CA Montpellier, 2e ch., 11 juin 2019, n° 16-07581
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
3AY Alison White (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Prouzat
Conseillers :
Mmes Bourdon, Rochette
Avocats :
Mes Denel, Barthelemy, Mazni, Gouron
FAITS ET PROCEDURE - MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
La Sasu 3AY Alison White (la société 3AY) a conclu, le 15 juillet 2014, avec X un contrat d'agent commercial pour la vente d'articles de prêt-à-porter (la collection maille Alison White et la collection robe et tunique Circus Alison White) sur un secteur géographique correspondant à la région PACA, la Corse, la région Rhône-Alpes, le Limousin, le Languedoc-Roussillon, l'Auvergne, l'Aquitaine et la région Midi-Pyrénées.
Il était convenu, à l'article 6 du contrat, que l'agent commercial perçoive sur toutes les ventes directes et indirectes réalisées dans son secteur une commission calculée sur le montant net hors-taxes de la commande au taux de 12 %, que le fait générateur de la commission est l'acceptation de la commande par le mandant, aucune commission n'étant toutefois due à l'agent sur des commandes acceptées par le mandant mais inexécutées pour cause de force majeure, ni sur les commandes exécutées mais non payées par les clients, et que le règlement de la commission interviendra après encaissement des factures clients dans la semaine qui suit le règlement.
Dans le courant des mois de janvier, février et mars 2015, M. X a fait signer 36 bons de commande pour un montant total de 127 563 hors-taxes auprès de clients situés dans son secteur géographique, commandes correspondant à des articles de prêt-à-porter de la saison hiver 2015 ; ces commandes ont été validées par la société 3AY et, par lettre recommandée du 7 août 2015, M. X a sollicité le paiement de la commission due sur ces ventes, soit la somme de 15 307 .
En réponse, la société 3AY a, par lettre recommandée du 7 septembre 2015, fait savoir à M. X qu'elle n'avait pu livrer les articles commandés du fait de la carence de son fournisseur chinois : " Au sujet de la livraison de la marchandise hiver, j'espère que tu as bien compris que notre société n'est pas responsable du fait que nous n'avons pu livrer. L'usine en Chine nous a promené jusqu'à maintenant. J'ai reçu 30 % de la marchandise et je suis en train de contacter tes clients s'ils sont prêts à accepter de recevoir partiellement leurs commandes. Je te renvoie donc ta facture qui n'a pas lieu d'être avec ce courrier. Bien entendu je te tiens au courant de la marchandise que j'aurais pu livrer et te donnerai ta commission en fonction des règlements reçus ".
Par exploit du 18 septembre 2015, M. X a fait assigner la société 3AY devant le tribunal de commerce de Montpellier en vue d'obtenir le paiement de la somme de 15 307 au titre des commissions lui étant dues, outre la résiliation du contrat pour faute du mandant et la condamnation de celui-ci à lui payer des dommages et intérêts correspondant à une année de commissions ; la société 3AY s'est opposée à ces demandes en faisant valoir que le paiement des commissions n'est dû contractuellement qu'après encaissement des factures clients, que les bons de commande litigieux ont fait l'objet d'annulations de la part des clients auxquels était proposée une livraison partielle et qu'aucun manquement ne peut lui être imputé de nature à entraîner la résiliation à ses torts du contrat d'agent commercial.
Le tribunal, par jugement du 28 septembre 2016 a notamment :
- condamné la société 3AY à payer à M. X la somme de 15 307 au titre de ses commissions,
- débouté M. X de sa demande de dommages et intérêts,
- condamné la société 3AY à payer à celui-ci la somme de 1 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société 3AY à régulièrement relevé appel, le 21 octobre 2016, de ce jugement en vue de sa réformation.
En l'état de ses dernières conclusions déposées le 21 mars 2019 via le RPVA, elle demande à la cour de :
- débouter M. X de sa demande en paiement des commissions,
- confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts,
- condamner M. X à lui payer la somme de 3 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de son appel, elle fait valoir pour l'essentiel que :
- selon les dispositions de l'article 6 du contrat, le fait générateur de la commission est le paiement de la facture par le client,
- en l'occurrence, le montant des commandes s'élevait à 101 073 et non à 127 563 compte tenu d'annulations partielles par les clients et une grande partie des commandes, pour un montant de 43 327 , était conditionnée, selon les mentions portées par M. X sur les bons de commande, aux ventes des articles commandés par les clients, ce qui n'a jamais été accepté par elle,
- la plupart des commandes portant sur la collection " hiver 2015 ", qui devait faire l'objet d'une livraison en juillet 2015, a ensuite été annulée par les clients courant septembre 2015 compte tenu du retard du fabricant à livrer les articles de la collection dans les délais convenus,
- M. X ne peut donc prétendre au paiement de commissions relativement à des commandes annulées par les clients et/ou n'ayant fait l'objet d'aucune facturation, ni de règlement,
- elle a proposé aux clients de reporter la livraison des articles commandés, puisque le fabricant chinois avait lui-même reporté au 25 septembre 2015 la livraison de la collection, mais les clients ont procédé, de leur propre initiative, à l'annulation de leurs commandes,
- aucun manquement contractuel ne peut lui être imputé, elle-même n'ayant aucune raison de se priver d'un chiffre d'affaires dès lors que les clients étaient prêts à recevoir tardivement la marchandise commandée et en payer le prix.
Formant appel incident, M. X sollicite, aux termes des conclusions qu'il a déposées le 24 janvier 2017 par le RPVA, de voir la société 3AY condamnée à lui payer la somme de 15 000 à titre de dommages et intérêts ; il conclut à la confirmation du jugement pour le surplus et à l'allocation de la somme de 2 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il expose en substance que les commissions sont dues, dès lors que les commandes ont été acceptées et confirmées par la société 3AY, que les difficultés de livraison rencontrées par celle-ci avec son fournisseur chinois sont sans incidence sur son droit à commission, qu'il a dû exposer des frais importants (déplacements, péages, carburant, hôtels, restaurants...) pour se déplacer dans tout le sud de la France et collecter les commandes, dont les commissions lui sont maintenant impayées, et que le défaut de paiement des commissions dans les délais et conditions prévues justifie que le contrat soit résilié pour faute du mandant, le montant des dommages et intérêts compensatoires de son préjudice devant être évalué à une année de commissions.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 16 avril 2019.
MOTIFS DE LA DECISION :
Il résulte de l'article L. 134-6 du Code de commerce que pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission définie à l'article L. 134-5 lorsqu'elle a été conclue grâce à son intervention ou lorsque l'opération a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre.
Aux termes de l'article L. 134-9 du même Code : " La commission est acquise dès que le mandant a exécuté l'opération ou devrait l'avoir exécuté en vertu de l'accord conclu avec le tiers ou bien encore dès que le tiers a exécuté l'opération. La commission est acquise au plus tard lorsque le tiers a exécuté sa part de l'opération ou devrait l'avoir exécutée si le mandant avait exécuté sa propre part (...) ".
En l'occurrence, l'article 6 du contrat d'agence liant les parties dispose que le fait générateur de la commission est l'acceptation de la commande par le mandant, que toutefois, aucune commission n'est due à l'agent sur des commandes acceptées par le mandant mais inexécutées pour cause de force majeure, ni sur les commandes exécutées mais non payées par les clients, et que le paiement des commissions interviendra après encaissement des factures clients dans la semaine qui suit le règlement.
Si les commissions ne sont dues à l'agent commercial, en vertu de l'article 6 du contrat, qu'après paiement des factures par les clients, encore faut-il que les commandes, acceptées par le mandant, aient été normalement exécutées par celui-ci ; au regard des dispositions de l'article L. 134-9 susvisé, lorsque l'inexécution des commandes provient du fait du mandant, l'agent commercial conserve son droit à commission, peu important que les commandes n'aient été ni livrées, ni payées.
Dans le cas présent, il résulte des pièces produites que les 36 commandes passées par M. X pour le compte de la société 3AY au cours des mois de janvier, février et mars 2015 ont fait l'objet de confirmation de la part du mandant, y compris en ce qui concerne les conditions posées par certains clients, qui avaient subordonné le règlement de leurs factures à la vente des articles commandés (généralement de fin septembre à fin décembre 2015) ou qui avaient demandé la reprise des invendus ; ce n'est qu'après avoir accepté les commandes, prévoyant une livraison première ou deuxième quinzaine de juillet, première ou deuxième quinzaine d'août ou début septembre, que la société 3AY, du fait du retard de son fournisseur chinois à livrer la totalité de la collection hiver 2015 en temps voulu, a adressé à chacun de ses clients, une lettre recommandée, le 21 septembre 2015, l'avisant de ce que le fournisseur chinois avait reporté au 25 septembre la date de livraison de la collection et lui demandant ainsi de confirmer ou pas la commande passée, pouvant être livrée début octobre 2015, tout en y joignant un bon d'annulation de la commande.
À l'exception de trois clients, qui n'ont pas répondu à cette lettre (les boutiques " Fenêtre sur " à Canet-en-Roussillon, " Loft 45 " à Saint-Y et " Anaïs " à Saint-Rémy de Provence), la plupart des clients a annulé les commandes passées en retournant, daté et signé, le bon d'annulation.
La société 3AY ne fournit aucune explication, ni justification sur les raisons pour lesquelles son fournisseur chinois a reporté au 25 septembre 2015 la livraison de la collection hiver 2015, dont les articles commandés auraient dû parvenir à ses clients au cours de la saison estivale 2015 ; elle ne prétend même pas que l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée d'exécuter les commandes, dans le respect des délais de livraison convenus avec ses clients, du fait de la carence de son fournisseur chinois, procède d'un cas de force majeure ; en toute hypothèse, comme le soutient à juste titre M. X, les difficultés rencontrées par la société 3AY avec son fournisseur chinois ne sont pas de nature à priver celui-ci de son droit à commission, alors que les commandes ont été acceptées par le mandant et que leur inexécution est finalement imputable à ce dernier.
L'assiette des commissions dues n'est pas cependant de 127 563 , puisque divers clients ont procédé à des annulations partielles de commandes entre le 7 février 2015 et le 2 avril 2015 (" Apparence bis " : 5 980 le 16 février 2015 et 3 600 le 11 mars 2015 ; " Loft 45 " : 962 le 13 mars 2015 ; " Fenêtre sur " : 825 le 2 avril 2015) pour un montant total de 11 367 , ce dont il se déduit que les commissions dues à M. X s'élèvent à la somme de : 116 196 x 12 % = 13 943,52 ; le jugement entrepris doit dès lors être réformé quant au montant des commissions effectivement dues.
L'article L. 134-12 du Code de commerce dispose qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, l'article L. 134-13 du même Code énonçant que la réparation n'est pas due lorsque la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ; dans le cas présent, M. X a pris l'initiative de rompre le contrat d'agence conclu à durée indéterminée avec la société 3AY à effet du 15 juillet 2014 en saisissant le tribunal de commerce, par exploit du 18 septembre 2015, d'une demande indemnitaire, après avoir, par lettre recommandée du 7 août 2015, mis en demeure le mandant d'avoir à lui régler le montant de ses commissions ; même si la société 3AY a, du fait du retard de son fournisseur chinois à mettre à sa disposition la collection hiver 2015, proposé à ses clients un report pour la livraison des articles commandés, que la plupart d'entre eux a refusé, il n'en demeure pas moins que la rupture de la relation contractuelle est imputable au mandant, qui n'a pas versé à l'agent les commissions auxquelles celui-ci avait droit, liées aux commandes passées par son entremise.
Pour l'appréciation du préjudice subi, il convient de retenir que la relation entre les parties n'a duré qu'un an, que M. X a lui-même pris l'initiative de solliciter la résiliation judiciaire du contrat et non pas de rompre celui-ci dans le respect du délai de préavis contractuel de deux mois, qu'il a perçu ou aurait dû percevoir, pour la commercialisation de la collection printemps-été 2015 et hiver 2015, un total de commissions égal à 17 058 (3 114,48 + 13 943,52 ), qu'il bénéficiait d'une exclusivité pour l'exécution de son mandat dans le secteur géographique, dont il avait la charge, et qu'il n'est pas justifié, ni même allégué, d'investissements particuliers qu'il aurait effectués en vue du développement de la clientèle commune ; en l'état de ces éléments, le montant de l'indemnité de cessation de contrat due par la société 3AY doit être évalué à la somme de 5 000 au paiement de laquelle celle-ci doit être condamnée ; le jugement entrepris doit également être réformé en ce qu'il a débouté M. X de sa demande indemnitaire.
Au regard de la solution apportée au règlement du litige, la société 3AY doit être condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à M. X la somme de 1 500 au titre des frais non taxables que celui-ci a dû exposer, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Réforme le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 28 septembre 2016, mais seulement en ce qu'il a condamné la société 3AY au paiement de la somme de 15 307 au titre des commissions dues à M. X et en ce qu'il débouté celui-ci de sa demande indemnitaire, Statuant à nouveau de ces chefs, Condamne la société 3AY Alison White à payer à X la somme de 13 943,52 au titre des commissions dues, Condamne la société 3AY à payer à M. X la somme de 5 000 au titre de l'indemnité de cessation de contrat, Confirme le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions, Condamne la société 3AY aux dépens d'appel et à payer à M. X la somme de 1 500 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.