CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 19 juin 2019, n° 17-14907
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
CSF (SAS), Carrefour Hypermarchés (SAS), Lidl (SNC)
Défendeur :
CSF (SAS), Carrefour Hypermarchés (SAS), Lidl (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bedouet
Conseillers :
Mmes Comte, Schaller
FAITS ET PROCÉDURE
La société Lidl est une société de grande distribution alimentaire et de produits de petit électroménager et de bricolage. Elle exploite sur le territoire français une chaîne de supermarchés de près de 1 500 magasins.
Les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF sont également spécialisées dans la grande distribution, l'une dans sur le secteur des hypermarchés avec 242 magasins représentant 10,6 % du marché et l'autre pour les magasins de surface plus modeste avec 10,2 % du marché et plus de 1 000 magasins. Ces deux sociétés appartiennent au Groupe Carrefour.
Au mois d'avril 2016, le groupe Carrefour a lancé deux campagnes publicitaires télévisées :
- à compter du 10 avril 2016 et jusqu'au 23 avril 2016 un spot télévisé relatif à quatre vêtements de la marque Tex(r) sous la désignation " une collection créée par quatre champions ", à savoir un tee-shirt " je ne peux pas j'ai piscine " au prix de 9,90 euros, une chemise au prix de 14,90 euros, une paire de tennis au prix de 9,90 euros et un débardeur au prix de 9,90 euros. Ce spot publicitaire faisait intervenir à l'écran quatre sportifs français.
- à compter du 24 avril 2016, un spot télévisé relatif à une chaise en acier de la marque Hyba(r) au prix de 34,90 euros et un fauteuil design de la marque Hyba(r) au prix de 25 euros.
Soutenant que ces spots publicitaires enfreignaient les dispositions de l'article 8 du décret n° 98-280 du 27 mars 1992 fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat, la société Lidl a introduit six requêtes aux fins de mesures d'instruction, devant le président du tribunal de commerce d'Evry, de Caen, de Grenoble, de Montpellier, de Versailles et de Lyon, en vue d'établir la preuve de ce que les produits visés par les publicités des sociétés Carrefour n'étaient pas disponibles à la vente pendant une durée d'au moins 15 semaines suivant la diffusion desdits spots publicitaires et d'établir le caractère évolutif des prix affichés dans les spots publicitaires.
Par ordonnances des 13, 18 et 20 juillet 2016, les tribunaux consulaires saisis ont autorisé les mesures d'instruction sollicitées sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile et désigné les huissiers instrumentaires afin de réaliser les opérations de constat au sein des magasins Carrefour situés dans leurs ressorts respectifs.
Par acte du 25 novembre 2016, la société Lidl a assigné à bref délai les sociétés Carrefour et CSF en réparation du préjudice subi du fait de pratiques commerciales déloyales et de pratiques commerciales trompeuses.
Par jugement du 5 juillet 2017, le tribunal de commerce d'Evry a :
- dit que la demande de la société Lidl faisant référence à la décision qui sera prise dans l'affaire 2016F212 est irrecevable,
- n'a pas écarté le décret n° 92-280, et n'a pas saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle de ce chef,
- débouté la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF de leur demande de mise hors de cause de la société CSF,
- condamné solidairement la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF à payer à la société Lidl la somme de 332 800 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyales,
- débouté la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF de leurs demandes de dommages et intérêts,
- débouté la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF de leur demande de voir condamner la société Lidl à une amende civile,
- débouté la société Lidl de sa demande de diffuser un texte proposé à la télévision, sur Internet et dans les catalogues Carrefour,
- condamné solidairement la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF à payer à la société Lidl, la somme de 82 445,12 euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs autres demandes, plus amples, ou contraires,
- débouté la société Lidl de sa demande de dire le présent jugement exécutoire sur minute,
- condamné solidairement la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF aux dépens de l'instance, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 88,94 euros TTC.
La société Lidl a formé appel devant la présente cour par déclaration au greffe du 21 juillet 2017 et les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF ont formé appel devant la présente cour par déclaration au greffe du 7 août 2017.
Par ordonnance du 9 janvier 2018, les deux procédures ont été jointes.
La clôture a été ordonnée le 14 mai 2019.
Vu les conclusions du 8 avril 2019 par lesquelles la société Lidl, invite la cour, au visa du décret n° 92-280 du 27 mars 1992, modifié par le décret du 7 octobre 2003, des notes de l'ARPP de juin 2006 et avril 2008, des articles L. 121-1 à L. 121-5 du Code de la consommation et 1240 du Code civil, à :
- déclarer recevable et bienfondé son appel,
- déclarer mal fondé l'appel interjeté par les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF,
En conséquence,
- la recevoir en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- débouter les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSA de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- " dire le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF de leur demande de mise hors de cause de la société CSA, de leurs demandes de dommages et intérêts et de leur demande de voir condamner la société Lidl à une amende civile,
- dire le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF ont diffusé des publicités télévisées portant d'une part sur quatre vêtements de la marque Tex(r) réunis dans une " Collection créée par quatre champions ", et portant d'autre part sur une chaise en acier pour jardin et un fauteuil Design de la gamme Hybra(r), en violation de la règlementation en vigueur (décret n° 92-280 du 27 mars 1992 et article L. 121-4 du Code de la consommation), "
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a évalué son préjudice à la somme de 332.800 euros seulement,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes de condamnation des sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF à des dommages et intérêts pour procédure abusive et à une amende civile,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de diffuser un texte proposé à la télévision, sur internet et dans les catalogues Carrefour,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné solidairement les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF à lui payer la somme de 82 445,12 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
- condamner la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF à lui payer les sommes suivantes :
* 906 510 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice économique subi dès lors qu'elle devra dépenser un tel montant pour contrebalancer les effets négatifs des publicités illicites des sociétés Carrefour,
* 250 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,
* 250 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'image subi,
- condamner la société Carrefour et la société CSF à rétablir l'information des consommateurs et à porter à leur connaissance la commission par les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF des actes de concurrence déloyale précités selon les modalités ci-après :
* en condamnant, sous astreinte définitive de 10 000 euros par manquement constaté, la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF à supporter, dans la limite de 3 000 000 euros, le coût de diffusion d'un communiqué, dont le texte figure ci-après, apparaissant intégralement à l'écran sur un fond noir, en police blanche taille 30, le communiqué étant lu en voix off sans musique de fond: " Par une décision de la cour d'appel de Paris, les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF ont été condamnées pour concurrence déloyale, à raison de manquements à la réglementation interdisant toute publicité télévisée par une opération commerciale de promotion, et de pratique commerciale trompeuse. Ainsi la publicité " Tex(r): une collection créée par quatre champions! " et la publicité présentant une chaise acier Hyba(r) et un fauteuil design Hyba(r) n'ont pas respecté l'exigence de l'existence de stocks suffisants et de stabilité des prix ", et ce pendant une période de 15 jours, sur une ou plusieurs des chaînes suivantes: TF1 et M6 pour 250 spots chacune, C8, TMC, France 2 et NJR12 de son choix,
* à titre subsidiaire, si la cour entendait que ce communiqué ne soit pas diffusé sous la forme de spot télévisé autonome, mais dans le cadre de spots publicitaires Carrefour, elle ordonnera à la société Carrefour Hypermarchés et à la société CSF de diffuser, à leurs frais, le texte du communiqué précité sous la forme d'un bandeau défilant sous les spots télévisés Carrefour sur un fond noir, en police blanche de taille 30, pendant toute la durée du spot télévisé Carrefour, et ce en accompagnement des 1 000 premiers spots diffusés par les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF à partir du huitième jour suivant le prononcé du jugement à intervenir, sur les chaînes suivantes: TF1 et M6 pour 250 spots chacune, C8, TMC, France 2 et NRJ12 pour 125 spots chacune,
* en condamnant sous astreinte définitive de 20 000 euros par site et par jour de retard dans la mise en lige de ce message, la société Carrefour Hypermachés et la société CSF à diffuser le message " Par une décision de la cour d'appel de Paris, les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF ont été condamnées pour concurrence déloyale, d'une part à raison de manquements à la réglementation interdisant toute publicité télévisée pour une opération commerciale de promotion, d'autre part à raison de pratiques commerciales trompeuses, constatées en magasins, sur Internet et à la télévision. Ainsi, la publicité " Tex(r) : une collection créée par quatre champions ! " et la publicité présentant une chaise acier Hyba(r) et un fauteuil design Hyba(r) n'ont pas respecté l'exigence de l'existence de stocks suffisants et de stabilité des prix " sur la page d'accueil du site www.carrefour.fr et sur la page Youtube Carrefour, sous la forme d'une vidéo de 15 secondes démarrant dès consultation de la page et ne pouvant être arrêtée, et ce pendant une durée continue de trente jours, et ce à compter du troisième jour suivant le prononcé de la décision,
* en condamnant la société Carrefour Hyperméchas et la société CSF à reproduire le message " Par une décision de la cour d'appel de Paris, les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF ont été condamnées pour concurrence déloyale, d'une part à raison de manquements à la réglementation interdisant toute publicité télévisée pour une opération commerciale de promotion, d'autre part à raison de pratiques commerciales trompeuses, constatées en magasins, sur Internet et à la télévision. Ainsi, la publicité " Tex(r) : une collection créée par quatre champions ! " et la publicité présentant une chaise acier Hyba(r) et un fauteuil design Hyba(r) n'ont pas respecté l'exigence de l'existence de stocks suffisants et de stabilité des prix sur la page de couverture de leur prochain prospectus consacré, en tout ou parte, à une offre où figure du mobilier ou du textile d'habillement.
- condamner les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF à lui payer la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel,
- dire que les dépens d'appel pourront directement être distraits par la SELARL Lexavoué Paris-Versailles ;
Vu les conclusions du 15 avril 2019 par lesquelles les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF demandent à la cour, au visa des articles 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992, L. 121-2 et suivants du Code de la consommation, 1240 du Code civil et 32-1 du Code de procédure civile, de :
- dire que les publicités litigieuses concernaient les magasins sous enseigne Carrefour dont la majorité sont exploitées par la société Carrefour Hypermarchés et que la société CSF est étrangère à ces actes,
- dire que les études réalisées par les consommateurs au moyen de l'application Mobeye ne présentent aucun caractère certain,
- dire que les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF ont respecté la règlementation applicable dans le cadre des campagnes de publicités " Une collection créée par quatre champions " et gamme de produits jardin Hiba, sous réserve d'un manquement véniel au titre de la collection textile " Une collection créée par quatre Champions ",
- dire que les sociétés Carrefour n'ont commis aucun manquement constitutif d'une pratique commerciale déloyale,
- débouter la société Lidl de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à leur encontre,
En conséquence,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce d'Evry du 5 juillet 2017 en ce qu'il a écarté les pièces issues des études réalisées par les consommateurs au moyen de l'application Mobeye, ces pièces ne présentant aucun caractère certain,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce d'Evry du 5 juillet 2017 en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Lidl (i) au titre d'une prétendue baisse fautive des prix de certains produits objets de publicité télévisée, (ii) au titre d'une prétendue indisponibilité des produits de la gamme de produits de jardin Hiba, (iii) au titre de prétendus préjudices d'image et moral, et (iv) aux fins de rétablissement de l'information du consommateur,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce d'Evry du 5 juillet 2017 en ce qu'il a : (i) condamné les sociétés Carrefour au paiement de la somme de 332 800 euros au titre de dommages e intérêts pour concurrence déloyale, (ii) débouté la société CSF de sa demande de mise hors de cause, condamné les sociétés Carrefour au paiement de la somme de 82 445,12 euros,
Et statuant à nouveau,
- rejeter l'ensemble des demandes formées par la société Lidl,
- condamner la société Lidl à leur payer la somme de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Lidl aux entiers dépens ;
SUR CE, LA COUR,
La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Sur la valeur probante des " études Mobeye "
La société Lidl invoque en partie des " études " réalisées via le site Mobeye, en ce qu'elles constituent un état des prix réalisés par des consommateurs.
Les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF contestent la valeur probante de ces " études ", au motif que l'application Mobeye ne présente aucun caractère certain, s'agissant de photographies réalisées par des consommateurs dans des hypermarchés Carrefour téléchargée sur leur téléphone, que les photographies sont prises par des consommateurs qui sont incités par l'application à gagner de l'argent en réalisant photographies.
C'est à juste titre que les premiers juges ont écarté ces pièces comme n'étant pas probantes, les conditions dans lesquelles les photographies invoquées ont été prises n'étant pas connues ni vérifiables, de sorte que les constations invoquées par la société Lidl ne peuvent être considérées comme pouvant établir les faits allégués.
Sur la mise hors de cause de la société CSF
Les intimées expliquent que la société CSF doit être mise hors de cause, au motif que les publicités visées par la société Lidl ne concernent que des produits promus et vendus par l'enseigne Carrefour, dont la très large majorité des magasins est exploitée par la société Carrefour Hypermarchés, alors que la société CSF exploite les magasins sous enseigne " Market " non concernés par les publicités précitées.
La société Lidl soutient que la marque utilisée dans les publicités pour l'identifier est celle du groupe Carrefour et non celle désignant uniquement ses magasins supermarchés.
La cour relève que la preuve de ce que la société CSF ait été à l'origine de la campagne publicitaire litigieuse n'est pas rapportée, tout comme la commercialisation par elle, dans ses magasins, des produits litigieux.
Par ailleurs, il apparaît que la marque utilisée dans les campagnes publicitaires litigieuses est celle reproduite ci-dessous.
Or, il est établi que seuls les supermarchés sont désignés au sein du groupe Carrefour par la seule marque figurative bleue et rouge, contrairement aux enseignes exploitées par la société CSF reproduites ci-dessous.
Dès lors, il apparaît que le consommateur ne peut confondre le type de magasin dans lequel il trouvera les produits présentés par la campagne publicitaire, aucune preuve n'étant d'ailleurs rapportée par la société Lidl de ce que le consommateur aurait été trompé quant à la désignation du lieu de commercialisation desdits produits.
Il y a donc lieu de mettre hors de cause la société CSF.
Sur les actes de concurrence déloyale concernant les produits de la marque Tex
La société Lidl reproche aux sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF des actes de concurrence déloyale à raison de l'indisponibilité des produits de marque Tex(r) en stock pendant une période minimale de 15 semaines, les stocks disponibles des produits Tex objets du spot publicitaire diffusé à compter du 10 avril 2016 étant insuffisants tel qu'il ressort des procès-verbaux des opérations de constats réalisées les 19 et 22 juillet 2016 dans les magasins à enseigne Carrefour situés dans le ressorts des tribunaux de commerce d'Evry, Caen, Grenoble, Montpellier, Versailles et Lyon. Elle précise que les tee-shirts de marque Tex " je ne peux pas, j'ai piscine " étaient indisponibles dans certains magasins dès le 16 avril 2016, soit moins d'une semaine après la première diffusion du spot publicitaire et alors que la campagne publicitaire était toujours en cours. Elle ajoute que l'ensemble des magasins était dans l'incapacité de proposer à la vente ce tee-shirt quelques jours plus tard, les ruptures de stocks les plus tardives ayant été constatées les 26 et 27 avril 2016, soit au maximum deux semaines et demis après la diffusion du spot publicitaire. Elle ajoute encore que les ruptures de stocks concernant les autres vêtements de marque Tex de la " collection créée par quatre champions " ont été constatées dès le 20 avril pour les paires de tennis, le 22 juin pour les chemises et le 4 mai pour les débardeurs. Elle précise qu'aucun des magasins visités en rupture de stocks pour la collection de vêtement litigieuse n'a été réapprovisionné, ce qui est de nature à établir l'inexistence de stocks. Elle souligne également le caractère promotionnel et occasionnel incontestable de la publicité télévisée portant sur la " collection créée par quatre champions ", les sociétés Carrefour ayant d'ailleurs reconnu le caractère d'opération commerciale de promotion des spots publicitaires diffusés à compter du 10 avril 2016. Elle soutient que le caractère prétendument involontaire des ruptures de stocks ne saurait être pris en considération, dès lors qu'aucun élément intentionnel n'est exigé par les textes. Elle soutient que les sociétés Carrefour ont mis en place des hausses de prix significatives pour la chemise et les tennis de la " collection créée par quatre champions ", la chemise annoncée dans le spot publicitaire à un prix de 14,90 euros a pu être trouvée dans différents magasins au prix de 24,90 euros, la paire de tennis annoncée au prix de 9,90 euros a connu des hausses de prix de 5 euros, le prix pratiqué s'élevant à 14,90 euros. Elle explique, qu'outre ces augmentations de prix, les sociétés Carrefour ont également appliqué des soldes et des réductions de prix sur les vêtements de la " collection créée par quatre champions " de la marque Tex. Elle fait valoir que ces réductions et remises constituent des opérations de liquidation des stocks mises en place en violation des règles applicables dès lors que le délai de 15 semaines, de disponibilité des produits, n'était pas expiré au moment où ont été pratiquées ces remises. Elle en conclut que les sociétés Carrefour ont violé l'exigence de stabilité du prix durant la période de 15 semaines, pour les produits de la marque Tex.
Les sociétés Carrefour répliquent que l'indisponibilité des produits de la gamme textile n'a été constaté que dans trois magasins " la veille " de l'expiration de la période de référence de 15 semaines, et que ces quelques cas isolés et exceptionnels d'indisponibilité ne sont pas suffisants pour caractériser une violation du décret n° 92-280 du 27 mars 1992. Elles considèrent que les constats produits par la société Lidl mettent au contraire en évidence qu'il a été indiqué à l'ensemble des magasins que " les produits doivent être en magasin jusqu'au 5 août inclus " soit au-delà de la période de référence de 15 semaines. Elles ajoutent que le caractère saisonnier de la collection de vêtements litigieuse ne peut également suffire à caractériser le caractère promotionnel desdits produits. Elles expliquent que les indisponibilités constatées dans quelques magasins résultaient du succès commercial des produits en cause, lequel a été sous-estimé par la société Carrefour Hypermarchés. Elles indiquent également que le prix affiché dans les publicités télévisées litigieuses est le prix " normal et stable " du produit et ajoutent que ces prix sont demeurés normaux et stables durant toute la période de 15 semaines. Elles estiment que les constats d'huissier prouvent que les prix affichés dans le cadre des spots publicitaires ont été ceux pratiqués en magasins. Elles indiquent aussi que les fiches produits adressées aux magasins sous enseigne Carrefour relatives à la politique tarifaire de la société Carrefour Hypermarchés confirment la stabilité des prix annoncés. Elles soutiennent que la pratique des soldes pendant la période de référence de 15 semaines n'est pas contraire aux recommandations de l'ARPP. Elles estiment que si le critère de stabilité et l'obligation faite aux distributeurs de garantir la disponibilité des produits pendant une période de 15 semaines empêche le distributeur de revoir à la hausse le prix pendant cette période de référence, rien n'empêche néanmoins le distributeur de permettre au consommateur de bénéficier sur ces produits de rabais sur le prix de référence annoncé via le spot publicitaire télévisé. Elles expliquent que l'application ultérieure d'un rabais ne saurait suffire à qualifier le prix annoncé dans le spot de prix promotionnel, mais démontre à contrario le caractère normal du prix annoncé. A titre subsidiaire, elles affirment que les produits textiles de la gamme Tex(r) n'ont pas fait l'objet de " prix cassés " de nature à expliquer la rapidité d'écoulement des stocks.
Sur la disponibilité des produits
La campagne de publicité télévisuelle litigieuse porte sur quatre vêtements de la marque Tex(r) sous la désignation " une collection créée par quatre champions ", un tee-shirt " je ne peux pas j'ai piscine " au prix de 9,90 euros, une chemise au prix de 14,90 euros, une paire de tennis au prix de 9,90 euros et un débardeur au prix de 9,90 euros, faisant intervenir à l'écran quatre sportifs français, entre le 10 et le 23 avril 2016, à savoir :
L'action intentée par la société Lidl est fondée sur la violation, par les sociétés Carrefour, de l'article 8 du décret de 1992, tel qu'interprété par l'ARPP.
L'article 8 du décret n°92-280 du 27 mars 1992 dispose : " Est interdite la publicité concernant, d'une part, les produits dont la publicité télévisée fait l'objet d'une interdiction législative et, d'autre part, les produits et secteurs économiques suivants : " distribution pour les opérations commerciales de promotion se déroulant entièrement ou principalement sur le territoire national ". Au sens du présent décret, on entend par opération commerciale de promotion toute offre de produits ou de prestations de services faite aux consommateurs ou toute organisation d'événements qui présente un caractère occasionnel ou saisonnier, résultant notamment de la durée de l'offre, des prix et des conditions de vente annoncés, de l'importance du stock mis en vente, de la nature, de l'origine ou des qualités particulières des produits ou services ou des produits ou prestations accessoires offerts ".
Cet article prohibe les opérations commerciales de promotion télévisuelle dans le secteur de la distribution.
L'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) a édicté en juin 2006 une note de doctrine explicitant cet article. Il y est notamment précisé que : " Pour pouvoir communiquer en publicité télévisée sur le prix des produits et services, le distributeur doit déclarer au BVP que le prix pratiqué et la disponibilité du produit (stock) ne sont pas promotionnels, à savoir que le prix est normal, stable, qu'il s'inscrit, avec la disponibilité du produit ou du service correspondant, dans la durée. Ainsi pourra constituer une période de référence, une durée de 15 semaines de maintien du prix annoncé et des stocks disponibles. Toutefois, cette durée pourra être appréciée après examen par le BVP en tenant compte de la nature des produits ou services ".
Il en résulte à contrario que l'indisponibilité des produits pendant ce délai de 15 semaines caractérise des publicités promotionnelles interdites.
La grille de lecture élaborée par l'ARPP permet donc d'interpréter l'interdiction de diffusion à la télévision d'opérations commerciales de promotion prévue par l'article 8 du décret de 1992. Le délai de 15 semaines de maintien du prix annoncé et de mise en vente effective des produits a été fixé en accord avec l'inter profession publicitaire.
Les opérations promotionnelles à la télévision sont interdites. Peuvent être qualifiées de promotions les opérations " éphémères ", caractérisées par une exposition à la vente en magasin courte, inférieure à 15 semaines. En effet, pour rappel, l'ARPP considère que n'est pas une opération commerciale de promotion une campagne qui s'inscrit dans la durée, c'est-à-dire dont les produits sont en magasin pendant 15 semaines.
En l'espèce, les procès-verbaux de constat d'huissier du 19 juillet 2016, dont le contenu n'est pas contesté, démontrent que :
- au Carrefour du centre commercial d'Evry, les tennis et la chemise ne sont plus présentes en magasins, deux exemplaires des débardeurs sont proposés,
- au Carrefour de Sainte Geneviève des Bois, au Carrefour à Athis-Mons, " les produits Lacourt, les produits Simon, les tennis et les débardeurs " ne sont plus en vente ni en stock,
- au Carrefour des Ulis au centre commercial Les Ulis 2, les 4 articles ont été livrés en une seule fois ; il n'a pas été possible de faire un réassort ; le tee-shirt a été vendu en quelques jours,
- au Carrefour de la Ville du Bois, aucun tee-shirt ni chemise n'est proposé à la vente contrairement aux tennis, au 14 avril 9 paires de tennis en taille 38 étant en stock et au 19 juillet 5 restant en magasin, et 8 en taille 41 au 14 avril et au 19 juillet 1 restant en magasin et aux débardeurs, 9 produits étant en stock au 14 avril et 5 au 19 juillet,
- au Carrefour d'Etampes, le débardeur couleur corail avait 6 produits en stock au 14 avril et 2 encore le 19 juillet, les tennis en taille 38 et 41 n'ont pas été livrées,
- au Carrefour de St Egrève, 4 débardeurs et des chemises sont proposées à la vente,
- au Carrefour de Echirolles, " s'agissant de produits saisonniers, ils ne sont plus en rayon ", mais " ils se trouvent en stock pour ceux pour lesquels il en reste ",
- au Carrefour de Meylan, les 4 produits textiles ne sont pas en rayon,
- au Carrefour à Caen, les tee-shirts, chemises et débardeurs ne sont plus proposés à la vente, et une paire de tennis taille 41 est en rayon,
- au Carrefour d'Hérouville St Clair, 4 débardeurs sont en rayon, et plus aucun tee-shirt, chemise et tennis ne sont en rayon comme en réserve,
- au Carrefour de Mondeville, 2 débardeurs sont en rayon, et plus aucun tee-shirt, chemise et tennis ne sont en rayon comme en réserve,
- au Carrefour de Chambourcy, 1 débardeur est en rayon, et plus aucun tee-shirt, chemise et tennis ne sont en rayon comme en réserve,
- au Carrefour de Limay, il ne reste aucun produit textile litigieux en rayon et en stock,
- au Carrefour de Montigny le Bretonneux, les produits textiles litigieux sont en surface soldées en rayon,
- au Carrefour de Flin sur Seine, il ne reste aucun produit textile litigieux en rayon et en stock.
Le procès-verbal de constat d'huissier du 20 juillet 2016, dont le contenu n'est pas contesté, démontre qu'au Carrefour de Montesson, il ne reste aucun produit textile litigieux en rayon et en stock depuis la mi-mai.
Le procès-verbal de constat d'huissier, dont le contenu n'est pas contesté, du 22 juillet 2016 démontre que :
- au Carrefour de Sète-Ballaruc, 4 débardeurs sont en rayon, et plus aucun tee-shirt, chemise et tennis ne sont en rayon comme en réserve,
- au Carrefour de Lattes, les tee-shirts ne sont plus en rayon ni en stock, 16 chemises, 6 paires de tennis et 4 débardeurs sont en rayon soldés,
- au Carrefour de Le Cres, de Givors et de Vénissieux, il ne reste aucun produit textile litigieux en rayon et en stock,
- au Carrefour de Vaulx en Velin, 6 débardeurs sont en rayon et aucune chemise ni paire de tennis n'est en rayon ou en stock,
- au Carrefour d'Ecully, 2 débardeurs sont en rayon, et plus aucun tee-shirt, chemise et tennis ne sont en rayon comme en réserve.
Les procès-verbaux de constat ont été réalisés à la demande de la société Lidl à compter du 19 juillet 2016, soit 13 semaines et demi après la fin de la diffusion des spots télévisés et alors que la période de soldes avait débuté.
Il ressort de l'ensemble de ces constatations que les quatre produits textiles dont il est question ne sont plus en stock dans 11 des 24 magasins visités, que les tee-shirts ne sont plus en stock nulle part, que les débardeurs sont toujours en rayon dans 12 des 24 magasins, et que quelques paires de tennis et chemises sont toujours en vente dans 3 des 24 magasins visités.
Les listings remis aux huissiers démontrent qu'il y a encore quelques produits Tex litigieux en stock dans des magasins, sauf en ce qui concerne les tee-shirts, ceux-ci ayant très vite été en rupture de stock, ce que reconnaît d'ailleurs la société Carrefour Hypermarchés.
Dès lors, s'agissant des tee-shirts, il convient de considérer qu'il s'agit d'une opération promotionnelle, ce produit ayant très vite été en rupture de stock, n'ayant pas fait l'objet d'un réassort et n'étant plus disponible dans aucun magasin au moment de la réalisation des constats d'huissier. La diffusion de la publicité télévisuelle par la société Carrefour Hypermarchés constitue, au regard du stock insuffisant mis en vente et de la limitation de l'offre commerciale dans la durée, une opération de promotion commerciale interdite par l'article 8 du décret précité, le seul succès commercial ne pouvant suffire à justifier cette insuffisance de stock. En réalisant des promotions commerciales par voie télévisuelle en violation de l'article 8 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 modifié par le décret du 7 octobre 2003, la société Carrefour Hypermarchés se rend responsable d'une pratique de concurrence déloyale à l'égard de la société Lidl, placée de ce fait dans une situation moins favorable.
En revanche, s'agissant des autres produits, à savoir les chemises, les paires de tennis et les débardeurs, il apparaît que les stocks étaient suffisants puisqu'ils sont encore disponibles dans certains magasins plus de 13 semaines et demie après la fin de la diffusion de la publicité télévisuelle contestée et en stock tel qu'il ressort des listings communiqués aux huissiers de justice. En outre, un des listings remis à l'huissier de justice démontre que la société Carrefour Hypermarchés a donné instruction aux hypermarchés de garder en magasin ces produits jusqu'au 5 août 2016. Dès lors, il ne peut pas être considéré que cette opération de commercialisation de ces trois autres produits est promotionnelle. La preuve d'une pratique déloyale n'est pas établie à ce titre.
Sur la stabilité des prix
L'article 8 du décret précité précise notamment que "Au sens du présent décret, on entend par opération commerciale de promotion toute offre de produits ou de prestations de services faite aux consommateurs ou toute organisation d'événement qui présente un caractère occasionnel ou saisonnier, résultant notamment de la durée de l'offre, des prix et des conditions de vente annoncés, de l'importance du stock mis en vente, de la nature, de l'origine ou des qualités particulières des produits ou services ou des produits ou prestations accessoires offerts." (C'est la cour qui souligne).
Il apparaît donc que l'appréciation quant à la violation du texte susvisé ne peut être réalisée qu'au regard des prix annoncés pour apprécier si l'offre présente un caractère occasionnel ou saisonnier.
La société Lidl reproche notamment à la société Carrefour Hypermarchés d'avoir commercialisé des produits objets de la campagne de publicité à un prix supérieur à celui annoncé. Or, les seuls éléments de preuve ne sont issus que du site Mobeye dont il a été dit supra que ses extractions ne pouvaient être considérées comme probantes.
S'agissant du grief relatif à la vente à un prix inférieur à celui annoncé dans la publicité litigieuse, il convient de relever que ladite publicité ne présente pas les prix annoncés comme étant des prix promotionnels, aucune remise par rapport à un prix initial n'étant évoquée. Dès lors, la commercialisation de ces produits en magasin à un prix inférieur à celui annoncé ne peut constituer une faute au sens de l'article 8 précité, aucune communication ni publicité n'ayant été réalisées pour diffuser la baisse du prix annoncé dans la publicité télévisée.
Les demandes à ce titre de la société Lidl doivent donc être rejetées.
Sur les actes de concurrence déloyale concernant les produits de la marque Hyba
La société Lidl reproche à la société Carrefour Hypermarchés d'avoir commercialisé les produits de la marque Hyba à un prix inférieur à celui annoncé dans la campagne publicitaire télévisée. Or, il a été relevé ci-dessus que cette circonstance ne peut être retenue pour caractériser une violation de l'article 8 du décret précité. Le grief est donc infondé.
Les demandes de la société Lidl de ce chef doivent donc être rejetées.
Sur les pratiques commerciales trompeuses concernant les produits de la marque Hyba
La société Lidl fait grief aux sociétés Carrefour d'avoir affiché en magasin le fauteuil design de marque Hyba(r) au prix de 25 euros dans le cadre d'une opération intitulée " les jours hyper-optimistes - plus que 7 jours pour en profiter ! - du 10 au 16 mai 2016 ", alors même que ce prix de 25 euros était annoncé dans la publicité télévisée diffusée du 24 avril 2016 au 8 mai 2016. Elle estime que les sociétés Carrefour ont présenté comme exceptionnel un prix antérieurement annoncé comme le prix de vente normal par le biais d'une publicité télévisée, ce qui est constitutif d'une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L. 121-2 du Code de la consommation qui proscrit en son alinéa 2 les informations " de nature à induire en erreur et portant sur le caractère promotionnel du prix ". Elle estime que cette pratique a nécessairement eu un effet sur le comportement économique du consommateur, dès lors que, dans le cadre de cette opération, il est déclaré que le produit n'est disponible qu'au prix de 25 euros que pendant une période de 7 jours. Elle ajoute qu'en application des dispositions de l'article L. 121-4, 7° du Code de la consommation, cette pratique est aussi réputée trompeuse. Elle en déduit qu'il n'est pas nécessaire d'établir l'altération du comportement économique du consommateur, laquelle est présumée.
Les sociétés Carrefour soutiennent que la présentation du fauteuil design Hyba(r) sur une affiche " les jours hyper optimistes " n'est pas de nature à altérer le comportement du consommateur, le prix présenté étant le prix normal du produit, annoncé lors de la publicité télévisée, et l'affiche ne faisant mention d'aucun rabais ou baisse de prix. Elles ajoutent que les pratiques visées à l'article L. 121-4 du Code de la consommation ne sont pas trompeuses si " le défendeur peut établir l'absence de caractère trompeur ou out au moins l'insuffisance de gravité qui serait susceptible de modifier le comportement économique du consommateur ". La circonstance que le prix soit présenté à son prix normal de 25 euros, prix auquel il a été vendu pendant la période de 15 semaines, justifie que soit écartée la qualification de pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L. 121-4, 7° du Code de la consommation. Elles demandent à la cour de constater qu'en tout état de cause l'effet de l'affiche sur le comportement économique du consommateur n'est pas établi.
Selon l'article L. 121-4 du Code de la consommation :
" Sont réputées trompeuses, au sens des articles L. 121-2 et L. 121-3, les pratiques commerciales qui ont pour objet :
5° De proposer l'achat de produits ou la fourniture de services à un prix indiqué sans révéler les raisons plausibles que pourrait avoir le professionnel de penser qu'il ne pourra fournir lui-même ou faire fournir par un autre professionnel, les produits ou services en question ou des produits ou services équivalents au prix indiqué, pendant une période et dans des quantités qui soient raisonnables compte tenu du produit ou du service, de l'ampleur de la publicité faite pour le produit ou le service et du prix proposé ;
6° De proposer l'achat de produits ou la fourniture de services à un prix indiqué, et ensuite :
a) De refuser de présenter aux consommateurs l'article ayant fait l'objet de la publicité ;
b) Ou de refuser de prendre des commandes concernant ces produits ou ces services ou de les livrer ou de les fournir dans un délai raisonnable ;
c) Ou d'en présenter un échantillon défectueux, dans le but de faire la promotion d'un produit ou d'un service différent ".
En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Carrefour Hypermarchés a procédé à Nantes à une opération " les jours hyper optimistes " dans laquelle elle a affiché dans ledit hypermarché la publicité suivante :
Cette publicité porte sur la commercialisation du fauteuil de jardin Relax de marque Hyba au prix de 25 euros avec la mention " plus que 7 jours pour en profiter ", ce qui laisse très clairement penser au consommateur que ce produit ne sera disponible que pendant 7 jours au prix de 25 euros, alors que ce fauteuil a été commercialisé pendant plusieurs semaines à ce prix, ayant d'ailleurs fait l'objet d'une campagne de publicité télévisée jusqu'au 8 mai 2016.
Dès lors, cette publicité est trompeuse, laissant croire au consommateur qu'il ne pourra trouver ce produit au prix de 25 euros uniquement pendant la semaine des " jours hyper optimistes ", alors qu'il est constant que ces produits ont été proposés à la vente au moins 15 semaines.
Le comportement économique du consommateur à Nantes, qui a eu connaissance de cette publicité dans l'hypermarché Carrefour, a nécessairement été altéré, étant habitué à ces opérations promotionnelles temporaires sur une durée limitée.
La société Carrefour Hypermarchés a donc commis une faute, uniquement en ce qui concerne la diffusion de cette publicité dans le supermarché Carrefour de Nantes, constitutive d'acte de concurrence déloyale à l'égard de la société Lidl.
Sur l'utilisation du logo Carrefour
La société Lidl soutient que par l'emploi du logo Carrefour, et du slogan " j'optimisme " dans les deux spots télévisés il était laissé entendre que les produits promus étaient vendus dans l'ensemble des magasins à enseigne Carrefour, alors que ces produits ne pouvaient être achetés que dans les seuls hypermarchés de l'enseigne. Elle estime qu'en l'absence de mention relative aux formats de magasins participant à cette opération de promotion, dans les spots ou sur le site internet www.carrefour.fr, le consommateur pouvait légitimement penser que les produits étaient disponibles dans l'ensemble des magasins sous enseigne Carrefour. En outre, elle estime que la notoriété de la marque et de l'enseigne Carrefour conduisent à une modification du comportement économique du consommateur, et qu'en raison de l'imprécision sur la location des points de vente, après avoir visionné le spot publicitaire, le client intéressé se rendra dans n'importe quel magasin de l'enseigne et ne pourra savoir qu'une fois sur place si le produit est disponible ou non. Elle en conclut que le comportement du consommateur est économiquement altéré, ce qui prive en outre les concurrents de ventes significatives. Elle en déduit que la démarche publicitaire est trompeuse et mensongère. Elle réfute l'argument avancé par les sociétés Carrefour au terme duquel le logo employé serait propre aux hypermarchés Carrefour et serait exclusif de toute confusion dans l'esprit du consommateur, dès lors que d'une part les sociétés Carrefour ne produisent aucun élément susceptible de démontrer le rattachement par le public du logo Carrefour et du slogan " j'optimisme " aux seuls hypermarchés Carrefour, et d'autre part le logo est utilisé notamment en en-tête du site internet www.carrefour.fr afin de désigner l'ensemble des magasins, de même que le slogan qui a vocation à désigner " les supermarchés, marchés et hypermarchés " de l'enseigne. Elle estime que cette pratique est également susceptible de constituer une violation des dispositions des articles L. 121-2 et L. 121-3 du Code de la consommation.
La société Carrefour Hypermarchés réplique que loin de laisser entendre aux consommateurs que les produits présentés étaient disponibles dans tous les magasins de la marque, l'utilisation du logo et du slogan de l'enseigne Carrefour à la fin de chacune des publicités télévisées prive au contraire celles-ci de toute ambiguïté quant au lieu de commercialisation des produits objets des spots publicitaires. Elle soutient que le nom Carrefour et le logo associé ne figurent sur les seuls hypermarchés de l'enseigne, lequel se distingue des logos utilisés par les autres magasins du groupe Carrefour, notamment des logos des supermarchés exploités sous l'enseigne Market par la société CSF. Elle estime qu'aucune confusion n'est dès lors possible dans l'esprit du consommateur, le logo utilisé dans les publicités litigieuses faisant référence aux seuls hypermarchés Carrefour dans lesquels les produits ont effectivement été mis en vente. L'utilisation de ce logo est selon elle suffisante pour assurer l'identification de l'annonceur au titre de l'article L. 121-3 du Code de la consommation, l'ARPP indiquant également que l'identification de l'annonceur " peut se faire par la/les marque(s) de l'annonceur, ou tout autre signe distinctif rattaché sans ambiguïté à l'annonceur ". Or l'utilisation du logo de l'enseigne, connu de tous les consommateurs, est suffisant pour identifier l'annoncer et informer les consommateurs que les produits sont venus dans les magasins sous enseigne carrefour.
Il a été relevé supra que la confusion quant au type de magasin dans lesquels les produits étaient effectivement commercialisés n'était pas établie, la marque présentée avec le logo Carrefour rouge et bleu ne visant que les hypermarchés, lieu dans lesquels étaient uniquement commercialisés les produits litigieux, et la preuve de la notoriété de cette marque qui aurait laissé penser au consommateur que les produits étaient commercialisé dans l'ensemble des magasins du groupe Carrefour n'est pas démontrée.
S'agissant de l'utilisation de la marque " j'optimisme ", si celle-ci a été déposée en visant l'ensemble des magasins, l'utilisation de la couleur bleue fait ici directement référence aux seuls Codes couleurs relatifs aux hypermarchés du groupe Carrefour, de sorte qu'aucune confusion n'est établie.
Dès lors, l'utilisation de la marque aux couleurs des seuls hypermarchés désigne sans ambiguïté les seuls hypermarchés du groupe Carrefour, de sorte que l'ensemble des griefs formulés par la société Lidl à ce titre n'est pas constitué et doit être rejeté.
Sur le préjudice subi par la société Lidl
La société Lidl soutient qu'en enfreignant les dispositions du décret du 27 mars 1992 et de l'article L. 121-4, 5° et 7° du Code de la consommation, les sociétés Carrefour lui ont causé un préjudice économique résultant de l'avantage concurrentiel indu dont ont bénéficié celles-ci au détriment de leurs concurrents. Elle soutient que son préjudice financier correspond à un manque à gagner sur la vente de produits similaires aux produits illégalement promus par Carrefour, et en considération des ventes manquées par la société Lidl au profit de Carrefour lorsque les consommateurs attirés par les publicités n'ont pas pu trouver les produits attendus en magasin mais ont sur place procédé à d'autres achats. Elle demande la réparation de son préjudice calculé sur " le coût de la publicité que [les sociétés] devraient diffuser en réponse à chacune des campagnes illicites de Lidl, pour contrebalancer l'effet de captation de ces campagnes à leur détriment ". A cet égard, elle note qu'il ressort des pièces versées aux débats que le budget relatif à la campagne publicitaire des produits de marque Tex(r) est de 4 330 000 euros et celui de la campagne publicitaire des produits de marque Hyba(r) de 2 956 000 euros. Elle estime en considération de sa part de marché, soit 5,9 %, qu'afin de contrebalancer les effets néfastes de ces publicités illicites sur son chiffre d'affaires elle devra réaliser des investissements bruts d'un montant total de 406 510 euros (255 470 + 151 040). Elle fait valoir que cette méthode ne permet pas de déterminer l'intégralité de son préjudice économique réel. Elle estime en effet que compte tenu des circonstances aggravantes qui ont constitué au préjudice subi, elle est légitime à solliciter à titre complémentaire une condamnation à hauteur de 500 000 euros, portant ainsi son préjudice économique à la somme totale de 906 510 euros.
Les sociétés Carrefour répliquent qu'en l'absence de caractérisation d'une pratique commerciale trompeuse, et en présence d'un unique manquement isolé à la réglementation sur la publicité télévisée dans quelques magasins, la société Lidl ne saurait se prévaloir d'un quelconque préjudice financier, moral ou d'image. Elles ajoutent que la société Lidl qui prétend avoir subi un manque à gagner sur les ventes de produits similaires ou de substitution n'établit aucunement qu'elle aurait proposé des produits concurrents aux produits litigieux. De même, elles estiment que le quantum du prétendu dommage de la société Lidl n'est pas plus justifié, la société Lidl ne communiquant aucun élément probant permettant de quantifier le dommage allégué. Au contraire, elles soulignent que la société Lidl a connu une progression de sa part de marché en 2016, laquelle est passé de 4,3 % en 2013 à 5,1 %, ce qui est de nature à écarter le préjudice économique. Enfin, elles s'opposent à l'application de la méthode d'évaluation du préjudice dégagée dans un cas d'espèce différent, cette méthode étant sans pertinence au regard de l'unique manquement à la réglementation sur la publicité télévisée constaté dans quelques magasins. En tout état de cause, elle souligne que la société Lidl ne peut se fonder sur le montant brut des campagnes télévisées, lequel est très éloigné du montant net effectivement dépensé.
Du fait de la commercialisation du tee-shirt Tex
Le seul préjudice subi par la société Lidl au niveau national a été causé par la campagne de publicité de la société Carrefour Hypermarchés pour le seul tee-shirt, aucune faute n'ayant été commise pour la commercialisation des trois autres produits objet de la campagne.
Il y a lieu de prendre en compte, pour évaluer le préjudice subi par la société Lidl, le coût de la publicité qu'elles devraient diffuser en réponse à la campagne illicite de la société Carrefour Hypermarchés, pour contrebalancer l'effet de captation de cette campagne à son détriment.
Il n'est pas contesté que le coût de la campagne des quatre produits Tex litigieux s'est élevé à la somme totale de 4 330 000 euros. Seule la publicité du tee-shirt étant fautive, il convient de retenir comme coût de campagne publicitaire de 1 082 500 euros (4 330 000 : 4).
La société Lidl qui est victime de ces pratiques, devra réaliser, pour contrebalancer les effets négatifs de cette publicité illicite sur son propre chiffre d'affaires, une campagne proportionnelle à sa propre part de marché, soit 5,1 % en 2016, date à laquelle la faute a été commise, soit engager une dépense de 55 207,50 euros (5,1 % de 1 082 500).
S'agissant d'une seule publicité, aucun autre préjudice n'est établi par la société Lidl, l'effort de reconquête n'étant pas justifié. Il en est de même de ses préjudices moral et d'image qui ne sont pas établis, pour les mêmes motifs. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu non plus de procéder à la publication de la présente décision.
Du fait de la commercialisation du fauteuil Relax de marque Hyba à Nantes
Le préjudice de la société Lidl ne porte que sur la seule publicité géographiquement très délimitée ne portant que sur le seul hypermarché de Nantes, sur un produit pendant 7 jours, sans lien avec la campagne de publicité télévisée sur le même produit qui ne fait l'objet d'aucune faute, de sorte qu'elle est limitée la somme de 10 000 euros, au titre des efforts publicitaires nécessaires à engager localement pour contrebalancer les effets de la publicité illicites.
S'agissant d'une seule publicité réalisée dans un seul hypermarché pendant 7 jours, aucun autre préjudice n'est établi par la société Lidl, l'effort de reconquête n'étant pas justifié. Il en est de même de ses préjudices moral et d'image qui ne sont pas établis, pour les mêmes motifs. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu non plus de procéder à la publication de la présente décision.
Le jugement doit donc être confirmé sauf en ce qu'il a :
- débouté la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF de leur demande de mise hors de cause de la société CSF,
- condamné solidairement la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF à payer à la société Lidl la somme de 332 800 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyales,
- condamné solidairement la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF à payer à la société Lidl, la somme de 82 445,12 euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné solidairement la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF aux dépens de l'instance, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 88,94 euros TTC.
Statuant à nouveau, il y a lieu de mettre hors de cause la société CSF et de condamner la société Carrefour Hypermarchés à payer à la société Lidl les sommes de :
- 55 207,50 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la publicité illicite pour le Tee-shirt Tex constitutive d'acte de concurrence déloyale,
- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la publicité illicite pour le fauteuil Relax Hyba dans l'hypermarché de Nantes constitutive d'acte de concurrence déloyale.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
La société Carrefour Hypermarchés doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer la somme de 20 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par les sociétés Carrefour Hypermarchés et CSF.
Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement sauf en ce qu'il a : Débouté la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF de leur demande de mise hors de cause de la société CSF, Condamné solidairement la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF à payer à la société Lidl la somme de 332 800 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyales, Condamné solidairement la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF à payer à la société Lidl, la somme de 82 445,12 euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamné solidairement la société Carrefour Hypermarchés et la société CSF aux dépens de l'instance, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 88,94 euros TTC ; Statuant à nouveau, Met hors de cause la société CSF ; Condamne la société Carrefour Hypermarchés à payer à la société Lidl les sommes de : 55 207,50 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la publicité illicite pour le Tee-shirt Tex constitutive d'acte de concurrence déloyale, 10 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la publicité illicite pour le fauteuil Relax Hyba dans l'hypermarché de Nantes constitutive d'acte de concurrence déloyale ; Condamne la société Carrefour Hypermarchés aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer la somme de 20 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ; Rejette toute autre demande.