Cass. crim., 13 juin 2019, n° 18-80.678
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
Mme Planchon
Avocat général :
M. Salomon
Avocats :
SCP Spinosi, Sureau, SCP Baraduc, Duhamel, Rameix
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l'ordonnance n° 4 du premier président de la cour d'appel de Paris, en date du 17 janvier 2018, qui a constaté l'incompétence de cette juridiction pour prononcer sur la régularité des opérations d'inspection effectuées en exécution d'une décision de la Commission européenne ; - Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 47 de la Charte des droits fondamentaux, 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 20 du règlement CE n° 1/2003, L. 450-4 du Code de commerce, préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que le premier président de la cour d'appel s'est déclaré incompétent pour connaître du recours exercé par la société X contre les opérations de visite et l'a déclaré irrecevable ;
"1°) alors qu'il résulte du règlement CE n° 1/2003 (préambule § 5) que les règles et obligations gouvernant les visites doivent être compatibles avec les principes généraux du droit communautaire, qui incluent ceux contenus dans la Charte des droits fondamentaux ; qu'en vertu de ces principes, une visite domiciliaire constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée devant s'exercer sous le contrôle du pouvoir judiciaire ; que, toujours selon ces principes, toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales ; qu'il en ressort que les personnes concernées doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, non seulement de la régularité de la décision prescrivant la visite mais encore, dans l'hypothèse où une opération jugée irrégulière a déjà eu lieu, de fournir à l'intéressé un redressement approprié ; qu'ainsi, le règlement CE n° 1/2003 doit être interprété comme prévoyant l'exercice des voies de recours prévues par le droit interne pour critiquer le déroulement des opérations de visite ; que le premier président de la cour d'appel ne pouvait donc, sans violer tant ce règlement que l'article L. 450-4 du Code de commerce, se déclarer incompétent pour connaître du recours introduit à l'encontre du déroulement des visites autorisées par la décision de la commission du 9 février 2017 ;
"2°) alors qu'en se déclarant incompétent pour connaître du recours introduit par la société exposante à l'encontre du déroulement des visites autorisées par la décision de la Commission du 9 février 2017, la privant ainsi de toute possibilité de contester devant un juge le déroulement des opérations litigieuses, le premier président de la cour d'appel a méconnu le droit d'accès à un tribunal et le droit à un recours effectif garantis par les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;
"3°) alors qu'en outre, en relevant, pour se déclarer incompétent pour se prononcer sur la régularité des opérations de visite, que la société X n'a pas refusé de coopérer, de sorte qu'il n'était pas nécessaire de s'assurer du concours des autorités nationales et que le droit national n'a pas vocation à s'appliquer, lorsque, en application de l'article 20 § 6 du règlement CE n° 1/2003, une opposition aux opérations de visite n'est pas un droit pour l'entreprise visitée mais l'expose au contraire à une amende d'un montant potentiel de 1 % du chiffre d'affaires, le premier président de la cour d'appel, qui a conditionné sa compétente à l'adoption par cette société d'une conduite l'exposant à des sanctions, a porté une atteinte excessive à l'exercice d'une voie de recours ;
"4°) alors qu'au demeurant, le règlement CE n° 1/2003 (préambule § 27) prévoit que les juridictions nationales sont compétentes pour contrôler l'application des règles nationales concernant la mise en œuvre de mesures coercitives lors d'un recours aux forces de l'ordre destiné à passer outre une opposition éventuelle de l'entreprise ; qu'il en résulte que la compétence des juridictions nationales n'est pas subordonnée à l'opposition effective de l'entreprise visitée mais à cette seule éventualité et à la mise en œuvre de mesures coercitives, dont relève l'exercice des pouvoirs d'inspection de la commission dès lors qu'il s'agit d'une ingérence dans le droit au respect de la vie privée, du domicile et de la correspondance ; que le premier président de la cour d'appel, ne pouvait se fonder sur cette circonstance inopérante à justifier son incompétence ;
"5°) alors qu'enfin a affirmé un fait en contradiction avec les pièces de la procédure le premier président de la cour d'appel qui a retenu que l'occupant n'a émis aucune réserve pendant les opérations de visites, lorsqu'il résulte des comptes rendus de l'inspection, d'une part, que M. A a formulé des réserves et que M. B a, dès qu'il y a été invité, formulé des réserves sur le déroulement des opérations et dénoncé les menaces de sanctions dont il a été le sujet pendant les visites, de deuxième part que M. C a attiré l'attention de la Commission sur le fait que le procès-verbal d'audition ne reflétait pas les propos tenus et était manifestement incomplet et enfin, de troisième part, que des réserves générales quant à la régularité des auditions et de l'inspection ont également été formulées par X" ;
Attendu qu'il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure que le 16 janvier 2017, la Commission européenne (la Commission), suspectant des échanges d'informations anticoncurrentiels entre l'entreprise X et d'autres entreprises, a informé l'Autorité de la concurrence de son intention d'inspecter cette entreprise ; que le 9 février 2017, la Commission a ordonné à la société X ainsi qu'à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre à une inspection conformément à l'article 20 § 1 et 4 du Règlement CE n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité alors en vigueur ; que, par requêtes du 13 février 2017, le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence a saisi, à titre préventif et conservatoire, pour le cas où l'entreprise visée refuserait de se soumettre à l'inspection, le juge des libertés et de la détention de Créteil de demandes d'autorisation de visites et saisies dans les locaux de la société X et des sociétés du même groupe en application de l'article L. 450-4 du Code de commerce ; que ces autorisations ont été délivrées le 15 février suivant, les ordonnances précisant que l'assistance des autorités nationales peut être demandée à titre préventif ; qu'après notification de la décision d'inspection de la Commission du 9 février 2017 à l'entreprise X le 20 février 2017 et en l'absence d'opposition de sa part, les opérations d'inspection se sont déroulées des 20 au 24 février 2017 sous l'égide des agents de la commission, avec l'assistance des enquêteurs de l'Autorité de la concurrence, sans que soient mises en œuvre les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce ; que le 24 février 2017, la société X a remis un courrier à la Commission critiquant le déroulement de l'inspection dont elle avait fait l'objet, avant, le 6 mars 2017, de former un recours sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce afin de contester ces opérations, et le 28 avril 2017, de saisir le Tribunal de l'Union européenne d'un recours en annulation de la décision d'inspection (affaire T-249/17) ;
Attendu que, pour constater l'incompétence de la juridiction française pour connaître des recours des sociétés demanderesses, l'ordonnance attaquée énonce que le procès-verbal de notification d'une décision de la Commission a été émargé dès le début de l'inspection par le Secrétaire général de l'entreprise et de l'association d'entreprises X le 20 février 2017 qui n'a émis aucune réserve ou opposition, qu'en conséquence, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention obtenue à titre préventif n'avait pas à être notifiée à l'occupant des lieux ; que le juge ajoute que la décision d'inspection de la Commission a été prise sur le fondement de l'article 20 § 1 du Règlement CE n° 1/2003, qu'en l'absence d'opposition, les agents de la Commission ont estimé qu'il n'était pas nécessaire de s'assurer du concours des autorités nationales pour les assister dans les opérations d'inspection qui se sont déroulées, non sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce, mais sur la base de l'article 20 susvisé et sont donc régies par le droit communautaire ; que ce n'est qu'à l'issue de ces opérations que la société requérante a adressé un courrier à la Commission pour lui faire part des difficultés de fonctionnement dont elle aurait souffert depuis le début des inspections en raison des nombreux manquements aux droits fondamentaux commis par les agents, notamment lors des auditions des salariés ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, le premier président a justifié sa décision ;
Que, d'une part, en l'absence d'opposition expressément formulée, par la société demanderesse, dès la notification de la décision d'inspection ordonnée par la Commission européenne en application de l'article 20 du Règlement CE n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence, l'ordonnance d'autorisation rendue par le juge des libertés et de la détention à titre préventif n'a pas à être notifiée par les enquêteurs de l'Autorité de la concurrence dont la simple présence, en application de l'article 20 § 5 du règlement précité est insuffisante pour justifier de la mise en œuvre des pouvoirs tirés de l'article L. 450-4 du Code de commerce et du recours qu'il prévoit ;
Que, d'autre part, la procédure d'inspection ordonnée par la Commission est entourée de garanties assurant le respect des droits de la défense et les modalités des recours ouverts aux sociétés soumises à cette procédure, en ce qu'elles permettent de contester, soit directement, soit dans le cadre du contentieux relatif à la décision finale de la Commission, le déroulement de ces opérations, même en l'absence d'opposition, satisfont aux exigences du droit à un recours effectif, le juge communautaire effectuant un contrôle en droit et en fait et étant en mesure d'apprécier si l'ingérence dans les droits des intéressées protégés par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme est proportionnée au but poursuivi ;
Qu'enfin, le mécanisme de sanctions prévu par l'article 23 du Règlement CE précité ne peut être mis en œuvre qu'en cas d'obstruction évidente ou d'utilisation abusive du droit d'opposition, et non pour réprimer le simple exercice de ce droit ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.