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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 juin 2019, n° 17-00030

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

JL International Etablissements Jean Labatut (SAS)

Défendeur :

Texalex BD Ltd (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

M. Bedouet, Mme Comte

T. com. Bordeaux, du 24 oct. 2016

24 octobre 2016

FAITS ET PROCÉDURE

La société Texalex BD Ltd, ci-après Texalex, société de droit bangladais, a comme activité principale la recherche de fournisseurs pour le commerce de textiles ainsi que le suivi des productions locales de ses clients.

La société JL International Etablissements Jean Labatut, ci-après JL International, est spécialisée dans l'importation et la distribution de produits textiles d'habillement.

A compter du mois de mars 2009, la société JL International a confié à la société Texalex le développement de ses collections, à travers le suivi de ses approvisionnements et de leur production, au Bangladesh.

Les parties n'ont pas formalisé leur relation commerciale par un écrit, mais ont convenu que la rémunération de la société Texalex se ferait sur la base d'une commission, variant entre 2 et 4 % selon les fournisseurs, sur les achats réalisés par la société JL International par l'intermédiaire de la société Texalex.

Par jugement du 5 août 2015, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société JL International.

Le 29 juin 2016, ce tribunal a prononcé la prolongation exceptionnelle jusqu'au 28 décembre 2016 de la période d'observation de la société JL International.

Par jugement du 5 août 2015, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société JL International.

La société Texalex soutient que lors d'une conversation téléphonique du 23 septembre 2015 entre les directeurs généraux des deux sociétés, la société JL International lui aurait notifié la fin de leurs relations commerciales.

Par acte du 13 janvier 2016 la société Texalex a assigné la société JL International devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de factures, ainsi qu'en paiement de dommages et intérêts pour rupture brutale de leur relation commerciale établie en application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Par jugement du 24 octobre 2016, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- dit la loi française applicable au litige,

- débouté la société JL International, la Selarl X, la SCP Y, et la Selarl Z, ès qualités, de leur demande de rejet des pièces produites par la société Texalex,

- condamné la société JL International à payer à la société Texalex la somme de 75 000 dollars avec intérêts au taux légal à compter du 12 octobre 2015,

- condamné la société JL International à payer à la société Texalex la somme de 60 000 dollars avec intérêts au taux légal à compter du 12 octobre 2015,

- débouté la société Texalex de ses autres demandes,

- débouté la société JL International de ses demandes,

- condamné la société JL International à payer à la société Texalex la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la société JL International aux dépens de l'instance.

La société JL International a interjeté appel du jugement par déclaration au greffe du 23 décembre 2016.

La procédure devant la cour a été clôturée le 12 mars 2019.

Par jugement du 18 janvier 2017, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé la liquidation judiciaire de la société JL International et désigné la société Z, ès qualités de liquidateur judiciaire.

La société Z, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société JL International, est intervenue volontairement à la présente procédure.

Vu les conclusions du 4 août 2017 par lesquelles la société JL International, la société Y, ès qualités d'administrateur judiciaire, la société X, ès qualités d'administrateur judiciaire, la société Z ès qualités de liquidateur judiciaire, appelants, invitent la cour, au visa des articles 9, 49, 122 du Code de procédure civile, 1134, 1184, 1315 anciens du Code civil, 4.1 du règlement Rome II, et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, et de l'ordonnance de Villers-Cotterêts d'août 1539, à :

- déclarer la société JL International recevable et bien fondée en son appel,

in limine litis,

- se déclarer compétent pour connaître de l'entier litige,

à titre principal,

- infirmer la décision dont appel et statuant à nouveau,

- écarter des débats les documents produits par la société Texalex établis en langue étrangère, et également ceux traduits librement par cette dernière et notamment la facture du 9 octobre 2015,

- constater que les créances dont se prévaut la société Texalex sont infondées en leur principe et quantum,

- dire que les créances dont se prévaut la société Texalex sont antérieures et nées irrégulièrement au sens des dispositions de l'article L. 622-17, I du Code de commerce, qu'elles sont frappées de l'interdiction de paiement de l'article L. 622-7, I du même Code,

- constater que la société Texalex a sollicité l'admission de ses créances au passif de la société JL International à titre chirographaire le 5 février 2015, postérieurement à sa demande de paiement du 12 octobre 2015, et qu'elle a ainsi renoncé à leur paiement à échéance,

- déclarer irrecevables les demandes de paiement à échéance de la facture du 9 octobre 2015 et de l'indemnisation de la rupture des relations commerciales alléguée maintenues de manière déloyale,

- dire que la société Texalex a sollicité tardivement le 6 février 2016 l'admission de ses créances au passif de la société JL International et que ses créances sont forcloses et inopposables à la procédure collective de la société JL International,

- dire que la société Texalex ne justifie pas de l'accomplissement des prestations objets de la facture du 9 octobre 2015, dont le paiement s'avère non exigible en application du principe de l'exception d'inexécution,

- dire que le droit français et l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce sont inapplicables au litige,

- dire que la société Texalex ne démontre pas l'existence de la rupture brutale d'une relation commerciale,

- dire que la société Texalex ne démontre pas le montant de la marge bénéficiaire relative à la relation commerciale avec la société JL International,

en conséquence,

- débouter la société Texalex de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner la société Texalex à verser à la société JL International une somme de 10 000 euros en sanction du caractère abusif de la présente procédure,

- condamner la société Texalex à verser à la société JL International la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la même aux entiers dépens ;

Vu les conclusions du 13 juin 2017 par lesquelles la société Texalex, intimée, demande à la cour, au visa des articles 1134 ancien du Code civil, L. 622-17, D. 442-3 du Code de commerce, de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- condamné la société JL International au paiement de la somme de 75 000 dollars au titre de sa facture du 9 octobre 2015 correspond aux prestations de développement de la collection printemps/été 2016,

- dit que la société JL International a rompu brutalement des relations commerciales établies avec la société Texalex,

- condamné la société JL International au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure, ainsi qu'aux entiers dépens,

- débouté la société JL International de ses demandes,

- infirmer le jugement entrepris sur le quantum de l'indemnisation mise à la charge de la société JL International à titre de la rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Texalex,

et statuant à nouveau,

- condamner la Selarl Z, ès qualités de mandataire liquidateur de la société JL International, au paiement de la somme de 225 000 dollars au titre du préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Texalex,

en tout état de cause,

- débouter les appelantes de l'intégralité de leurs demandes,

- condamner les appelantes au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel ;

SUR CE, LA COUR,

La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Sur le rejet des pièces produites en langue anglaise

La société JL International demande à ce que les pièces produites par la société Texalex en langue anglaise et non traduites par un traducteur assermenté soient écartées des débats en application de l'ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539.

Si l'ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539 fonde la primauté et l'exclusivité de la langue française devant les juridictions nationales, l'article 23 du Code de procédure civile dispose que " le juge n'est pas tenu de recourir à un interprète lorsqu'il connaît la langue dans laquelle s'expriment les parties ".

Ainsi, les actes de la procédure doivent nécessairement être rédigés en langue française, mais les pièces communiquées n'ont pas à être traduites nécessairement si le juge connaît la langue dans laquelle s'expriment les parties.

En l'espèce, il convient d'abord de relever que la société JL International demande le rejet de l'ensemble des pièces en langue anglaise sans les préciser ou les lister, de sorte que la cour n'est pas en mesure de déterminer par principe qu'elles sont irrecevables pour être en langue anglaise.

Dès lors, les pièces non traduites en langue française ne peuvent en soi encourir l'irrecevabilité. Mais, la cour devant apprécier leur caractère probant, c'est-à-dire en fonction de leur caractère compréhensible par la cour, examinera le cas échéant si ces pièces sont utiles pour l'issue du litige et peuvent revêtir un caractère probant.

S'agissant plus précisément de la facture du 9 octobre 2015, seule pièce spécifiquement visée par la société JL International, il convient de relever que :

- si la facture litigieuse est en langue anglaise, les parties ont toujours utilisé l'anglais dans leurs rapports commerciaux, y compris la société JL International,

- si cette pièce est traduite librement en langue française, et que sa traduction est contestée, le texte en langue anglaise est facilement compréhensible et la traduction apparaît fidèle au texte anglais.

Dans ces conditions, la société JL International, qui a toujours reçu les factures de la société Texalex en langue anglaise, a pu s'expliquer contradictoirement sur cette pièce, et la cour est en mesure de comprendre la portée de ce document, de sorte, que la facture du 9 octobre 2015 émise par la société Texalex ne peut être écartée des débats.

Il y a donc lieu de rejeter la demande d'irrecevabilité des pièces en langue anglaise communiquées par la société Texalex.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La société appelante soutient qu'en application des dispositions de l'article 4.1 du Règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 dit " Rome II ", la loi applicable à l'action en réparation du préjudice subi en raison d'une rupture brutale des relations commerciales établies, qui revêt un caractère délictuel, est la loi du pays de réalisation du dommage. Elle en déduit que la loi applicable au litige est la loi bangladaise, l'ensemble des liens de rattachement avec le fait dommageable étant relatif au Bangladesh, le préjudice n'ayant en tout état de cause aucun lien de rattachement avec la France. Elle explique aussi que l'application de la loi bangladaise exclut l'application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de sorte que la demande indemnitaire de la société Texalex est dépourvue de fondement juridique applicable.

La société Texalex réplique que la loi française, y compris les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, est incontestablement applicable au litige en application de l'article 4 § 3 du Règlement Rome II, dès lors qu'existe un lien étroit entre le litige et la loi française, les relations commerciales entre la société Texalex et la société JL International s'orientant autour de la conception et de la fabrication de textiles pour le marché français. Elle fait également valoir que l'article L. 442-6, I, 5° constitue une loi de police, de sorte que même si devait être retenue la loi bangladaise, ledit article serait applicable au litige. Elle avance également que cet article est une composante de l'ordre public international français de sorte que la loi bangladaise, qui exclut l'application d'une telle disposition, doit être écartée. Elle relève que la loi compétente pour juger de la responsabilité extra contractuelle est la loi du lieu où le fait dommageable a été commis et qu'en l'espèce, le dommage résulte de la rupture qui a été commise sur le territoire français, ce qui justifie selon elle l'applicabilité de la loi française.

Sur les liens entre les parties

Il est constant que les missions confiées à la société Texalex comprenaient une phase de développement de la collection, durant laquelle la société JL International fournissait à la société Texalex des dossiers techniques sur la base desquels les fournisseurs bangladais réalisaient des pièces d'échantillons préalablement à la négociation par la société Texalex des prix auprès des fournisseurs et à la passation de commandes auprès de ces derniers suivant confirmation de la société JL International, et une phase de suivi de production de la collection, durant laquelle la société Texalex approuvait les matières premières utilisées, réalisait des contrôles de qualité au sein des usines, effectuait des inspections, et dressait des rapports envoyés à la société JL International, jusqu'à l'établissement d'un relevé de commission préalablement à chaque embarquement de lots de marchandises.

Il n'est pas contesté que la société JL International a fait appel à la société Texalex annuellement à compter du mois de mars 2009, et qu'elle lui envoyait des factures après lui avoir confié les différentes missions décrites ci-dessus.

Dès lors, l'action en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale alléguée des liens commerciaux, initiée par une société bangladaise, qui n'est donc pas domiciliée sur le territoire d'un Etat de l'Union, à l'encontre d'une société domiciliée sur le territoire français, s'agissant de déterminer les conditions de l'arrêt des échanges commerciaux entre elles, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, se rattache à la sphère contractuelle, la qualification devant se faire au regard du droit européen, les dispositions de la Convention de Rome s'appliquant pour déterminer la loi applicable au présent litige, comme il sera relevé ci-dessous, et les parties convenant de faire application du droit de l'Union pour trancher cette question.

Sur la loi applicable

Il résulte de l'article 3 du Code civil qu'il incombe au juge français, saisi d'une demande d'application d'un droit étranger, de rechercher la loi compétente, selon la règle de conflit, puis de déterminer son contenu, au besoin avec l'aide des parties, et de l'appliquer.

La Convention de Rome du 19 juin 1980, sur la loi applicable aux obligations contractuelles, s'applique aux faits de l'espèce, aucun contrat-cadre n'ayant été signé entre les parties, seule une succession de commandes et de factures, à compter du mois de mars 2009, caractérisant la relation commerciale entre les parties. En effet, la Convention de Rome était applicable au mois de mars 2009, date à laquelle a débuté la relation commerciale continue entre les parties.

Ce texte a un caractère universel, tel que le dispose son article 2 : pour l'application de celle-ci, aucune distinction ne doit être faite par les tribunaux des États contractants notamment selon que les parties au contrat ou en litige ont ou non la nationalité d'un État contractant, y ont ou non leur domicile, ou selon la localisation du contrat ou de l'un de ses éléments, la loi désignée par le règlement s'appliquant même si cette loi n'est pas celle d'un Etat membre.

En application de l'article 3 de ladite Convention, la loi applicable aux obligations contractuelles est celle choisie par les parties.

Selon l'article 4 de la même convention, dans la mesure où la loi applicable n'a pas été choisie conformément aux dispositions de l'article 3, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits. Il est présumé que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle.

Il est constant en l'espèce que les parties n'ont pas explicitement déterminé la loi applicable au litige pouvant les opposer, aucun contrat-cadre n'ayant été signé entre elles.

Il ressort de la nature des missions confiées à la société Texalex et de la rémunération de cette dernière, à savoir des commissions sur les marchandises produites et envoyées, que les parties étaient liées par des contrats de prestations de services. Il a été décrit ci-dessus la nature des relations entre les parties de sorte qu'il y a lieu de considérer que la prestation caractéristique des relations commerciales liant les parties est intégralement réalisée au Bangladesh.

Dans ces conditions, la cour doit rechercher le lieu de la résidence habituelle de la société Texalex.

En l'espèce, le prestataire de service est la société Texalex domiciliée au Bangladesh, de sorte que la loi applicable au présent litige est la loi bangalaise, sauf à considérer que le texte invoqué constitue une loi de police applicable aux faits de l'espèce et que les conditions sont réunies pour appliquer les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Sur l'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce

La société JL International ne conteste pas le principe que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce doivent être qualifiées de loi de police, ce que soutient la société Texalex.

Selon l'article 7 de la Convention :

" 1 . Lors de l'application, en vertu de la présente convention, de la loi d'un pays déterminé, il pourra être donné effet aux dispositions impératives de la loi d'un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat. Pour décider si effet doit être donné à ces dispositions impératives, il sera tenu compte de leur nature et de leur objet ainsi que des conséquences qui découleraient de leur application ou de leur non-application.

2. Les dispositions de la présente convention ne pourront porter atteinte à l'application des règles de la loi du pays du juge qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat. ".

A supposer même l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce comme étant une loi de police, la cour doit déterminer en tout état de cause si la situation présente un lien étroit avec le territoire français, critère qui déclencherait l'application de cette loi de police, le cas échéant.

En l'espèce, l'ensemble des prestations commandées par la société JL International est réalisé au Bangladesh par la société Texalex. En effet, le marché concerné par les prestations et la relation commerciale étant situés au Bangladesh et aucune preuve n'est rapportée par la société Texalex de ce que le marché français serait impacté par la situation contractuelle entre les parties. Les seules circonstances relatives à la livraison des marchandises en France et au domicile de la société JL International ne peuvent suffire à caractériser un impact sur le marché français, sans que d'autres éléments ne soient communiqués et établis par celle-ci, alors que la relation contractuelle liant les parties ne concerne que le Bangladesh.

Dans ces conditions, la société Texalex ne démontre pas un lien étroit à la France dans le cadre du présent litige.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce n'ont pas, en l'espèce, vocation à s'appliquer dans les relations entre les parties et pour apprécier les conditions de la rupture.

Sur le droit bangalais

La société JL International soutient, sans être contredite par la société Texalex, que le droit bangalais ne comporte pas ce type de fondement juridique et que sa responsabilité ne peut être recherchée par la société Texalex concernant les conditions de la rupture de leur relation commerciale et de sa brutalité.

Dès lors, il y a lieu de rejeter la demande de la société Texalex pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Sur la demande en paiement de la facture

La société JL International, la Selarl X, la SCP L.J., et la Selarl Z, ès qualités, soutiennent qu'en raison du jugement du tribunal de commerce de Bordeaux intervenu le 5 août 2015 prononçant l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société JL International, la facture litigieuse ne peut faire l'objet d'une demande de paiement, en application des articles L. 622-17 et L. 622-21 du Code de commerce, dès lors qu'elle est relative à des prestations accomplies par la société Texalex entre le 21 février et le 5août 2015 qui constituent des créances antérieures au jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire. Ils ajoutent que la société Texalex ne justifie de l'accomplissement d'aucune prestation entre le 6 août 2015 et le 9 octobre 2015, date d'édition de la facture litigieuse. Ils font en outre valoir que la société Texalex, ayant sollicité le 6 février 2015 l'admission au passif de la société JL International de la créance chirographaire relative à la facture litigieuse, ne peut, sauf à se contredire au détriment d'autrui, en solliciter le paiement à échéance. Ils en concluent que la demande en paiement à échéance doit donc être déclarée irrecevable. De même, elle relève que la demande d'admission au passif opérée le 6 février 2015 est forclose, le délai de deux mois à compter de la publication au BODACC du jugement d'ouverture de la procédure est venu à expiration le 23 octobre 2015 et que donc la créance de la société Texalex est inopposable à la procédure collective en application des dispositions de l'article L. 622-26 du Code de commerce. En tout état de cause, ils soutiennent que la société Texalex ne justifie ni de l'accomplissement des prestations objets de la facture litigieuse, ni du montant de cette dernière, qu'elle a fixé de manière arbitraire à une somme égale au quart de la commission annuelle perçue de 300 000 dollars. Enfin, ils estiment que la société Texalex n'ayant pas procédé à la remise des relevés de commissions établis à la suite des inspections préalables à l'embarquement des marchandises, elle ne peut solliciter le paiement de ces prestations, la société JL International étant fondée à soulever une exception d'inexécution afin de s'opposer au paiement desdites prestations.

La société Texalex réplique au titre de la rémunération des prestations de développement de la collection printemps/été 2016 qu'elle a accomplies postérieurement au jugement d'ouverture, la somme de 75 000 dollars. Elle affirme être néanmoins dans l'incapacité de chiffrer avec précision le montant de la commission qu'elle aurait dû percevoir au titre de la saison printemps/été 2016, dès lors que la rupture brutale des relations l'a privée de la possibilité d'établir ses rapports d'inspection, sur la base desquels sont calculés ses commissions. Toutefois, elle estime avoir à la veille de la rupture accompli la moitié des prestations, à savoir la phase de développement, de sorte qu'elle s'estime bien fondée à solliciter le paiement de la facture du 9 octobre 2015 pour un montant de 75 000 dollars, correspondant à la moitié de la commission habituellement perçue pour une collection. Elle soutient que cette créance est née régulièrement et postérieurement au jugement d'ouverture et correspond à la contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, de sorte qu'elle bénéficie du régime privilégié de paiement à l'échéance consacré par l'article L. 622-17 du Code de commerce et que la déclaration du 5 février 2016 lui a permis d'informer le mandataire judiciaire de l'existence de cette créance en application des dispositions de l'article L. 622-17, IV du Code de commerce. Elle relève que la déclaration du 5 février 2016 précisait clairement dans son intitulé la nature postérieure de la créance par sa référence à l'article L. 622-17 du Code de commerce, le mandataire judiciaire ayant d'ailleurs été convaincu de la régularité de la créance.

Les parties conviennent que le droit français est applicable à la demande en paiement de la facture du 9 octobre 2015 émise par la société Texalex.

Sur la créance de la société Texalex

Si, en application des dispositions de l'article L. 110-3 du Code de commerce, la preuve est libre en matière commerciale, il n'en demeure pas moins que la seule production de factures est insuffisante pour justifier de l'obligation à paiement de la partie à laquelle on les oppose.

En l'espèce, il appartient à la société Texalex de rapporter la preuve que les prestations, dont elle demande le paiement, ont été commandées par la société JL International, exécutées par elle mais non payées. Elle doit aussi en démontrer le montant.

La procédure de redressement judiciaire a été ouverte le 5 août 2015 par le tribunal de commerce de Bordeaux.

Il ressort de nombreux échanges courriels en langue anglaise, que la cour peut comprendre et dont la traduction libre en langue française est fidèle, ces pièces étant donc probantes (pièces 74 à 151), que la société JL International a eu de nombreux échanges avec la société Texalex lui demandant des informations sur les produits dont elle demandait la production, pour sa collection 2016, échangeant notamment sur les prix, les dossiers techniques et les différents produits commandés aux mois de juillet, août et septembre 2015, après avoir envoyé des études de produits à la société Texalex au printemps 2015 (pièces 173 et 174).

Les prestations réalisées par la société Texalex à la demande de la société JL International ont été décrites ci-dessus et les factures des prestations antérieures réalisées par la société Texalex depuis 2009 démontrent que selon l'usage entre les parties, les prestations étaient payées régulièrement par commissions relatives à des prestations de suivi des échantillons, d'inspection de la ligne de production et d'inspection finale pour l'embarquement des produits.

En l'espèce, il apparaît que les prestations ont pris fin en cours d'exécution de la première phase de création des modèles de vêtements, les parties continuant à échanger jusqu'à la fin du mois de septembre 2015 sur les différentes prestations de la société Texalex, date à laquelle la société Texalex a été en mesure de facturer.

La société Texalex facturait régulièrement ses prestations à la société JL International, parmi les dernières factures, une portait sur la collection hiver, datée du 27 août 2015 et l'autre datée du 7 juillet 2015 portait sur des prestations de suivi des échantillons, d'inspection de la ligne de production et d'inspection finale pour l'embarquement des produits pour la période du 1er octobre 2014 au 30 juin 2015, de sorte qu'il apparaît que la société Texalex a été rémunérée pour ses prestations jusqu'à cette date, à défaut de justifier que cette facture (pièce 28) porte sur d'autres prestations que celles pour lesquelles elle demande le paiement dans le cadre de la présente instance (à compter du 21 février 2015).

La société Texalex démontre avoir réalisé de manière continue des prestations à la demande de la société JL International sur la période du 1er juillet jusqu'au 23 septembre 2015 sans avoir été rémunérée par la société JL International.

Compte tenu de la nature des prestations réalisées de manière continue et payées par commissions, il y a lieu de déterminer la somme due par la société JL International pour la période du 1er juillet au 23 septembre 2015 au regard des factures précédentes, constituant l'usage entre les parties, sur la période de presque trois mois et la nature des prestations, soit à la somme de 40 000 dollars.

Sur la nature de la créance

L'article L. 622-17 du Code de commerce dispose notamment :

" I. Les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, pour son activité professionnelle, pendant cette période, sont payées à leur échéance.

II. Lorsqu'elles ne sont pas payées à l'échéance, ces créances sont payées par privilège avant toutes les autres créances, assorties ou non de privilèges ou sûretés, à l'exception de celles garanties par le privilège établi aux articles L. 143-10, L. 143-11, L. 742-6 et L. 751-15 du Code du travail, des frais de justice nés régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure" et de celles garanties par le privilège établi par l'article L. 611-11 du présent Code ".

L'article L. 622-24 dudit Code est rédigé notamment comme suit :

" A partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire.

Les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture, autres que celles mentionnées au I de l'article L. 622-17 et les créances alimentaires, sont soumises aux dispositions du présent article. Les délais courent à compter de la date d'exigibilité de la créance. Toutefois, les créanciers dont les créances résultent d'un contrat à exécution successive déclarent l'intégralité des sommes qui leur sont dues dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État. "

L'article L. 622-21 du même Code stipule que :

" I. Le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant 1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ".

La cour doit donc déterminer la date de naissance de la créance invoquée par la société Texalex, si elle répond aux critères posés à l'article L. 622-17 du Code de commerce, et le cas échéant, si elle est née en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, ou pour les besoins du déroulement de la procédure ou pour les besoins de la période d'observation pour déterminer son éligibilité au paiement préférentiel.

Il y a lieu de distinguer les périodes de prestations, à savoir entre le 1er juillet et le 4 août 2015, soit avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, et entre le 5 août et le 23 septembre 2015, soit après l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire.

Les prestations étant rémunérées par période pour des prestations réalisées en continu, le fait générateur de la créance constitue la réalisation de la prestation. Dès lors, les prestations réalisées antérieurement au redressement judiciaire de la société JL International sont nées antérieurement au jugement d'ouverture et celles réalisées postérieurement au redressement judiciaire sont nées postérieurement au jugement d'ouverture. Dans ces conditions, il y a lieu de calculer au prorata au nombre de jours sur la période considérée, celles qui doivent être considérées comme antérieures ou postérieures au jugement d'ouverture.

Les prestations réalisées après l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire sont nées en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, nécessaires à la poursuite de son activité et la circonstance que la société Texalex ait procédé à la déclaration de l'intégralité de sa créance n'a aucune incidence sur la qualification de la créance dont il est question.

Entre le 1er juillet et le 4 août 2015, il y a 35 jours et entre le 5 août et le 23 septembre 2015, il y a 50 jours. Ainsi, sur la première période, la créance s'élève à la somme de 16.470 euros [(40 000 x 35)/85] et sur la seconde période la créance s'élève à la somme de 23 530 euros [(40 000 x 50)/85].

La somme de 16.470 euros est une créance antérieure au jugement d'ouverture et doit donc faire l'objet d'une déclaration de créance, comme cela a été le cas en l'espèce, de sorte que la demande est recevable. La somme de 23 530 euros est une créance postérieure au jugement d'ouverture et répond aux conditions posées par l'article L. 622-17, I précité. Dès lors, cette somme est due par la Selarl Z, ès qualités de liquidateur de la société JL International, à la société Texalex.

Il y a donc lieu de condamner la Selarl Z, ès qualités de liquidateur de la société JL International, à payer à la société Texalex la somme de 23.530 euros et de fixer la créance de la société Texalex au passif de la société JL International à la somme de 16.470 euros.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la société Texalex

Le sens de la décision démontre que l'action de la société Texalex à l'encontre de la Selarl Z, ès qualités de liquidateur de la société JL International, n'est pas abusive. La demande à ce titre doit donc être rejetée. Le jugement doit être confirmé sur ce point.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a :

- débouté la société JL International de ses demandes,

- condamné la société JL Internationalpayer à la société Texalex la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la société JL International aux dépens de l'instance.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

La Selarl Z, ès qualités de liquidateur de la société JL International, doit être condamné aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Texalex la somme supplémentaire de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par la Selarl Z, ès qualités de liquidateur de la société JL International.

Par ces motifs : LA COUR, Rejette la demande d'irrecevabilité des pièces en langue anglaise ; Infirme le jugement sauf en ce qu'il a : Débouté la société JL International de ses demandes, Condamné la société JL International à payer à la société Texalex la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, Condamné la société JL International aux dépens de l'instance ; Le Confirme sur ces points ; Statuant à nouveau ; Déboute la société Texalex de sa demande en paiement au titre de la brutalité de la rupture ; Condamne la Selarl Z, ès qualités de liquidateur de la société JL International, à payer à la société Texalex la somme de 23 530 euros ; Fixe la créance de la société Texalex au passif de la société JL International à la somme de 16 470 euros ; Y ajoutant ; Condamne la Selarl Z, ès qualités de liquidateur de la société JL International, aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Texalex la somme supplémentaire de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Rejette toute autre demande.