Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 15, 19 juin 2019, n° 18-07306

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Caudalie (SAS)

Défendeur :

Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Loos

TGI Paris, du 20 févr. 2018

20 février 2018

FAITS ET PROCEDURE

Le 20 février 2018, le juge des libertés et de la détention de Paris (ci-après JLD), a rendu, en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, une ordonnance de visite et de saisie dans les locaux de l'entreprise suivante :

- Caudalie, <adresse> et <adresse> et <adresse> ; et les sociétés du même groupes sis aux mêmes adresses.

Cette ordonnance faisait suite à une requête présentée par les services de l'Autorité de la concurrence (ci-après ADLC) suite à l'enquête aux fins d'établir si lesdites entreprises se livreraient à des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 2° du Code de commerce et 101-1 a) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après TFUE).

Cette requête, qui concerne le secteur de la distribution des produits cosmétiques Caudalie, faisait suite à une demande de l'Autorité belge de la concurrence (ci-après ABC), en date du 26 janvier 2018, sur le fondement de l'article 22 du règlement n° 1/2003.

A l'appui de cette requête était jointe une liste de 30 pièces ou documents en annexe.

Il ressortait des informations transmises par l'ADLC que l'entreprise Caudalie ferait obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse, par le biais d'actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions avec ses distributeurs agréés indépendants, en imposant des prix minimums de revente aux consommateurs et ce, en violation des dispositions de l'article L. 420-1, point 2 du Code de commerce et de l'article 101-1 a) du TFUE.

Il apparaîtrait que compte tenu de la spécificité des produits cosmétiques, définis à l'article L. 5131-1 du Code de la santé publique, leur distribution est usuellement réalisée en parapharmacie et pharmacie et que pour diffuser leurs produits, les acteurs du secteur au rang desquels figure l'entreprise Caudalie, ont majoritairement adopté le mode de la distribution sélective, définie à l'article 1er 1.e) du règlement UE n° 330/2010 du 20 avril 2010.

Il était indiqué que Caudalie concevrait et commercialiserait des produits cosmétiques naturels, essentiellement à base d'actifs extraits du raisin et de la vigne, qui seraient ensuite revendus en pharmacie et parapharmacie ; qu'elle serait suspectée de porter atteinte à la liberté tarifaire de ses distributeurs agréés indépendants en leur imposant d'appliquer une réduction de prix de vente maximale de 10 %, notamment en ce qui concerne la distribution en ligne ; que cette présomption de pratique prohibée repose sur la plainte déposée auprès de l'Auditeur général de l'ABC par un pharmacien distributeur, l'entreprise belge Newpharma, qui commercialiserait les produits Caudalie notamment sur son site internet et voudrait développer la revente en ligne de produits de parapharmacie par la mise en œuvre d'une politique tarifaire ambitieuse reposant sur des prix attractifs.

Il résulterait des documents remis par l'ABC à l'Autorité de la concurrence l'élaboration d'une stratégie commerciale par Caudalie visant à encadrer la revente de ses produits dans le dessein de restreindre ou contenir la baisse des prix et l'accès au marché pour les distributeurs en ligne au profit de son propre site internet ou des sites qui appliquent sa politique tarifaire.

Il ressortait également que la pratique prohibée dénoncée par Newpharma consisterait à imposer des prix de revente notamment aux sites internet qui distribuent les produits Caudalie.

En effet, les courriers électroniques fournis par l'ABC laisseraient apparaître que Caudalie aurait transmis à Newpharma les tarifs pratiqués en ligne, en sollicitant implicitement une demande d'action corrective à la hausse sur les prix afin d'autoriser le déblocage des commandes.

Ainsi, le contrôle tarifaire exercé par Caudalie viserait à faire appliquer les prix de revente conseillés remisés de 10 % au maximum.

Par ailleurs, cette vigilance tarifaire constituerait en réalité une police des prix qui s'accompagnerait de diverses mesures de rétorsion de la part de l'entreprise Caudalie à l'égard des revendeurs agréés.

Il ressortirait en effet des échanges entre Newpharma et Caudalie que cette dernière bloquerait les commandes pour sanctionner les distributeurs qui n'appliqueraient pas sa politique tarifaire et les faire ainsi rentrer dans le giron de sa stratégie commerciale.

En outre, le non-respect de sa politique tarifaire serait presque toujours suivi d'une menace de non-renouvellement ou d'un non-renouvellement effectif du contrat de distribution sélective.

Selon les services d'enquête, les distributeurs se soumettraient aux instructions tarifaires de Caudalie.

Il s'en déduirait que l'entreprise Caudalie semblerait contraindre ses revendeurs agréés à appliquer une remise maximale de 10 %, prédéterminée par elle, sur le prix d'achat hors taxe, sous la menace de mesures de représailles qui iraient jusqu'à la résiliation du contrat du distributeur rétif.

Dans ces conditions, l'ensemble de ces agissements semblerait constituer les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes verticales susceptibles de relever de la pratique prohibée par l'article L. 420-1, 2° du Code de commerce mais aussi de l'application de l'article 101-1 du TFUE, compte tenu du fait que Caudalie diffuse ses produits cosmétiques dans plusieurs pays de l'Union européenne par l'intermédiaire de ses filiales et partenaires commerciaux.

Selon l'ADLC, le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce constituerait le seul moyen d'atteindre l'objectif recherché et les opérations de visite et de saisie n'apparaîtraient pas disproportionnées au regard de l'objectif à atteindre.

Le JLD de Paris autorisait le Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence à procéder, dans les locaux de Caudalie, aux visites et saisies prévues par les dispositions des articles L. 450-4 du Code de commerce afin de rechercher la preuve des agissements entrant dans le champ des pratiques prohibées par les articles L. 420-1, 2° du Code de commerce et 101-1 du TFUE dans le secteur concerné.

Il donnait aussi commission rogatoire au JLD du Tribunal de grande instance d'Orléans pour les locaux relevant de son ressort.

Les opérations de visite et de saisies se sont déroulées le 27 février 2018 dans les locaux susmentionnés.

Par déclarations en date du 8 mars 2018, la société Caudalie a interjeté appel de l'ordonnance et formé deux recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie.

L'affaire a audiencée pour être plaidée le 10 avril 2019 et mise en délibéré pour être rendue le 19 juin 2019.

SUR L'APPEL

Par conclusions récapitulatives enregistrées au greffe de la Cour d'appel de Paris le 1er avril 2019, la société Caudalie fait valoir :

I L'ordonnance doit être annulée en raison du champ manifestement excessif des opérations de visite et saisie autorisées

1 Le JLD ne pouvait pas faire droit à une demande d'autorisation présentée par l'ADLC excédant le mandat clair et précis de l'ABC dans le cadre de l'article 22 § 1 du règlement n° 1/2003

L'ADLC a présenté une demande d'autorisation excédant les termes de son mandat découlant de la demande d'assistance de l'ABC

1.1.1 L'article 22 § 1 du règlement n° 1/2003 prévoit explicitement qu'une autorité nationale saisie agit uniquement au nom et pour le compte de l'autorité requérante

Il est argué que l'ADLC était uniquement autorisée à agir dans le cadre du mandat découlant de la demande d'assistance précise de l'ABC et non au-delà.

1.1.2 L'ABC a donné en l'espèce à l'ADLC un mandat dont le champ était clair et déterminé

La lecture de la demande d'assistance adressée par l'ABC à l'ADLC et des pièces annexées laisse apparaître que les éléments que cette dernière devait rechercher étaient précisément identifiés, à savoir des indices d'une pratique de prix imposée par la société Caudalie à ses distributeurs établis ou actifs sur le territoire belge.

1.1.3 L'ADLC a pourtant volontairement sollicité une autorisation excédant largement les termes du mandat donné par l'ABC

Selon l'appelante, plusieurs éléments caractérisent les agissements de l'ADLC en vue d'obtenir une autorisation de visite et saisie excédant le mandat découlant de la demande d'assistance de l'ABC :

La lecture tronquée et partiale des termes de la demande d'assistance de l'ABC

Il n'est pas indiqué dans la demande d'assistance que le marché géographique comprend au moins la Belgique et la France.

Par ailleurs, la référence à " Caudalie SAS " s'explique par le fait que la plainte déposée par Newpharma était dirigée à l'égard de Caudalie SAS car c'est avec cette entité que Newpharma avait signé le contrat de distribution sélective.

Enfin, lorsque l'Autorité belge évoque un possible caractère " généralisé " de la pratique, elle prétend que la pratique présumée n'aurait pas uniquement visé les deux plaignants Newpharma et Pharmasimple, mais aurait également pu concerner d'autres distributeurs établis ou actifs en Belgique.

L'interprétation erronée de la mention de l'affectation du commerce entre États membres dans la demande d'assistance de l'ABC

Il est argué que si l'ABC avait voulu dénoncer l'existence d'une potentielle pratique anticoncurrentielle en France, elle aurait agi sur le fondement de l'article 12 du règlement 1/2003, et non pas de l'article 22§1.

La tentative de l'ADLC de dissocier le secteur économique du territoire sur lequel l'ABC a relevé des indices d'une prétendue entente verticale est artificielle

L'ABC a versé à l'appui de sa demande 18 indices rattachés exclusivement au territoire belge.

En tout état de cause, l'Autorité requise ne peut en aucun cas étendre le champ de l'enquête menée par l'Autorité requérante, qu'il s'agisse du champ matériel ou géographique.

La tentative d'extension du champ des investigations au moyen de l'ajout par l'ADLC d'un procès-verbal de 2012 issu d'une ancienne procédure

Il est soutenu que le procès-verbal de 2012, ajouté par l'ADLC aux pièces présentées à l'appui de sa requête au JLD - seule pièce ne concernant ni la Belgique ni un distributeur belge -, n'a pas d'autre fonction que de permettre de légitimer une extension des investigations vers la France.

La volonté de " tromperie " du JLD concernant le cadre procédural de l'enquête

L'ADLC a omis d'indiquer au JLD que la procédure s'inscrivait dans le cadre de la coopération au sein du réseau européen de concurrence sur le fondement de l'article 22§1 du règlement 1/2003 (article 450-4 du Code de commerce), selon lequel l'ADLC agissait au nom et pour le compte de l'ABC.

Le JLD a manqué à son devoir de contrôle en faisant droit à une demande d'autorisation de l'ADLC excédant les termes du mandat découlant de la demande d'assistance de l'ABC

Il est argué que la lecture de l'ordonnance laisse apparaître que le juge n'a pas relevé le contexte particulier et le fondement textuel de la demande d'autorisation qui lui était soumise (article 22§1 du règlement 1/2003).

2 Le JLD ne pouvait pas non plus procéder à l'extension du champ des opérations de visite et saisie sur le fondement des seuls éléments (complémentaires par rapport à ceux transmis par l'ABC) transmis par l'ADLC au soutien de sa requête

Le JLD devait nécessairement circonscrire le champ des opérations de visite et saisie

2.1.1 - Le JLD a manqué de vigilance dans son contrôle de l'adéquation entre les pièces fournies au soutien de la demande d'autorisation et les énonciations de l'ordonnance délivrée

Il est fait valoir que sur les 18 pièces annexées à la requête de l'ADLC, 17 sont relatives à une prétendue entente anticoncurrentielle susceptible de produire un effet sur le territoire belge et une seule (le procès-verbal de 2012) vise la France.

L'appelante critique la jurisprudence citée par l'Autorité dans ses écritures, laquelle ne peut être transposée en l'espèce aux motifs que l'Autorité n'a pas ouvert de dossier d'instruction.

2.1.2 - Le JLD ne pouvait caractériser une éventuelle pratique anticoncurrentielle de dimension nationale sur la base de la seule transmission du procès-verbal de 2012

L'ADLC aurait nécessairement dû fournir des éléments complémentaires, contemporains, concernant plusieurs distributeurs et plusieurs zones géographiques de nature à étayer la pratique d'entente verticale nationale alléguée, le procès-verbal de 2012 ne pouvant constituer à lui seul un indice sérieux et suffisant permettant de présumer une entente nationale actuelle.

Par ailleurs, à la date à laquelle le JLD a signé son ordonnance, à savoir le 20 février 2018, ledit procès-verbal datait de plus de cinq ans.

Or, aux termes de l'article L. 462-7 du Code de commerce, l'ADLC ne peut être saisie de faits remontant à plus de cinq ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction.

Il est argué que l'Autorité aurait dû communiquer au JLD, à l'appui de sa requête, les procès-verbaux de déclaration et de prise de documents réalisés dans le cadre du prolongement de l'enquête concernant la distribution des produits Caudalie, et non se contenter de les joindre à ses écritures dans le cadre du présent recours.

2.1.3 Le JLD a délivré une ordonnance excédant la portée de l'infraction suspectée sur le fondement des éléments

Il est cité une décision du 20 juin 2018 du Tribunal de l'Union européenne rappelant que le juge doit mesurer les termes de son autorisation afin que celle-ci n'élargisse pas le champ des opérations de visite et saisie au regard des indices qui lui sont fournis.

A titre complémentaire, le JLD devait nécessairement constater l'absence d'un faisceau de présomptions, autorisant la recherche d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles en France

La seule transmission du procès-verbal de 2012 n'est pas suffisante pour caractériser une éventuelle pratique anticoncurrentielle de dimension nationale par la société Caudalie

L'absence de présomptions empêche l'autorisation des opérations de visite et saisie en vue de prouver une éventuelle pratique d'entente verticale au regard des critères stricts dégagés par la jurisprudence

S'agissant d'une pratique des prix imposés, la jurisprudence considère de façon constante que les éléments constitutifs de l'infraction sont les suivants : les prix de vente au détail souhaités par le fournisseur doivent être connus des distributeurs ; les prix souhaités par le fournisseur et connus des distributeurs doivent être significativement appliqués par ces derniers ; une " police des prix " doit avoir été mise en place pour éviter que des distributeurs déviants ne compromettent le fonctionnement durable de l'entente.

Au cas présent, l'ordonnance ne fournit qu'un seul " indice " sur un seul des trois critères, à savoir la surveillance des prix.

Par ailleurs, la déclaration isolée du pharmacien relative à la prétendue surveillance n'est même pas susceptible de constituer un indice suffisant car le procès-verbal de 2012 ne mentionne pas les modalités de la prétendue surveillance, par qui elle aurait été menée, dans quelles conditions, etc.

II Au surplus, l'ordonnance doit être annulée en raison du caractère déloyal de la demande d'autorisation de l'ADLC soumise au JLD

1 La dissimulation par l'ADLC de l'origine du procès-verbal de 2012

Il est argué qu'en ne mentionnant pas dans sa requête que le document en cause avait été distrait d'une précédente procédure et déjà utilisé au soutien d'une précédente demande d'autorisation de visite et saisie à l'encontre de la société Caudalie visant des pratiques identiques, l'Autorité à manqué à son obligation de loyauté.

2 La dissimulation du classement de la procédure dont est issu le procès-verbal de 2012

Il est mis en exergue que l'Autorité a également omis de préciser que l'enquête dont est tiré le procès-verbal de 2012 avait fait l'objet d'un classement par ses propres services d'instruction intervenu il y a plusieurs années, ainsi qu'en atteste le courrier en date du 16 juin 2014 de Mme X.

En conclusion, il est demandé de :

Annuler l'ordonnance du JLD du TGI de Paris du 20 février 2018 ;

Et, en conséquence,

Ordonner à l'Autorité de la concurrence de restituer à la société Caudalie la totalité des pièces saisies dans le cadre des opérations de visite et saisie effectuées le 27 février 2018 dans les locaux de Paris et Saint Jean de Braye et n'en conserver aucune copie ;

En tout état de cause,

Condamner l'Autorité de la concurrence à verser à Caudalie la somme de 20 000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner l'Autorité de la concurrence aux entiers dépens.

Par conclusions déposées au greffe de la Cour d'appel de Paris le 13 décembre 2018, l'Autorité de la concurrence fait valoir :

I Sur le caractère prétendument excessif du champ des opérations de visite et de saisie

1 Sur la prétendue extension du champ des opérations de visite et de saisie dans le cadre de la mise en œuvre de l'article 22 § 1 du règlement n° 1/2003

L'Autorité de la concurrence a agi au nom et pour le compte de l'ABC

Il est soutenu qu'il suffit de lire les documents figurant à l'annexe 1bis de la requête, à savoir la lettre du 26 janvier 2018 adressée par l'ABC au rapporteur général de l'ADLC et la demande d'assistance de l'ABC, pour s'apercevoir que l'assistance demandée ne se limitait pas au seul marché belge mais concernait le marché européen, et ce, y compris le marché français.

Par ailleurs, les agissements suspectés concernent avant tout et principalement les reventes sur internet qui, par définition, ne connaissent pas de limitation géographique.

De surcroît, le principal suspect dans cette affaire est une entreprise française, la SAS Caudalie, immatriculée et domiciliée sur le territoire national et dont les responsables français semblent les principaux donneurs d'instruction pour encadrer la revente en ligne des produits en cause, que ce soit en Belgique ou ailleurs sur le territoire de l'Union européenne.

L'ADLC indique avoir du mal à comprendre l'invocation, de la part de l'appelante, de l'article 1989 du Code civil dans le cadre d'une enquête diligentée sur le fondement de la coopération du réseau de concurrence prévu par le règlement n° 1/2003, ce dernier primant sur le droit national et étant donc d'applicabilité directe.

Enfin, les documents et fichiers saisis ont été transmis à l'ABC conformément aux dispositions combinées des articles 22 et 12 du règlement n° 1/2003.

Dès lors, aucun détournement de procédure ne peut être prêté à l'Autorité de la concurrence.

Sur l'étendue de la demande d'assistance de l'ABC et du champ de l'enquête : le secteur de la distribution des produits cosmétiques Caudalie

Il est fait valoir que la demande d'assistance précise que la pratique de prix imposés recherchée est déterminée au siège social de Caudalie en France, qu'elle est susceptible de viser également des distributeurs en ligne en France et d'affecter le territoire français (cf. : pages 1-3).

Par ailleurs, les agissements décrits concernent principalement la vente en ligne de produits Caudalie, qui peut être réalisée par des distributeurs traditionnels dits " click&mortar " ou par des opérateurs réalisant la totalité de leurs ventes sur internet dits " pure players ". Ces deux distributeurs sont présents aussi bien sur le territoire belge que sur celui d'autres pays de l'Union européenne, dont la France, du fait du commerce électronique.

En outre, l'autorisation délivrée par le JLD concerne des présomptions dans un " secteur économique " et non sur un ou des marchés pertinents (plus restreint que le précédent), dont la délimitation relèvera de l'ABC.

Il est souligné que le premier juge a bien précisé le secteur économique concerné par son autorisation, celui relatif à la " distribution des produits Caudalie ", qui est susceptible de comprendre, au vu des indices produits à l'appui de la requête, les distributeurs actifs aussi bien sur le territoire belge que sur le territoire français, voire sur le territoire d'autres États membres de l'Union européenne.

Sur la prétendue extension du champ des opérations de visite et de saisie opérée par l'Autorité de la concurrence

Concernant le manque de valeur probante des pièces jointes à la requête, et notamment l'annexe 27, il est rappelé qu'au stade de l'autorisation de visite et saisie, où aucune accusation n'est portée, l'Autorité n'a pas à produire d'éléments de preuve de l'existence de pratiques anticoncurrentielles mais seulement des indices qui, par leur addition, leur rapprochement et leur combinaison, aboutissent à une ou plusieurs simples présomptions de pratiques prohibées. Il est cité plusieurs jurisprudences à l'appui de cette argumentation.

S'agissant de la contestation des éléments d'information figurant dans la motivation de l'ordonnance d'autorisation, il est argué que le fait d'analyser de manière isolée le procès-verbal du 24 octobre 2012 pour en tirer la conclusion que le JLD n'avait aucun élément lui permettant de s'intéresser aux distributeurs français, voire européens, en ligne, n'a pas de sens.

En effet, selon une jurisprudence établie, seul le résultat de l'analyse de l'ensemble des faits portés à la connaissance du magistrat est révélateur d'une ou plusieurs présomptions simples de pratiques anticoncurrentielles.

Dès lors, en déduisant des agissements de Caudalie à l'égard de Newpharma et du site internet de la Pharmacie Centrale à Paris la possibilité d'un comportement similaire de l'appelante à l'égard d'autres distributeurs en ligne présents en Belgique et en France, le juge de l'autorisation a correctement rempli sa mission de contrôle. Ce constat est renforcé par la facilité avec laquelle Caudalie peut surveiller les tarifs de ses distributeurs en ligne, qu'ils soient belges ou français, grâce au numérique.

Concernant le tableau produit par l'appelante en page 9 de ses conclusions, il est fait valoir que les informations contenues dans la demande d'assistance sont données par l'ABC à titre indicatif et sont susceptibles d'évoluer si l'autorité demanderesse ou l'autorité assistante disposent d'informations nouvelles permettant de modifier ces paramètres.

Or, l'ADLC, qui a le siège social de Caudalie sur son territoire, est la mieux placée pour connaître des modifications à apporter tant aux adresses qu'aux personnes pouvant détenir des documents ou supports d'information qui intéressent l'enquête.

Enfin, rien n'interdisait à l'Autorité de la concurrence d'utiliser le PV du 24 octobre 2012 dressé par un de ses rapporteurs, en application du droit de communication prévu à l'article L. 450-3 du Code de commerce, en rapport avec la demande d'assistance de l'ABC, pour conforter les indices transmis par celle-ci, sans que cela ne constitue un élargissement du champ matériel et géographique de l'enquête.

2 Sur la prétendue extension du champ des opérations de visite et saisie au regard de seul PV du 24 octobre 2012

Sur la délimitation du champ des opérations de visite et de saisie à la demande d'assistance de l'ABC

En premier lieu, aucun élément ne permet à l'appelante de soutenir qu'il n'y a pas eu un examen attentif par le juge des 30 annexes jointes à la requête, d'autant que le dossier a été présenté au JLD de Paris le 16 février 2018 pour l'obtention de l'autorisation, qui n'est intervenue que le 20 février 2018.

En deuxième lieu, ainsi qu'il l'a été montré supra, c'est en vain que l'appelante conclut que le JLD ne pouvait s'appuyer sur le seul PV du 24 octobre 2012 pour autoriser l'Autorité de la concurrence à investiguer le comportement de Caudalie à l'égard des distributeurs en ligne autres que ceux belges car, en droit, un seul indice de mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles suffit à justifier l'autorisation de visite et saisie dans les locaux d'une entreprise.

Sur les présomptions énoncées par l'ordonnance du JLD du TGI de Paris

Il est rappelé que le PV du 24 octobre 2012 n'était pas l'unique pièce sur laquelle s'est fondé le premier juge dans son ordonnance et que certains actes accomplis sont interruptifs de la prescription. Il en va ainsi des PV de déclaration et de prise de copie de documents.

Or, les 11 et 12 avril 2013 des nombreux PV de déclaration et de prise de copie de documents de pharmaciens et de dirigeants de parapharmacies ont été réalisés dans le cadre du prolongement de l'enquête concernant la distribution des produits cosmétiques Caudalie, exclusivement en magasins physiques.

Par ailleurs, si l'Autorité ne peut être saisie de faits remontant à plus de 5 ans au regard de la prescription quinquennale de l'article L. 462-7 du Code de commerce, rien n'interdit au juge d'éclairer des faits non prescrits au moyen de faits antérieurs couverts par la prescription et qui peuvent décrire le contexte factuel et historique dans lequel s'inscrivent les pratiques prohibées.

Ainsi, dans la mesure où les contrats de distribution sélective des produits cosmétiques Caudalie concernant Newpharma actif en Belgique et en France contiennent des clauses susceptibles de limiter la liberté tarifaire de celui-ci, ces éléments d'information auraient été suffisants pour fonder une présomption d'entente verticale entre Caudalie et ses revendeurs actifs en Belgique et en France relative au respect des prix imposés, afin d'aller rechercher la preuve par le biais d'une autorisation judiciaire du caractère généralisé de cette pratique anticoncurrentielle soupçonnée.

De surcroît, le JLD de Paris a procédé à l'analyse des indices en sa possession en trois branches (pages 6 à 8 de l'ordonnance).

Enfin, il est inexact d'affirmer que le PV du 24 octobre 2012 " ne mentionne pas les modalités de la prétendue surveillance, par qui elle aurait été menée, dans quelles conditions etc. " puisque la modalité de surveillance est celle qui touche le commerce en ligne, le numérique offrant des possibilités inégalées, notamment via des logiciels de tarification, la surveillance est menée par " le laboratoire ", au cas présent Caudalie, et les conditions étaient celles d'une surveillance du site internet d'un pharmacien en direct et l'absence de consignes écrites.

Dans ces conditions, l'ADLC n'avait pas à procéder à d'autres mesures d'investigation supplémentaires.

II Sur le prétendu caractère déloyal de la demande d'autorisation de l'Autorité de la concurrence

1 Sur la prétendue dissimulation de l'origine du PV du 24 octobre 2012

Il est fait valoir que le PV du 24 octobre 2012 n'est pas une pièce saisie lors des opérations de visite et de saisie précédents. Dès lors, aucun formalisme particulier était requis pour son utilisation, si ce n'est la précision qu'il a été obtenu par l'exercice d'un droit de communication.

Par ailleurs, l'ADLC a fourni au juge les indications permettant à celui-ci de vérifier l'origine apparemment licite des pièces jointes à l'ordonnance, dont le PV querellé.

2 Sur la prétendue dissimulation du classement de la procédure dont est issu le PV du 24 octobre 2012

Il est soutenu que le classement de l'enquête n° 11/0100 E n'était pas de nature à influer sur la décision du JLD de Paris concernant le bien-fondé de la demande de procéder à des opérations de visite et de saisie dans le cadre de l'enquête et de l'assistance demandée par l'ABC, dans la mesure où les présomptions présentées au JLD par l'Autorité de la concurrence en 2018 sont différentes de celles à l'origine de l'enquête n° 11/0100 E, notamment sur l'origine de l'enquête, la distinction entre revendeurs en magasins physiques et revendeurs sur internet, les modalités employées par Caudalie pour imposer les prix à ses revendeurs et l'étendue du secteur d'activité concernée.

En outre, les éléments d'information contenus dans un PV de déclaration et de prise de copie de documents ont une durée d'utilisation non limitée puisqu'ils peuvent toujours être analysés par le juge de l'autorisation au titre du contexte factuel et historique dans lequel s'inscrivent les agissements prohibés suspectés.

En conclusion, il est demandé de :

Confirmer l'ordonnance rendue le 20 février 2018 par le JLD du TGI de Paris et, par voie de conséquence, l'ordonnance rendue sur commission rogatoire par le JLD du TGI d'Orléans le 23 février 2018 ;

Rejeter la demande de restitution de l'intégralité des pièces saisies ;

Condamner Caudalie au paiement de 20 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par avis en date du 2 avril 2019, le Ministère public soutient :

I La légitimité de l'autorisation par le JLD des opérations de visite et de saisie, dans le cadre de la mise en œuvre de l'article 22§1 du règlement CE n° 1/2003, sur la demande d'assistance de l'Autorité belge de la concurrence (ABC)

L'Autorité de la concurrence a respecté son obligation de relayer la demande de l'ABC

Il est souligné que la demande d'assistance, adressée par l'ABC le 26 janvier 2018 à l'ADLC, vise le comportement de Caudalie qui violerait l'article 101 du TFUE, sans aucune prévision de limitation géographique. La lettre de demande est explicite : elle concerne le marché français et le marché européen.

Par ailleurs, la logique de la demande d'assistance de l'ABC est aussi liée au commerce sur internet, qui ne connaît pas de frontière.

Il est rappelé que l'article 12 du règlement n° 1/2003 prévoit que la découverte, par une Autorité de la concurrence de l'un des États de l'Union européenne, d'indices d'une pratique frauduleuse, entraîne leur transmission à l'Autorité de la concurrence du pays concerné, et que l'article 22§1 du même règlement permet aux Autorités de la concurrence des États membres de se prêter assistance dans la réalisation des enquêtes visant à établir une infraction aux règles de la concurrence prévues aux articles 101 et 102 du TFUE.

Ces dispositions propres à la coopération européenne excluent l'application du droit français du mandat et sont relayées en droit national par l'article L. 450-4, alinéa 1er du Code de commerce.

Ainsi, le Rapporteur général a légitimement adressé à ses services le 14 février 2018 une demande d'enquête, avec mise en œuvre de l'article L. 450-4 du Code de commerce, pour faire suite à la demande d'assistance de l'ABC du 26 janvier 2018, fondée sur l'article 22 du règlement n° 1/2003, d'applicabilité directe.

Aucune violation de la procédure communautaire suivie ne peut être relevée.

Les termes de la demande d'assistance ont été respectés

Il est mis en exergue que la demande d'assistance de l'ABC précise que la pratique prohibée pourrait être mise en œuvre depuis le siège social de Caudalie en France, qu'elle est susceptible de viser également des distributeurs en ligne en France et d'affecter le territoire français. La demande indique également que " le marché des produits concerné est celui de la vente en gros des produits dermo- cosmétiques ".

La vente en ligne, affectée de restrictions de vente soupçonnées ici, imposées à un réseau de distribution sélective, est susceptible d'affecter le commerce intracommunautaire

Le Ministère public cite des décisions du Conseil de la concurrence et soutient qu'il n'est pas possible de distinguer des investigations menées sur autorisation du JLD au regard du droit communautaire, lorsque la vente intervient par internet, entre des " distributeurs en ligne actifs sur le territoire belge " et des " distributeurs en ligne actifs sur le territoire français ".

Dès lors, tant l'ABC que l'ADLC intervenue sur sa demande d'assistance ont fait une juste appréhension des investigations devant être réalisées sur le territoire français.

L'autorisation du JLD a été, à juste titre, délivrée pour un secteur économique

C'est à bon droit que le JLD a défini, conformément à une jurisprudence constante, un secteur économique, celui de la distribution des produits cosmétiques Caudalie, susceptible d'être concerné par une entente organisée et mise en œuvre par Caudalie et certains de ses distributeurs.

Aucune extension du champ des opérations de visite et de saisie n'est intervenue

Le Ministère public soutient que le procès-verbal de déclaration de M. D. en date du 24 octobre 2012 permet, en complément des autres indices recueillis, de caractériser une présomption simple de pratiques prohibées et que les dispositions de l'article L. 450-4, alinéa 2 du Code de commerce ont donc été respectées.

La motivation de l'ordonnance d'autorisation ne repose pas sur le seul PV du 24 octobre 2012

Le Ministère public indique que d'après une jurisprudence établie, l'analyse d'un indice pris isolément n'est pas pertinente et que c'est le rapprochement de l'ensemble des indices produits, constitutifs d'un faisceau d'indices, qui est de nature à fonder la décision d'autorisation prise par le JLD.

En l'espèce, l'ordonnance montre que le JLD a vérifié la qualité des personnes ayant demandé l'autorisation et le caractère suffisant des indices présentés par l'Autorité de la concurrence, permettant d'étayer des soupçons de comportements illicites dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques Caudalie.

Il est mis en exergue que 25 annexes à la requête concernant le secteur de la distribution des produits cosmétiques Caudalie visent directement la requérante, ce qui établit la possibilité de mise en place par Caudalie d'une stratégie à l'égard de certains de ses distributeurs, susceptible d'être qualifiée d'entente verticale.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, le PV du 24 octobre 2012 conforte la suspicion, exprimée par l'ABC, que les revendeurs du cybercommerce concernés par la politique de Caudalie soient bien plus nombreux que ceux qui seraient actifs sur le territoire internet belge.

Le premier juge a donc justement déduit des agissements dénoncés de Caudalie à l'égard du site internet de la Pharmacie Centrale à Paris la possibilité d'un comportement similaire de Caudalie à l'égard d'autres distributeurs présents en ligne, qu'ils soient en Belgique ou en France.

Si la demande d'assistance de l'ABC énonce, à titre indicatif, l'identité de l'entreprise concernée par les investigations en précisant son adresse et les salaires ciblés dont elle a pu avoir connaissance, ces informations sont susceptibles d'évoluer au gré des informations nouvelles qui peuvent être recueillies

Il est soutenu que l'Autorité de la concurrence disposait d'informations laissant apparaître que l'établissement secondaire de Saint-Jean-de-Braye était susceptible de contenir des documents ou supports d'information intéressant l'enquête, en ce que, par exemple, y sont sis les services informatiques de Caudalie.

S'agissant de l'adresse <adresse>, il provient du rapport de constat du 14 février 2018, établi par une rapporteure de l'Autorité de la concurrence, qui a constaté sur place que " l'entrée du siège de la société Caudalie se situe <adresse> pour un immeuble dont une façade donne sur <adresse> ".

Par ailleurs, le PV du 24 octobre 2012 constitue également la mise en œuvre du droit de communication prévu à l'article L. 450-3 du Code de commerce, en lien directe avec la demande d'assistance de l'ABC, recueilli pour conforter les indices transmis par cette Autorité.

Il est mentionné qu'un précédent existe, constitué par un arrêt n° 04-85230 de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 11 janvier 2006.

En l'espèce, le JLD de Paris a fait directement état de ce droit de communication, constitutif d'un des éléments justifiant sa décision.

Dans ces conditions, aucun élément n'est de nature à fonder le grief que le JLD aurait procédé à une extension du champ de la demande d'assistance de l'ABC ni que les mesures autorisées aient été abusives ou disproportionnées.

L'argument de la prescription pour contester l'utilisation d'un PV datant de plus de 5 ans pour participer à la motivation de l'ordonnance du 20 février 2018 doit être écarté

Il est indiqué que si l'article L. 462-7 du Code de commerce fixe une durée de 5 ans, à l'issue de laquelle l'Autorité de la concurrence ne peut être saisie de faits s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, constatation ou sanction, il en va autrement s'il a été fait un acte tendant à cette finalité, ce qui est le cas en l'espèce car des PV concernant l'activité de Caudalie dans la distribution de magasins physiques de produits cosmétiques ont été réalisés en octobre 2013.

De surcroît, le PV de 2012 peut permettre d'éclairer des faits non prescrits, ainsi que le souligne le JLD en page 9 de son ordonnance.

Pris, comme il se doit, dans leur ensemble, les éléments et indices recueillis permettent de soupçonner la participation de Caudalie, voire l'organisation par Caudalie, d'une pratique anticoncurrentielle, ainsi que le relève l'ordonnance du JLD : " l'ensemble de ces agissements semble constituer les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence d'un système d'ententes verticales à dimension nationale susceptibles de relever de la pratique prohibée par l'article L. 450-1 du Code de commerce dans son point 2 "

Il est fait valoir que l'expression " système d'ententes verticales à dimension nationale " n'exclut pas la dimension, par nature internationale, de la fraude soupçonnée mais renforce simplement la suspicion de ce que la pratique soupçonnée concerne non seulement la Belgique mais aussi la France.

Le faisceau d'indices retenus par la JLD justifie qu'il ait autorisé les visites et saisies dans les différents locaux de Caudalie, à Paris et dans le lieu où se situe son centre informatique, à rechercher la preuve d'une entente éventuelle verticale entre Caudalie et certains de ses revendeurs agréés, intervenant de manière transnationale, par internet, dans le secteur de la distribution de produits cosmétiques Caudalie

Il est rappelé les trois indices retenus par le JLD pour fonder son autorisation.

Le PV du 24 octobre 2012 ne fait qu'ajouter un élément aux indices graves et concordants sur lesquels le JLD a ainsi rendu son ordonnance

Ainsi, aucune critique le concernant ne peut avoir d'incidence sur la légitimité des mesures ordonnées par le JLD.

II La régularité de la demande d'autorisation de l'Autorité de la concurrence, qui a respecté son devoir de loyauté

La légitimité de la prise en compte du PV du 24 octobre 2012 par le JLD

La loyauté de la démarche suivie

Le Ministère public soutient qu'aucune déloyauté ne peut être reprochée à l'Autorité de la concurrence.

En effet, rien n'interdit de produire dans une autre procédure une pièce qui, comme le PV de 2012, a été utilisée par la motivation d'une ordonnance précédente, dès lors qu'elle comporte des éléments pouvant constituer un indice autorisant à rechercher des preuves dans le cadre d'une nouvelle procédure et qu'elle a régulièrement été recueillie, comme ici, par la mise en œuvre de l'Autorité de la concurrence de son droit de communication.

Le fait que soit intervenu un classement de l'enquête dans le secteur de la distribution physique de produits cosmétiques Caudalie à l'occasion de laquelle a été dressé le PV du 24 octobre 2012 n'empêche pas qu'il soit utilisé dans le cadre d'une nouvelle enquête, mettant en cause la distribution par internet, sur la demande d'assistance de l'ABC

Il est soutenu que cette information n'était pas de nature à influer sur l'appréciation du JLD, qui a pris en compte les seuls éléments du PV concernant la nouvelle enquête.

En conclusion, le Ministère public invite à confirmer l'ordonnance d'autorisation rendue le 20 février 2018 par le JLD du TGI de Paris et l'ordonnance rendue le 23 février 2018, sur commission rogatoire, par le JLD du TGI d'Orléans et à rejeter toutes les demandes subséquentes de restitution des pièces saisies.

SUR LE RECOURS

Par conclusions récapitulatives en date du 27 mars 2019, la société Caudalie fait valoir :

I Sur l'obligation de l'ADLC de respecter les droits fondamentaux de la société Caudalie France

Il est soutenu que l'entreprise visitée doit bénéficier des garanties procédurales fondamentales, et plus particulièrement de la protection des correspondances avocat-client, ainsi que la jurisprudence de la CJUE et de la Cour de cassation l'indiquent de façon explicite.

II Sur la violation des droits fondamentaux de la société Caudalie France résultant des modalités de mise en œuvre de la procédure de scellés fermés provisoires

1 Le refus de l'ADLC d'accorder le temps et les facilités nécessaires à la société Caudalie France à la préparation de sa défense

La société Caudalie France n'a pas bénéficié des facilités nécessaires pour identifier les correspondances avocat-client saisies par l'ADLC

Une procédure caractérisée par le choix arbitraire de l'ADLC de ne pas communiquer la copie des fichiers saisis

Il est indiqué que l'Autorité a défini pour chaque document ou fichier saisi un chemin informatique et n'a remis à la société Caudalie qu'une copie des chemins ainsi constitués.

Une procédure inutilement complexe mise en œuvre par l'ADLC

La requérante met en exergue que les libellés des chemins informatiques ne permettent pas une identification rapide des documents et à titre illustratif, produit un tableau reproduisant 15 chemins informatiques.

Il est également argué que le simple chemin informatique ne permettait en aucun cas d'accéder directement au document, chaque fichier nécessitant d'une demi-douzaine de clics pour être ouvert, alors que les documents saisis ont été environ 400 000.

Une procédure illégitime dès lors que l'ADLC ne justifie pas les raisons objectives de sa mise en œuvre

Il est argué que le défaut de communication d'une copie des fichiers saisis n'a pas été motivé par l'ADLC et n'apparaît justifié par aucune raison objective.

Par ailleurs, l'Autorité ne peut reprocher à la société Caudalie de ne pas avoir utilisé un " fichier brouillon ", qu'elle a créé et laissé sur certains ordinateurs durant la visite mais qui ne figure pas dans la procédure, car cela va à l'encontre du principe fondamental de tout mécanisme de saisie consistant à mettre à disposition de toutes les parties (y compris le juge) un corpus de " pièces étalon " faisant foi sans contestation.

En l'espèce, Caudalie n'aurait bénéficié d'aucune garantie que ces " fichiers brouillon " soient complets et contiennent effectivement l'ensemble des documents saisis.

La société Caudalie France n'a pas bénéficié du temps nécessaire pour identifier les correspondances avocat-client

Il est argué que le refus du Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence d'octroyer un délai suffisant a irrémédiablement violé les droits de la défense de la requérante.

2 L'entrave commise par l'ADLC au droit au respect du secret des correspondances avocat-client

Rappel des principes juridiques encadrant la protection des correspondances avocat-client

Il est rappelé les dispositions de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 et la jurisprudence européenne et nationale protégeant le secret professionnel avocat-client.

Les violations du secret des correspondances avocat-client par l'ADLC

Il est mis en exergue que la procédure mise en œuvre par l'Autorité a permis à cette dernière, dès l'ouverture des scellés fermés provisoires, d'accéder à la totalité des pièces saisies alors même qu'elle était informée qu'aucune correspondance avocat-client n'avait pu en être écartée.

Ainsi, dès le 27 mars 2018, l'Autorité a eu accès à tous les documents qui devaient être protégés.

Il est également soutenu que les enquêteurs de l'ADLC ont manqué au principe de loyauté en ce qu'ils ont modifié certains e-mails sous format papier, en en masquant une partie avant de procéder à leur photocopie. Cette manœuvre leur a permis de dissimuler l'origine de ces e-mails, lesquels étaient en réalité susceptibles de bénéficier de la protection accordée au privilège légal.

En conclusion, il est demandé de :

Annuler les opérations de visite et saisie effectuées dans les locaux de Caudalie France le 27 février 2018 ;

Et en conséquence,

Ordonner à l'Autorité de la concurrence de restituer à la requérante la totalité des pièces saisies dans le cadre des opérations de visite et saisie effectuées le 27 février 2018 à Paris et à Saint-Jean-de-Braye, et de n'en conserver aucune copie.

En tout état de cause,

Condamner l'Autorité de la concurrence à lui verser la somme de 15 000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner l'Autorité de la concurrence aux dépens.

Par conclusions en date du 8 octobre 2018, l'Autorité de la concurrence fait valoir :

1 Sur le prétendu refus de l'Autorité de la concurrence d'accorder à Caudalie le temps et les facilités nécessaires à la préparation de sa défense

Sur l'accès effectif de la requérante aux pièces saisies

Il est rappelé le déroulement de la procédure de placement des fichiers informatiques sous scellés fermés provisoires, dont le but est la suppression des documents protégés par le secret des correspondances avocat-client, identifiés au préalable par le requérant.

En l'espèce, la société Caudalie a eu tout le temps nécessaire pour consulter les originaux des fichiers restés en sa possession, sur la base des listes exhaustives des fichiers sélectionnés qui lui ont été remises, à la fin de la visite, le 27 février 2018.

S'agissant des fichiers informatiques définitivement saisis le 27 mars 2018, leur copie a été réalisée sous le contrôle de l'OPJ présent et leur remise à l'occupant des lieux ou son représentant a été précisée aux différents PV.

Sur l'absence de communication de copie des fichiers placés sous scellés fermés provisoires

Il est fait valoir que l'article 56 du Code de procédure pénale ne prévoit pas de remise de copie des documents ayant fait l'objet de scellés fermés provisoires.

En effet, la saisie n'étant pas encore définitive, aucune copie des fichiers n'est conservée par les rapporteurs de l'ADLC, ni remise à l'entreprise.

Au cas présent, les procès-verbaux du 27 février 2018 font état de la remise, par annexe aux procès-verbaux, de la liste exhaustive des fichiers sélectionnés placés sous scellés fermés provisoires.

La requérante disposait donc des listes des fichiers saisis ainsi que des originaux des supports d'information à partir desquels l'Autorité a effectué sa sélection.

Dans ces conditions, l'absence de copie des fichiers informatiques placés sous scellés fermés provisoires ne lui fait pas grief.

Par ailleurs, les listes des fichiers - remises sur DVD, sous forme de tableau Excel - précisent le nom, la taille, l'empreinte numériques, la description du fichier et son chemin d'accès complet sur le support où il a été sélectionné de façon à permettre la localisation et l'authentification de chacun des fichiers sélectionnés.

En ce qui concerne l'absence d'indication de " l'ID des ordinateurs de la société Caudalie " dans le chemin informatique, l'absence de cette information n'empêche en rien l'identification des ordinateurs concernés par les investigations, sur lesquels ont été sélectionnés et copiés les fichiers placés sous scellés fermés provisoires.

En effet, les procès-verbaux du 27 février 2018 indiquent, pour chaque support, sa marque et la personne qui en est l'utilisateur habituel.

Concernant enfin le volume des données sélectionnées, il est fait valoir que sur 7 207 177 fichiers analysés au cours des opérations, les enquêteurs n'en ont finalement retenu que 1 316, ce qui représente une proportion de 0,018 %.

Sur le temps que la société Caudalie estime nécessaire pour identifier les correspondances avocat-client

Il est soutenu que le délai total de 17 jours dont Caudalie a disposé, à compter de la visite (entre le 27 février 2018 et le 16 mars 2018, un délai de trois jours supplémentaires lui ayant été accordé), semble raisonnable pour lui permettre d'identifier les documents protégés liés à l'exercice des droits de la défense.

Selon une jurisprudence constante, il appartient à la requérante d'identifier les correspondances avocat-client en lien avec les droits de défense.

Dans la mesure où Caudalie ne produit pas aux débats les correspondances listées, elle ne met pas l'Autorité en mesure de débattre contradictoirement du caractère protégé ou non de ces documents, ni le Premier président en mesure d'exercer son contrôle in concreto.

2 Sur la prétendue entrave commise par l'Autorité de la concurrence au droit au respect des correspondances avocat-client

Sur les principes encadrant la protection des correspondances avocat-client

L'Autorité argue que si Caudalie, par son inertie ou par sa mauvaise foi, a fait échec à l'efficacité de la mesure de protection a priori proposée, cela n'aurait pas pour effet d'invalider la saisie des autres documents appréhendés simultanément et dans des conditions parfaitement régulières, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation.

Dans ces conditions, aucune violation des droits de la défense et des articles 6 et 8 de la CESDH ne peut être contestée.

Sur les prétendues violations du secret des correspondances avocat-client invoquées par la requérante

En premier lieu, concernant la pièce n° 16 produite par la requérante et comprenant la liste des documents informatiques saisis qui, selon elle, seraient protégés par le privilège légal, il est argué que la taille menue de la police utilisée rend la lecture de ce document très difficile, parfois impossible. Le document est donc inexploitable.

De surcroît, seules sont produites la première et la dernière page de cette liste.

En second lieu, s'agissant de l'accusation selon laquelle les enquêteurs de l'Autorité auraient agi de manière déloyale car ils auraient occulté certains éléments afin de " contourner la protection dont bénéficient les correspondances avocat-client ", cette méthode d'occultation des éléments protégés au titre de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 a été employée afin de protéger le secret des correspondances avocat-client de certains courriels entrant dans le champ de l'enquête, découverts lors de la feuille sommaire de l'ordinateur de Mme F., directrice juridique.

Les trois courriels mentionnés par la requérante (cotes 106, 107, 110 et 111 contenues dans le scellé n° 5) sont, sans conteste, en lien avec l'objet de l'enquête, s'agissant d'une illustration des modalités par lesquelles Caudalie interdit à certains distributeurs la vente des produits de sa marque sur certains canaux de revente en ligne, comme la place de marché Amazon.

Par ailleurs, ces correspondances, envoyées par les pharmaciens à une personne ayant la qualité d'avocat, Me S., ne bénéficient pas de la protection accordée par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, qui protège " les correspondances échangées entre le client et son avocat ", dans la mesure où Me S. n'est pas l'avocat des pharmaciens mais de la société Caudalie.

Il ressort enfin des versions intégrales des cotes 106, 107, 110 et 111, produites par la requérante, que les rapporteurs se sont limités à occulter le courriel de Me S. à Mmes M., directrice commerciale France et F., directrice juridique.

Si, sur la forme, ces deux salariées de Caudalie sont clientes de Me S., sur le fond néanmoins, le contenu de ces courriels " F. Amazon " permet de douter que ceux-ci relèvent véritablement du secret de la correspondance avocat-client.

Il s'agit en effet d'un simple acte de transfert des demandes de trois pharmacies à ses interlocutrices de Caudalie, sans que cette transmission soit accompagnée du moindre conseil de la part de l'avocat.

En conclusion, il est demandé de rejeter les demandes d'annulation de l'ensemble des opérations de visite et saisie effectuées dans les locaux de Caudalie et de restitution de l'intégralité des pièces saisies, et de condamner Caudalie au paiement de 20 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Le Ministère public en ses réquisitions orales, qui n'ont pas été précédées d'un dépôt d'écritures, rappelle que le chemin procédural des scellés fermés provisoires, critiqué par la requérante, à été validé à maintes reprises par la jurisprudence et que la chambre criminelle de la Cour de cassation estime que pour garantir l'authenticité des documents, la saisie des fichiers doit être insécable.

S'agissant de la critique selon laquelle Caudalie n'aurait pas eu le temps d'analyser les documents saisis, le Ministère public se rapporte aux arguments développés par l'Autorité de la concurrence et met en exergue que les entreprises visitées gardent les originaux et sont donc parfaitement en mesure d'identifier, à partir d'eux, les documents susceptibles de bénéficier de la protection accordée aux correspondances avocat-client.

En tout état de cause, la société Caudalie peut encore faire valoir ses droits dans le cadre du présent recours, en demandant au juge d'examiner in concreto les pièces soumises à son examen.

En conclusion, le Ministère public, d'une part, invite à écarter la restitution des 29 pièces papier saisies, d'autre part, indique que la production d'un listing de 3 000 pièces ne saurait être considérée comme acceptable, la requérante devant identifier une par une les pièces bénéficiant, d'après elle, du privilège légal et enfin, précise qu'en aucun cas, l'Autorité de la concurrence ne pourrait se servir d'une pièce protégée par la protection accordée par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 devant les juges du fond.

SUR CE

Sur la jonction

Dans l'intérêt d'une bonne administration de la Justice, en application de l'article 367 du Code de procédure civile, et eu égard aux liens de connexité entre certaines affaires, il convient de joindre les instances enregistrées sous les numéros 18-07306, 18-07309 et 18-07343, lesquelles seront regroupées sous le seul n° 18-7306.

Sur l'appel

Considérant que la société Caudalie demande l'annulation de l'ordonnance du JLD de Paris en date du 20 février 2018 aux motifs que le champ des opérations de visite et saisie autorisées serait excessif et que l'Autorité de la concurrence (ADLC) aurait agi de façon déloyale, en dissimulant certains éléments ayant trait au procès-verbal du 24 octobre 2012, annexé à la requête, afin de l'obtention de l'autorisation ;

Considérant que la requête de l'ADLC faisait suite à une demande d'assistance de l'Autorité belge de la concurrence (ABC) sur le fondement de l'article 22 § 1 du règlement n° 1/2003 ;

Considérant qu'en page 1 de ladite demande d'assistance, il est spécifié que " le marché des produits concerné est celui de la vente en gros de produits dermo-cosmétiques. L'ABC a des indications selon lesquelles le marché géographique comprend au moins la Belgique ", qu'en page 4, il est indiqué que " les pratiques de Caudalie semblent concerner l'ensemble de ses distributeurs sélectifs, en ce compris les distributeurs sélectifs présents en ligne (...). Il apparaît crédible que le comportement supposé ait un effet sur le commerce inter-étatique puisque le plaignant, Newpharma, vend ses produits en Belgique mais également dans d'autres pays de l'Union européenne, notamment en France " ;

Considérant que la demande adressée à l'Autorité de la concurrence faisait donc expressément référence à la possibilité que la pratique anticoncurrentielle dont l'entreprise Caudalie est suspectée, à savoir la mise en place d'un système d'ententes verticales contraignant les revendeurs agréés à appliquer une remise maximale de 10 % sur le prix d'achat hors taxe, susceptible de relever de l'application des articles L. 420-1, 2° du Code de commerce et 101-1 du TFUE, affecte plusieurs pays de l'Union européenne, dont la France ;

Considérant, par ailleurs, que le commerce en ligne, dont il est ici aussi question, se caractérise par la possibilité de réaliser des transactions au-delà des frontières nationales de sorte que limiter le champ d'enquête à un seul pays ne serait pas pertinent ;

Considérant, par conséquent, qu'il ne saurait être valablement soutenu que l'ADLC est allée au-delà des termes de la demande que l'ABC lui a adressée ;

Considérant que le juge qui autorise des opérations de visite et de saisie sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce est tenu de vérifier si la demande d'autorisation comporte tous les éléments d'informations utiles, en possession du demandeur, de nature à justifier la visite et si les éléments produits par l'Administration ont une apparence de licéité; qu'à cette fin, il doit vérifier, en se référant aux éléments d'informations fournis par l'Autorité, qu'il existait des faisceaux d'indices laissant apparaître des présomptions d'agissements prohibés justifiant que soit recherchée leur preuve au moyen d'une visite et de saisies de documents s'y rapportant, sans qu'il soit nécessaire que soient caractérisées des présomptions précises, graves et concordantes ou des indices particulièrement troublants des pratiques;

Considérant qu'en l'espèce, la requête était accompagnée de 30 pièces, dont il est spécifié qu'elles " ont une origine apparemment licite ", parmi lesquelles figure un mail en date du 25 mai 2017 du Managing Director de Nuxe se plaignant d'une concurrence agressive sur les prix de vente en ligne des produits Nuxe, contrairement aux produits Caudalie ; un échange de mails dont il ressort qu'une commande d'un pharmacien distributeur, l'entreprise belge Newpharma, a été bloquée en raison d'une promotion de - 20 % octroyée par cette dernière et que, pour débloquer cette commande, Newpharma a dû relever son prix de vente au tarif recommandé par Caudalie ; une lettre recommandée de Caudalie SAS en date du 30 juin 2017 signifiant à Newpharma la fin du contrat de distribution sélective pour son point de vente au 31 décembre 2017, après une action de promotion à - 15 % sur les produits Caudalie organisée par cette dernière en juin 2017 ; une lettre adressée à Caudalie SAS du 15 janvier 2018 faisant état du blocage des commandes effectuées les 15 et 20 décembre 2017, alors que Newpharma était toujours sous contrat ;

Considérant qu'il découle de l'ensemble de ces éléments qu'il peut être présumé que l'entreprise Caudalie exerce une pression sur ses distributeurs, notamment ceux déployant leur activité en ligne, afin de les obliger à appliquer les prix de revente établis par elle ;

Considérant que c'est donc à bon droit que le JLD de Paris a, à partir des éléments soumis à son examen et selon la méthode dite " du faisceau d'indices ", estimé qu'il existait des présomptions simples selon lesquelles l'entreprise Caudalie violerait les articles L. 420-1, 2° du Code de commerce et 101-1 du TFUE, justifiant l'autorisation d'une visite domiciliaire ;

Considérant que le procès-verbal de 2012 n'a donc pas été l'unique élément sur lequel le JLD s'est fondé pour autoriser une visite domiciliaire dans les locaux de la Caudalie SAS, les pièces fournies par l'ABC et annexées à la requête permettant déjà de présumer que la pratique prohibée suspectée pourrait être mise en place à partir de son siège social ;

Considérant enfin qu'aucune disposition légale n'interdit de se servir de documents datant de plus de cinq ans pour éclairer des faits non prescrits, et que le fait que la procédure dont il est issu le procès-verbal en cause ait été classée, est sans incidence, ledit document pouvant être utilisé dans le cadre d'une nouvelle enquête, de sorte qu'il ne saurait être reproché à l'Autorité de la concurrence un manque de loyauté ;

Par conséquent, il y a lieu de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le JLD de Paris en date du 20 février 2018.

Sur le recours

Considérant que la société Caudalie demande l'annulation des opérations de visite et saisie effectuées dans ses locaux en date du 27 février 2018 au motif qu'elle aurait subi une violation de ses droits fondamentaux du fait de la mise en place, de la part des agents de l'Administration, de la procédure dite " de scellés fermés provisoires ", notamment en ce qu'elle n'aurait pas pu identifier les documents couverts par le secret des correspondances avocat-client, auxquels l'Autorité de la concurrence aurait ainsi eu accès ;

Considérant qu'il convient de rappeler que ladite procédure n'est qu'une faculté offerte à la société visitée, laquelle peut refuser ; que dans l'hypothèse où elle accepte, elle doit en accepter aussi les contraintes, notamment en termes de temps, étant précisé qu'un délai supplémentaire de trois jours a été accordé et que Caudalie dispose d'une direction informatique, de sorte qu'elle ne saurait se prévaloir de ses propres défaillances ;

Considérant qu'en tout état de cause, la requérante a pu faire valoir ses droits dans le cadre du présent recours en identifiant les documents dont la saisie devrait, d'après elle, être annulée pour qu'ils soient examinés in concreto, ce qu'elle a fait, en l'espèce, en soumettant à notre examen une clé USB et le listing de pièces y contenues (pièce n° 16-1) ainsi que des documents papier (pièces n° 17-1 et 17-2) ;

Considérant que l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 dispose : " en toute matière, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client où destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception de celles portant la mention " officielle ", les notes d'entretien et, plus généralement toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel " ;

Considérant que le privilège légal n'est pas absolu et souffre de plusieurs exceptions car seuls font l'objet du secret professionnel les mails échangés entre dirigeants et salariés des sociétés visitées et les avocats ; ainsi, ni les courriels échangés entre les avocats et experts comptables ni les échanges entre deux correspondants, avec en copie jointe un avocat, ni les messages divulgués par la société à des tiers ou en interne ne bénéficient de la protection accordée à la confidentialité des correspondances avocat/client ;

Considérant que l'examen par sondage de la clé USB présentée, contenant 3400 pièces, laisse apparaître que de nombreux documents y sauvegardés sont couverts par le privilège légal, mais que d'autres, présentés comme des " retranscriptions internes d'un échange avocat-client ", ont un contenu aléatoire ; que ces derniers ne sauraient donc bénéficier dudit privilège ;

Considérant que l'examen de la clé USB fait également ressortir la présence de pièces relevant de la sphère privée ou ne rentrant pas dans le champ de l'enquête (photos, publicités...) ;

Considérant que la pièce n° 17-1, contenant des messages adressés à Maître Mathieu S., avocat de la société Caudalie, par des pharmaciens distributeurs demandant le retrait de la plainte déposée à leur encontre, ne saurait bénéficier de la protection accordée au secret professionnel, Me Y n'étant pas l'avocat des pharmaciens mais de la société Caudalie ;

Considérant que la pièce n° 17-2 contient les transferts de ces e-mails de Me Y à des salariées de la société Caudalie, laquelle est son client ;

Considérant qu'en application des principes exposés supra, il convient donc d'ordonner la restitution des documents intitulés " correspondance avocat-client " énumérés dans la pièce n° 16-1 des écritures de la requérante et des photos et autres images qui n'ont aucun intérêt pour la suite de l'enquête, ainsi que de la pièce n° 17-2 ;

Considérant enfin que l'annulation de la saisie des seules pièces bénéficiant de la protection prévue par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, ou relatives à la vie privée ou ne rentrant pas dans le champ de l'enquête suffit à rétablir l'entreprise dans ses droits car elle lui offre une double garantie tendant à l'élimination physique des documents protégés en sus du caractère inutilisable de toute copie détenue ;

En conséquent, il y a lieu de déclarer régulières les opérations de visite et saisies effectuées dans les locaux de Caudalie en date du 27 février 2018 mais d'ordonner la restitution des seuls documents intitulés " correspondance avocat-client " et des photos et autres images, contenues dans la pièce n° 16-1, ainsi que de la pièce n° 17-2, la saisie de ces documents sera annulée avec interdiction pour l'Autorité d'en garder copie et d'en faire un quelconque usage.

Enfin aucune considération ne commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Statuant contradictoirement et en dernier ressort : Ordonnons la jonction des instances enregistrées sous les numéros RG 18-07306, 18-07343 et 18-07309 sous le seul n° 18-7306 ; Confirmons-en toutes ses dispositions l'ordonnance du JLD de Paris en date du 20 février 2018 ; Rejetons les recours contre les opérations de visite et saisie du 27 février 2018 dans les locaux de la société Caudalie SAS, à l'exception des documents intitulés " correspondance avocat-client " et des photos et autres images, contenues dans la pièce n° 16-1, et de la pièce n° 17-2 dont la saisie sera annulée avec interdiction pour l'administration d'en garder copie et d'en faire un quelconque usage ; Rejetons toute autre demande, fin ou conclusion ; Disons n'y avoir lieu à application de l'article 700 de Code de procédure civile ; Condamnons la société Caudalie aux dépens