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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 juin 2019, n° 16-14615

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Le Républicain Lorrain (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bedouet

Conseillers :

Mmes Comte, Schaller

T. com. Nancy, du 22 avr. 2016

22 avril 2016

FAITS ET PROCÉDURE

La société Le Républicain Lorrain est spécialisée dans le secteur d'activité de l'édition de journaux.

Le 16 avril 1984, Mme X et la société Le Républicain Lorrain ont conclu une convention de dépôt-vente et diffusion des éditions de son quotidien pour un territoire composé de cinq communes du département de la Moselle, le distributeur devant toucher une commission de 23 % du prix public sur tout exemplaire de journal vendu.

Ce dernier percevait en conséquence le prix de vente des journaux, à charge de le reverser au journal, sous déduction des invendus et de sa commission.

Faisant suite à des retards de paiement de Mme X, la société Le Républicain Lorrain, par courrier recommandé du 29 janvier 2014, l'a mise en demeure de procéder au paiement des sommes restant dues et lui a notifié la résiliation de la convention.

Par jugement du 17 décembre 2014, la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de Mme X, la SCP Y étant désignée mandataire judiciaire.

La société Le Républicain Lorrain a régulièrement déclaré sa créance au passif de la procédure collective.

Mme X a assigné Le Républicain Lorrain devant le tribunal de commerce de Nancy aux fins d'obtenir réparation du préjudice subi, selon elle, à raison de la rupture brutale des relations commerciales l'ayant liée à la société Le Républicain Lorrain, sollicitant de ce chef la somme de 350 300 euros.

Par jugement du 22 avril 2016, le tribunal de commerce de Nancy :

- s'est déclaré compétent pour juger de la présente affaire,

- a dit que la SA Le Républicain Lorrain a rompu la relation commerciale établie avec Mme X sans respecter un préavis suffisant,

- a fixé le préavis à 14 mois,

En conséquence,

- a condamné la SA Le Républicain Lorrain à payer à Mme X une indemnité de 197 874 euros,

- a fixé la créance détenue par la SA Le Républicain Lorrain à l'encontre de Mme X à la somme de 33 468,88 euros,

- a condamné la SA Le Républicain Lorrain à payer à Mme X la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- a ordonné l'exécution provisoire du présent jugement et condamné la société Le Républicain Lorrain aux dépens du présent jugement.

La cour est saisie de l'appel interjeté par la société Le Républicain Lorrain, suivant déclaration du 4 juillet 2016.

Vu les dernières conclusions de la société Le Républicain Lorrain, appelante, déposées et notifiées le 22 mars 2018 par lesquelles il est demandé à la cour de :

- déclarer la société Le Républicain Lorrain recevable en son appel.

- l'y dire bien fondée.

En conséquence,

- infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté Mme X de sa demande d'indemnité d'un montant de 21 343 euros au titre de pertes subies.

Et statuant à nouveau :

- ordonner la jonction des affaires enrôlées sous les numéros RG 16-14615 et RG 17-09888 dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

Sur la compétence

- dire que la présente juridiction est incompétente pour connaître du litige.

En conséquence,

- se déclarer incompétente au profit de la cour d'appel de Metz.

Au fond

À titre principal,

- dire régulière la résiliation par la société Le Républicain Lorrain de la convention conclue entre les parties le 16 avril 1984, conformément aux dispositions légales, aux stipulations contractuelles et aux usages applicables dans le domaine de la diffusion de la presse,

- dire valable la clause de résiliation de la convention conclue entre les parties le 16 avril 1984,

- dire que des manquements des manquements contractuels ont été commis par Mme X exerçant son activité sous l'enseigne Z, plus particulièrement, le défaut de paiement des sommes dues ainsi que des plaintes des lecteurs, des porteurs et acheteurs,

- constater l'inapplicabilité de l'article L. 442-6 du Code de commerce en raison des manquements contractuels commis par Mme X,

- juger de l'absence de " rupture brutale " des relations des parties en raison des nombreuses mises en demeure adressées à Mme X par la société Le Républicain Lorrain et des nombreux délais laissés par ce dernier à Madame X,

En conséquence,

- débouter Mme X, et, en tant que de besoin, la SCP Y, de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- rejeter l'ensemble des prétentions de Mme X et, en tant que de besoin, la SCP Y,

À titre subsidiaire,

- dire que la société Le Républicain Lorrain a accordé un préavis suffisant conforme aux usages applicables en matière de presse,

En conséquence,

- débouter Mme X et, en tant que de besoin, la SCP Y, de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

- rejeter l'ensemble des prétentions de Mme X et, en tant que de besoin, la SCP Y,

à titre infiniment subsidiaire,

- réduire à de plus justes proportions les montants exorbitants sollicités par l'intimée,

À titre reconventionnel,

- constater que la créance de la société Le Républicain Lorrain à l'encontre de Mme X s'élève à la somme de 50.910,81 euros (cinquante mille neuf cent dix euros quatre-vingt-un) au titre des factures impayées,

En conséquence,

- fixer la créance de la société Le Républicain Lorrain à l'encontre de Mme X à la somme de 50 910,81 euros (cinquante mille neuf cent dix euros quatre-vingt-un) au titre des factures impayées,

- fixer la créance de la société Le Républicain Lorrain à l'encontre de Mme X à la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et procédure abusive,

En tant que de besoin,

- condamner Mme X et, en tant que de besoin, la SCP Y, au paiement à la société Le Républicain Lorrain de la somme de 50 910,81 euros (cinquante mille neuf cent dix euros quatre-vingt-un) au titre des factures impayées, outre les intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

- condamner Mme X et, en tant que de besoin, la SCP Y, au paiement d'une somme de 10 000 euros (dix mille euros) à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et procédure abusive.

Dans tous les cas,

- fixer la créance du Républicain Lorrain à la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

En tant que de besoin,

- condamner Mme X et, en tant que de besoin, la SCP Y, à verser à la société Le Républicain Lorrain une somme de 10 000 euros (dix mille euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

- condamner Mme X et, en tant que de besoin, la SCP Y, aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction sera ordonnée au profit de Maître T., conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Madame R. a constitué avocat mais n'a pas conclu.

Les conclusions du 12 août 2016 et la déclaration d'appel lui ont été notifiées par acte d'huissier du 18 août 2016 remis à étude.

La SCP Y, ès-qualités, à qui la déclaration d'appel et les conclusions de l'appelante ont été signifiées à personne habilitée le 21 juillet 2016, le 18 août 2016, puis le 23 septembre 2016 es-qualités de commissaire à l'exécution du plan de redressement de Mme X, n'a pas constitué avocat.

SUR CE, LA COUR,

Il n'y a pas lieu d'ordonner la jonction des procédures enrôlées sous le numéro RG n° 16-14615 et RG n° 17-09888.

Sur l'exception d'incompétence soulevée par la société Le Républicain Lorrain

La société Le Républicain Lorrain estime la cour d'appel de Paris incompétente au profit de la cour d'appel de Metz. Elle expose qu'une clause attributive de juridiction issue de la convention conclue le 16 avril 1984 avec Mme X donne compétence à la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz pour juger des litiges relatifs à l'exécution des obligations des parties. Elle estime que ladite clause est valide dans la mesure où elle a été conclue entre commerçants et a été spécifiée de façon apparente, claire et compréhensible.

C'est toutefois à bon droit que le tribunal de commerce de Nancy a considéré que les demandes formées par Mme X relèvent de sa compétence.

En effet la clause attributive de compétence figurant à la convention objet du présent litige ne saurait avoir pour effet de faire obstacle aux dispositions d'ordre public de l'article D. 442-3 du Code de commerce, lequel désigne le tribunal de commerce de Nancy seul compétent pour connaître des actions fondées sur l'article L. 442-6 du Code de commerce situées dans le ressort notamment de la cour d'appel de Metz.

Mme X ayant fondé son action sur l'article L. 442-6, I, 5° du dit Code en invoquant la rupture brutale des relations commerciales établies avec Le Républicain Lorrain, le jugement du tribunal de commerce de Nancy sera confirmé en ce qu'il s'est déclaré compétent pour en connaître.

Sur le caractère brutal des relations commerciales établies

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :

" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

La rupture des relations commerciales établies peut intervenir à effet immédiat à la condition qu'elle soit justifiée par des fautes suffisamment graves imputées au partenaire commercial.

Il est établi que les relations commerciales entre les parties à la présente instance ont commencé à la signature du contrat conclu entre Mme X et le Républicain Lorrain, pour s'achever lors de sa résiliation à l'initiative de ce dernier, en décembre 2014.

Elles ont en conséquence duré 30 ans.

Le tribunal a considéré que la rupture des relations commerciales a été brutale et dit que Mme X aurait dû bénéficier d'un préavis de 14 mois, considérant que la SA Le Républicain Lorrain ne démontre pas l'existence d'une faute qui lui est imputable.

La société Le Républicain Lorrain expose avoir résilié les relations commerciales qu'elle entretenait avec Mme X dans le respect des stipulations contractuelles et légales, avec un préavis de 48 heures adressé au dépositaire par lettre recommandée avec accusé de réception. Elle ajoute que cette faculté de résiliation est conforme aux usages de la presse. Elle soutient que c'est en raison des manquements répétés de Mme X à ses obligations contractuelles et de l'irrespect de ses engagements, notamment relatifs au paiement des sommes dues correspondants au prix de vente des journaux encaissés, qu'elle n'a eu d'autre choix que de procéder légitimement à la résiliation du contrat.

Il résulte des pièces versées aux débats qu'à partir de l'année 2012, des incidents ont été constatés entre Mme X et des dépositaires, des diffuseurs ou des lecteurs du journal caractérisant ainsi des inexécutions fautives du contrat, notamment au regard de l'article 8 qui définit les obligations du dépositaire dans la zone qui lui est confiée, tant vis-à-vis de l'éditeur que des points de vente et des vendeurs-colporteurs de presse qu'il doit servir.

Ces divers incidents ont fait l'objet d'une mise au point qui donné lieu à un courrier recommandé du 10 mai 2013 adressé par la société Le Républicain Lorrain à Mme X (pièce n° 4) dans lequel l'appelante lui rappelle l'ensemble des dysfonctionnements constatés et lui demande d'y mettre fin sans délai, tout en prenant note de sa volonté de changer d'attitude vis-à-vis de ses partenaires.

Par courrier recommandé du 30 mai 2013, la société Le Républicain Lorrain a, rappelant les dysfonctionnements constatés, et la lettre de mise en demeure du 10 mai 2013 ci-dessus mentionnée, indiqué à Mme X qu'elle lui renouvelait sa confiance et l'assurance du maintien des relations contractuelles " en contrepartie notamment de son engagement d'améliorer la qualité de ses prestations " et "de se conformer aux dispositions du contrat signé le 16 avril 1984, afin de concourir à la bonne diffusion des produits édités par Le Républicain Lorrain. "

Mme X a signé ce courrier avec la mention " Bon pour accord " datée du 1er juin 2013 et l'a retourné à son auteur.

Il résulte toutefois des pièces versées aux débats, que nonobstant l'engagement pris par Mme X, des difficultés dans l'exécution du contrat sont réapparues postérieurement à cette date, les pièces 35, 36, 37, 38 faisant état, de retard dans les livraisons des journaux auprès des points de vente et de différends avec le distributeur au sujet de retards de paiement.

Par ailleurs, alors que le reversement des fonds encaissées par le dépositaire de presse dans les délais impartis, au Républicain Lorrain, constitue l'une des obligations essentielles du contrat signé avec ce dernier, il est établi par les pièces du débat, l'existence de retards de paiement au titre des sommes dues par Mme X au journal, et de divers impayés à partir de 2012 au titre du prix de vente des journaux, déduction faite des invendus et de sa commission.

Ainsi, les diverses inexécutions fautives de Mme X, du contrat conclu en 1984, support des relations commerciales établies l'ayant liée au Républicain Lorrain, justifie que ce dernier ait procédé à sa résiliation sans préavis, un délai de 48 heures correspondant à une résiliation sans préavis.

Le jugement dont appel sera en conséquence infirmé en ce qu'il a dit que la rupture des relations commerciales ayant existé entre les parties a été brutale et en ce qu'il a condamné la société Le républicain Lorrain à indemniser Mme X.

Mme X sera en conséquence déboutée de sa demande de ce chef.

Sur les demandes reconventionnelles de la société Le Républicain Lorrain

Il résulte des pièces versées aux débats par l'appelante et notamment, de la déclaration de créance au passif de la procédure collective de Mme X, du tableau dressé par le comptable de l'appelante, ainsi que des extraits de la comptabilité de l'intimée (pièces 8, 30 et 31) que le montant des sommes restants dues par Mme X à la société Le Républicain Lorrain s'élève à la somme de 50 910,81 euros correspondant aux factures de mars, avril, juin, août et décembre 2013, janvier, février avril et août 2014.

Ce montant sera fixé au passif de la procédure collective de Mme X.

Sur les autres demandes

La société Le Républicain Lorrain sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive dès lors que le caractère fautif ou dilatoire de la présente procédure n'est nullement démontré.

Mme X sera condamnée à payer à la société Le Républicain Lorrain la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle sera en outre condamnée aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement en ce qu'il s'est dit compétent pour connaître du litige, l'Infirme pour le surplus, statuant à nouveau, Déboute Mme X de l'ensemble de ses demandes, Fixe au passif du redressement judiciaire de Mme X, la créance de la société Le Républicain Lorrain à la somme de 50 910,81 euros à titre chirographaire, La Condamne à payer la somme de 2 000 euros à la société le Républicain Lorrain sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, La Condamne aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile