ADLC, 24 juin 2019, n° 19-D-13
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des huissiers de justice
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Cyril Rollet, rapporteur, , l'intervention de M. Thomas Piquereau, rapporteur général adjoint, par M. Emmanuel Combe, vice-président, président de séance, Mme Valérie Bros, Mme Catherine Prieto, M. Jean-Yves Mano, membres.
L'Autorité de la concurrence (section III),
Vu la décision n° 18-SO-20 du 28 novembre 2018, enregistrée sous le numéro 18/0180 F, par laquelle l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office concernant les pratiques d'adhésion des bureaux communs de signification ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu le procès-verbal de transaction du 15 février 2019 signé par le rapporteur général adjoint et le Bureau commun de signification des Hauts-de-Seine en application des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu la décision de secret des affaires n° 18-DSA-443 du 07 décembre 2018 ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par le Bureau commun de signification des Hauts-de-Seine ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et le représentant du Bureau commun de signification des Hauts-de-Seine, entendus lors de la séance du 17 avril 2019 ; Adopte la décision suivante :
Résumé1 :
Aux termes de la présente décision, l'Autorité sanctionne le Bureau commun de signification des Hauts-de-Seine (ci-après " le BCS des Hauts-de-Seine ") pour avoir mis en œuvre une entente dans le secteur de la signification des actes relevant des huissiers de justice dans le département des Hauts-de-Seine, tendant à limiter l'accès au marché et le libre exercice de la concurrence par des études d'huissiers de justice, en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Ces pratiques ont donné lieu à une auto-saisine de l'Autorité.
Le BCS des Hauts-de-Seine, conformément à son objet statutaire, est une société civile de coopération qui a pour but de réduire, au bénéfice de ses membres et par l'effort commun de ceux-ci, le prix de revient de certaines prestations relatives à l'exercice de leur profession, et notamment la signification des actes d'huissiers de justice.
L'Autorité constate que les conditions et procédure d'admission de nouveaux membres au sein du BCS des Hauts-de-Seine sont non objectives, non transparentes et discriminatoires, tout comme les conditions et procédure de retrait et d'exclusion pour motif grave ou pour non-respect de la clause d'exclusivité.
S'agissant en particulier des conditions d'adhésion, les statuts du BCS des Hauts-de-Seine ont fait l'objet de deux modifications, le 1er janvier 2015 et le 1er mars 2018, concomitamment à l'adoption et à l'entrée en vigueur de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 favorisant la création de nouvelles études d'huissiers de justice. En imposant désormais, à tout nouveau membre issu de la libre installation, le paiement d'un droit d'entrée d'un montant minimum de 300 000 euros, les pratiques visaient à les dissuader d'adhérer au BCS des Hauts-de-Seine, et contrevenaient, plus globalement, à la volonté du législateur de favoriser la création de nouveaux offices d'huissiers de justice.
L'Autorité a suivi sa pratique décisionnelle, déjà fournie s'agissant des conditions d'adhésion ou d'exclusion non objectives, non transparentes et discriminatoires d'un organisme collectif. Elle a retenu que ces pratiques avaient eu pour objet de faire obstacle au jeu de la concurrence sur le marché, et ce d'autant plus que le BCS des Hauts-de-Seine regroupe depuis sa constitution l'ensemble des études d'huissier du département, à l'exception d'un huissier récemment nommé et issu de la libre installation.
Le BCS des Hauts-de-Seine a sollicité de l'Autorité le bénéfice de la procédure de transaction, en application des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce. La mise en œuvre de la procédure de transaction a donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal de transaction, signé par le représentant du BCS des Hauts-de-Seine et le rapporteur général, fixant le montant maximal et le montant minimal de la sanction pécuniaire qui pourrait être infligée par l'Autorité. Le BCS a par ailleurs proposé des engagements.
L'Autorité, après avoir examiné l'ensemble des faits du dossier, a estimé qu'il y avait lieu de prononcer une sanction pécuniaire de 120 000 euros, montant compris dans la fourchette figurant dans le procès-verbal de transaction, a pris acte des engagements souscrits et les a rendus obligatoires.
I. Constatations
A. LA PROCÉDURE
1. Par décision du 28 juin 2018, prise en application de l'article L. 450-6 du Code de commerce, les services d'instruction de l'Autorité de la concurrence ont ouvert une enquête relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des huissiers de justice, répertoriée sous le numéro 18/0121 E (cote 6).
2. À la suite de cette enquête, l'Autorité s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur des huissiers de justice, par décision n° 18-SO-20 du 28 novembre 2018, enregistrée sous le numéro 18/0180 F (cote 2).
3. Le 27 décembre 2018, le rapporteur général de l'Autorité a adressé une notification de griefs pour des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce au Bureau commun de signification des Hauts-de-Seine (ci-après " le BCS ").
B. LE SECTEUR D'ACTIVITÉ CONCERNÉ ET SES ÉVOLUTIONS
4. Le secteur concerné par les pratiques est celui de la signification d'actes par huissier de justice.
1. LA SIGNIFICATION PAR HUISSIERS DE JUSTICE
5. La signification d'un acte est une formalité réalisée par un huissier de justice et qui consiste à informer une personne du contenu d'un acte. Elle est encadrée par un certain formalisme et acquiert, en contrepartie, une force juridique. Un certain nombre d'actes ou de décisions de justice doivent faire l'objet d'une signification, comme par exemple, s'agissant d'actes judiciaires, les citations à comparaître et les assignations en justice ou, s'agissant d'actes extrajudiciaires, les congés, les offres ou les demandes de renouvellement de bail commercial ou encore les cessions de fonds de commerce.
6. En vertu de l'article 6 de la loi du 27 décembre 1923 relative à la suppléance des huissiers blessés et à la création des clercs assermentés, les actes judiciaires ou extra judiciaires, doivent " à peine de nullité, être signifiés par huissiers ou par clercs assermentés ".
7. Les huissiers de justice sont " les officiers ministériels qui ont seuls qualité pour signifier les actes et les exploits " (l'article 1er de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers). Pour leur part, les clercs assermentés sont attachés à une étude et prêtent " serment devant le juge d'instance dans le ressort duquel réside le titulaire de l'étude " (article 11 de la loi du 27 décembre 1923 précitée, voir également article 10).
8. S'agissant de la compétence territoriale des huissiers de justice, si elle s'exerçait originellement dans le ressort du tribunal de grande instance de leur résidence professionnelle (articles 5 et suivants du décret n° 56-222 du 29 février 1956 pris pour l'application de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice, dans sa version antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques), son périmètre a été élargi par la loi du 6 août 2015 précitée. Désormais, les huissiers de justice ont l'obligation d'exercer leur compétence territoriale dans le ressort du tribunal de grande instance de leur résidence professionnelle (article 15 du décret n° 56-222 du 29 février 1956 pris pour l'application de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée dans sa version postérieure à la loi du 6 août 2015 précitée), et ont, en outre, la faculté d'intervenir dans le ressort de la cour d'appel au sein duquel ils ont établi leur résidence professionnelle (article 3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée dans sa version postérieure à la loi du 6 août 2015 précitée).
2. LE RÔLE DES BUREAUX COMMUNS DE SIGNIFICATION
9. Dans son rapport de mars 2013 sur les professions réglementées, l'Inspection Générale des Finances a relevé que dans plusieurs grandes agglomérations françaises (notamment Paris et Marseille), l'activité de signification des actes est opérationnellement organisée sous la forme d'un bureau commun de signification, au sein duquel " des clercs collectent chaque matin les actes de procédures à signifier auprès des études, les portent et trient au bureau de signification avant de partir, individuellement, signifier eux-mêmes les actes pour le compte de l'huissier titulaire de l'étude " (rapport de l'Inspection Générale des Finances n° 2012 M 057 03 de mars 2013, tome 1, " Les professions réglementées ", p. 34).
10. À ce jour, on dénombre, en France, huit bureaux communs de signification (ci-après " BCS ") :
- le BCS de Paris ;
- le BCS des Hauts-de-Seine (sis à Nanterre) ;
- le BCS du Val-de-Marne (sis à Maisons-Alfort) ;
- la Société civile de moyens des études et groupement des huissiers de justice de Seine-Saint-Denis (sise à Bobigny) ;
- le Groupement des huissiers de justice de Bordeaux ;
- le Groupement des huissiers de justice du Rhône (sis à Lyon) ;
- le BCS de justice de Marseille ;
- le Groupement des huissiers de justice de Valence.
11. Sur le plan juridique, un BCS peut être constitué sous la forme de groupement par des huissiers (voir section IV du chapitre Ier du décret n° 56-222 précité) ou sous la forme d'une société civile de moyens, dont les membres peuvent opter pour le statut de société coopérative (article 37 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles).
3. LA CRÉATION RÉCENTE DE NOUVEAUX OFFICES D'HUISSIERS DE JUSTICE
12. Avant la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, la création d'offices demeurait marginale, " le nouveau titulaire [devant] soit [être] présenté par son prédécesseur dans l'office existant, soit [être] nommé au choix par le garde des Sceaux dans un office créé ou vacant " (avis n° 16-A-25 du 20 décembre 2016 relatif à la liberté d'installation des huissiers de justice et à une proposition de carte des zones d'implantation, assortie de recommandations sur le rythme de création de nouveaux offices d'huissiers de justice, paragraphe 73).
13. À compter de l'arrêté du 28 décembre 2017 pris en application de l'article 52 de la loi n° 2015-990 précitée, le nombre de recommandations de créations d'offices, dans le département des Hauts-de-Seine, a été fixé à 7 pour la première année d'application de la carte. L'objectif de nomination d'huissiers de justice titulaires ou associés en exercice d'une personne morale titulaire d'un office créé a été fixé à 12 dans ce département, sur la période biennale de validité de cette même carte. La procédure de révision de la carte des zones d'installation des huissiers de justice a été lancée par l'Autorité le 19 avril 2019 (communiqué de presse mis en ligne sur le site de l'Autorité).
C. L'ENTITÉ CONCERNÉE
14. Le BCS des Hauts-de-Seine est une société civile coopérative immatriculée depuis le 13 janvier 1989 sous le numéro 349 325 225 au registre du commerce et des sociétés de Nanterre. Son siège social est situé au 36 rue Salvador Allende - 92000 Nanterre.
15. Aux termes de l'article 3 de ses statuts, dans leur rédaction au 1er mars 2018, " la société a pour objet de réduire au bénéfice de ses membres et par l'effort commun de ceux-ci, le prix de revient de certaines prestations relatives à l'exercice de leur profession, notamment la signification des actes d'huissiers de justice, la présentation des effets et chèques et toutes démarches découlant de l'activité d'une étude d'huissier de justice pouvant être confiées à un clerc significateur " (cote 147).
16. Actuellement, 25 études d'huissiers de justice des Hauts-de-Seine, regroupant 63 huissiers de justice titulaires ou associés, sont membres du BCS des Hauts-de-Seine (cotes 20 et 172 à 177).
17. Le BCS des Hauts-de-Seine emploie 23 clercs assermentés ainsi qu'un responsable de bureau (cote 22). Quatre cogérants sont élus au conseil de gérance et assurent bénévolement leurs fonctions. Le président de la chambre départementale des Hauts-de-Seine est également membre de droit du conseil de gérance du bureau commun (cotes 21 et 156).
18. Compte tenu de la réforme relative à la compétence territoriale des huissiers de justice introduite par la loi du 6 août 2015 précitée, le périmètre géographique du BCS des Hauts-de-Seine s'étend désormais non seulement aux communes du département des Hauts-de-Seine (ministère forcé), mais peut également s'étendre aux communes relevant du ressort de la cour d'appel de Versailles situées dans les départements de l'Eure-et-Loir (28), du Val d'Oise (05) et des Yvelines (78).
19. Dans la pratique, chaque étude dépose les plis à signifier dans les locaux du BCS des Hauts-de-Seine puis, pour chaque pli, s'acquitte du prix du timbre correspondant (cotes 20 et 21). Celui-ci dépend, entre autres, de l'urgence de la signification et du lieu de signification (dans le département des Hauts-de-Seine ou en dehors).
20. Sur les trois dernières années (2015, 2016 et 2017), le BCS des Hauts-de-Seine a réalisé un chiffre d'affaires annuel moyen de 2 millions d'euros et a dégagé, en moyenne des pertes d'environ 50 000 euros par exercice. L'essentiel des charges du BCS 92 (plus de 90 %) est lié aux frais de personnel (salaires et charges afférentes) (cotes 295 à 309).
21. Le fonctionnement et l'organisation du BCS des Hauts-de-Seine sont régis par des statuts et par un règlement intérieur ayant évolué au fil du temps.
22. S'agissant des statuts du BCS, ils ont fait l'objet de cinq versions successives : la première date du 15 décembre 1988 (cotes 84 à 102), la deuxième du 12 mars 1990 (cotes 126 à 143), la troisième du 8 avril 2002 (cotes 66 à 82), la quatrième du 1er janvier 2015 (cotes 104 à 124) et enfin, la cinquième du 1er mars 2018 (cotes 145 à 166).
23. Le règlement intérieur, pour sa part, a fait l'objet de deux versions consécutives. Si la première n'a pas pu être formellement datée par le BCS des Hauts-de-Seine (cote 387), plusieurs éléments permettent d'établir qu'elle date du 15 décembre 1988. En premier lieu, les articles 15, 17 et 32 des statuts du 15 décembre 1988 font référence à un règlement intérieur, supposé exister à la date d'adoption des statuts. En deuxième lieu, les clauses de la première version du règlement intérieur et celles des statuts du 15 décembre 1988 se font mutuellement référence et sont cohérentes entre elles. En dernier lieu, sur un plan formel, ces deux documents sont similaires en de nombreux points, qu'il s'agisse du type et de la taille de la police de caractère utilisée, ou de leur mise en forme. La première version du règlement intérieur du BCS est restée en vigueur jusqu'au 18 avril 2005. Le BCS a adopté le 19 avril 2005 une seconde version qui est restée en vigueur jusqu'au 28 février 2018. Le BCS des Hauts-de-Seine a indiqué aux services d'instruction que, depuis le 1ermars 2018, " aucun règlement intérieur n'est en vigueur " (cotes 22, 387 et 647).
<TABLEAU>
Figure 1 : Chronologie des règlements intérieurs et statuts du BCS des Hauts-de-Seine
24. S'agissant par ailleurs des modalités d'adoption ou de modification des statuts, l'assemblée générale extraordinaire du BCS des Hauts-de-Seine " peut, sur la proposition de la gérance, modifier les statuts dans toutes leurs dispositions " (article 28 de ses statuts, cote 97). À cet égard, le président du BCS a déclaré que toutes " les décisions sont prises en assemblée générale. Les cogérants ne décident rien seuls. Les cogérants soumettent les modifications / décisions aux votes de la communauté " (procès-verbal de déclaration de maître X... du 5 octobre 2018, cote 21).
25. S'agissant enfin des modalités d'adoption ou de modification du règlement intérieur, l'article 7 des statuts du 8 avril 2002 dispose qu'un " règlement intérieur régit les modalités pratiques de fonctionnement du groupement. Ce règlement ne pourra être modifié que sur décision de l'assemblée générale extraordinaire. Les dispositions du règlement intérieur s'imposent aux associés " (cote 69). Appliquant ces dispositions, l'assemblée générale extraordinaire du BCS des Hauts-de-Seine a abrogé la première version du règlement intérieur, pour en adopter une seconde, le 19 avril 2005 (cote 62).
D. LES PRATIQUES CONSTATÉES
1. L'ADMISSION DE NOUVEAUX MEMBRES DANS LE BCS
26. Les trois premières versions des statuts du BCS des Hauts-de-Seine, en vigueur entre le 15 décembre 1988 et le 31 décembre 2014, prévoyaient en leur article 2 que " [nul] ne peut être associé s'il n'est titulaire d'un office d'huissier de justice situé dans le département des Hauts-de-Seine " (cotes 68, 86 et 127).
27. Dans leur quatrième version, en vigueur du 1er janvier 2015 au 28 février 2018, les statuts prévoyaient en leur article 2 que " [nul] ne peut être associé s'il n'est titulaire d'un office d'huissier de justice déjà existant dans le département des Hauts-de-Seine et déjà existant à la date de création du bureau commun de signification des Hauts-de-Seine.
L'entrée d'un nouvel associé est subordonnée à l'acceptation unanime des associés et moyennant une participation financière qui sera décidée en assemblée générale extraordinaire " (cote 106, caractères gras ajoutés).
28. Dans leur cinquième version, en vigueur depuis le 1er mars 2018, les statuts prévoient désormais en leur article 2 que " nul ne peut être associé s'il n'est titulaire d'un office d'huissier de justice situé dans le département des Hauts-de-Seine et déjà existant à la date de création du bureau commun de signification des Hauts-de-Seine.
L'entrée d'un nouvel associé est subordonnée à l'acceptation unanime des associés et moyennant une participation financière qui sera décidée en assemblée générale extraordinaire.
Tout nouvel office issu de la libre installation devra s'acquitter d'un droit d'entrée qui ne pourra être inférieur à la somme de Trois Cent Mille Euros HT (300 000,00 euros HT).
Ce droit est non remboursable et définitivement acquis par le BCS 92.
Aucun nouvel associé ne pourra prétendre intégrer le BCS 92 sans règlement préalable du montant de la souscription de ses parts sociales et du droit d'entrée " (cote 147, caractères gras ajoutés).
29. S'agissant du droit d'entrée exigible auprès d'un nouveau membre possédant une étude individuelle, l'Autorité constate que le montant de 300 000 euros par huissier de justice est plus de 100 fois supérieur à la somme payée par chaque huissier membre du BCS des Hauts-de-Seine lors de l'appel de fonds de 2017. Il est en outre constaté que ce droit d'entrée n'a jamais été exigé auparavant pour les huissiers membres du BCS des Hauts-de-Seine déjà en place.
2. LE RETRAIT ET L'EXCLUSION D'UN MEMBRE DU BCS
a) Le retrait volontaire d'un membre du BCS
30. L'article 15 des statuts originels du BCS des Hauts-de-Seine, dont les termes sont inchangés depuis 1988, stipule que " tout associé a le droit de se retirer de la société. L'assemblée générale extraordinaire fixera les conditions de son retrait. Le montant et les modalités de l'indemnité due par celui qui se retire seront fixés par le règlement intérieur " (cote 92).
31. Dans sa version originelle, datée du 15 décembre 1988, le règlement intérieur prévoyait, à cet égard que :
- d'une part, s'il " lui était dû une partie de l'excédent de trésorerie, cette somme ne lui sera versée qu'après approbation des comptes par l'Assemblée Générale et en tout état de cause après solution du litige éventuel surgi entre les personnels licenciés et le BCS " (article 14) ;
- d'autre part, que l'" office démissionnaire assure le règlement des indemnités de licenciement que le BCS sera tenu de verser " (article 15) (cote 58). Le départ volontaire d'un associé, en ce qu'il peut conduire à une baisse d'activité du BCS des Hauts-de-Seine, pourrait en effet entraîner des " mesures de licenciement " (article 11).
32. La seconde version du règlement intérieur, en vigueur à compter du 19 avril 2005, a modifié les stipulations relatives aux modalités du retrait d'un membre du BCS des Hauts-de-Seine comme suit :
" Le retrait d'un adhérent, volontaire ou exclu emporte soumission de sa part au paiement d'une indemnité, au profit du BCS 92, égale au montant hors taxe, de la moyenne annuelle calculées sur les trois dernières années, des sommes payées ou dues au BCS 92. Cette indemnité est payable dans le mois de sa démission. Elle portera intérêt au taux de 1 % par mois de retard à compter de la date d'échéance " (article 6, cote 64).
33. Ces stipulations ne sont plus en vigueur depuis le 1er mars 2018, ce règlement intérieur ayant été abrogé. Aucun autre règlement intérieur n'a été adopté depuis lors.
b) L'exclusion d'un membre du BCS
34. Au jour de la notification des griefs, l'article 17 des statuts du BCS des Hauts-de-Seine (cotes 154 et 155), prévoyait deux motifs pouvant fonder l'exclusion d'un de ses membres : l'exclusion pour motif grave, d'une part (a), et l'exclusion pour défaut de respect de la clause d'exclusivité, d'autre part (b). L'exclusion pour motif grave
35. Les différentes versions des statuts et du règlement intérieur du BCS des Hauts-de-Seine précisent la nature des motifs graves pouvant conduire à l'exclusion d'un membre du Bureau, le montant et les modalités de calcul de l'indemnité due par ce dernier ainsi que les modalités de la procédure d'exclusion.
36. S'agissant des motifs graves pouvant entraîner l'exclusion d'un membre du BCS des Hauts-de-Seine, la première version du règlement intérieur du 15 décembre 1988 précisait, sans qu'il s'agisse d'une liste limitative, qu'il pouvait notamment s'agir :
- " - du débauchage d'un clerc du BCS
- - de la constitution au sein du département, ou hors du département, d'une structure ayant le même objet que l'actuel BCS
- - de l'appel à des structures étrangères au département ayant le même objet que l'actuel BCS
- - de la suspension ou réduction anormale de la remise des plis à la société pendant une période de 6 mois.
- - de la suspension de la rétribution des provisions pendant une période de 3 mois " (article 16, cote 58).
37. La deuxième version du règlement intérieur, en vigueur à compter du 19 avril 2005, a modifié quelque peu cette liste, tout en demeurant non-exhaustive. Peuvent ainsi être considérés comme des motifs graves :
" * le débauchage d'un clerc du BCS 92
* la constitution d'une structure ayant le même objet que l'actuel BCS 92
* l'appel à des structures étrangères au département ayant le même objet que l'actuel BCS 92
* le non-paiement des factures
* le non-paiement de l'indemnité prévue à l'article 2 " (article 5, cote 63).
38. S'agissant du montant et des modalités de calcul de l'indemnité due par le membre exclu du BCS, la première version du règlement intérieur du 15 décembre 1988 précisait que :
" Art. 23 - Si l'Assemblée Générale Extraordinaire se prononce pour le retrait, l'Office cesse d'appartenir au BCS 24 Heures après cette décision.
Art. 24 - L'Assemblée Générale Extraordinaire se prononce ensuite sur le montant de l'indemnité que l'Office sera tenu de verser au BCS, notamment sur le vu du rapport [sur les conséquences sociales de l'exclusion : plan de restructuration pouvant conduire au licenciement de clercs assermentés] mentionné à l'Art. 21 " (cote 59).
39. La seconde version du règlement intérieur, en vigueur à compter du 19 avril 2005, a modifié les stipulations relatives aux modalités d'exclusion d'un membre du BCS des Hauts-de-Seine comme suit :
" Le retrait d'un adhérent, volontaire ou exclu emporte soumission de sa part au paiement d'une indemnité, au profit du BCS 92, égale au montant hors taxe, de la moyenne annuelle calculées sur les trois dernières années, des sommes payées ou dues au BCS 92. Cette indemnité est payable dans le mois de sa démission. Elle portera intérêt au taux de 1 % par mois de retard à compter de la date d'échéance " (article 6, cote 64).
40. Ces stipulations ne sont plus en vigueur depuis le 1er mars 2018, ce règlement intérieur ayant été abrogé. Aucun autre règlement intérieur n'a été adopté depuis lors.
41. S'agissant, enfin, des modalités de la procédure d'exclusion d'un membre du BCS pour motif grave, dans les quatre premières versions des statuts, c'est-à-dire de la création du BCS des Hauts-de-Seine jusqu'au 28 février 2018, l'article 17 des statuts prévoyait que :
" La gérance peut (...) proposer l'exclusion d'associés pour motifs graves, à l'assemblée générale extraordinaire des associés. Avis spécial dans le délai prévu pour la convocation de cette assemblée est alors adressé à l'intéressé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, pour lui permettre de présenter ses explications lors de la réunion à intervenir " (cotes 92 et 155).
42. Dans la cinquième version des statuts, en vigueur depuis le 1er mars 2018, l'article 17 dispose pour sa part que :
" [L]a gérance doit soumettre au vote en Assemblée Générale l'exclusion d'associés pour motif grave après avis conforme de la Chambre Départementale des Huissiers de Justice, qui ne statuera qu'après avoir entendu l'intéressé, ou celui-ci dûment appelé.
Cette décision d'exclusion ne sera exécutoire qu'à l'expiration du délai d'un mois de sa signification (...).
[L]a gérance doit également proposer l'exclusion d'associés pour motifs graves, à l'assemblée générale extraordinaire des associés. Avis spécial dans le délai prévu pour la convocation de cette assemblée est alors adressé à l'intéressé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, pour lui permettre de présenter ses explications lors de la réunion à intervenir.
Le montant et les modalités de l'indemnité due par celui qui est exclu seront fixés par le règlement intérieur " (cotes 154 et 155).
L'exclusion pour défaut de respect de la clause d'exclusivité
43. La cinquième version des statuts a introduit un nouveau motif d'exclusion pour défaut de respect de la clause d'exclusivité ainsi libellée :
" Cette mesure d'exclusion devra notamment s'appliquer à un associé qui s'abstient de confier régulièrement au Bureau Commun de Signification des Hauts-de-Seine un nombre de plis correspondant à 80 % au moins des actes signifiés ou réalisés par son Étude, ou au quantum révisé par l'Assemblée Générale après consultation de la Chambre Départementale des Huissiers de Justice des Hauts-de-Seine.
La Gérance exerce son droit de contrôle en demandant à chaque associé de lui communiquer le nombre d'actes réalisé sur l'année tel qu'il l'aura indiqué sur son contrôle de comptabilité.
L'étude qui ne communiquerait pas l'information sollicitée dans le cadre de ce contrôle sera réputée défaillante dans son obligation de confier régulièrement ses plis au Bureau Commun de Signification des Hauts-de-Seine et pourra en conséquence faire l'objet d'une mesure d'exclusion.
Cette information sera communiquée à chaque associé du BCS 92 de façon anonymisée.
Le caractère régulier du nombre de plis s'analyse par l'examen du volume moyen confié hebdomadairement à l'année.
Le nombre d'actes signifiés ou réalisés s'entend par le total des actes répertoriés hors actes dématérialisés. (...)
Le montant et les modalités de l'indemnité due par celui qui est exclu seront fixés par le règlement intérieur " (cote 155).
E. RAPPEL DU GRIEF NOTIFIÉ
44. Les services d'instruction ont notifié, le 27 décembre 2018, le grief suivant au Bureau commun de signification des Hauts-de-Seine :
" Sur la base des constatations et de l'analyse qui précèdent, il est fait grief au Bureau commun de signification des Hauts-de-Seine, dans le secteur de la signification des actes relevant des huissiers de justice, à tout le moins, dans le département des Hauts-de-Seine, d'avoir adopté, le 15 décembre 1988, une entente expresse ayant un objet anticoncurrentiel, tendant à limiter l'accès au marché et le libre exercice de la concurrence par des études d'huissiers de justice. Cette pratique est contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce ".
II. Discussion
A. SUR LA MISE EN OEUVRE DE LA PROCÉDURE DE TRANSACTION
45. Le III de l'article L. 464-2 du Code du commerce dispose que " [l]orsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut lui soumettre une proposition de transaction fixant le montant minimal et le montant maximal de la sanction pécuniaire envisagée. Lorsque l'entreprise ou l'organisme s'engage à modifier son comportement, le rapporteur général peut en tenir compte dans sa proposition de transaction. Si, dans un délai fixé par le rapporteur général, l'organisme ou l'entreprise donne son accord à la proposition de transaction, le rapporteur général propose à l'Autorité de la concurrence, qui entend l'entreprise ou l'organisme et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire (...) dans les limites fixées par la transaction ".
46. En outre, le point 23 du communiqué de procédure de l'Autorité du 21 décembre 2018 relatif à la procédure de transaction (ci-après " communiqué transaction ") prévoit : " Dans le cas où l'entreprise en cause a, en outre, proposé des engagements, il appartient au rapporteur général d'apprécier s'il est pertinent de les prendre en compte au regard des circonstances particulières de l'affaire et, notamment, de la nature des griefs retenus. Si tel est le cas, le rapporteur général s'assure ensuite du caractère substantiel, crédible et vérifiable des engagements proposés ".
47. En l'espèce, le BCS des Hauts-de-Seine n'a pas contesté la réalité des griefs qui lui ont été notifiés et a sollicité l'application du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce auprès du rapporteur général de l'Autorité, qui lui a soumis une proposition de transaction.
48. La mise en œuvre du texte précité a donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal de transaction, par lequel le BCS des Hauts-de-Seine a donné son accord à une proposition de transaction définissant les limites de la sanction pécuniaire pouvant lui être infligée. Par ailleurs, le BCS des Hauts-de-Seine a proposé des engagements consistant en une modification des statuts, d'une part, et en la diffusion d'un résumé de la décision de l'Autorité de la concurrence, d'autre part. Les engagements du BCS ont été annexés au procès-verbal de transaction (cotes 1197 à 1201).
49. En vertu du point 14 du communiqué de procédure du 21 décembre 2018 relatif à la procédure de transaction, " Si l'intéressé, qui a volontairement fait le choix de renoncer à contester les griefs, présente ultérieurement des arguments remettant en cause, directement ou indirectement, la validité, tant sur le fond que sur la forme, de la notification de griefs, le collège de l'Autorité considérera que l'intéressé renonce au bénéfice de la transaction telle qu'elle résulte du procès-verbal signé avec le rapporteur général ".
50. En l'espèce, lors de la séance du 17 avril 2019, le BCS des Hauts-de-Seine n'ayant présenté aucun argument remettant en cause, directement ou indirectement, la validité de la notification des griefs, il est réputé avoir confirmé son accord avec les termes de la transaction, dont il a accepté, en toute connaissance de cause, les conséquences juridiques, notamment en ce qui concerne le montant de la sanction pécuniaire pouvant être prononcée par l'Autorité.
51. Les pratiques n'ayant pas été contestées, l'Autorité se bornera aux développements suivants.
B. SUR LE MARCHÉ PERTINENT
52. Les pratiques constatées concernent la signification des actes relevant du monopole des huissiers de justice dans le département des Hauts-de-Seine (cote 22).
53. Par ailleurs, dans la mesure où les pratiques sont examinées, en l'espèce, au titre de la prohibition des ententes illicites, il n'est pas nécessaire de définir le marché avec davantage de précision, dès lors que le secteur a été suffisamment identifié pour qualifier les pratiques observées et permettre de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en œuvre (voir notamment la décision de l'Autorité n° 05-D-27 du 15 juin 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur du thon blanc, paragraphe 28 et la décision n° 17-D-20 du 18 octobre 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des revêtements de sols résilients, paragraphes 417 et suivants).
C. SUR LE BIEN-FONDÉ DES GRIEFS
1. SUR L'EXISTENCE D'UN ACCORD DE VOLONTÉS
a) Rappel des principes
54. L'article L. 420-1 du Code de commerce permet de prohiber les accords, les pratiques concertées et les décisions d'association d'entreprises qui restreignent la concurrence et qui résultent d'un concours de volontés entre entités autonomes.
55. En droit national, la Cour de cassation considère que les organismes collectifs tels que les syndicats, les associations ou les ordres professionnels, représentent la collectivité de leurs membres. En conséquence, une pratique susceptible d'avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel mise en œuvre par un tel organisme révèle nécessairement une entente entre ses membres, au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce (voir l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 16 mai 2000, Ordre national des pharmaciens, 98-12612).
56. Le Conseil de la concurrence, devenu " Autorité de la concurrence ", a par ailleurs précisé dans une décision n° 07-D-41 du 28 novembre 2007 relative à des pratiques s'opposant à la liberté des prix des services proposés aux établissements de santé à l'occasion d'appels d'offres en matière d'examens anatomo-cyto-pathologiques " (...) qu'une entente peut résulter de tout acte émanant des organes d'un groupement professionnel, tel qu'un règlement professionnel, un règlement intérieur, un barème ou une circulaire. Ainsi, l'élaboration et la diffusion, à l'initiative d'une organisation professionnelle, d'un document destiné à l'ensemble de ses adhérents constituent une action concertée ".
57. Il résulte de ce qui précède que les décisions des organismes collectifs, bien que se présentant comme des actes unilatéraux, résultent d'un accord de volontés de leurs membres et sont, à ce titre, susceptibles de relever des règles de prohibition des ententes.
58. En ce qui concerne le standard de preuve de la participation d'une entreprise à une entente horizontale, il ressort de la pratique décisionnelle de l'Autorité et de la jurisprudence que la preuve de pratiques anticoncurrentielles peut résulter soit de preuves se suffisant à elles-mêmes, soit d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants constitué par le rapprochement de divers éléments recueillis au cours de l'instruction (arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 septembre 2010, Raffali & Cie, n° 2009/24 813, page 7, décision n° 16-D-20 du 29 septembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations réalisées par les agences de mannequins, paragraphe 313).
b) Application au cas d'espèce
59. En l'espèce, le BCS des Hauts-de-Seine est une société civile coopérative qui regroupe, depuis sa création, l'ensemble des 25 études d'huissiers de justice situées dans les Hauts-de-Seine, représentant 63 huissiers de justice titulaires ou associés (cotes 172 à 177). Ses modalités de fonctionnement figurent pour l'essentiel, dans ses statuts et dans son règlement intérieur.
60. Les pratiques dénoncées trouvent leur fondement dans les stipulations de ces deux documents qui sont relatives aux conditions d'admission de nouveaux membres (voir les paragraphes 26 et suivants ci-dessus), d'une part, et à celles applicables aux procédures de retrait volontaire (voir les paragraphes 30 et suivants ci-dessus) et d'exclusion d'un membre pour motif grave (voir les paragraphes 35 et suivants ci-dessus) ou défaut de respect de la clause d'exclusivité (voir les paragraphes 43 et suivants ci-dessus), d'autre part.
61. Conformément à la jurisprudence et à la pratique décisionnelle rappelées ci-dessus, les décisions par lesquelles le BCS adopte ou modifie ses statuts ou son règlement intérieur, bien qu'elles se présentent comme des actes unilatéraux, sont des décisions émises par un organisme collectif et, partant, résultent d'un accord de volontés de ses membres.
62. Elles sont, à ce titre, susceptibles de relever des règles de prohibition des ententes.
2. SUR LE CARACTÈRE ANTICONCURRENTIEL DES PRATIQUES
63. Selon une jurisprudence de la cour d'appel de Paris, rendue dans un arrêt rendu le 27 mai 2003 (Chambre syndicale des entreprises de déménagements et garde-meubles de France, RG n° 2002/18680), les conditions d'adhésion à une association professionnelle peuvent porter atteinte à la libre concurrence si, d'une part, cette adhésion est une condition d'accès au marché (a) et si, d'autre part, ces conditions d'adhésion sont définies ou appliquées de façon non objective, non transparente ou discriminatoire (b).
a) Sur le premier critère : l'adhésion comme condition d'accès au marché
Rappel des principes
64. Selon la pratique décisionnelle du Conseil, puis de l'Autorité, l'absence de règles objectives, transparentes et non discriminatoires d'adhésion à un groupement d'entreprises relève de la prohibition des ententes anticoncurrentielles entre ces entreprises lorsque ces règles ou leur mauvaise application conduit à fausser la concurrence en empêchant ou en limitant l'accès au marché pour les entreprises qui ne sont pas admises à ce groupement.
65. À ce titre, la cour d'appel de Paris (27 mai 2003, Chambre syndicale des entreprises de déménagements et garde-meubles de France, n° 2002/18680) a jugé qu'aucune entente anticoncurrentielle n'était établie à l'encontre de la chambre syndicale dès lors que les conditions d'adhésion à cette organisation : " ne peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché concerné ". Plus précisément, l'arrêt relève d'abord que : " si l'admission par cooptation de nouveaux membres au sein d'une organisation professionnelle ne constitue pas en elle-même une pratique contraire au droit de la concurrence, une telle pratique peut porter atteinte au fonctionnement de la libre concurrence si l'adhésion à cette organisation professionnelle est une condition de l'accès au marché ". La cour indique ensuite que la restriction de concurrence résultant d'un refus d'adhésion doit être démontrée et " ne saurait se déduire du seul fait que les entreprises demandent à adhérer à cette organisation ".
Application au cas d'espèce
66. Au regard des éléments de fait rappelés aux paragraphes 14 et suivants ci-dessus, il ne peut être utilement contesté que l'adhésion au BCS est une condition de l'accès ou du maintien sur le marché et constitue en ce sens un avantage concurrentiel déterminant pour ses adhérents, et ce pour les trois raisons suivantes : l'adhésion permet une réduction des coûts pour les membres, conduit à une amélioration de la qualité de la prestation de service rendue et permet l'immédiateté dans l'accès au marché.
67. En premier lieu, l'adhésion au BCS des Hauts-de-Seine permet aux huissiers de justice de réduire les coûts de signification des actes. Cela ressort explicitement de l'article 3 des statuts du BCS de 1988, toujours en vigueur actuellement, qui prévoit que cette " société a pour objet de réduire au bénéfice de ses membres et par l'effort commun de ceux-ci, le prix de revient de certaines prestations relatives à l'exercice de leur profession, notamment la signification des actes d'huissiers de justice, la présentation des effets et chèques et toutes démarches découlant de l'activité d'une étude d'huissier de justice pouvant être confiées à un clerc significateur " (cote 86).
68. En deuxième lieu, l'adhésion au BCS des Hauts-de-Seine permet à ses membres d'améliorer la qualité de la prestation de service rendue et de diminuer les recours et contestations, compte tenu notamment de l'expérience de ses clercs assermentés, dont la seule fonction est de signifier des actes. Par ailleurs, la mutualisation des ressources permet la mise en place de mesures incitatives sous forme de primes de qualité pour les clercs concernés (voir en ce sens le procès-verbal de déclaration de maître X... du 5 octobre 2018, cote 21).
69. En troisième lieu, l'adhésion au BCS présente un avantage notable pour les nouvelles études, en leur permettant d'accéder immédiatement aux services de clercs assermentés. Si ces mêmes études voulaient a contrario embaucher leur propre clerc, la procédure d'assermentation prendrait " 4 à 6 mois environ " (procès-verbal de déclaration de maître Y... du 12 octobre 2018, cote 15). Interrogée sur ce point, la chambre nationale a déclaré que " la signification est essentielle pour tous les offices (...). De ce point de vue, aucun office ne pourrait être économiquement viable en l'absence de signification. La signification fait partie du coeur de métier de l'huissier de justice. Toutefois, plus particulièrement, on peut considérer qu'un office "jeune" (notamment en cas de création) réalisera l'essentiel de son chiffre d'affaires par l'activité "judiciaire" (délivrance d'assignation/signification de décisions, ainsi que par la mise en œuvre de voies d'exécution) ainsi que par l'activité de constat. En effet, il paraît difficile d'imaginer qu'il puisse être sollicité immédiatement pour la mise en place de système de traitement à forte volumétrie de recouvrement (notamment en l'absence de personnel pouvant le traiter). Pour cette raison, il est raisonnable de considérer que l'activité de signification sera encore plus importante pour les offices jeunes " (réponse au questionnaire adressé par l'Autorité, cote 542).
70. Ces avantages sont renforcés par la place prédominante que ce dernier occupe dans le département en matière de signification. Toutes les études du département en sont membres depuis sa création, et " aucun départ ", ni même " aucune demande formelle d'un membre pour [le] quitter " n'a jamais été formulée (procès-verbal de déclaration de maître X... du 5 octobre 2018, cote 20), alors même que sur " les trois derniers exercices, le résultat du BCS 92 est déficitaire ", (procès-verbal de déclaration de maître X... du 5 octobre 2018, cotes 22).
71. La place prédominante du BCS des Hauts-de-Seine lui est notamment assurée par le fait que, d'une part, depuis le 1er mars 2018, ses statuts contiennent une clause d'exclusivité aux termes de laquelle chaque étude doit confier régulièrement " un nombre de plis correspondant à 80 % au moins des actes signifiés ou réalisés " (article 17, cote 155). Interrogé sur ce point, le BCS a déclaré que les " études dans le BCS 92 jouent le jeu du bureau commun en conférant 80 % de leurs plis. Les études sont en général dans les clous, au niveau de 80 %. Le respect de cette règle se fait à un niveau déclaratif " (procès-verbal de déclaration de maître X... du 5 octobre 2018, cote 21). Pour autant, il a également précisé qu'il " n'y a jamais eu de procédure contre un confrère qui ne respecterait pas cette règle " et que, s'agissant de la seule étude qui ne la respecterait pas à l'heure actuelle, il " ne veut pas rentrer en conflit " à son encontre (même document, cotes 21 et 22).
72. D'autre part, il n'existe pas dans le département des Hauts-de-Seine, ni même dans le ressort de la cour d'appel de Versailles, de structure comparable à celle du BCS des Hauts-de-Seine, ainsi que l'a confirmé son président (procès-verbal de déclaration de maître X... du 5 octobre 2018, cote 20). De nouvelles études pourraient certes s'associer pour créer leur propre BCS, mais cette possibilité apparaît peu probable - à tout le moins à court ou moyen terme compte tenu notamment de l'importance des apports financiers qui seraient nécessaires et des efforts qui devraient être entrepris pour permettre la constitution d'une clientèle.
b) Sur le second critère : sur des conditions d'adhésion définies ou appliquées de façon non objective, non transparente ou discriminatoire
Rappel des principes
73. Comme indiqué précédemment, dans le cas particulier où l'adhésion à une association professionnelle est une condition d'accès au marché ou si elle constitue un avantage concurrentiel déterminant, " les conditions d'accès à cette structure doivent être objectives, transparentes et non discriminatoires, sous peine d'être qualifiées d'entente entre les membres du groupement " (décision n° 06-D-29 du 6 octobre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre par le GIE Les Indépendants dans le secteur de la publicité radiophonique, paragraphe 48).
Application au cas d'espèce
L'adhésion au BCS des Hauts-de-Seine
74. Les conditions d'adhésion d'un nouveau membre au BCS des Hauts-de-Seine telles que prévues par l'article 2 des statuts révèlent leur caractère discriminatoire, suite aux modifications introduites le 1er janvier 2015.
75. En premier lieu, les statuts du BCS des Hauts-de-Seine comportent désormais deux nouvelles conditions d'adhésion : être titulaire d'un office d'huissier de justice qui, d'une part, est déjà existant dans le département des Hauts-de-Seine et qui, d'autre part, existait à la date de création du BCS (article 2 des statuts - cote 106), soit en 1988. Ces conditions reviennent à empêcher l'adhésion de tous les nouveaux offices créés en application de la loi du 6 août 2015 précitée.
76. En deuxième lieu, les statuts prévoient que l'entrée d'un nouveau membre est subordonnée à l'acceptation unanime des associés (article 2 des statuts - cote 106). Selon cette stipulation, l'adhésion d'un nouvel associé est donc conditionnée à l'autorisation des associés actuels.
77. En troisième lieu, les statuts du BCS prévoient que l'entrée " d'un nouvel associé est subordonnée [à l'acceptation précitée] (...) moyennant une participation financière qui sera décidée en assemblée générale extraordinaire " (article 2 des statuts, cote 106). Son montant est ainsi fixé discrétionnairement par l'assemblée générale extraordinaire et cette somme n'a, au surplus, jamais été réglée dans le passé par les associés actuels.
78. En quatrième lieu, les statuts ont instauré, depuis le 1er mars 2018, à destination de tout nouvel office issu de la libre installation, un droit d'entrée qui ne peut être inférieur à la somme de 300 000 euros (cote 147).
79. Cette dernière stipulation instaure donc un droit d'entrée qui discrimine expressément, sans justification objective, les nouveaux offices issus de la libre installation. Cette seule considération suffirait en soi à caractériser une pratique discriminatoire. En outre, son montant apparaît, en valeur absolue, disproportionné au regard des données économiques du BCS des Hauts-de-Seine. Il correspond en effet au double du déficit cumulé du BCS sur les trois dernières années et est supérieur de 65 % à l'appel de fonds organisé en 2017 par le BCS des Hauts-de-Seine et réalisé auprès de 25 études représentant 63 huissiers de justice titulaires et associés (cotes 20 et 295 à 309). Si l'on rapporte les montants considérés à un huissier de justice, le droit d'entrée exigible auprès d'un nouvel entrant possédant une étude individuelle et issu de la loi du 6 août 2015 précitée, est 104 fois supérieur au montant payé par un huissier de justice lors de l'appel de fonds de 2017.
80. Il résulte de ce qui précède que l'article 2 des statuts du BCS des Hauts-de-Seine prévoit des conditions d'adhésion non objectives, non transparentes et discriminatoires.
Retrait et exclusion du BCS des Hauts-de-Seine
Retrait volontaire
81. Si le montant et les modalités de l'indemnité due par le membre qui se retire sont précisés par le règlement intérieur, il n'en demeure pas moins que les conditions de ce retrait sont fixées de façon discrétionnaire par l'assemblée générale extraordinaire (voir l'article 15 des statuts, cotes 92 et 113 précité au paragraphe 30 ci-dessus).
82. Il en découle que ni les statuts, ni le règlement intérieur du BCS des Hauts-de-Seine ne garantissent à ses associés des conditions de retrait objectives, transparentes et non-discriminatoires.
Exclusion
Exclusion pour motif grave
83. Comme cela a été mentionné aux paragraphes 35 et suivants ci-dessus (cotes 58 et 63), tant la première que la seconde version du règlement intérieur du BCS des Hauts-de-Seine, énuméraient, de manière non exhaustive, un certain nombre de motifs graves pouvant conduire à l'exclusion d'un membre. À l'heure actuelle, en l'absence de règlement intérieur à jour, aucune liste de motifs graves n'existe.
84. Pour leur part, les statuts ne définissent pas davantage cette notion (article 17 des statuts du 1er mars 2018, cote 154), ce que confirme le BCS des Hauts-de-Seine (procès-verbal de déclaration de maître X... du 5 octobre 2018, cote 23).
85. La seule information relative à l'exclusion pour motif grave contenue dans les statuts concerne le montant et les modalités de l'indemnité due par celui qui est exclu, dont il est prévu qu'ils seront fixés par le règlement intérieur, alors même qu'il n'en existe plus depuis le 1er mars 2018 (article 17 des statuts du 1er mars 2018, cotes 155 et 647).
86. Compte tenu de ce qui précède, il en découle que les membres qui souhaiteraient se retirer volontairement ou qui seraient exclus pour motif grave ne seraient pas traités de manière objective, transparente et non-discriminatoire par le BCS des Hauts-de-Seine.
Exclusion pour défaut de respect de la clause d'exclusivité
87. Comme indiqué au paragraphe 40, les statuts en vigueur depuis le 1er mars 2018 indiquent que dans l'hypothèse où un membre du BCS des Hauts-de-Seine s'abstiendrait de confier régulièrement à cette structure un nombre de plis correspondant au moins à 80 % des actes signifiés ou réalisés par son étude, il s'exposerait à une exclusion du BCS pour non-respect de la clause d'exclusivité (cote 155) et au paiement d'une indemnité d'exclusion. Sur ce dernier point, il est renvoyé au règlement intérieur, alors même que, depuis le 1er mars 2018, aucun règlement intérieur n'est en vigueur au sein du BCS 92 (cote 647).
88. Il résulte de ce qui précède que les statuts du BCS des Hauts-de-Seine relatifs à l'exclusion d'un de ses membres, tant pour motif grave que pour non-respect de la clause d'exclusivité, prévoient des conditions d'exclusion non objectives, non transparentes et discriminatoires.
3. SUR LA QUALIFICATION D'ENTENTE PAR OBJET
a) Rappel des principes
89. L'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites entre les entreprises lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché.
90. Il résulte des termes de cet article ainsi que de la jurisprudence nationale et de l'Union que l'objet et l'effet anticoncurrentiels de telles pratiques sont des conditions alternatives pour apprécier si celles-ci peuvent être sanctionnées en application de ces dispositions (arrêts de la Cour de justice du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands BV e.a., C-8/08, points 28 et 30 et du 11 septembre 2014, Groupement des cartes bancaires e.a., C-67-13 et points 49-51 et de la cour d'appel de Paris du 21 décembre 2017, La Banque postale e.a., n° 2015/17638, p. 44).
91. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union que certains types de coordination entre entreprises révèlent intrinsèquement un degré suffisant de nocivité tels qu'ils sont considérés comme anticoncurrentiels compte tenu de leur objet même, si bien que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire (voir en ce sens, notamment, arrêts de la Cour de justice de l'Union du 11 septembre 2014, Groupement des cartes bancaires, précité, points 49 et 50, du 30 juin 1966, LTM, 56/65, pages 359 et 360 ; du 20 novembre 2008, BIDS, C-209/07, point 15, ainsi que du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C-32/11, points 34 et 35).
92. De manière générale, l'appréciation de l'existence d'un degré suffisant de nocivité nécessite d'examiner concrètement et cumulativement la teneur et les objectifs de la disposition restrictive de concurrence, ainsi que le contexte économique et juridique dans lequel elle s'insère (voir, en ce sens, arrêts de la Cour de justice de l'Union du 11 septembre 2014, Groupements des cartes bancaires, C-67/13, point 53 et du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a, point 36, arrêt de la cour d'appel de Paris du 21 décembre 2017, n° 15/17638, p.43).
b) Application au cas d'espèce
93. L'analyse du contexte économique et juridique dans lequel les pratiques du BCS ont été mises en œuvre confirme leur objet anticoncurrentiel.
94. Les clauses des différentes versions des statuts et du règlement intérieur relatives aux conditions d'adhésion visaient à dissuader les huissiers de justice nouvellement nommés dans le département des Hauts-de-Seine d'adhérer au BCS. Dans le contexte de l'entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015 précitée - par laquelle le législateur a entendu favoriser la création de nouvelles études d'huissiers de justice - les mesures dissuasives en cause ont directement visé à désavantager les nouvelles études susceptibles d'intervenir dans le ressort du BCS des Hauts-de-Seine au profit des études qui en étaient déjà membres, en réservant à ces dernières l'avantage concurrentiel déterminant en matière de signification d'actes qui ressort de la mutualisation de cette activité au sein d'un même bureau.
95. Par ailleurs, les clauses relatives aux conditions de retrait et d'exclusion ont, quant à elles, conduit à instaurer des procédures discrétionnaires pouvant être mises en œuvre par les organes dirigeants du BCS de manière non objective, non transparente et discriminatoire à l'égard de tous les membres, issus ou non de la loi du 6 août 2015 précitée.
96. Il résulte de ce qui précède que le BCS a mis en œuvre une entente contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce, dont le degré de nocivité est tel qu'il justifie une qualification d'infraction par objet.
D. SUR LA PARTICIPATION DE L'ENTITÉ MISE EN CAUSE
97. Lorsque les pratiques étudiées impliquent un organisme collectif, l'Autorité soit retient la responsabilité de l'organisme seul, soit y adjoint celle de ses membres (décision n° 94-D-51 du 4 octobre 1994 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du déménagement, décision n° 01-D-41 du 11 juillet 2001 relative à des pratiques mises en œuvre sur les marchés des titres restaurant et des titres emploi service, décision n° 04-D-07 du 11 mars 2004 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la boulangerie dans le département de la Marne et décision n° 12-D-06 du 26 janvier 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des agrégats et des marchés avals à Saint-Pierre et Miquelon). La première solution est retenue dès lors que " ce sont les organes dirigeants de ce GIE en tant que tel, quoique par délégation, qui apparaissent comme étant les auteurs des pratiques d'ententes entre ses membres " (décision n° 94-D-51 précitée).
98. Les éléments au dossier démontrent la participation active des organes dirigeants du BCS des Hauts-de-Seine, notamment de l'assemblée générale, pour mettre en œuvre les pratiques reprochées.
99. Le BCS des Hauts-de-Seine peut donc être tenu, dans les circonstances de l'espèce, responsable des infractions au droit de la concurrence constatées.
E. SUR LA DURÉE DES PRATIQUES
100. Les pratiques relatives aux conditions d'admission de nouveaux membres au sein du BCS des Hauts-de-Seine ont débuté le 1er janvier 2015, lorsque les statuts ont été modifiés pour y faire figurer les stipulations relatives aux conditions d'ancienneté, à l'acceptation unanime du nouveau membre par les associés et au paiement par ce dernier d'une participation financière. Les stipulations en cause ont été étendues le 1er mars 2018 pour y faire figurer une condition relative au paiement d'un droit d'entrée d'au moins 300 000 euros HT pour tout nouvel office issu de la libre installation. Elles n'ont été modifiées qu'à compter du 26 mars 2019, à la suite de la modification des statuts décidée par l'assemblée générale du BCS des Hauts-de-Seine, soit plus de quatre ans après le début des pratiques.
101. Les pratiques relatives au retrait volontaire d'un membre du BCS des Hauts-de-Seine ont débuté dès le 15 décembre 1988, date à laquelle les statuts ont fait figurer les stipulations litigieuses. Elles ont duré plus de trente-et-un ans.
102. Enfin, les pratiques relatives à l'exclusion d'un membre pour motif grave ont débuté dès le 15 décembre 1988, lorsque les premières versions des statuts et du règlement intérieur ont été adoptées, tandis que celles relatives à l'exclusion pour non-respect de la clause d'exclusivité ont débuté le 1er mars 2018, lorsque les statuts ont été modifiés pour introduire ce nouveau motif d'exclusion. Elles ont duré plus de trente-et-un ans pour les premières et plus d'un an pour les secondes.
F. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES
103. Il ressort d'une jurisprudence constante que les griefs doivent être notifiés à une personne juridique pouvant être tenue responsable de l'infraction au droit de la concurrence (arrêts de la Cour de cassation du 22 novembre 2016, Euro cargo rail, n° 14-28224 et de la cour d'appel de Paris du 26 octobre 2017, Caisse des dépôts et consignations, n° 17/01658, pp. 9 et 10).
104. Au cas d'espèce, conformément à l'article 1842 du Code civil, le BCS des Hauts-de-Seine, en tant que société civile de moyens immatriculée au registre du commerce et des sociétés, jouit de la personnalité morale.
105. Les pratiques lui sont donc imputables.
III. Sanctions
A. LES RÈGLES APPLICABLES
106. Aux termes du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, l'Autorité peut infliger une sanction pécuniaire aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles interdites par l'article L. 420-1 du Code de commerce.
107. Le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit que " [l]es sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le [titre VI du livre IV du Code de commerce]. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".
108. Aux termes du quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, " [l]e montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ".
109. Le III de l'article L. 464-2 du Code de commerce dispose : " [l]orsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut lui soumettre une proposition de transaction fixant le montant minimal et le montant maximal de la sanction pécuniaire envisagée. Lorsque l'entreprise ou l'organisme s'engage à modifier son comportement, le rapporteur général peut en tenir compte dans sa proposition de transaction. Si, dans un délai fixé par le rapporteur général, l'organisme ou l'entreprise donne son accord à la proposition de transaction, le rapporteur général propose à l'Autorité de la concurrence, qui entend l'entreprise ou l'organisme et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I dans les limites fixées par la transaction ".
110. En outre, les circonstances particulières résultant de la mise en œuvre, en l'espèce, de la procédure de transaction fondée sur les dispositions précitées du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce justifient que les sanctions prononcées ne soient pas motivées par référence à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires énoncée dans le communiqué du 16 mai 2011 de l'Autorité (voir l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 juin 2019, Alcyon SA, n° 18/20229 et le communiqué de procédure du 21 décembre 2018 relatif à procédure de transaction, point 37).
B. L'APPLICATION AU CAS D'ESPÈCE
111. Pour ce qui concerne la gravité, les pratiques consistant à imposer des conditions non objectives, non transparentes et discriminatoires en matière d'adhésion, de retrait ou d'exclusion d'un organisme collectif qui constitue une condition d'accès ou de maintien sur le marché font partie des infractions les plus graves aux règles du droit de la concurrence en tant qu'accord horizontal entre concurrents.
112. En l'espèce, les clauses des différentes versions des statuts et du règlement intérieur en cause relatives aux conditions d'adhésion visaient à dissuader les huissiers de justice nouvellement nommés dans le département des Hauts-de-Seine d'adhérer au BCS. Ces pratiques avaient pour finalité de les empêcher d'accéder à un avantage concurrentiel déterminant en matière de signification d'actes. Les clauses relatives aux conditions de retrait et d'exclusion ont, quant à elles, conduit à instaurer des procédures discrétionnaires pouvant être mises en œuvre par les organes dirigeants du BCS de manière non objective, non transparente et discriminatoire à l'égard de n'importe quel membre.
113. De plus, les pratiques du BCS des Hauts-de-Seine relatives aux conditions d'adhésion visaient à titre principal les huissiers de justice nouvellement nommés dans le département des Hauts-de-Seine, c'est-à-dire des entreprises en phase de création, de lancement ou de développement.
114. Enfin, les stipulations relatives aux conditions d'adhésion d'un nouveau membre au BCS, celles portant sur l'instauration de conditions liées à l'ancienneté, l'autorisation unanime des associés et celles afférentes au versement d'un droit d'entrée, visaient à faire échec à la volonté du législateur de favoriser la création de nouveaux offices d'huissiers de justice. Le montant manifestement disproportionné du droit d'entrée exigible (équivalent à plus de 104 fois le montant payé par un huissier de justice lors de l'appel de fonds de 2017), avait pour objectif de dissuader les nouveaux entrants de solliciter leur adhésion auprès du BCS des Hauts-de-Seine.
115. Ces pratiques s'avèrent d'autant plus graves que le département des Hauts-de-Seine figure parmi les départements pour lesquels l'Autorité avait identifié le plus grand potentiel de création de nouveaux offices d'huissiers de justice (voir l'avis n° 16-A-25 du 20 décembre 2016 relatif à la liberté d'installation des huissiers de justice et à une proposition de carte des zones d'implantation, assortie de recommandations sur le rythme de création de nouveaux offices d'huissiers de justice, paragraphe 417) : le nombre de recommandations de créations d'offices a été fixé à 7 pour la première année d'application de la carte, et l'objectif de nomination d'huissiers de justice titulaires ou associés en exercice d'une personne morale titulaire d'un office créé a été fixé à 12 dans ce département, sur la période biennale de validité de la carte des zones d'implantation.
116. Pour ce qui concerne le dommage à l'économie, l'entente, qui a eu pour finalité de limiter l'accès au marché et le libre exercice de la concurrence par de nouvelles études d'huissiers de justice " issues de la libre installation ", à la suite de l'adoption de la loi du 6 août 2015 précitée, est intervenue dans un secteur déjà fortement contraint par la réglementation. Elle s'est avérée d'autant plus dommageable que, d'une part, le BCS des Hauts-de-Seine offre à ses membres un avantage déterminant en leur permettant de procéder à des significations à coûts réduits et de meilleure qualité sur un large périmètre géographique (voir les paragraphes 66 et suivants ci-dessus) et que, d'autre part, il n'existe pas de structure comparable dans le département des Hauts-de-Seine, ni même dans le ressort de la cour d'appel de Versailles.
117. Concernant l'individualisation des sanctions, les éléments du dossier ne conduisent pas à retenir de circonstances atténuantes ou aggravantes à l'égard du BCS.
118. S'agissant de la situation financière du BCS, la requérante a soutenu, dans ses observations puis en séance devant le collège de l'Autorité, que le BCS se trouvait dans une situation fragile et que de fortes disparités de revenus existaient entre les études qui en sont membres.
119. Il est toutefois constaté que cette affirmation n'a été étayée d'aucun élément circonstancié susceptible d'être pris en compte dans la détermination du montant final de la sanction. En outre, il est constaté que si les comptes du BCS des Hauts-de-Seine font apparaître des déficits pour les exercices de 2013 à 2017, le Bureau - dont les membres sont indéfiniment responsables des dettes - procède régulièrement à des appels de fonds, le dernier ayant eu lieu en 2017. Par ailleurs, comme le relevait l'Autorité dans son avis n° 16-A-25 précité, pour la période 2012-2016, sur l'ensemble du périmètre observé, le " chiffre d'affaires le plus élevé par office est observé dans les Hauts-de-Seine (1,5 million d'euros par office) ". L'Autorité avait notamment relevé que le résultat moyen annuel dépassait 500 000 euros par office dans ce département, soit un montant largement supérieur à celui observé dans les autres départements. Enfin, le président du BCS a déclaré que la structure " n'est pas là pour faire des bénéfices mais pour rendre un service aux études " (cote 21 ; voir également la déclaration de la chambre départementale des Hauts-de-Seine, cote 17).
C. LE MONTANT DES SANCTIONS
120. Au vu de l'ensemble de ces éléments et dans le respect des termes de la transaction, le montant de la sanction infligée au BCS des Hauts-de-Seine est fixé à 120 000 euros.
121. Ce montant est inférieur au plafond légal de sanction prévu par le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce.
122. En outre, au cas présent, lors de la signature du procès-verbal de transaction, le BCS des Hauts-de-Seine a proposé deux engagements qui y ont été annexés.
123. En premier lieu, le BCS des Hauts-de-Seine s'est engagé à faire évoluer ses statuts en modifiant les conditions et la procédure d'adhésion afin de supprimer tout droit d'entrée, et de les amender afin qu'elles soient plus transparentes, objectives et non-discriminatoires. L'engagement porte également sur la modification des procédures de retrait et d'exclusion afin de les rendre plus transparentes et non discriminatoires. Cet engagement a d'ores et déjà été exécuté, l'assemblée générale du BCS ayant adopté de nouveaux statuts le 26 mars 2019.
124. L'Autorité prend acte de cet engagement et de sa mise en œuvre, qu'elle rend obligatoire. Elle souligne toutefois que cet engagement vise simplement à mettre en conformité les statuts du BCS avec le droit de la concurrence.
125. En second lieu, le BCS des Hauts-de-Seine s'est engagé à diffuser un résumé de la décision de l'Autorité dans le Journal des Huissiers de Justice et sur la page d'accueil du ou des sites internet de la section des Huissiers de Justice de la Chambre Nationale des Commissaires de Justice. Cet engagement, dont l'Autorité prend acte et qu'elle rend obligatoire, devra conduire la chambre à publier, dans les conditions rappelées ci-avant, le résumé de la présente décision qui figure ci-dessous :
" L'Autorité de la concurrence a sanctionné le BCS des Hauts-de-Seine pour avoir mis en œuvre une entente dans le secteur des huissiers de justice en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
L'infraction sanctionnée a consisté en l'adoption de clauses contractuelles dans les statuts et le règlement intérieur du BCS des Hauts-de-Seine, portant sur les conditions et modalités d'admission de nouveaux membres au sein de cette entité, ainsi que les conditions et modalités de leur retrait et exclusion. Ces pratiques visaient à titre principal à rendre plus difficile l'adhésion au BCS des Hauts-de-Seine des huissiers de justice qui seront nouvellement et prochainement nommés dans le département des Hauts-de-Seine, suite à la l'adoption de la loi Macron du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.
L'entité concernée a renoncé à contester les griefs. Elle a ainsi bénéficié de la procédure de transaction.
Dans ce cadre, l'Autorité a prononcé une sanction pécuniaire d'un montant de 120 000 euros au BCS des Hauts-de-Seine ".
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que le BCS des Hauts-de-Seine a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 2 : Il est infligé une sanction pécuniaire de 120 000 euros au BCS des Hauts-de-Seine.
Article 3 : L'Autorité de la concurrence prend acte des engagements pris par le BCS des Hauts-de-Seine, qui font partie intégrante de la décision. Ces engagements sont rendus obligatoires à compter de la notification de la présente décision.
NOTES
1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après