Cass. com., 19 juin 2019, n° 18-11.727
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Cerba (Selafa)
Défendeur :
Technologies services (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Rapporteur :
Mme Laporte
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Boullez
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Cerba, qui est un laboratoire d'analyses de biologie médicale, a conclu avec la société Technologies services (la société Technologies) un contrat " d'agent " afin de lui confier des prestations de nature commerciale, logistique et de communication, à titre exclusif, au Sénégal ; que la société Cerba ayant décidé de ne pas renouveler ce contrat à son terme, la société Technologies, prétendant avoir la qualité d'agent commercial, l'a assignée en paiement d'une indemnité de cessation de contrat ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Cerba fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une indemnité de rupture à la société Technologies en sa qualité d'agent commercial alors, selon le moyen : 1°) que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les écrits clairs et précis soumis à son examen par les parties ; que l'article 2.2. du contrat d'agent du 25 juillet 2008 stipule que " Le présent Contrat est conclu entre sociétés indépendantes agissant sous leur propre responsabilité. Le présent contrat ne crée expressément ou implicitement aucune association, ni société de fait ou de droit, ni mandat d'intérêt commun, ni lien de subordination entre Pasteur Cerba et l'Agent. Pour l'exécution du présent Contrat, l'Agent agira en son seul nom et pour son propre compte, à ses frais et risques. L'Agent est notamment responsable à l'égard des autorités administratives et des tiers de ses activités commerciales et logistiques dans le cadre de l'exécution du présent Contrat. L'Agent ne dispose pas du pouvoir d'engager Pasteur Cerba à l'égard des tiers et s'engage à ne pas engendrer de confusion sur ce point dans l'esprit des Clients et Prospects, et plus largement des tiers " ; que l'article 4.1 de ce contrat énonce en outre qu' " En respect des dispositions du présent article, l'Agent organisera les relations avec les Clients et Prospects librement et sous sa propre responsabilité. L'Agent déterminera notamment librement les prix de vente des Tests et Analyses qu'il appliquera à ces derniers, tout en garantissant une accessibilité aux examens et tests présentés par Pasteur Cerba aux patients. L'Agent devra informer régulièrement du niveau de prix pratiqué par lui sur le Territoire pour les Tests et Analyses. Dans la mesure du possible, l'Agent s'efforcera de recommander un niveau de prix que les laboratoires ou médecins pratiqueront aux patients en vue d'avoir une cohérence de prix sur l'ensemble du Territoire. Pasteur Cerba se réserve le droit de faire modifier la tarification de l'agent en cas de campagnes de promotions des tests et examens, ou de programmes gouvernementaux de dépistages pour lesquels Pasteur Cerba se trouverait engagé. L'Agent informera Pasteur Cerba régulièrement de l'évolution du marché, des Clients, des Prospects et de la concurrence sur le Territoire " ; qu'il résulte des termes clairs et précis de ce contrat que la société Technologies Services n'est pas investie du pouvoir de négocier ou de conclure des contrats au nom et pour le compte de la société Cerba, et que la société Cerba dispose d'un pouvoir de fixation des prix de vente des produits distribués par la société Technologies Services ; qu'en retenant qu'il résultait de ces stipulations contractuelles que la société Technologies Services était l'agent commercial de la société Cerba, dès lors qu'elle bénéficiait d'un réel pouvoir de négociation de contrats et des prix s'exerçant sous l'égide, et donc pour le compte, de la société Cerba, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du contrat d'agent du 25 juillet 2008, en violation de l'article 1192 du Code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ; 2°) que l'agent commercial est un mandataire indépendant qui est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation deservices, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux ; qu'en retenant que la société Technologies avait agi en qualité d'agent commercial de la société Cerba en se fondant sur des attestations émanant de clients de la société Technologies et d'une salariée de la société Cerba, sans constater, notamment en relevant l'existence de contrats effectivement négociés ou conclus par la société Technologies au nom et pour le compte de la société Cerba, que la première était effectivement chargée, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de laseconde, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 134-1 du Code de commerce ; 3°) que l'agent commercial est un simple mandataire qui n'a pas de clientèle propre, ne peut être titulaire d'un fonds de commerce, et n'a pas la qualité de commerçant ; qu'en retenant que la société Technologies était liée par un contrat d'agent commercial avec la société Cerba sans rechercher, comme il lui était demandé, si l'activité exercée par la société Technologies n'était pas de nature commerciale, et donc exclusive du statut d'agent commercial, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 134-1 du Code de commerce ; 4°) qu'en retenant que la société Technologies avait agi en qualité d'agent commercial de la société Cerba, dès lors qu'elle s'était présentée en cette qualité auprès de ses clients, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ce comportement ne caractérisait pas un manquement de la société Technologies à son obligation contractuelle d'agir exclusivement en son propre nom et de ne pas créer de confusion dans l'esprit de ses clients sur l'existence d'un pouvoir lui permettant d'engager la société Cerba, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir relevé que la société Cerba n'apparaissait pas, au vu des seules dispositions de l'article 2 du contrat d'agent, être la mandante de la société Technologies, c'est sans dénaturer les termes de ce contrat que la cour d'appel a retenu qu'il résultait cependant de son article 4 que la société Technologies pouvait organiser librement les relations avec les clients et prospects et déterminer les prix de vente des tests et analyses de la société Cerba en recommandant aux praticiens leur application sur tout le territoire, et qu'elle devait informer régulièrement la société Cerba de l'évolution du marché et de la concurrence ainsi que du niveau des prix qu'elle pratiquait, la société Cerba se réservant le droit de faire modifier la tarification de la société Technologies lors de campagnes de promotions ou de programmes gouvernementaux de dépistage, et qu'elle en a déduit que la société Technologies bénéficiait d'un réel pouvoir de négociation des contrats et des prix s'exerçant au nom et pour le compte de la société Cerba ;
Et attendu, en second lieu, que l'arrêt relève que, dans une lettre du 18 décembre 2008, la société Cerba avait informé un tiers de ce que la société Technologies était, à compter du 1er janvier 2009, " son agent commercial ", tandis que dans une autre en date du 29 août 2014, la société Bio avait spécifié que la société Technologies avait toujours été le représentant de la société Cerba et avait agi, au nom et pour le compte de celle-ci, auprès de son laboratoire en vue de la promotion et du développement des analyses spécialisées réalisées par la société Cerba, tandis que d'autres clients avaient encore attesté qu'elle était présentée par celle-ci comme sa représentante exclusive au Sénégal ; qu'il retient que les dispositions du contrat, qui sont corroborées par ces documents, démontrent que la société Technologies est l'agent commercial de la société Cerba, et qu'elle a la qualité de mandataire indépendant de celle-ci, tout en exerçant par ailleurs une autre activité en son nom et à son seul profit ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a effectué la recherche prétendument omise invoquée par la troisième branche, et qui n'était pas tenue d'effectuer celle invoquée par la quatrième branche, laquelle, ne pouvant avoir d'incidence sur la qualification du contrat, était inopérante, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche : - Vu les articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce ; - Attendu que pour condamner la société Cerba à verser à la société Technologies une certaine somme à titre d'indemnité compensatrice, l'arrêt retient que la société Cerba ne rapporte pas la preuve de la faute grave de la société Technologies qu'elle allègue, laquelle n'est pas assortie du moindre justificatif convaincant et qu'une telle faute n'a jamais été invoquée ni avant la rupture, ni lors de l'envoi de la lettre de rupture des relations contractuelles ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les manquements reprochés à la société Technologies par la société Cerba étaient susceptibles de constituer une faute grave, ni examiner, ne serait-ce que succinctement, les éléments de preuve qui étaient invoqués pour l'établir, alors que la société Cerba n'avait pas l'obligation de les dénoncer lors de la notification de sa décision de ne pas renouveler un contrat, laquelle pouvait intervenir sans motif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, sauf en ce qu'il infirme le jugement qui dit que « le contrat d'agent » signé le 25 juillet 2008 n'est pas un contrat d'agent commercial au sens de l'article L. 134-1 du code de commerce, l'arrêt rendu le 5 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.