleur, de la nature et de la durée de mise en œuvre du pacte de non-agression visé par le premier grief.

97. S'agissant du grief n° 3, elle conclut à l'irrecevabilité de l'argumentation développée dès lors que la proposition de transaction a été acceptée en toute connaissance de cause de l'ensemble des faits retenus par la notification de griefs. Elle ajoute que, si l'estimation des dépenses a été opérée par l'intermédiaire de la FDMV, en revanche il ne peut être prétendu que les pouvoirs publics ont encouragé les distributeurs en gros à échanger des informations sensibles afin de mettre en place une formule de calcul permettant de surévaluer les frais liés à la livraison des vaccins en vue d'obtenir de l'administration une indemnité nettement supérieure aux coûts réellement supportés. Elle ajoute que c'est de leur propre initiative que les distributeurs en gros ont mis en place un plan d'ensemble leur permettant de maximiser leur rétribution et observe que les pouvoirs publics, qui ont été contraints de renoncer à des appels d'offres du fait de l'urgence sanitaire en cause, ont été les principales victimes de l'infraction. Elle en déduit qu'en tout état de cause aucune circonstance atténuante n'est établie.

98. S'agissant de la capacité contributive des sociétés Alcyon, l'Autorité rappelle que les éléments qui y sont relatifs ont été transmis aux services d'instruction afin d'être pris en compte lors des discussions concernant la fourchette de sanction. Elle en déduit qu'en acceptant le montant maximum prévu dans la transaction, les requérantes ont estimé qu'un tel montant était compatible avec leur situation, à défaut de quoi elles auraient dû la refuser.

99. Le ministre chargé de l’Economie s'associe à ces observations et relève, concernant les développements consacrés au grief n° 1, qu'il n'est pas sûr que la méthode invoquée par les requérantes soit dans leur intérêt dès lors qu'un montant de marge brute tel que celui qu'elles évaluent à 46 970 992 euros au point 111 de leur mémoire, engendrerait des montants d'amende élevés et potentiellement supérieurs aux 10 millions infligés. Il ajoute qu'en insistant sur le fait que l'intensité de la concurrence entre les sociétés Alcyon France et Coveto n'a pas varié pendant la durée de l'" accord de non-agression ", les requérantes confirment par là-même la réalité et l'effectivité des pratiques, et ainsi la certitude du dommage à l'économie.

100. Il estime, concernant le grief n° 3, qu'aucun élément n'établit que les autorités publiques auraient encouragé ou facilité les pratiques, ni même que la Direction générale de l'alimentation avait désigné la FDMV comme son interlocuteur unique. Il considère en revanche qu'il ressort de l'enquête et des griefs que ce sont les entreprises qui ont été à l'initiative de la concertation litigieuse, dans la mesure où le remboursement n'était pas prévu et que ce sont elles qui l'ont réclamé, comme le révèle le paragraphe 238 de la notification de griefs, dans le contexte décrit au paragraphe 206.

101. Concernant la demande de réformation au titre de la prise en compte de la capacité contributive des sociétés Alcyon, le ministre soutient, dans l'hypothèse où la cour jugerait les moyens recevables, qu'il convient de réformer le montant de la sanction à la hausse, ou à défaut de rejeter le recours.

102. Sur le fond, il fait observer que les comptes consolidés des sociétés Alcyon font apparaître, pour l'année 2017, un chiffre d'affaires légèrement inférieur à 600 millions d'euros, de sorte que la sanction, qui ne représente que 1,66 % de ce montant, n'est pas disproportionnée. Il ajoute qu'au regard des critères de la jurisprudence invoquée par les sociétés Alcyon, leurs comptes attestent de l'existence de 60 millions d'euros de stocks mobilisables, étant constitués pour l'essentiel de marchandises destinées à être revendues en l'état. Il ajoute que les comptes créances clients et comptes rattachés font apparaître des créances importantes pour un montant total d'environ 50 millions d'euros. Il en déduit que les difficultés alléguées ne sont pas avérées et qu'un échelonnement du paiement de la sanction est possible.

103. Dans le cadre de son recours incident, il demande la réformation du montant de la sanction afin qu'elle soit fixée à 11 millions d'euros, dans l'hypothèse où la cour ne ferait pas droit à sa demande principale.

104. Le Ministère public estime, avec les requérantes, que la motivation de la décision ne permet pas de vérifier la proportionnalité du montant de la sanction, la décision ne consacrant de développements qu'à la situation de la FDVM. Constatant que les difficultés financières invoquées par les requérantes ont été portées à la connaissance du collège et qu'une réformation de la décision est demandée, il en déduit que la cour examinera la capacité contributive des requérantes. Après avoir observé que le chiffre d'affaires du groupe avoisine les 600 millions d'euros pour l'année 2017 et que la sanction prononcée représente 1,66 % de ce montant, ce dont il déduit qu'elle ne présente pas un caractère disproportionné, il s'en remet à l'appréciation souveraine de la cour concernant le montant de la sanction.

105. La cour a indiqué, aux paragraphes 47 et suivants du présent arrêt, dans quelles limites les requérantes étaient recevables à former un recours contre la décision rendue à l'issue d'une telle procédure. Elle a également rappelé, aux paragraphes 69 et suivants, que l'Autorité n'était pas tenue d'appliquer à la procédure de transaction la méthodologie que cette dernière s'est fixée dans le communiqué sanctions, dès lors qu'elle s'en est expliquée dans le communiqué transaction, dont elle a fait application au paragraphe 201 de la décision attaquée, au regard des circonstances particulières résultant de la mise en œuvre de cette procédure.

106. Il est donc vain en l'espèce d'invoquer le bénéfice du communiqué sanctions concernant le calcul de l'assiette de la sanction.

107. La cour observe également, à titre surabondant, qu'une sanction unique a, au terme de la procédure de transaction, été infligée au titre des deux pratiques reprochées aux sociétés Alcyon, ce qu'aucune disposition légale n'interdit, de sorte que les requérantes ne peuvent se prévaloir d'analyses inconciliables entre elles - revendiquant l'application du communiqué sanctions pour la sanction du grief n° 1 et son exclusion concernant la sanction du grief n° 3 - pour soutenir leur demande de réformation de la sanction prononcée.

108. Sous le bénéfice de ces constatations et appréciations, la cour relève que l'Autorité a consacré, aux paragraphes 197 à 212 de la décision attaquée, une partie de son analyse aux éléments relatifs au prononcé de la sanction et rappelé notamment l'existence d'un plafond légal, fixé par l'article L. 464-2 I du Code de commerce, qu'elle a comparé aux montants envisagés dans la transaction, pour en déduire qu'ils étaient bien inférieurs à la limite fixée par le législateur.

109. Elle a par ailleurs détaillé la nature et la durée des pratiques qui sont reprochées ou imputées aux sociétés Alcyon s'agissant tant du pacte de non-agression (paragraphes 47 à 65 et 159 à 164 de la décision attaquée) que de l'entente lors des campagnes de vaccination (paragraphes 76 à 142 puis 173 à 184 et enfin 205 à 207 de la décision attaquée).

110. Elle a plus précisément analysé, aux paragraphes 203 et 205 à 207 de la décision attaquée, la gravité des infractions qui leur sont reprochées. Sur ce point, il convient de relever que les griefs n° 1 et n° 2 sont tous deux relatifs à des pactes de non-agression. Leur nature identique justifiait donc une même analyse concernant leur gravité intrinsèque, tout en tenant compte de la durée de chacun d'eux et de l'identité de chacun de leurs protagonistes, ce que l'Autorité a fait aux paragraphes 202 à 204 de la décision attaquée.

111. L'Autorité a justement déduit de ces éléments que de tels comportements relèvent des pratiques les plus graves en raison de leurs répercussions sur le fonctionnement de la concurrence, portant sur la fixation des prix, des répartitions de marché ou de clientèle.

112. A cet égard, la cour relève que les sociétés Alcyon ne sont pas recevables à développer une argumentation incompatible avec la matérialité du grief n° 1, relatif à une entente qualifiée de "pacte de non-agression" qui visait à se répartir la clientèle, en invoquant, au soutien de leur demande de réduction de la sanction infligée, qu'il n'y a pas eu de suppression de la concurrence entre les parties puisque chacune a continué à conquérir la clientèle de l'autre, malgré l'accord de non-agression reproché.

113. L'existence d'un dommage à l'économie est retenue par l'Autorité au paragraphe 208 de la décision attaquée, pour le pacte de non-agression, et au paragraphe 210, pour l'entente lors des campagnes de vaccination, après qu'elle a constaté l'impact des pratiques sur la concurrence et les gains illicites qui en ont été retirés.

114. L'Autorité a ainsi relevé, au paragraphe 153 de la décision attaquée, que ces pratiques avaient renforcé " le cloisonnement du marché de la distribution en gros du médicament vétérinaire, déjà caractérisé par la présence de fortes barrières légales et techniques à l'entrée ".

115. Elle a également fait état de l'existence de profits tirés des pratiques au bénéfice de la société Alcyon France, notamment aux paragraphes 86 et 87 de la décision attaquée, y relevant qu'à l'occasion de la première campagne de vaccination, il a été demandé à l'administration de supporter des coûts de livraison par dose vaccinale de 4 centimes, lorsque " des documents retrouvés chez Alcyon montrent que le coût par dose pour l'ensemble des sites de cette entreprise était estimé en septembre 2008 à 0,0251 euros (cotes 7444 et 7452), soit 40 % de moins que le montant convenu ".

116. Le paragraphe 115 confirme également l'existence de profits à l'occasion des deux campagnes de vaccination, se référant à un graphique retraçant " l'évolution du marché sur 12 mois à fin août 2009 [qui] évalue l'impact de l'activité de distribution de vaccins contre la FCO et le chiffre à + 2 points de croissance ".

117. La situation personnelle des sociétés Alcyon est examinée aux paragraphes 17 à 20 de la décision attaquée. Sont rappelés la place de leader du marché de la distribution de produits vétérinaires en gros en France de la société Alcyon France et son chiffre d'affaires de 463 millions d'euros pour l'exercice clos au 30 septembre 2016, ainsi que le chiffre d'affaires consolidé du groupe auquel elle appartient, de 604,3 millions d'euros, pour le même exercice.

118. L'Autorité a également développé, aux paragraphes 187 et 188 de la décision attaquée, les motifs par lesquels elle a retenu l'imputabilité des infractions à la société mère.

119. La décision n'est donc pas dépourvue de motivation.

120. La cour observe également que les situations de chacune des sociétés en cause sont différenciées, relevant notamment que la société Coveto :

- est le troisième distributeur en gros de produits vétérinaires en France, avec une activité qui ne couvre qu'une partie du territoire (paragraphes 26 et 27 de la décision attaquée), à la différence du leader du marché Alcyon France ;

- a réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 174 millions d'euros (paragraphe 28) très nettement inférieur à celui du groupe Alcyon de 604,3 millions d'euros (paragraphe 20) ;

- a également tiré profit des pratiques, la forte amélioration de son taux de marge brute en 2008 s'expliquant en partie par la campagne de vaccination FCO (paragraphe 115), tandis que la société Alcyon France enregistrait " + 2 points de croissance sur le marché " (paragraphe 115).

121. Il ressort de ces constatations que la société Alcyon n'a pas fait l'objet d'une discrimination par rapport à la société Coveto, sanctionnée à hauteur de 4 300 000 euros, dans la mesure où, bien que toutes les deux soient impliquées dans le pacte de non-agression et l'entente en cause, ces entreprises ne sont pas dans des situations comparables.

122. La cour relève que, si la décision attaquée n'est pas dépourvue de motivation, il y a toutefois lieu de constater que le paragraphe 211 " concernant l'individualisation des sanctions " est exclusivement consacré à la FDMV.

123. L'absence de motivation concernant la capacité contributive des sociétés Alcyon, que ces dernières présentaient comme obérée, comme l'absence de développements relatifs à la circonstance atténuante qu'elles invoquaient, ne garantissent pas le caractère proportionné de la sanction. Saisie d'une demande de réformation, la cour appréciera dans les développements qui suivent si les éléments de la procédure établissent cette proportionnalité.

124. Il convient donc d'examiner si la sanction de 10 millions infligée aux sociétés Alcyon est proportionnée et adéquate au regard des deux circonstances invoquées.

125. Par suite, examinant les demandes de réformation en cause, la cour doit déterminer si, au regard de la capacité contributive des sociétés Alcyon et des circonstances dans lesquelles ont été commises les pratiques, le montant de la sanction doit être réduit à 6 millions comme le demandent les sociétés Alcyon, augmenté à 11 millions comme le requiert le ministre chargé de l’Economie à titre subsidiaire, ou maintenu à 10 millions comme l'observe l'Autorité.

126. Concernant l'allégation selon laquelle l'infraction aurait été autorisée ou encouragée par les autorités publiques, la cour relève que plusieurs passages de la notification de griefs la contredisent.

127. Si, au paragraphe 245 de la notification des griefs, il est précisé que M. A. " est apparu l'interlocuteur privilégié de l'administration ", étant président de l'Association nationale des sociétés vétérinaires d'achat et de distribution de médicaments et de la FDMV, il n'est nullement indiqué que l'administration aurait désigné cette fédération comme interlocuteur unique et lui aurait demandé de mettre en place des concertations entre les distributeurs pour obtenir une harmonisation de leurs tarifs sans considération de leurs coûts réels.

128. Il résulte par ailleurs du paragraphe 248 du même acte de procédure que ce sont les distributeurs en gros qui ont réclamé le remboursement des sommes avancées pour la distribution du vaccin et que la situation d'urgence sanitaire a conduit l'administration à renoncer aux procédures d'appel d'offres, comme le révèle M. B, intervenant au sein d'une autre société mise en cause, grossiste spécialisé, qui soulignait que, " [a]u départ, nous n'avions qu'une vague promesse d'indemnisation par l'Etat et nous avons livré les vaccins FCO, gratuits, sans indemnisation. Au bout de quelques mois, les sociétés de distribution ont appelé la DGAL [Direction Générale de l'Alimentation au Ministère de l'Agriculture et de la Pêche] pour demander une indemnisation. Nous avons fourni nos coûts, la DGAL a examiné ces coûts et nous a alloué une somme de 4 c. par dose, à peu près. Nous avons signé a posteriori une transaction avec l'Etat. Il n'y a pas eu d'appel d'offres à cause de l'urgence ".

129. Le paragraphe 251 de la notification des griefs confirme quant à lui la chronologie des négociations et mentionne notamment: " 19 août 2008 : le Directeur de l'Office de l'Elevage demandait à Alcyon ainsi qu'aux autres distributeurs concernés la transmission d'un certain nombre d'éléments justificatifs des dépenses engagées, dans la mesure où 'conformément à la jurisprudence administrative relative à l'enrichissement sans cause, l'Office de l'Elevage estimait ne devoir prendre en charge que les dépenses utilement engagées par les établissements distributeurs pour stocker, manutentionner et livrer le vaccins aux vétérinaires' et non les 'frais généraux des établissements distributeurs dans la mesure où ces dépenses auraient en tout état de cause été engagées par les sociétés, même si elles n'avaient pas eu à prendre en charge ces prestations de stockage, manutention et distribution aux vétérinaires' ".

130. Il s'en suit qu'il n'est pas établi que les pratiques ont été encouragées par les pouvoirs publics, de sorte que ce moyen doit être rejeté.

131. S'agissant de la capacité contributive des sociétés Alcyon, la cour observe, en premier lieu, que cet élément s'apprécie au regard de l'actif mobilisable, de la capacité de l'entreprise à générer des ressources et de sa capacité d'endettement pour le paiement de la sanction. L'actif mobilisable peut ainsi comprendre l'actif immobilier qui n'est pas indispensable à l'activité de l'entreprise, ainsi que les stocks, pour autant qu'ils ne soient pas non plus indispensables à l'exercice de l'activité. Il n'est donc pas possible d'exclure, par principe, tout l'actif immobilier, comme le font valoir les sociétés Alcyon, ni d'intégrer l'ensemble des stocks, comme le propose le ministre chargé de l’Economie. En l'absence d'éléments permettant d'identifier la nature des stocks en cause, la cour n'est pas en mesure de tirer des conclusions précises et fiables sur la base des éléments d'actif précités qui apparaissent dans les comptes consolidés.

132. En revanche, la cour observe (pièce n° 14 des requérantes) que l'endettement figurant dans le bilan consolidé au 30 septembre 2018 est certes important (120,621 millions d'euros), mais qu'il doit s'apprécier en tenant compte des éléments figurant à l'actif du même bilan. Ainsi, le poste principal au titre des dettes, supérieur à 68 millions d'euros, correspond aux dettes fournisseurs, lesquelles doivent être mises en rapport avec le poste principal correspondant à l'actif, supérieur à 81 millions, qui concerne les stocks de marchandises qu'elles ont servi à acquérir.

133. Force est également de constater que les fonds propres s'élèvent à 51 695 155 euros et sont nettement supérieurs au capital social de 11 428 400 euros.

134. Par ailleurs, si le résultat consolidé figurant au compte de résultat consolidé au 30 septembre 2017 est déficitaire à hauteur de 4,452 millions d'euros, il doit être relevé qu'il tient compte de l'enregistrement de la sanction prononcée au titre des charges exceptionnelles, ce qui tend à démontrer que la valeur générée par ce seul exercice a déjà permis d'absorber une partie substantielle de la sanction prononcée.

135. La cour relève enfin qu'indépendamment des stocks et de l'actif immobilier, dont le caractère mobilisable est discuté, l'actif comporte d'autres éléments qui sont mobilisables pour le paiement de la sanction, correspondant à des créances dont le montant total s'élève à 60,895 millions d'euros. A cet égard il convient de relever que les créances clients s'élèvent à elles seules à plus de 50 millions d'euros, de sorte que la mobilisation de seulement 20 % d'entre elles suffirait à assurer le paiement de la sanction prononcée (pièce n°14, précitée p. 3).

136. Il peut être déduit de ces constatations qu'une sanction de 10 millions ne met pas en danger l'activité d'exploitation des sociétés Alcyon et que ces dernières disposent des ressources nécessaires pour assurer un tel paiement, sans devoir recourir à l'emprunt. Une cession Dailly d'une partie des créances clients est une solution envisageable pour obtenir les fonds nécessaires au paiement. Par suite, il importe peu qu'un emprunt ait été souscrit pour acquitter la sanction dès lors que ce choix relève d'une libre gestion de l'entreprise, et non de difficultés à assurer le paiement de la sanction par d'autres voies.

137. Eu égard à la gravité des pratiques, aux circonstances dans lesquelles elles ont été commises, excluant le bénéfice de la circonstance atténuante invoquée, à leur durée et au dommage à l'économie en résultant, tels qu'ils ont été retenus par la décision attaquée, par des motifs que la cour adopte, ou tels qu'ils ressortent des éléments précités extraits de la notification de griefs, et en tenant compte des pièces et analyses comptables versées aux débats par les sociétés Alcyon relatives à l'évolution de leur situation financière, une sanction de 10 millions d'euros, correspondant à 1,65 % du chiffre d'affaires consolidé de référence (604,3 millions d'euros) est proportionnée à l'ensemble des critères légaux et n'excède pas la capacité contributive des requérantes.

138. Il s'ensuit que les demandes des sociétés Alcyon et du ministre chargé de l’Economie doivent être rejetées.

Sur les dépens

139. L'équité commande de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

Par ces motifs Déclare recevable le recours formé par les sociétés Alcyon France et Alcyon contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 18-D-15 du 26 juillet 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de médicaments vétérinaires ; Rejette les recours des sociétés Alcyon France et Alcyon et du ministre chargé de l’Economie ; Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens.