CA Lyon, 1re ch. civ. A, 6 juin 2019, n° 16-08178
LYON
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Sépia (SAS)
Défendeur :
Corico (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rachou
Conseillers :
Mme Clément, M. Nicolas
Avocats :
Selarl Laffly, Associés, Selarl Juris Opera Avocats, SAS Tudela, Associés, Selarl Cabinet Renaudier
La SARL Z, qui avait pour gérant M. X, avait conclu avec les sociétés Corico expansion et Corico volaille, dont l'objet social était l'abattage de volaille et la commercialisation de la viande de volaille et de produits élaborés à partir de cette matière première, un contrat d'agent commercial.
La société Corico, appartenant au groupe agroalimentaire LDC qui a notamment pour client l'enseigne Carrefour, est issue de la fusion en 2012 des deux sociétés Corico expansion et Corico volaille et vient aux droits de celles-ci.
A la suite de différends entre les parties, le tribunal de commerce de Villefranche-sur-Saône a rendu un jugement le 10 mars 2011.
Puis les sociétés Corico expansion et Corico volaille (les sociétés Corico) d'une part et la SARL Z de l'autre se sont rapprochées et ont conclu le 31 décembre 2011 un protocole d'accord transactionnel, M. X intervenant à l'acte à titre personnel.
Par acte sous seing privé du même jour, les sociétés Corico et M. X ont convenu d'un nouveau contrat d'agent commercial pour une durée d'un an renouvelable le cas échéant par avenant.
Par courrier du 6 février 2012, M. X a demandé à la société Corico de facturer au nom de l'EURL Sépia, devenue SAS Sépia (la société Sépia), dont il a été le gérant puis le président, les sommes dues au titre de l'exécution du contrat ce qui a été fait.
Les parties ont poursuivi leurs relations contractuelles sans formaliser d'avenant jusqu'au 1er juillet 2014, date à laquelle la société Corico a informé la société Sépia de sa volonté d'y mettre fin moyennant le respect d'une période de préavis s'achevant le 30 septembre 2014.
Par courrier en réponse du 21 juillet 2014, la société Sépia a pris acte de cette rupture et a sollicité, au titre du préavis, paiement de :
- un mois de commissionnement supplémentaire, soit jusqu'au 31 octobre 2014,
- l'intégralité des commissions sur les affaires en cours au 30 septembre 2014
- l'indemnisation des conséquences préjudiciables de la rupture.
Faute d'accord entre les parties, la société Sépia a saisi le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare qui, par jugement du 20 octobre 2016, a retenu sa compétence, dit irrecevable la demande en nullité de l'article 5 du protocole d'accord transactionnel présentée par la société Sépia ainsi que la demande d'indemnisation de fin de contrat et de commissionnement pour le mois d'octobre 2014.
Le tribunal a par ailleurs condamné la société Sépia à payer à la société CORICO la somme de 1 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et débouté cette dernière de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive.
La société Sépia a régulièrement interjeté appel de cette décision le 18 novembre 2016.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 16 janvier 2018, elle demande à la cour infirmant la décision, de :
- dire son action et ses demandes recevables,
- dire nulles et à tout le moins non écrites les dispositions de l'article 5 du protocole transactionnel du 31 décembre 2011,
- dire en toute hypothèse inopposable à son égard les dispositions dudit protocole,
- dire non écrites les dispositions de l'article 10 alinéa 2 du contrat d'agent commercial,
- dire que le contrat d'agent commercial s'est poursuivi pour une durée indéterminée et ne forme pas un tout avec le protocole transactionnel conclu avec la société X,
- condamner la société Corico à lui payer les sommes de :
* 14 832,69 euros HT au titre du rappel de commissions sur préavis
* 392 971 euros à titre d'indemnisation des conséquences de la rupture ou subsidiairement 272 971 euros, avec intérêts à compter du 29 décembre 2014, date de l'assignation introductive d'instance, et capitalisation de ceux ci
* 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
la société Corico étant déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 15 novembre 2017, la société Corico demande à la cour la confirmation de la décision sauf en ce qu'elle a rejeté sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive et sollicite 50 000 euros de ce chef et 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Subsidiairement, elle conclut au rejet de la demande en paiement de la société Sépia.
Vu les dernières conclusions ;
Vu l'ordonnance de clôture du 20 mars 2018 ;
Sur ce :
Attendu que la société Sépia soutient pour l'essentiel qu'elle a repris et exécuté le contrat d'agent commercial signé par M. X et qu'elle a reçu paiement des commissions ; qu'elle n'est pas subrogée à M. X dans le cadre du protocole transactionnel mais seulement dans le cadre du contrat d'agent commercial signé personnellement par lui ; que les dispositions des articles 5 dernier alinéa du protocole transactionnel et 10 alinéa 2 du contrat d'agent commercial sont nulles et à tout le moins non écrites comme contraires à l'ordre public ; que le protocole transactionnel signé le 31 décembre 2011 entre les sociétés Corico et la société Z lui est inopposable ; que le nouveau contrat d'agent commercial est distinct, contrairement à ce qu'a retenu à tort le tribunal, de la situation antérieure à laquelle le protocole transactionnel a mis fin ; qu'elle est donc recevable en sa demande ; qu'elle y est également bien fondée, s'agissant d'indemniser les conséquences de la rupture intervenue sans faute de sa part conformément aux dispositions de l'article L. 134-16 du Code de commerce qui prohibent toute clause dérogeant au statut de l'agent commercial et aux dispositions de l'article L. 134-12 ;
Attendu que la société Corico fait valoir que l'objet du protocole était de mettre fin à la relation commerciale entre les parties et de conclure un nouveau contrat d'agent commercial pour une durée d'un an renouvelable ; qu'une clause de renonciation à toute action en justice future relative à l'exécution, l'interprétation ou la résiliation du contrat d'agent et du nouveau contrat passé avec M. X était insérée dans le protocole ; que ce protocole constitue une transaction et a autorité de chose jugée ; qu'il est indissociable du contrat d'agent commercial conclu le même jour et s'impose à la société Sépia qui s'est substituée à M. X dans l'exécution du contrat d'agent commercial signé le 31 décembre 2011 ; que le protocole d'accord étant opposable à la société Sépia, ses demandes sont irrecevables ; qu'elles sont en tout état de cause mal fondées ;
Sur la recevabilité de l'action de la société Sépia :
Attendu que le protocole d'accord litigieux a été conclu le 31 décembre 2011 entre les SAS Corico expansion et Volaille corico d'une part et la SARL Z et M. X, " intervenant également à titre personnel ", comme indiqué en tête de l'acte ;
Attendu qu'il résulte de l'article 1 dudit protocole que celui-ci avait pour but à la fois de mettre fin à une situation conflictuelle ayant opposé les parties lors de l'exécution d'un précédent contrat d'agent commercial et d'organiser les relations contractuelles futures par la souscription d'un nouveau contrat à conclure entre M. X, ou toute société qui le substituerait, et les sociétés Corico ou toute société qui les substituerait ;
Attendu que l'article 3 prévoyait expressément la conclusion de ce nouveau contrat avec M. X ;
Attendu que l'article 5 stipulait que :
" Les parties, chacune pour ce qui la concerne, renoncent [...]
Chacune des parties renonce également à toute action en justice future relative à l'exécution, l'interprétation ou la résiliation du contrat d'agent et du nouveau contrat passé avec M. X " ;
Attendu enfin que l'article 6 précisait que " la présente convention constitue une transaction au sens des articles 2044 et suivants du Code civil et aura autorité de chose jugée en dernier ressort entre les parties en application de l'article 2052 du Code civil, sous réserve de l'exécution intégrale et de bonne foi par les parties de leurs obligations réciproques. " ; que l'article 7 énonçait une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux compétents de Lyon ;
Attendu que le contrat d'agent commercial signé le même jour entre les sociétés Corico et M. X rappelait en son préambule qu' " a été signé ce jour un protocole d'accord transactionnel par lequel les sociétés mandantes et la société Z représentée par M. X ont mis fin à un différend qui les opposait sur l'exécution du contrat d'agent commercial qui les liait. Les parties se connaissent donc bien et les mandantes, compte tenu des modifications internes intervenues récemment et la mise en place d'une nouvelle direction, ont souhaité bénéficier de l'expérience et du savoir-faire de X. " ; qu'il est confié à M. X une mission d'accompagnement des mandants auprès des clients afin de permettre aux mandants de reprendre les dits clients en direct à l'expiration du contrat dans les meilleures conditions possibles ; que le contrat est conclu intuitu personae ;
Attendu que l'article 6 relatif à la rémunération de l'agent commercial énonce notamment que " en outre, et pour tenir compte à la fois, de l'assistance de M. X dans sa présentation à la clientèle auprès de la nouvelle direction des mandantes, de la formation dont bénéficieront les mandantes à ses méthodes de négociation et de vente, et de l'interdiction préjudiciable qui lui est faite de céder le présent contrat il est alloué dès à présent à M. X une commission fixe forfaitaire de cent vingt mille euros (120 000 ). ";
Attendu que l'article 10 réitère le principe de cette commission, outre la perception de commissions sur les opérations conclues dans les trois mois de la cessation du contrat ; qu'enfin, une clause attributive de compétence est prévue au bénéfice des tribunaux de Villefranche-sur-Saône ;
Attendu qu'il résulte de ces éléments que d'une part et contrairement à ce que conclut la société Sépia, M. X a été partie à titre personnel au protocole d'accord ; que d'autre part, il était prévu au protocole la possibilité d'une substitution des parties pour le nouveau contrat à conclure ; qu'enfin, le préambule du contrat d'agent commercial signé le même jour établit sans ambiguïté possible que les deux conventions étaient liées et que par voie de conséquence, la renonciation à toute action en justice prévue à l'article 5 du protocole visait également le contrat d'agent commercial ;
Attendu que si le contrat d'agent commercial précise qu'il est passé en considération de la personne de M. X et que les droits et obligations en résultant ne pourront être transférés par l'agent sauf accord contraire et express des parties, il n'en reste pas moins que peu de temps après la signature dudit contrat, M. X a demandé aux sociétés Corico de facturer au nom de la société Sépia les sommes dues au titre de l'exécution du contrat ce que les sociétés ont fait ; qu'en conséquence, et eu égard aux développements ci-dessus et notamment la possibilité de substitution, la société Sépia ne peut soutenir être substituée dans les droits de M. X pour le contrat d'agent commercial et non pas pour le protocole transactionnel ; que tant le contrat signé le 31 décembre 2011 que le protocole d'accord en date du même jour sont opposables à la société Sépia ;
Mais attendu que le contrat d'agent commercial signé le 31 décembre 2011 stipulait en son article 9 être conclu pour une durée d'un an à compter du 1er janvier 2012 pour se terminer le 31 décembre 2012, les parties pouvant poursuivre la relation au-delà de cette date avec établissement d'un avenant ; que la société Sépia conclut à juste titre que, conformément aux dispositions de l'article L. 134-11 du Code de commerce, le contrat s'étant poursuivi au-delà du terme fixé, il est devenu un contrat à durée indéterminée donnant naissance à une convention nouvelle, la cour observant qu'il n'était prévu aucun renouvellement du contrat par tacite reconduction pour une durée déterminée.
Attendu qu'en conséquence, la société Sépia est recevable en sa demande relative à ce contrat à durée indéterminée débuté le 1er janvier 2013 sans qu'il soit nécessaire d'examiner plus avant les plus amples développements des parties sur ce point, le contrat à durée indéterminée formé à compter du 1er janvier 2013 n'étant pas le contrat conclu le 31 décembre 2011 visé au protocole d'accord du 31 décembre 2011 dont les dispositions lui sont opposables ;
Sur les demandes indemnitaires en paiement :
Attendu que la cour observe en préliminaire que M. X n'est pas partie à la procédure et que c'est la société Sépia qui sollicite l'indemnisation du préjudice qu'elle estime avoir subi ;
Attendu que la société Sépia sollicite d'une part paiement d'un rappel de commissions au titre de la période de préavis et de l'autre l'indemnisation de son préjudice eu égard à la rupture du contrat ;
* Sur le rappel de commissions :
Attendu que le contrat liant les parties a débuté le 1er janvier 2013 et a été dénoncé par les sociétés Corico le 1er juillet 2014 avec un préavis expirant le 30 septembre 2014 ;
Attendu que la durée du préavis est de deux mois pour la deuxième année commencée du contrat ; qu'en conséquence, la société Sépia a été remplie de ses droits de ce chef,
* Sur l'indemnisation due à la rupture du contrat :
Attendu qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ;
Attendu qu'eu égard à la durée durant laquelle le contrat à durée indéterminée a été exécuté, soit du 1er janvier 2013 au 1er juillet 2014, et aux éléments comptables produits pour cette période, à l'exclusion des versements antérieurs au contrat à durée indéterminée, il sera alloué à la société Sépia une indemnité équivalente à dix-huit mois de commissions, soit la somme de 230 379,93 euros HT et 243 050,82 TTC, la cour retenant pour le mois de janvier 2014 la somme de 11 208,84 euros conforme à la facture versée aux débats ; que cette somme portera intérêts à compter de l'assignation soit le 29 décembre 2014, eu égard aux dispositions applicables au contrat d'agent commercial et en tout état de cause à titre de dommages et intérêts complémentaires ; qu'il convient d'infirmer le jugement sur ce point ;
Attendu que la société Corico qui succombe sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive, la décision déférée étant confirmée de ce chef ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Sépia les frais irrépétibles engagés ; qu'il convient de lui allouer la somme de 3 000 euros, la société Corico étant déboutée de sa demande et la décision infirmée ;
Par ces motifs ; LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme la décision en ce qu'elle a : Dit opposable à la société Sépia le contrat du 31 décembre 2011 et le protocole d'accord transactionnel en date du même jour, Débouté la société Corico de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive, L'infirme pour le surplus, et statuant à nouveau, Dit que les parties sont liées par un contrat à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2013, Dit recevable la demande de la société Sépia en paiement de commissions au titre de la période de préavis pour le mois d'octobre 2014 et en indemnité pour rupture du contrat, Déboute la société Sépia de sa demande en paiement de commissions au titre de la période de préavis pour le mois d'octobre 2014, Condamne la société Corico à payer à la société Sépia la somme de 243 050,82 euros TTC en indemnisation de la rupture du contrat avec intérêts à compter du 29 décembre 2014, les dits intérêts étant capitalisés dans les conditions de l'article 1154 ancien du Code civil, Déboute la société Sépia de ses plus amples demandes, Condamne la société Corico à payer à la société Sépia la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.