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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 15, 19 juin 2019, n° 18-28150

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Conseil Supérieur du Notariat, Association pour le Développement du Service Notarial, Publi.Not (SAS), Min.Not (SAS), Cil.Not (SAS), Real.Not (SAS)

Défendeur :

Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fusaro

TGI Paris, du 29 sept. 2017

29 septembre 2017

Vu l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et suivants ;

Vu les articles 126-1 et suivants du Code de procédure civile ;

Vu la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par un écrit distinct reçu au greffe de la Cour d'appel de Paris le 15 novembre 2017 ;

Vu l'avis du Ministère Public en date du mercredi 18 mars 2019 ;

En application de l'article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution doit garantir, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

En application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

Le 29 septembre 2017, le juge des libertés et de la détention de Paris (ci-après JLD) a rendu, en application des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, une ordonnance de visite et de saisie dans les locaux des sociétés suivantes :

- Conseil supérieur du notariat, <adresse> et les associations, sociétés et organisations professionnelles sises à la même adresse, ci-après " CSN " ;

- Association pour le développement du service notarial, <adresse>, et les associations, sociétés et organisations professionnelles sises à la même adresse, ci-après " ADSN " ;

- ADSN, <adresse>, et les associations, sociétés et organisations professionnelles, sises à la même adresse ;

- Chambre interdépartementale des notaires du ressort de la cour d'appel de Nancy, <adresse>, et les groupements ou associations de notaires, sis à la même adresse ;

- Société civile professionnelle A, titulaires d'un office notarial, <adresse> ;

- Chambre interdépartementale des notaires de Basse-Normandie, <adresse>, et les groupements ou associations de notaires sis à la même adresse ;

- Centre régional des notaires de la cour d'appel de Rennes, <adresse> et les groupements ou associations de notaires sis à la même adresse ;

- Chambre départementale des notaires d'Ile-et-Vilaine, <adresse> et les groupements ou associations de notaires sis à la même adresse ;

- Chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté, <adresse> et les groupements et associations de notaires sis à la même adresse ;

- Me B, titulaire d'un office de notaire, <adresse> ;

- Chambre départementale des notaires de la Loire, <adresse>, et les groupements et associations de notaires sis à la même adresse ;

- Société civile professionnelle C, titulaires d'un office notarial, <adresse> ;

- Chambre interdépartementale des notaires de Maine et Loire, de la Mayenne et de la Sarthe, <adresse>, et les groupements ou associations de notaires sis à la même adresse ;

- Chambre interdépartementale des notaires de la Vienne et des Deux-Sèvres, <adresse> et les groupements ou associations de notaires sis à la même adresse ;

- Conseil régional des notaires de la cour d'appel d'Orléans, <adresse> et les groupements et associations de notaires sis à la même adresse ;

- Chambre départementale des notaires de l'Oise, <adresse> et les groupements et associations de notaires sis à la même adresse ;

- Chambres interdépartementale des notaires de la Savoie et de la Haute-Savoie, <adresse>, et les groupements et associations de notaires sis à la même adresse.

Cette ordonnance était rendue à l'appui d'une requête présentée suite à l'enquête des services de l'Autorité de la concurrence (ci-après " ADLC ") aux fins d'établir si lesdites entreprises, notamment celles titulaires d'un office notarial, et organisations professionnelles se livreraient à des pratiques prohibées par les articles L. 420-1, 1°, 2°, 3° et 4° du Code de commerce et 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après TFUE).

Cette requête concernait le secteur des prestations de services à destination des notaires et faisait suite à une demande d'enquête en date du 18 septembre 2017 du Rapporteur général de l'Autorité de la concurrence.

A l'appui de cette requête, était jointe une liste de 60 pièces ou documents en annexe.

Il était allégué d'informations selon lesquelles les entreprises, notamment celles titulaires d'un office notarial, et les organisations professionnelles susvisées auraient mis en œuvre des pratiques de nature à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence et/ou auraient abusé d'une position dominante dans le secteur des prestations de services à destination des notaires et ce, en violation des dispositions des articles L. 420-1, 1°, 2°, 3° et 4°, L. 420-2 du Code de commerce et 101 et 102 TFUE.

Le JLD de Paris indiquait que les différents types de comportements risquaient, s'ils étaient avérés, de limiter l'accès du groupe Notariat Services au secteur des prestations de services destinées aux notaires; qu'il ne pourrait être exclu que ces comportements ne limitent l'accès d'autres entreprises concurrentes du groupe ADSN à ce secteur et que ces entreprises seraient ainsi privées des moyens d'exercer normalement leur activité, en raison de pratiques d'exclusion ou de pratiques discriminatoires, celles-ci étant mises en œuvre par des instances notariales, des offices notariaux, et par le groupe ADSN qui est susceptible d'occuper une position dominante sur certains marchés du secteur précité.

Il indiquait que l'ensemble de ces agissements semblerait constituer les premiers éléments d'un faisceau d'indices laissant présumer l'existence de comportements d'instances notariales, d'offices notariaux, et du groupe ADSN, visant à verrouiller tout ou partie des marchés du secteur des services destinés aux notaires, que de tels comportements seraient susceptibles de limiter, fausser, voire anéantir le jeu de la concurrence dans le secteur considéré et de relever des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 1°, 2°, 3° et 4° et/ou L. 420-2 du Code de commerce et 101 et 102 du TFUE.

Il estimait que le recours aux pouvoirs de l'article L. 450-4 du Code de commerce constituait le seul moyen d'atteindre l'objectif recherché et que les opérations de visite et de saisie n'apparaîtraient pas disproportionnées au regard de l'objectif à atteindre et partant, délivrait une ordonnance de visite et de saisie.

Il délivrait une commission rogatoire pour les opérations devant avoir lieu en dehors du ressort de sa juridiction aux juges des libertés et de la détention d'Aix-en-Provence, Nancy, Caen, Rennes, Besançon, Vesoul, Saint-Etienne, Angers, Poitiers, Orléans, Beauvais et Annecy dans les ressorts desquels lesdites opérations auraient lieu, afin qu'ils puissent désigner les chefs de service de police ou de gendarmerie territorialement compétents, à charge pour ces derniers de nommer les officiers de police judiciaires, et exercer le contrôle prévu par l'article L. 450-4 du Code de commerce et indiquait que les occupants des lieux ou leurs représentants avaient la faculté de faire appel à un conseil de leur choix, sans que cette faculté n'entraîne la suspension des opérations de visite et de saisies ; " et en mentionnant que la présente ordonnance pouvait faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel de Paris par déclaration au greffe dans un délai de dix jours, " que cet appel n'était pas suspensif et que l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Paris était susceptible de faire l'objet d'un pourvoi en cassation [...].

Les opérations de visite et de saisies se sont déroulées le 17 et 18 octobre 2017. Elles ont été retranscrites dans des procès-verbaux en date du 17 octobre 2017.

Le 14 novembre 2017, des réunions ont été organisées dans les bureaux du Conseil supérieur du notariat et autres organismes professionnels (ADSN notamment), entre les enquêteurs de l'Autorité, M. D et Mme E, occupants des lieux lors des opérations susmentionnées et en présence des avocats des requérants ainsi que de MM. F et G, officiers de police judiciaire, afin de procéder à l'élimination des documents dont le Conseil supérieur du notariat a estimé qu'ils relevaient de la protection accordée par l'article 66-5 de la loi du 21 décembre 1971 modifiée et/ou comportant des éléments relevant du secret professionnel du notaire (article 3.4 du règlement national " règlement inter-cours ") et dont la liste avait été transmise par courriels des 03/11/2017 et 10/11/2017.

Par déclarations au greffe pénal du tribunal de grande instance de Paris en date du 26 octobre 2017, et 27 octobre 2017, enregistrées au greffe de la cour d'appel de Paris les 27 et 31 octobre 2017, les requérantes ont formé des recours contre les lesdites opérations de visite et de saisie.

L'affaire avait été initialement audiencée pour être plaidée au fond à la date du 16 janvier 2019 à 9 heures.

Le 19 décembre 2018, le Conseil supérieur du notariat, l'association pour le développement du service notarial (ADSL), les sociétés Cil.Not, Media.Not, Min.Not, Publi.Not et Real.Not, ont déposé au greffe de la cour d'appel de Paris un mémoire destiné à formuler une question prioritaire de constitutionnalité.

Par ordonnances distinctes datées du 15 mai 2019, notre juridiction a déclaré la société Notariat Service irrecevable en son intervention volontaire dans l'instance au fond, à savoir le recours enregistré sous le numéro RG 17-20150 (après jonction des affaires 17-20150, 17-20205 et 17-20216) et irrecevable en son intervention volontaire dans le dossier concernant la QPC enregistré sous le n° RG 18-28150, dossier à l'appui du recours au fond.

Par suite, l'audience de plaidoirie concernant la QPC a été fixée au 22 mai 2019 et mise en délibéré pour être rendue le 19 juin 2019.

La question prioritaire de constitutionnalité déposée par les requérants est la suivante : " les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, aux termes desquelles les agents de l'Autorité de la concurrence mentionnés à l'article L. 450-1 de ce Code peuvent, dans le cadre d'une enquête demandée par la Commission européenne, le ministre chargé de l'Economie ou le rapporteur général de cette Autorité, et sur autorisation du juge des libertés et de la détention, procéder aux visites en tous lieux ainsi qu'à la saisie de documents et de tout support d'information, portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit et, notamment, le droit au respect de la vie privée, l'inviolabilité du domicile et le secret des correspondances, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, ainsi que le droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l'article 16 de cette Déclaration, en ce que le législateur, d'une part, à méconnu sa compétence en affectant ces droits et libertés faute d'avoir institué des garanties particulières suffisantes lorsque ces opérations de visites et saisies sont réalisées dans les locaux d'études notariales ou d'organisations professionnelles de notaires, abritant des documents couverts par le secret professionnel, et, d'autre part, a porté, dans de telles hypothèses, une atteinte disproportionnée à ces mêmes droits et libertés "

Dans leurs conclusions récapitulatives en date du 20 mars 2019, les requérants soutiennent :

1 Sur l'applicabilité au litige

Il est fait valoir que les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce ont fait l'objet de multiples évolutions législatives notamment afin d'intégrer les exigences requises par les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme (ci-après CEDH), lesquelles protègent, respectivement, le droit à un procès équitable et le droit au respect de la vie privée et familiale qui implique le droit à la protection du domicile.

Les requérants citent à l'appui de cette argumentation les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après CJUE) Société Canal Plus et autres c/ France en date du 21 décembre 2010 et Vinci construction et GTM génie civil et services c/ France en date du 2 avril 2015.

Il est soutenu l'applicabilité de la QPC au litige d'espèce puisqu'elle procède du recours formé contre les opérations de visite et saisie qui se sont déroulées dans les locaux des requérants les 17 et 18 octobre puis 14 et 15 novembre 2017, lesquelles ont été autorisées par une ordonnance du 29 septembre 2017 par le JLD de Paris sur le fondement de l'article L. 450-4 du Code de commerce.

2 Sur l'absence de déclaration de constitutionnalité antérieure

Il est fait valoir que les dispositions litigieuses n'ont pas fait l'objet d'une déclaration de conformité à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

En effet, les différentes questions posées par le passé ne portaient pas sur l'analyse de la constitutionnalité des dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce au regard spécifiquement des notaires.

3 Sur le caractère sérieux

Il est soutenu que la présente question prioritaire de constitutionnalité revêt un caractère sérieux dans la mesure où le législateur a, d'une part, méconnu sa propre compétence en affectant des droits et libertés que la Constitution garantit " en l'occurrence, le droit au respect de la vie privée, l'inviolabilité du domicile, le secret des correspondances et le droit au recours juridictionnel effectif " en ce qu'il s'est abstenu d'instituer des garanties particulières suffisantes lorsque ces opérations de visite et saisie sont réalisées dans les locaux d'études notariales ou d'organisations professionnelles de notaires, abritant des documents couverts par le secret professionnel et d'autre part, il a porté une atteinte disproportionnée à ces mêmes droits et libertés.

Il est argué qu'il découle des dispositions de l'article 1er de l'ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat, de l'article 23 de la loi contenant organisation du notariat du 25 ventôse an XI et des articles 3.4, 4.5 et 20 du règlement national du notariat, approuvé par arrêté du 22 mai 2018 que les notaires sont soumis à un strict secret professionnel et ce pour tous les faits qui leur sont confiés dans l'exercice de leur profession.

Par ailleurs, une vigilance particulière doit être portée lorsque les opérations litigieuses se déroulent dans les locaux des organisations professionnelles de notaires telles que, par exemple, le CSN, qui est habilité à représenter l'ensemble des notaires, à contribuer à l'évolution de la profession ainsi qu'à prévenir et régler les conflits internes à la profession.

Dès lors, eu égard à l'obligation de secret à laquelle sont astreints les notaires et à la mission fondamentale d'autorité publique confiée à ces officiers ministériels, il est impératif que des garanties particulières soient prévues lorsque les opérations de visite et saisie réalisées par les enquêteurs de l'Autorité de la concurrence sont effectuées dans les locaux d'études notariales ou dans ceux des organisations représentatives de la profession.

Or, le dispositif législatif actuel " l'article L. 450-4 du Code de commerce " ne prévoit pas les garanties suffisantes pour prévenir tout abus et protéger le secret professionnel des notaires.

En particulier, aucune disposition ne garantit que les opérations de visites et saisies dans les études notariales ou les locaux des organisations professionnelles soient réalisées en présence du magistrat les ayant autorisées, et du représentant de l'ordre professionnel, admis à prendre connaissance des documents se trouvant sur les lieux avant leur éventuelle saisie.

En outre, la spécificité de la profession de notaire commande que, contrairement au droit commun, l'exercice de la faculté de faire appel à un conseil entraîne la suspension des opérations de visite et saisie.

De même, l'ordonnance autorisant la visite domiciliaire devrait indiquer avec précision la nature des infractions sur lesquelles porteront les opérations, les motifs justifiant ces dernières et leur objet.

Il est argué que l'absence de garanties particulières est d'autant plus condamnable que, d'une part, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2015-590 du 6 août 2015, l'Autorité de la concurrence est chargée de rendre un avis au ministère de la Justice sur la liberté d'installation des notaires et d'émettre des recommandations en vue de l'ouverture à la concurrence de cette profession.

Or, aucune disposition législative ne prémunit les notaires contre la réutilisation des informations et documents saisis par les enquêteurs de l'ADLC dans le cadre d'opérations de visites et saisies réalisées au cours d'enquêtes concurrentielles au titre de l'établissement de cet avis.

Il est indiqué que ce sont pourtant les mêmes personnes qui exercent ces deux fonctions.

D'autre part, l'absence de garanties particulières est d'autant plus problématique que, bien souvent, les opérations de visite et saisie réalisées dans les études notariales ou dans les locaux des organisations professionnelles donnent lieu à la saisie d'un très grand nombre de documents.

Au cas présent, malgré le caractère massif des saisies et le risque d'une atteinte au secret professionnel, les agents ont opposé un refus à la demande des conseils du CSN de visualiser les écrans sur lesquels ces saisies étaient réalisées, au motif que les mots-clés utilisés pour sélectionner les fichiers sont confidentiels.

Il est argué que la circonstance que les scellés provisoires aient été ouverts les 14 et 15 novembre 2017 afin de procéder à la suppression de certains fichiers ne saurait être regardée comme une garantie suffisante dès lors que, d'une part, la seule saisie porte atteinte au secret et d'autre part, tous les documents couverts par le secret n'ont pas été supprimés.

En effet, le CSN évalue à 4 000 le nombre de documents couverts par le secret professionnel placés sous scellés définitifs, la saisie de 500 Go ayant rendu matériellement impossible l'établissement d'une liste exhaustive des fichiers protégés.

En définitive, en s'abstenant d'instituer des garanties particulières suffisantes encadrant les opérations de visite et saisie réalisées par les agents de l'Autorité dans les locaux des études notariales et des organisations professionnelles des notaires, le législateur n'a pas pris les mesures nécessaires pour prévenir les atteintes au secret professionnel auquel sont tenus ces officiers ministériels et a ainsi méconnu sa compétence en affectant le droit au respect de la vie privée, l'inviolabilité du domicile, le secret des correspondances et le droit au recours juridictionnel effectif.

4 Sur les arguments développés par l'Autorité de la concurrence dans ses observations du 20 février 2019

- Sur l'argument selon lequel l'incompétence négative ne peut être invoquée qu'au regard d'un droit ou d'une liberté que la Constitution garantit

Contrairement à ce qu'affirme l'Autorité, les requérants ne soutiennent pas que le secret professionnel des notaires est un droit garanti par la Constitution et n'invoquent d'ailleurs, aucun grief tiré de la violation, directe ou indirecte, du secret professionnel.

- Sur l'argument selon lequel l'article L. 450-4 répondrait aux exigences constitutionnelles en matière d'opérations de visite et saisie

En premier lieu, l'Autorité ne saurait tirer le moindre argument de la décision n° 84-184 DC du 29 décembre 1984 car cette décision concerne l'article L. 16 B du LPF et qu'elle a été rendue dans un contexte factuel et juridique radicalement différent. Il est rappelé que la jurisprudence a beaucoup évolué depuis 1984, renforçant progressivement le niveau de protection requis en matière de droits et libertés.

En second lieu, il ne saurait être déduit des quelques décisions de non renvoi de QPC, auxquelles se réfère l'ADLC, une conformité générale de l'article L. 450-4 du Code de commerce " aux exigences du Conseil constitutionnel en matière d'opérations de visite et saisie ".

Il est mis en exergue que les décisions de non renvoi mentionnées par l'Autorité sont sans rapport avec la question posée au cas présent.

- Sur le caractère prétendument non sérieux de la question soulevée par les requérants

Il est encore argué que les jurisprudences citées par l'Autorité dans ses conclusions se réfèrent à des critiques dirigées contre l'article L. 450-4 du Code de commerce en général, et non pas dans le contexte particulier des opérations de visite et saisie menées dans les locaux des notaires ou de leurs organisations représentatives.

Il est souligné que l'Autorité n'avance aucun argument de nature à justifier la différence de régime juridique entre les opérations de visite et saisie menées chez les notaires par ses propres agents et les opérations conduites chez les mêmes personnes soit en matière pénale, soit " à plus forte raison " par les agents de l'AMF ou de de la DGCCRF (lorsqu'ils interviennent sur le fondement de l'article 512-61 du Code de la consommation).

En conclusion, il est demandé de :

- constater l'existence du moyen contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution ;

- dire et juger recevable et fondée la question prioritaire de constitutionnalité formulée aux termes d'un mémoire distinct par le CSN, l'ADSN, Real.Not, Cil.Not, Min.Not, Publi.Not et Media.Not ;

- dire et juger que les conditions nécessaires à la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité formulée par le CSN, l'ADSN, Real.Not, Cil.Not, Min.Not, Publi.Not et Media.Not ;

En conséquence,

- transmettre à la Cour de cassation la question suivante :

" Les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, aux termes desquelles les agents de l'Autorité de la concurrence mentionnés à l'article L. 450-1 de ce Code peuvent, dans le cadre d'une enquête demandée par la Commission européenne, le ministre chargé de l'Economie ou le rapporteur général de cette Autorité, et sur autorisation du juge des libertés et de la détention, procéder aux visites en tous lieux ainsi qu'à la saisie de documents et de tout support d'information, portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit et, notamment, le droit au respect de la vie privée, l'inviolabilité du domicile et le secret des correspondances, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, ainsi que le droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l'article 16 de cette Déclaration, en ce que le législateur, d'une part, à méconnu sa compétence en affectant ces droits et libertés faute d'avoir institué des garanties particulières suffisantes lorsque ces opérations de visites et saisies sont réalisées dans les locaux d'études notariales ou d'organisations professionnelles de notaires, abritant des documents couverts par le secret professionnel, et, d'autre part, a porté, dans de telles hypothèses, une atteinte disproportionnée à ces mêmes droits et libertés " ;

- surseoir à statuer sur le fond du litige jusqu'à la réception de la décision de la Cour de cassation et jusqu'à celle du Conseil constitutionnel, si ce dernier est saisi après le filtrage opéré par la Cour de cassation ;

- réserver les dépens.

Par conclusions en date du 20 février 2019, l'Autorité de la concurrence fait valoir :

I L'incompétence négative ne peut être invoquée qu'au regard d'un droit ou d'une liberté que la Constitution garantit

Il est fait valoir que pour pouvoir être invoqué, à l'occasion d'une instance devant une juridiction, à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, un grief d'incompétence négative doit nécessairement reposer sur la méconnaissance d'un droit ou d'une liberté garantie par la Constitution, ce que le secret professionnel n'est pas, ainsi que la Haute juridiction a eu l'occasion de le rappeler à plusieurs reprises.

Dès lors, le secret professionnel ne sera examiné qu'au regard des autres principes dont se prévalent les requérants.

II L'article L. 450-4 du Code de commerce répond aux exigences du Conseil constitutionnel en matière d'opérations de visite et saisie

Il est soutenu qu'au regard du droit au respect de la vie privée, de l'inviolabilité du domicile, du secret des correspondances et du droit à un recours juridictionnel effectif, la question a déjà été tranchée à propos de dispositions similaires à celles de l'article L. 450-4 du Code de commerce, telles que celles de l'article L. 16 B du LPF.

Ainsi, l'article L. 450-4 du Code de commerce doit être regardé comme apportant des garanties identiques à celles déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

III La question soulevée ne présente pas de caractère sérieux

- L'article L. 450-4 du Code de commerce serait contraire à la Constitution en ce qu'il ne prévoirait pas la présence nécessaire du magistrat ayant autorisé les opérations de visite et saisie dans les études notariales ou les locaux des organisations professionnelles lors des opérations

Il est argué que la présence du magistrat sur les lieux des opérations de visite et saisie qu'il a autorisées est parfaitement prévue et organisée, en tant que besoin, par les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, dont l'alinéa 4 prévoit : " le juge peut se rende dans les locaux pendant l'intervention. À tout moment, il peut décider la suspension ou l'arrêt de la visite ".

De surcroît, pendant les opérations de visite et saisie, les officiers de police judiciaire (OPJ), désignés par le juge pour assister aux opérations et apporter leur concours, sont également tenus " de le tenir informé de leur déroulement ".

L'Autorité tient également à relever des inexactitudes dans la présentation des faits de l'espèce, faite par les requérants.

Il est souligné que le JLD du TGI de Paris a été saisi à deux reprises et a exercé un contrôle réel et concret, et non pas fictif et théorique, sur des contestations qui ont été portées à sa connaissance par l'intermédiaire des officiers de police judiciaire.

En effet, dans les locaux de l'ADSN à Paris, le 17 octobre 2017, le conseil de cette entité a demandé à l'OPJ de saisir le JLD pour qu'il ordonne aux rapporteurs de lui permettre la visualisation des écrans de leurs ordinateurs, le JLD ayant rejeté cette demande sur le fondement de la jurisprudence en vigueur.

De même, dans les locaux du CSN à Paris, le 14 novembre 2017, le JLD saisi a également rejeté la demande de lancement de nouvelles recherches au-delà de la liste déjà produite par le CSN, formulée par l'avocat, lors de l'ouverture du scellé fermé provisoire dans le but exclusif d'éliminer avant saisie définitive les documents relevant du secret professionnel du notaire ou de la correspondance avocat-client.

Par ailleurs, lorsque la visite a lieu hors du ressort de compétence du juge qui l'autorise " il délivre une commission rogatoire pour exercer ce contrôle au juge des libertés et de la détention dans le ressort duquel s'effectue la visite ". L'effectivité du contrôle du juge en cas de transport sur les lieux est donc totalement assurée, pour les hypothèses où la contestation ne peut être tranchée par le biais des moyens modernes de communication.

Dans ces conditions, la présence physique du JLD sur les lieux des opérations pendant toute la durée de leur déroulement, alors qu'il ne lui appartient pas d'assurer personnellement les opérations, n'apparaît ainsi nullement comme une garantie constitutionnelle nécessaire à la protection du secret professionnel des notaires.

- L'article L. 450-4 du Code de commerce serait contraire à la Constitution en ce qu'il ne prévoirait pas la présence obligatoire d'un représentant de l'ordre professionnel sur les lieux des opérations, auquel aurait été préalablement communiquée l'ordonnance autorisant les opérations de visite et saisie, afin que ce représentant puisse prendre connaissance des documents avant leur éventuelle saisie et que ces derniers soient placés sous scellés fermés le cas échéant

Il est soutenu que les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce garantissent le respect du secret professionnel et des autres droits et libertés, hors même la présence d'un représentant de la profession, en ce que son alinéa 8 dispose que " les agents mentionnés à l'article L. 450-1, l'occupant des lieux ou son représentant ainsi que l'officier de police judiciaire et, le cas échéant, les agents et autres personnes mandatés par la Commission européenne peuvent seuls prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisie ".

Il est argué que ces dispositions sont destinées à prévenir le risque de divulgation à des tiers, au cours des opérations, d'informations confidentielles.

En outre, l'occupant des lieux, assisté le cas échéant de son conseil, peut élever toutes contestations relatives à des situations qui pourraient présenter un risque d'atteinte au secret professionnel, et en saisir l'OPJ qui assiste aux opérations, dès lors que ce dernier n'aurait pas préalablement provoqué les mesures utiles pour en assurer le respect. Informé par l'OPJ, le juge pourra ordonner toutes mesures utiles (notamment la constitution d'un scellé fermé provisoire), se transporter sur les lieux, voire ordonner la suspension ou l'arrêt de la visite.

Plus particulièrement encore, les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, combinées à celles de l'article 56 du Code de procédure pénale, assurent une parfaite protection du secret professionnel en cas d'impossibilité pour l'occupant des lieux de prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisie lorsqu'il s'agit notamment de fichiers informatiques.

De surcroît, la constitution des scellés fermés provisoires a permis sans conteste aux représentants de l'ordre professionnel de consulter les fichiers numériques sélectionnés avant la saisie définitive et d'établir une liste de 103 documents dont il a été demandé la suppression, celle-ci étant intervenue les 14 et 15 novembre 2017.

Dès lors, la question ne relève sur ce point aucun caractère sérieux.

- L'article L. 450-4 du Code de commerce serait contraire à la Constitution en ce qu'il ne prévoirait pas la suspension des opérations de visite et saisie dans l'attente du conseil sollicité pour assister à l'opération

Il est argué que le dispositif prévu à l'article L. 450-4, alinéa 5 du Code de commerce (" l'ordonnance comporte la mention de la faculté pour l'occupant des lieux ou son représentant de faire appel à un conseil de son choix. L'exercice de cette faculté n'entraîne pas la suspension des opérations de visite et saisie ") est très protecteur des droits et libertés garantis par la Constitution.

En matière de visites domiciliaires, le Conseil constitutionnel exige que les opérations soient placées sous la responsabilité et le pouvoir de contrôle de l'autorité judiciaire.

Il appartient donc au juge, avec l'assistance de l'OPJ, et non au conseil de l'occupant des lieux, de veiller à garantir le respect de la procédure prévue à l'article L. 450-4 du Code de commerce à l'occasion de ces opérations.

Dès lors, l'absence de suspension des opérations de visite et saisie dans l'attente du conseil sollicité dans les dispositions de l'article L. 450-4, ne saurait fonder le caractère sérieux de la question soulevée.

- L'article L. 450-4 du Code de commerce serait contraire à la Constitution en ce qu'il ne prévoirait pas " que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention indique avec précision la nature des infractions sur lesquelles porteront les opérations, les motifs justifiant ces dernières et leur objet, ni qu'aucune saisie ne puisse concerner des documents relatifs à d'autres infractions que celles visées par l'ordonnance "

Il est fait valoir que l'article L. 450-4, alinéa 2 du Code de commerce dispose que " Le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du présent Code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée ".

En imposant au juge de vérifier que la demande d'autorisation comporte des éléments de nature à justifier les opérations de visite et saisie permettant de présumer l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée, l'article L. 450-4 du Code de commerce exclut l'autorisation d'opérations de visite et saisie dans des conditions qui ne garantiraient pas la proportionnalité de l'atteinte aux droits fondamentaux avec la nécessité d'établir la preuve des infractions suspectées.

En définitive, aucune des critiques formulées à l'encontre de l'article L. 450-4 du Code de commerce ne conduit à considérer que le législateur a méconnu sa compétence ni que ses dispositions portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, à l'inviolabilité du domicile, au secret des correspondances et au droit à un recours effectif eu égard à la situation particulière dans laquelle se trouvent les organisations professionnelles et associations de notaires. Par conséquent, la question soulevée apparaît dépourvue de tout caractère sérieux.

Pour l'ensemble de ces motifs, l'Autorité de la concurrence demande que ne soit pas transmise à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité posée par CSN, l'ADSN, Cil.Not, Media.Not, Min.Not, Publi.Not, Real.Not à l'appui de leur recours au fond.

Par avis en date du 18 mars 2019, le Ministère public soutient que la demande motivée, distincte du recours déposé sur le fond par les requérants, est recevable.

Concernant les critiques développées par les requérants dans leurs conclusions, il est précisé :

1 - La validation du mécanisme d'investigations sous contrôle du Juge, posé par l'article L. 450-4 du Code de commerce existe de longue date

Le Ministère public cite la décision n° 84-184 du 29 décembre 1984 du Conseil constitutionnel constatant la conformité à la Constitution des dispositions de l'article L. 16 B du LPF, qui posent une procédure d'autorisation de visites et saisies quasi identique à celle de l'article L. 450-4 du Code de commerce, lequel doit en conséquence être également considéré comme étant conforme à la Constitution.

Par ailleurs, la Cour de cassation a décidé, à plusieurs reprises, que les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce " assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle et des nécessités de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles " et que " les droits à un procès équitable et à un recours effectif sont garantis ".

Dans ces conditions, la QPC, en ce qu'elle porte sur la critique de l'article L. 450-4 du Code de commerce, n'est pas nouvelle et la demande de transmission sera rejetée.

2 - La protection du secret professionnel des notaires

- L'objet et la portée du secret professionnel des notaires

Il est mis en exergue que la loi n'a imposé, pour permettre à l'Autorité de la concurrence de réaliser des visites domiciliaires auprès des offices notariaux, aucune obligation autre que celle de mettre en œuvre les garanties posées par l'article L. 450-4 du Code de commerce.

Ces garanties sont constituées par le contrôle du JLD mandant, au moment où il autorise les opérations et pendant toute la durée des opérations, par l'existence d'un recours effectif devant le conseiller délégué par le Premier président de la cour d'appel et, possiblement, par l'examen de l'application des règles de droit par la Cour de cassation.

Ainsi, le caractère général et absolu du secret professionnel des notaires, affirmé par voie réglementaire (articles 3.4 et 20 du règlement national des notaires), est garanti par la procédure mise en place par l'article L. 450-4 du Code de commerce.

- Le caractère général et absolu du secret professionnel du notaire couvre l'activité du notaire dans tous ses échanges et rapports avec son client

Le Ministère public soutient qu'il exact de considérer que tous les éléments communiqués par un client à un notaire et tous ceux transmis par un notaire à son client, en relation avec la situation de ce dernier, sont couverts de manière générale et absolue par le secret professionnel des notaires mais, tous comme pour le secret protégé des correspondances avocat-client, la protection du secret professionnel du notaire ne peut concerner les agissements propres du notaire, sans lien avec les éléments concernant ses clients et susceptibles de caractériser la participation du notaire à la commission d'une infraction aux lois et règlements.

En l'espèce, la requête présentée au JLD fait expressément état de soupçons de participation directe des organismes requérants aux infractions suspectées, ce dont prend acte l'ordonnance d'autorisation, après que le JLD ait vérifié le caractère objectif de la suspicion.

Dès lors, un droit au secret professionnel ne peut être invoqué par les entités requérantes, expressément visées par la requête comme ayant pu participer aux agissements anticoncurrentiels suspectés.

3 La question de l'invocabilité du secret professionnel par une organisation professionnelle regroupant des notaires adhérents

Il est souligné que les requérants sont ici, aux termes de l'ordonnance d'autorisation rendue par le JLD, des entités distinctes des offices notariaux et qu'aucun office notarial n'apparaît parmi eux.

Or, il est douteux qu'un office notarial, dépositaire de secrets concernant la situation et les desiderata de son client, ait transmis ces éléments à des entités distinctes, chargées de l'organisation de la profession ou de la défense de ses intérêts, en violant ainsi à l'égard de ses clients son obligation générale et absolue au secret professionnel.

Il est donc très difficilement concevable que les éléments présentés dans la requête et validés dans l'ordonnance du JLD comme caractérisant des suspicions d'infractions au droit de la concurrence à l'encontre des organismes requérants, puissent, dans le même temps, porter atteinte au secret des échanges entre un notaire et son client.

En tout état de cause, une telle allégation de la part des requérants ne relève pas du domaine d'une QPC, mais de l'appréciation par le conseiller délégué par Mme la Première présidente de la cour d'appel, dans le cadre du recours porté contre le déroulement des opérations, prévu par l'article L. 450-4 du Code de commerce.

Le Ministère public conclut donc au refus de transmission de la QPC à la Cour de cassation, au visa de l'article 61-1 de la Constitution et de l'article 23-2 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009.

SUR CE

I Sur la nature législative de la disposition attaquée et son applicabilité au présent litige

Considérant que l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 précise les conditions qui subordonnent la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité par la juridiction saisie à la Cour de Cassation ou au Conseil d'Etat :

La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation.

La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ;

Considérant que l'article L. 450-4 du Code de commerce dispose que :

" Les agents mentionnés à l'article L. 450-1 ne peuvent procéder aux visites en tous lieux ainsi qu'à la saisie de documents et de tout support d'information que dans le cadre d'enquêtes demandées par la Commission européenne, le ministre chargé de l'Economie ou le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence sur proposition du rapporteur, sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter. Ils peuvent également, dans les mêmes conditions, procéder à la pose de scellés sur tous locaux commerciaux, documents et supports d'information dans la limite de la durée de la visite de ces locaux. Lorsque ces lieux sont situés dans le ressort de plusieurs juridictions et qu'une action simultanée doit être menée dans chacun d'eux, une ordonnance unique peut être délivrée par l'un des juges des libertés et de la détention compétents.

Le juge doit vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du livre IV du présent Code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée.

La visite et la saisie s'effectuent sous l'autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. Il désigne le chef du service qui devra nommer les officiers de police judiciaire chargés d'assister à ces opérations et d'apporter leur concours en procédant le cas échéant aux réquisitions nécessaires, ainsi que de le tenir informé de leur déroulement. Lorsqu'elles ont lieu en dehors du ressort de son tribunal de grande instance, il délivre une commission rogatoire pour exercer ce contrôle au juge des libertés et de la détention dans le ressort duquel s'effectue la visite.

Le juge peut se rendre dans les locaux pendant l'intervention. À tout moment, il peut décider la suspension ou l'arrêt de la visite.

L'ordonnance est notifiée verbalement et sur place au moment de la visite à l'occupant des lieux ou à son représentant qui en reçoit copie intégrale contre récépissé ou émargement au procès-verbal. L'ordonnance comporte la mention de la faculté pour l'occupant des lieux ou son représentant de faire appel à un conseil de son choix. L'exercice de cette faculté n'entraîne pas la suspension des opérations de visite et saisie. En l'absence de l'occupant des lieux, l'ordonnance est notifiée après les opérations par lettre recommandée avec avis de réception. Il en va de même lorsqu'il n'est pas procédé à la visite dans un des lieux visés par l'ordonnance. La notification est réputée faite à la date de réception figurant sur l'avis.

L'ordonnance mentionnée au premier alinéa peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle le juge a autorisé la mesure, suivant les règles prévues par le Code de procédure pénale. Le ministère public et la personne à l'encontre de laquelle a été ordonnée cette mesure peuvent interjeter appel. Cet appel est formé par déclaration au greffe du tribunal de grande instance dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'ordonnance. L'appel n'est pas suspensif. L'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible d'un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le Code de procédure pénale. Les pièces saisies sont conservées jusqu'à ce qu'une décision soit devenue définitive (...).

Les inventaires et mises sous scellés sont réalisés conformément à l'article 56 du Code de procédure pénale (...) " ;

Considérant que s'agissant d'un contentieux de contestation de visite domiciliaire et visant les prérogatives conférées à une autorité administrative indépendante, la disposition contestée est applicable au litige ;

Considérant que la première condition est donc remplie.

II Sur le caractère nouveau de la question

Considérant que même si les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce sont rédigées de façon similaire à celles de l'article L. 16 B du LPF et que dès lors, elles pourraient être considérées comme étant conformes à la Constitution, les dispositions de cet article n'ont jamais fait l'objet d'une transmission en ces termes au Conseil constitutionnel ;

Considérant que la seconde condition est remplie.

III Sur le caractère sérieux de la question posée

A titre liminaire, il convient de rappeler que la QPC repose sur trois dossiers de fond, à savoir les recours enregistrés sous les numéros RG 17-20216, 17-20205 et 17-20150, étant précisé qu'il s'agit de recours exercés contre les opérations de visite et de saisie dans les locaux du Conseil supérieur du notariat, de l'association pour le développement du service notarial (ADSN) et de sociétés ou d'organisations professionnelles, et sur le recours exercé contre les opérations du 14/11/2017 visant à transformer les scellés fermés provisoires en scellés fermés définitifs par élimination des documents, dont le Conseil supérieur du notariat a estimé qu'ils relevaient de la protection accordée par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée et/ou comportant des éléments relevant du secret professionnel du notaire (article 3.4 du règlement national " règlement inter-cours ")

Considérant, dès lors, qu'il est important de préciser qu'en aucune façon, cette QPC est en corrélation avec une quelconque visite domiciliaire effectuée au sein d'une étude de notaire.

- Sur la protection du secret professionnel des notaires

Considérant que le secret professionnel des notaires repose essentiellement sur l'article 3.4 du règlement national des notaires " règlement inter-cours ", qui dispose que :

" Le secret professionnel du notaire est général et absolu. Confident nécessaire de ses clients, le notaire est tenu au secret professionnel dans les conditions prévues par le Code pénal ou toutes autres dispositions législatives ou réglementaires.

Ce secret couvre tout ce qui a été porté à la connaissance du notaire dans l'exercice de ses fonctions. Il s'étend aux correspondances et échanges entre notaires ou avec les instances de la profession et avec les associés d'une société pluriprofessionnelle d'exercice.

Le notaire doit veiller à ce que tous ses collaborateurs soient instruits de cette obligation qui est aussi la leur et qu'ils la respectent " ;

Considérant que cet article, combiné avec l'article 20 du même règlement, interdit au notaire de révéler tout document, élément ou correspondance détenu dans son office notarial relatif à un client ou échangé avec ce dernier, toute pièce concernant l'identité des parties, l'opération envisagée ou en cours, et, en règle général, tout élément communiqué par son client dans le cadre de tout acte envisagé (organisation de sa succession future, donations, élément relatif à son régime matrimonial, acquisition d'un bien immobilier notamment) ;

Considérant que la critique des requérants portant sur l'insuffisance des garanties légales instaurées par l'article L. 450-4 du Code de commerce, nécessaires à la protection du secret professionnel des notaires, n'est pas pertinente, en ce que, s'agissant d'organismes professionnels, certaines garanties ont été mises en place lesquelles seront développées ci-après.

- Sur les droits et libertés auxquels les dispositions contestées auraient porté atteinte (grief d'incompétence négative)

Considérant qu'au cas présent, force est de constater, d'une part, que :

- les opérations ont été sous le contrôle de JLD de Paris, qui a été sollicité et est intervenu à deux reprises ;

- la procédure des scellés provisoires (afin de procéder à l'élimination des documents dont le Conseil supérieur du notariat a estimé qu'ils comportaient des éléments relevant du secret professionnel du notaire), dont la liste avait été transmise par courriels des 03/11/2017 et 10/11/2017, a été mise en place lors des opérations dont les recours servent de fondement à la QPC ;

- L'Autorité de la concurrence a, lors de la constitution des scellés fermés définitifs, fait droit à la demande des représentants de l'ordre professionnel, en supprimant la saisie de 103 documents, dont la liste avait été établie par les requérants ;

- le secret professionnel absolu qui couvre les échanges entre le notaire dans toutes ses relations avec son client, au sein de son office notarial, ne trouve pas matière à s'appliquer s'agissant de visites domiciliaires au sein d'instances, d'organisations ou de sociétés professionnelles tels le Conseil supérieur du notariat, l'association pour le développement du service notarial et ses filiales ;

- l'atteinte à la vie privée, la violation du domicile ainsi que le secret des correspondances découlant de ce secret professionnel des échanges notaire/client ne trouvent pas non plus à s'appliquer s'agissant des lieux visités susmentionnés, sauf à ce que ces échanges se retrouvent hors de l'étude de l'office notarial et ce en violation du secret professionnel ;

- l'article L. 450-4 alinéa 2 est rédigé ainsi qu'il suit " le juge doit vérifier que la demande qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d'infractions aux dispositions du Livre IV du présent Code en train de se commettre, la demande d'autorisation peut ne comporter que des indices permettant de présumer, en l'espèce, l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée ". Dès lors, le juge saisi effectue de fait et in concreto un contrôle de proportionnalité de la mesure et a au cas présent privilégié le recours à une enquête lourde plutôt que de recourir à d'autres modes d'investigations ;

Et d'autre part, s'agissant du contrôle juridictionnel effectif, il est établi que concernant l'ensemble des contentieux relatifs aux visites domiciliaires, la Haute juridiction a, de façon constante, jugé que le droit à un recours juridictionnel effectif s'effectuait devant le Premier président de la cour d'appel et qu'aucun débat contradictoire ne devait être organisé au stade de l'autorisation de visite et saisie ;

De même, cette interprétation a été validée par la Cour européenne des droits de l'Homme (ci-après CEDH), suite à l'arrêt du 21 février 2008 (affaire Ravon c/France), où elle avait estimé que les sociétés ou les personnes physiques devaient bénéficier d'un contrôle juridictionnel effectif tant sur l'ordonnance d'autorisation que sur les opérations de visite et de saisie ;

Cette évolution jurisprudentielle s'est traduite dans la modification apportée par l'article 164 de la loi 2008-776 du 4 août 2008, qui a instauré dans les textes ce contrôle juridictionnel effectif devant le Premier Président ;

Concernant la critique portant sur les mesures relatives aux visites domiciliaires et saisies ordonnées par le JLD, il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel a, dans une instance similaire concernant les visites domiciliaires et saisies relatives aux dispositions de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales (QPC en date du 30 juillet 2010), jugé, en considérant n° 9 :

" Considérant que, d'une part, le quinzième alinéa du paragraphe II de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales prévoit que l'ordonnance est notifiée verbalement sur place au moment de la visite ; qu'à défaut d'occupant des lieux ou de son représentant, elle est notifiée par lettre recommandée ou, à défaut, par voie d'huissier de justice ; que le dix-septième alinéa de cet article prévoit que " le délai et la voie de recours sont mentionnés dans l'ordonnance " ;

Que, d'autre part, si les dispositions contestées prévoient que l'ordonnance autorisant la visite est exécutoire " au seul vu de la minute " et que l'appel n'est pas suspensif, ces dispositions, indispensables à l'efficacité de la procédure de visite et destinées à assurer la mise en œuvre de l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale, ne portent pas atteinte au droit du requérant d'obtenir, le cas échéant, l'annulation des opérations de visite ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789, doit être écarté " ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il n'a été porté aucune atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit et notamment le droit au respect de la vie privée, l'inviolabilité du domicile et le secret des correspondances, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, ainsi que le droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l'article 16 de cette Déclaration, ni une atteinte disproportionnée à ces mêmes droits et libertés ;

Considérant, dès lors, que la présente question prioritaire de constitutionnalité ne revêt pas un caractère sérieux justifiant sa transmission.

Par conséquent, il convient de :

- dire que la question prioritaire de constitutionnalité soumise par le Conseil supérieur du notariat, l'association pour le développement du service notarial (ADSL), les sociétés Cil.Not, Media.Not, Min.Not, Publi.Not et Real.Not, est recevable ;

- constater que la question ainsi soulevée est applicable au litige dont il est saisi ;

- constater que la condition relative à l'absence de décision antérieure du Conseil constitutionnel, est remplie ;

- constater que la question ainsi soulevée est dépourvue d'un caractère sérieux ;

Et en conséquence,

- rejeter la demande de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire suivante :

" Les dispositions de l'article L. 450-4 du Code de commerce, aux termes desquelles les agents de l'Autorité de la concurrence mentionnés à l'article L. 450-1 de ce Code peuvent, dans le cadre d'une enquête demandée par la Commission européenne, le ministre chargé de l'Economie ou le rapporteur général de cette Autorité, et sur autorisation du juge des libertés et de la détention, procéder aux visites en tous lieux ainsi qu'à la saisie de documents et de tout support d'information, portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit et, notamment, le droit au respect de la vie privée, l'inviolabilité du domicile et le secret des correspondances, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, ainsi que le droit à un recours juridictionnel effectif, garanti par l'article 16 de cette Déclaration, en ce que le législateur, d'une part, à méconnu sa compétence en affectant ces droits et libertés faute d'avoir institué des garanties particulières suffisantes lorsque ces opérations de visites et saisies sont réalisées dans les locaux d'études notariales ou d'organisations professionnelles de notaires, abritant des documents couverts par le secret professionnel, et, d'autre part, a porté, dans de telles hypothèses, une atteinte disproportionnée à ces mêmes droits et libertés " ;

Par ces motifs Disons n'y avoir lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation et renvoyons l'examen des affaires au fond à l'audience du mercredi 6 novembre 2019 - 9h00, Salle d'audience Tocqueville - escalier Z - 4e étage.