ADLC, 24 juin 2019, n° 19-D-12
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à des pratiques mises en œuvre par des notaires dans le secteur de la négociation immobilière
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Aurélie Jean, Mme Lucile Fournereau, rapporteures, l'intervention orale de M. Thomas Piquereau, rapporteur général adjoint, par M. Emmanuel Combe, vice-président, président de séance, Mme Catherine Prieto, M. Jean-Yves Mano, membres.
L'Autorité de la concurrence (section III),
Vu la décision n° 18-SO-08 du 10 avril 2018, enregistrée sous le numéro 18/0042F, par laquelle l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre par des notaires dans le secteur de la négociation immobilière ; Vu le livre IV du Code de commerce et notamment l'article L. 420-1 ; Vu les décisions de secret d'affaires, n° 18-DSA-239 du 26 juillet 2018, n° 18-DSA-301 du 18 septembre 2018, n° 18-DSA-303 du 18 septembre 2018 ; n° 18-DECR-424 du 28 novembre 2018, n° 18-DECR-425 du 28 novembre 2018 ; Vu la décision du rapporteur général du 7 décembre 2018 disposant que l'affaire fera l'objet d'une décision de l'Autorité sans établissement préalable d'un rapport ; Vu le procès-verbal de transaction du 6 février 2019 signé par le rapporteur général adjoint et le GIE Notimo en application des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu le procès-verbal de transaction du 6 février 2019 signé par le rapporteur général adjoint et la chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté en application des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les représentants du GIE Notimo et la chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteures, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement, les représentants du GIE Notimo et de la chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté, entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 17 avril 2019 ; Adopte la décision suivante :
Résumé1 :
Aux termes de la présente décision, l'Autorité sanctionne le GIE Notimo (regroupant des notaires pratiquant la négociation immobilière en Franche-Comté) et la chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté pour avoir mis en œuvre une entente dans le secteur de la négociation immobilière, en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
L'infraction sanctionnée a consisté en un accord entre les membres du GIE Notimo, portant sur l'adoption d'un tarif commun applicable aux prestations de négociation immobilière, en violation du principe de liberté tarifaire institué par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite " loi Macron ". L'accord est intervenu avant l'adoption du décret du 26 février 2016, fixant la fin du tarif réglementé pour les prestations de négociation immobilière à la date du 1er mars 2016 et a été mis en œuvre après cette date, empêchant les adhérents de déterminer librement leurs tarifs au regard de leur structure particulière de coûts.
La chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté a pris part à l'entente, d'une part, en mettant son secrétariat à disposition du GIE et, d'autre part, en ne dénonçant pas aux autorités compétentes cette infraction dont elle avait connaissance. Ce comportement est d'autant plus notable qu'il concerne une instance ordinale tenue à une mission de conseil et de contrôle du respect de la déontologie par ses membres.
Les deux entités concernées ayant sollicité le bénéfice de la procédure de transaction, prévue au III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, la mise en œuvre de ces dispositions a donné lieu, pour chacune d'entre elles, à l'établissement d'un procès-verbal de transaction, signé avec le rapporteur général adjoint, fixant les montants maximal et minimal de la sanction pécuniaire envisagée. Dans ce cadre procédural, l'Autorité a prononcé les sanctions suivantes :
- 250 000 euros pour le GIE Notimo ;
- 45 000 euros pour la chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté.
L'Autorité a par ailleurs rendu obligatoire l'engagement de publication proposé par la chambre dans le cadre de la procédure de transaction.
Pour déterminer le montant des sanctions, l'Autorité a notamment tenu compte de ce que cette pratique de fixation en commun d'un tarif, qui constitue, par sa nature même, une infraction particulièrement grave au droit de la concurrence, est intervenue dans un contexte de libéralisation partielle des prix dans le notariat, secteur où l'espace concurrentiel est fortement limité par la réglementation. Elle a également tenu compte des circonstances particulières dans lesquelles la participation de la chambre à l'entente a été retenue.
I. Constatations
A. LA PROCÉDURE
1. Le 17 octobre 2017, l'Autorité de la concurrence (ci-après " l'Autorité ") a mené des opérations de visite et saisie notamment dans les locaux de la chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté (ci-après " la chambre ") et de plusieurs offices notariaux, dont celui de Me X..., notaire à Marnay (70150).
2. Par décision n° 18-SO-08 du 10 avril 2018, enregistrée sous le numéro 18/0042 F, l'Autorité s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre par des notaires dans le secteur de la négociation immobilière.
3. Le 7 décembre 2018, le rapporteur général a adressé une notification de grief au GIE Notimo, à la chambre et au commissaire du Gouvernement, portant sur des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce.
B. LE SECTEUR DE LA NÉGOCIATION IMMOBILIÈRE PRATIQUÉE PAR LES NOTAIRES
1. LA PROFESSION NOTARIALE
4. Au 31 mai 2018, 5 974 offices notariaux, au sein desquels exercent 9 925 notaires titulaires ou associés, ainsi que 2 503 notaires salariés étaient recensés (avis de l'Autorité n° 18-A-08 du 31 juillet 2018 relatif à la liberté d'installation des notaires et à une proposition de carte révisée des zones d'implantation). Le chiffre d'affaires de la profession s'est élevé en 2017 à environ 7,5 milliards d'euros (site www.notaires.fr).
a) Les missions des notaires
5. Les notaires sont des officiers publics et ministériels, nommés par le ministre de la Justice.
6. En tant qu'officiers publics, ils confèrent l'authenticité aux actes qu'ils établissent et en assurent la conservation.
7. En tant qu'officiers ministériels, les notaires sont titulaires d'un office attribué par l'État. Ils disposent d'un monopole pour exercer leur mission dans le cadre d'une délégation de puissance publique conférée par l'État. À côté de cette activité exclusive, les notaires se sont vu confier des missions exercées en monopole partagé ou en concurrence.
8. Concernant les services immobiliers, les notaires interviennent à la fois dans le cadre de leur monopole, pour authentifier tous les actes translatifs ou déclaratifs de propriété immobilière (article 710-1 du Code civil), principalement les ventes immobilières et, dans le champ concurrentiel, notamment pour réaliser des expertises immobilières et de la négociation immobilière (troisième alinéa de l'article L. 444-1 du Code de commerce).
9. La profession a été profondément réformée par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (ci-après " loi Macron "), tant en ce qui concerne les conditions d'installation des professionnels que la tarification des prestations notariales. En particulier, en matière de tarification, le décret du 26 février 2016, pris en application de loi Macron a mis fin au tarif réglementé pour les prestations de négociation immobilière, à compter du 1er mars 2016. S'agissant des conditions d'installation, à la suite de l'avis de l'Autorité n° 16-A-13, l'arrêté conjoint du 16 septembre 2016 a établi 247 zones d'installation libres dans lesquelles 1 650 nouveaux notaires libéraux ont été appelés à s'installer, entre septembre 2016 et septembre 2018.
b) L'organisation de la profession
10. L'article 2 de l'ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945, relative au statut du notariat, organise la profession notariale de la façon suivante : " il y a, dans chaque département, une chambre des notaires, dans chaque cour d'appel un conseil régional des notaires, et auprès du garde des Sceaux, ministre de la Justice, un conseil supérieur du notariat ". Ces différentes instances sont des établissements d'utilité publique (article 3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée). Des dispositions spécifiques sont prévues pour les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle.
11. Le Conseil Supérieur du Notariat (" CSN ") est chargé à titre principal de représenter l'ensemble de la profession auprès des pouvoirs publics, de régler tous différends d'ordre professionnel, de centraliser et de diffuser les données relatives aux mutations d'immeubles à titre onéreux, ou de déléguer cette mission à " tout organisme de droit privé placé sous son contrôle " (articles 6 et 6-1 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée).
12. Par ailleurs, en vertu de l'article 26 du décret n° 71-942 du 26 novembre 1971, le CSN a élaboré un règlement qui encadre " les usages de la profession à l'échelon national " (partie intitulée " règlement national ") et " les rapports des notaires établis dans des ressorts de cours d'appel différentes " (partie intitulée " règlement inter-cours "). La dernière version de ce règlement a été approuvée par un arrêté du garde des Sceaux du 22 mai 2018.
13. Le conseil régional des notaires " représente l'ensemble des notaires du ressort de la cour d'appel en ce qui touche à leurs droits et intérêts communs ". Dans son ressort, il assure " l'exécution des décisions prises par le conseil supérieur ", règle tous différends d'ordre professionnel et veille à la discipline et au respect des règles de déontologie applicables (articles 5 et 5-1 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée).
14. La chambre départementale a pour principales missions d'assurer " l'exécution des décisions prises par le conseil supérieur et le conseil régional ", de régler tous différends d'ordre professionnel et de dénoncer les infractions disciplinaires dont elle a connaissance (article 4 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée).
15. Des chambres interdépartementales peuvent être également instituées par décret. Elles sont chargées d'exercer les attributions des chambres départementales et, le cas échéant, du conseil régional, dans leurs ressorts respectifs.
2. LA NÉGOCIATION IMMOBILIÈRE
a) Présentation des acteurs
16. La négociation immobilière est une activité d'intermédiation dans les transactions immobilières, qui comprend l'intermédiation dans les opérations d'achat et de vente ainsi que de location (voir par exemple la décision n° 14-DCC-68 du 20 mai 2014 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe PERL par le groupe Nexity (groupe BPCE), points 6 et suivants)
17. Les agences immobilières sont les principaux acteurs de ce marché. Elles sont en concurrence avec d'autres professionnels, tels que les mandataires immobiliers indépendants, les avocats ou les notaires. En outre, certains particuliers vendent ou louent leur bien immobilier sans passer par un intermédiaire (par exemple via des plateformes internet dédiées aux transactions de particulier à particulier).
18. En 2016, près de 70 % des ventes d'immeubles ont été réalisées avec l'intervention d'un professionnel de la négociation immobilière, les notaires représentant moins de 10 % de ce total (cotes 1347 et 1350).
19. Selon les données fournies par le CSN pour la période 2012-2016, 60 % des offices de notaires déclarent un chiffre d'affaires pour la prestation de négociation immobilière (cotes 764 à 771). Un tiers d'entre eux aurait une activité de négociation significative, engendrant un chiffre d'affaires supérieur à 50 000 euros par an.
20. Pour la majorité de ces offices, la négociation immobilière représenterait moins de 10 % de leur chiffre d'affaires total. Toutefois, " cette activité, désormais dé-tarifée, a été identifiée comme l'un des ressorts de croissance de la profession " (avis de l'Autorité n° 16-A-13 du 9 juin 2016 (point 83) et site Internet du CSN, (" Le notariat en chiffres ")).
21. C'est dans cette optique que le CSN a développé, en 2016, le réseau immobilier.notaires(r) qui vise à fédérer les groupements existants et à inciter les notaires à pratiquer cette activité. Au-delà de cette initiative nationale, les notaires ont mis en place des groupements de négociation à l'échelle locale, dont le nombre est estimé à une quarantaine en France (cote 770).
b) Le cadre juridique général
22. La loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, dite " loi Hoguet ", encadre l'activité des professionnels de l'immobilier. Ses conditions d'application sont fixées par le décret n° 72-678 du 20 juillet 1972.
23. Ce cadre juridique prévoit notamment que les professionnels de l'immobilier doivent disposer d'une carte professionnelle délivrée par la chambre de commerce et d'industrie, contracter une assurance contre les conséquences pécuniaires de leur responsabilité civile professionnelle, justifier d'une garantie financière, établir des conventions écrites respectant un formalisme particulier avec leurs clients, respecter des modalités spécifiques de publicité ou bien encore tenir un registre des mandats.
24. Le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilière (article 13-1 et suivants de la loi Hoguet), autorité publique dotée de la personnalité morale, encadre et veille au bon exercice des activités concernées.
c) Le cadre juridique applicable aux notaires
25. La loi Hoguet n'est pas applicable à certaines professions réglementées, dont les notaires (article 95 du décret d'application n° 72-678 du 20 juillet 1972). Le cadre juridique applicable à l'activité de négociation notariale est défini dans l' " Annexe au règlement national " des notaires, approuvée par l'arrêté du garde des Sceaux du 27 mai 1982 (cotes 613 à 614).
26. Ce texte dispose que " la négociation de biens à vendre ou à louer constitue une des activités traditionnelles du notaire. (...) Elle doit être pratiquée en vue de la réalisation d'un contrat et constitue pour le notaire une activité accessoire " (article 1er).
27. Ce texte prévoit également que les notaires ont la faculté de créer des groupements afin de " mettre en commun divers moyens dans le but d'assurer à la clientèle le meilleur service en matière de négociation. Ils peuvent, notamment, centraliser dans un fichier commun destiné à leur information et à celle de leurs clients, les offres de vente ou de location pour lesquelles ils ont reçu mandat de rechercher un acquéreur ou un locataire " (article 4). Ces groupements doivent être déclarés aux instances ordinales locales et ne peuvent pas être en relation directe avec la clientèle (aucun mandat ne peut être établi au nom du groupement par exemple).
28. Enfin, il dispose que " les inspecteurs des offices contrôleront les conditions d'exercice de l'activité de négociation et le respect des règles de déontologie applicables en la matière " (article 6). En particulier, l'inspecteur vérifie l'existence des mandats de vente ou de recherche et les conventions d'honoraires ainsi que le respect des obligations d'affichage concernant l'information et la protection du consommateur (cotes 564 et 566).
d) Le prix de la négociation immobilière pratiquée par les notaires
29. Avant le 1er mars 2016, l'émolument dû au notaire au titre de la négociation immobilière était fixé par voie règlementaire à 5 % du prix de vente pour les mutations de propriété d'un montant allant jusqu'à 45 735 euros et à 2,5 % du prix de vente pour les transactions d'un montant supérieur (ligne 58 du tableau I de l'annexe au décret n° 78-262 du 8 mars 1978 portant fixation du tarif des notaires, pris en application de l'ordonnance du 8 septembre 1945 relative aux tarifs des émoluments alloués aux officiers publics ou ministériels). En matière de négociation immobilière, les notaires pouvaient accorder une remise partielle, sans autorisation de la chambre de discipline.
30. Désormais, en vertu du décret n° 2016-230 du 26 février 2016 relatif aux tarifs de certains professionnels du droit et au fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice, qui fixe notamment les conditions d'application de l'article 50 de la loi Macron, les notaires peuvent déterminer librement leurs tarifs de négociation immobilière, à l'instar des autres professionnels du secteur. Ils sont néanmoins tenus de signer une convention d'honoraires avec leurs clients qui précise notamment le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés (article L. 444-1 du Code de commerce).
31. La prestation de négociation est en général rémunérée par une commission déterminée selon un barème. Ce dernier combine le plus souvent une part forfaitaire et une part proportionnelle à la valeur de la transaction. Les taux des honoraires proportionnels sont généralement dégressifs et compris entre 5 % et 10 % (cotes 18 à 30, 717 à 729 et 1351 à 1423). En pratique, depuis le 1er mars 2016, la prestation de négociation effectuée par le notaire est en général rémunérée par une commission déterminée selon un barème fixé librement par chaque notaire.
32. Concernant l'affichage des honoraires, depuis le 1er avril 2017, tous les professionnels de l'immobilier, dont les notaires, sont soumis aux mêmes obligations, soit celles fixées par l'arrêté du 10 janvier 2017 relatif à l'information des consommateurs par les professionnels intervenant dans une transaction immobilière. En particulier, l'article 2 de ce texte prévoit que :
" I. - Les professionnels visés à l'article 1er sont tenus d'afficher les prix effectivement pratiqués des prestations qu'ils assurent, notamment celles liées à la vente, à la location de biens et à la gestion immobilière, en indiquant pour chacune de ces prestations à qui incombe le paiement de cette rémunération. II. - Les prix des prestations doivent être indiqués toutes taxes comprises. III. - Lorsque ces prix sont fixés en fonction de la valeur du bien vendu ou du montant du loyer, l'affichage prescrit au I du présent article doit indiquer le ou les montants prélevés, en précisant, le cas échéant, les tranches de prix correspondantes, et faire apparaître tous les éléments permettant de calculer les prix. Le cas échéant, une mention intelligible et figurant en caractère très apparents précise le caractère cumulatif des tranches entre elles. IV. - Les informations prévues aux I à III du présent article sont affichées de façon visible et lisible : 1° A l'entrée des établissements recevant de la clientèle ; 2° Depuis l'extérieur sur la vitrine desdits établissements dans le même format et au même emplacement que celui normalement alloué aux annonces de vente ou de location ; 3° Sur chaque vitrine publicitaire située hors établissement destinée aux publicités de vente, de location ou de sous-location du professionnel. Lorsque cette vitrine est partagée par plusieurs professionnels, une mention précisant la possibilité de consulter le barème sur simple demande peut être substituée. Elles doivent également être aisément accessibles sur tout service de communication au public en ligne dédié au professionnel et à partir de toute publicité relative à la vente, à la location ou à la sous-location non saisonnière d'un bien déterminé effectuée sur un support dématérialisé ".
C. LES ACTEURS CONCERNÉS
1. LE GIE NOTIMO
33. Le GIE Notimo (RCS Besançon 479 185 308), créé en 2004, est issu du " groupement notarial de négociation de Franche-Comté " développé il y a une trentaine d'années dans le pays de Montbéliard (Doubs). Il est présidé par Me X... (notaire à Marnay, Haute-Saône) et domicilié au siège de la chambre. Il a notamment pour objet de " faciliter et de développer l'activité économique en matière de négociation mobilière et immobilière des Notaires de Franche-Comté exerçant à titre individuel ou en Société, d'améliorer ou d'accroître les résultats de cette activité " (cote 664).
34. En 2018, le GIE était constitué de 21 offices de notaires de Franche-Comté, ce nombre étant en diminution (il comptait une trentaine d'offices en 2015, cote 569). Les membres qui étaient, jusqu'à récemment, implantés dans tous les départements situés en Franche-Comté sont, aujourd'hui, tous situés dans le département du Doubs, à l'exception de deux offices localisés en Haute-Saône (cotes 686 et 687).
35. Le conseil d'administration du GIE, composé de 3 à 9 membres, se réunit au moins une fois par trimestre et prend ses décisions à la majorité des membres présents (article 11 des statuts du GIE, cote 667). De même, l'assemblée générale ordinaire statue à la majorité simple des membres présents ou représentés (article 14 des statuts du GIE, cote 669). Dans le cadre d'une audition en date du 16 mai 2018, le président du GIE a précisé que " les conseils d'administration et les assemblées générales du GIE ne donnent pas systématiquement lieu à la rédaction de comptes rendus formels du fait de l'absence de moyens matériels propres au GIE (cf. pas de secrétariat dédié) " (cote 738).
36. Le GIE Notimo offre à ses membres une visibilité accrue (communication commune) et la mise en commun, grâce au financement d'un logiciel de négociation immobilière, des biens immobiliers pour lesquels ils ont un mandat de vente ou de location (cote 648). Les annonces du groupement sont notamment publiées, depuis février 2018, sur l'application " Notimo ", disponible sur smartphones et tablettes. Le GIE propose également des formations à l'attention des négociateurs immobiliers des offices membres du groupement.
37. Les principales sources de financement du GIE sont les cotisations des adhérents, qui comprennent une part fixe et une part proportionnelle au chiffre d'affaires réalisé en matière de négociation immobilière (cote 565).
2. LA CHAMBRE INTERDÉPARTEMENTALE DES NOTAIRES DE FRANCHE-COMTÉ
38. Créée par le décret n° 2014-1562 du 22 décembre 2014 relatif à l'organisation professionnelle des notaires dans le ressort de la cour d'appel de Besançon, la chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté est chargée d'exercer : " 1° Les attributions des chambres départementales des notaires du Doubs et du Jura et de la chambre interdépartementale des notaires du Territoire de Belfort et de la Haute-Saône ; 2° Les attributions du conseil régional dans le ressort de la cour d'appel de Besançon ".
39. Près de 200 notaires, regroupés en un peu moins de 100 offices, sont rattachés à cette instance composée d'une vingtaine de notaires élus (cote 574). En mai 2017, Me Y... a succédé à Me Z... à la présidence de la chambre.
D. LES PRATIQUES CONSTATÉES
1. L'ADOPTION D'UN BARÈME D'HONORAIRES COMMUN POUR LA NÉGOCIATION IMMOBILIÈRE
40. En prévision de la fin du tarif réglementé applicable en matière de négociation immobilière, résultant de l'article 50 de la loi Macron du 6 août 2015, le GIE Notimo a élaboré un barème d'honoraires commun applicable à cette prestation.
41. Cette stratégie tarifaire a été définie par le GIE dès le second semestre 2015, soit plusieurs mois avant l'adoption, le 26 février 2016, du décret d'application qui fixe au 1er mars 2016 la date d'entrée en vigueur du principe de liberté tarifaire.
42. Ainsi, le compte-rendu du conseil d'administration du 16 novembre 2015 indique :
" Émoluments de négociation au regard de la loi MACRON
La libéralisation prochaine de notre tarif pourrait conduire les membres de notre groupement à "adopter" la tarification suivante :
- de 0 à 50 000 (montant de la transaction) : émoluments fixés à 8 % HT ;
- au-delà de 50 000 : émoluments fixés à 4 % HT.
En sus, TVA applicable au taux en vigueur.
Bien évidemment, aucune consigne écrite ne sera donnée. N'oublions pas que nous pourrions "tomber" sous le coup de l'entente illicite ! " (cote 1569 ; soulignement ajouté).
43. Cette grille tarifaire correspond, par ailleurs, à une hausse des honoraires significative par rapport au tarif réglementé, comprise entre 60 % et 67 % selon le montant de la transaction, comme l'illustre le tableau ci-après :
44. Afin d'évaluer le risque d'infraction au droit de la concurrence résultant de ce barème, un membre du GIE a demandé une analyse juridique au Centre de Recherches d'Information et de Documentation Notariales (CRIDON) de Lyon en décembre 2015. Ce CRIDON est un GIE dont " les membres associés sont les 28 chambres départementales ou interdépartementales de notaires situées de part et d'autre de l'axe Rhin-Rhône- Méditerranée "2.
45. Dans sa réponse du 11 janvier 2016, le CRIDON a conclu qu'il était " peu vraisemblable " que la fixation des honoraires de négociation au sein du GIE Notimo soit susceptible, après libéralisation de la rémunération des notaires, de constituer une entente illicite. Le CRIDON précise toutefois : " nous ne pouvons malheureusement, en l'absence de connaissance de ce marché, répondre de manière certaine à la question de savoir si, par cette pratique de prix, le GIE est susceptible de menacer le jeu normal de la concurrence (...) " (cotes 235 à 237 ; soulignement ajouté).
46. Le compte-rendu du conseil d'administration du 4 février 2016, lors duquel l'avis du CRIDON a été discuté, indique que le GIE Notimo a considéré qu'" au regard des parts de marché, notre GIE, ne semble pas devoir tomber sous le coup de la loi ". Il précise que " cette consultation [du CRIDON] et la décision prise au dernier CA (proposition d'une nouvelle tarification des émoluments de négociation sous réserve de la parution du décret) seront portées à la connaissance de notre prochaine assemblée générale " (cote 1571).
47. Le barème a été diffusé aux adhérents du GIE par courrier du 10 mars 2016, soit dix jours après l'entrée en vigueur du principe de liberté tarifaire, fixée au 1er mars 2016.
48. Après avoir rappelé le nouveau principe de liberté tarifaire, le président du GIE indique dans ce courrier que :
" Nous sommes convenus, lors d'un dernier conseil d'administration de notre groupement, de proposer une unification de nos honoraires de négociation, à savoir :
- 8 % HT si le prix de cession est inférieur ou égal à 50 000,00 (1ère tranche) ;
- 4 % HT au-delà d'un prix supérieur à 50 000,00 (2ème tranche).
(...) Je vous remercie, dès à présent, de vous conformer à ces dispositions, et d'en informer immédiatement vos négociateurs " (cotes 233 à 234).
49. Le compte-rendu du conseil d'administration du 24 mars 2016 confirme la décision d'adopter un tarif commun : " Pour rappel, les honoraires ont été fixés par le dernier CA à 8 % HT jusqu'à 50 000 de prix de vente et 4 % HT au-delà de cette somme. Il est décidé de ne pas réunir les négociateurs pour leur faire part de cette nouvelle tarification ; chaque employeur devra en informer son ou ses collaborateurs " (cote 1572).
50. Un courrier du 8 avril 2016 du président du GIE, dont l'objet est " GIE NOTIMO - Compte-rendu Assemblée Générale 7 avril 2016 ", indique que l'assemblée générale du 7 avril 2016 a entériné " la hausse des honoraires de négociation selon le barème " évoquée dès novembre 2015 (cote 751).
2. L'APPLICATION DU BARÈME PAR LES MEMBRES DU GIE
51. Des relevés effectués sur Internet en mai 2018 et septembre 2018 démontrent qu'environ la moitié des membres du GIE affichait les tarifs communs, adoptés par le groupement plus de deux ans auparavant (cotes 498 à 561).
52. À l'inverse, les tarifs affichés par 48 offices non membres du GIE, localisés dans la région Bourgogne-Franche-Comté, diffèrent non seulement des tarifs du GIE, mais également les uns des autres, tant au niveau des tranches que des taux retenus (cotes 1351 à 1423 et 1468 à 1476).
53. Il ressort, en outre, de cette même analyse, que les tarifs du GIE Notimo sont supérieurs d'environ 20 % à la moyenne des tarifs affichés par les autres offices de la région.
54. Dans le cadre d'une audition du 16 mai 2018, le président de la chambre a déclaré que les tarifs affichés ne correspondaient pas forcément aux tarifs pratiqués par les notaires : " le notaire peut décider de percevoir moins que ce qui était convenu dans le mandat. En matière de négociation immobilière, le point central en matière de tarif est le mandat, pas les tarifs affichés " (cote 575).
55. Il doit être relevé toutefois que les pratiques résultant de la déclaration du président de la chambre ne correspondent pas aux principes énoncés par la DGCCRF dans la fiche pratique dédiée à l'interprétation de l'arrêté du 10 janvier 2017. Cette fiche précise que " les professionnels doivent veiller à appliquer effectivement les prix affichés dans une majorité des transactions de vente auxquelles ils participent. Les rabais par rapport au barème sont autorisés ; il est possible d'y déroger dans le cadre des négociations, mais dans des limites proches des conditions pratiquées, seulement à la baisse, et pour des affaires particulières " (cote 731).
56. La fiche interprétative de l'arrêté du 10 janvier 2017 a été diffusée par le CSN dans une revue professionnelle (cote 779).
3. LES RELATIONS ENTRE LE GIE NOTIMO ET LA CHAMBRE
a) Les membres de la chambre qui sont adhérents du GIE Notimo
57. Plusieurs membres élus de la chambre sont également adhérents du GIE. En particulier, Me Z... a été à la fois président de la chambre et membre du conseil d'administration du GIE Notimo sur la période allant de mai 2015 à mai 2017 (cote 574).
58. En 2018, si le nouveau président de la chambre, Me Y..., n'est pas adhérent du GIE, plus d'un tiers des membres de la chambre le sont, dont le premier vice-président, le délégué de Cour auprès du CSN (le CSN est composé de délégués élus au sein de chaque Conseil régional des notaires), des syndics et des membres (cote 643).
b) L'assistance bénévole fournie au GIE Notimo par la chambre
59. En audition, le président de la chambre a indiqué que " la chambre fournit [au GIE] le montant des honoraires de négociation qui sert de base au Président du GIE pour ses appels de cotisations. Ces informations ne sont disponibles que sur les DAP [Déclaration d'Activité Professionnelle], confidentielles et détenues par la chambre. Elles sont transmises par le secrétariat de la chambre dans le cadre de l'assistance bénévole fournie au GIE par la chambre " (cote 575).
60. L'article 13 des statuts du GIE Notimo prévoit que l'inspecteur comptable salarié de la chambre, dont la tâche principale est d'inspecter les offices du ressort de la chambre, vérifie annuellement " la cohérence des écritures comptables du GIE NOTIMO ". Il précise que cette activité ne donne pas lieu à rémunération.
61. Par ailleurs, le président du GIE a indiqué : " comme je n'ai pas de secrétariat dédié à l'administration du GIE, il a pu m'arriver de demander aux collaborateurs de la chambre, par exemple à Mme A..., secrétaire générale, de m'aider ponctuellement, pour l'envoi de mails, de fax ou de courriers à tout ou partie des adhérents du GIE. De même, il a pu arriver que je leur demande la rédaction de documents pour le compte du GIE. Pour faire certains envois de mails, l'adresse électronique de la chambre a donc parfois été utilisée " (cote 656).
62. Dans le même sens, le président de la chambre a indiqué en audition que le secrétariat de la chambre " est prêté gratuitement au GIE, cela a toujours été comme ça. Lorsque le président du GIE a une lettre à rédiger ou à envoyer, il peut avoir recours au secrétariat de la chambre. Cet usage, par le GIE, des ressources de la chambre reste marginal. Je n'ai pas connaissance du contenu des documents du GIE réalisés avec les ressources de la chambre car il y a une étanchéité parfaite entre les deux structures " (cote 575).
63. Dans ce cadre, le personnel de la chambre a été chargé, par le GIE, de différentes tâches de secrétariat (envoi des convocations aux réunions statutaires et réception des confirmations, réservation de salles de réunion, organisation de cocktails, traitement du courrier, réservation de billets de train, etc., cotes 157 à 158, 161, 167, 263, 933, 934, et 936). En outre, la secrétaire générale de la chambre avait, jusqu'en 2016, le pouvoir d'endosser les chèques pour le compte du GIE.
64. Ainsi, la convocation à l'assemblée générale du GIE Notimo du 7 avril 2016 qui devait permettre d'" entériner le nouveau calcul des honoraires de négociation, comme cela a été décidé en conseil d'administration " (cote 146), a été envoyée depuis le fax de la chambre, tel que cela apparaît en haut du document ci-après.
65. De même, certains courriels relatifs " au nouveau barème " ont été envoyés à la chambre. Ainsi, le 17 mars 2016, un membre du GIE Notimo a envoyé à la chambre un courriel portant sur la nécessité de discuter rapidement des modalités de mise en œuvre du nouveau barème (cote 153) :
66. Ce courriel a donné lieu à une réponse de Me X..., président du GIE, via l'adresse de son office, alors même que le courriel avait été adressé à la chambre (cote 153).
67. Il ressort également d'un e-mail en date du 8 avril 2016, reproduit ci-dessous, adressé par le président du GIE, Me X..., à la chambre, que celui-ci a demandé au secrétariat de la chambre de diffuser le barème convenu en assemblée générale et de rappeler que ce dernier était d'application immédiate. Dans ce courriel, Me X... précise que le courrier est envoyé " en accord avec notre Président " (cotes 157 et 158).
E. LE GRIEF NOTIFIÉ
68. Par courrier en date du 7 décembre 2018, le rapporteur général de l'Autorité a notifié le grief suivant :
" Il est fait grief aux organismes suivants :
- GIE Notimo (RCS Besançon 479 185 308), 22A rue de Trey, 25000 Besançon ;
- Chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté, 22A rue de Trey, 25000 Besançon ;
D'avoir participé à une entente visant à fixer les honoraires de négociation immobilière des adhérents du GIE Notimo. Cette pratique, qui a consisté en l'élaboration et la diffusion d'un barème d'honoraires, a eu pour objet de limiter la nouvelle liberté tarifaire des offices de notaires en matière de négociation immobilière et d'empêcher ces derniers de définir une stratégie commerciale de manière autonome.
Cette pratique continue constitue une entente anticoncurrentielle, prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce ".
II. Discussion
A. SUR LA MISE EN OEUVRE DE LA PROCÉDURE DE TRANSACTION
69. Le III de l'article L. 464-2 du Code de commerce dispose : " Lorsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut lui soumettre une proposition de transaction fixant le montant minimal et le montant maximal de la sanction pécuniaire envisagée. Lorsque l'entreprise ou l'organisme s'engage à modifier son comportement, le rapporteur général peut en tenir compte dans sa proposition de transaction. Si, dans un délai fixé par le rapporteur général, l'organisme ou l'entreprise donne son accord à la proposition de transaction, le rapporteur général propose à l'Autorité de la concurrence, qui entend l'entreprise ou l'organisme et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire (...) dans les limites fixées par la transaction ".
70. Le point 23 du communiqué de procédure du 21 décembre 2018 relatif à la procédure transaction (ci-après " le communiqué transaction ") prévoit : " dans le cas où l'entreprise en cause a, en outre, proposé des engagements, il appartient au rapporteur général d'apprécier s'il est pertinent de les prendre en compte au regard des circonstances particulières de l'affaire et, notamment, de la nature des griefs retenus. Si tel est le cas, le rapporteur général s'assure ensuite du caractère substantiel, crédible et vérifiable des engagements proposés ".
71. En l'espèce, le GIE Notimo et la chambre n'ont pas contesté la réalité du grief qui leur a été notifié et ont sollicité l'application des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce auprès du rapporteur général de l'Autorité, qui leur a soumis une proposition de transaction.
72. La mise en œuvre du texte précité a donné lieu, pour le GIE Notimo, d'une part, et la chambre, d'autre part, à l'établissement d'un procès-verbal de transaction dans lequel ils ont, chacun, donné leur accord à une proposition de transaction définissant les limites des sanctions pécuniaires pouvant leur être infligées. Par ailleurs, la chambre a proposé de souscrire un engagement de publication. Le dernier état de l'engagement a été annexé au procès-verbal de transaction.
73. En vertu du point 14 du communiqué transaction : " si l'intéressé, qui a volontairement fait le choix de renoncer à contester les griefs, présente ultérieurement des arguments remettant en cause, directement ou indirectement, la validité, tant sur le fond que sur la forme, de la notification de griefs, le collège de l'Autorité considérera que l'intéressé renonce au bénéfice de la transaction telle qu'elle résulte du procès-verbal signé avec le rapporteur général ".
74. En l'espèce, lors de la séance du 17 avril 2019, le GIE Notimo et la chambre n'ayant présenté aucun argument remettant en cause, directement ou indirectement, la validité de la notification de grief, ils sont réputés avoir confirmé leur accord avec les termes des transactions, dont ils ont accepté, en toute connaissance de cause, les conséquences juridiques, notamment en ce qui concerne le montant des sanctions pécuniaires pouvant être prononcées par l'Autorité.
75. Les pratiques n'ayant pas été contestées, l'Autorité se bornera aux développements suivants.
B. SUR LE MARCHÉ PERTINENT
76. Les pratiques relevées concernent le secteur de la négociation immobilière.
77. Dans sa pratique décisionnelle, l'Autorité envisage habituellement, tout en laissant la question ouverte, différentes segmentations pour le secteur des services immobiliers, dont une segmentation en fonction de la nature des services ou biens offerts (voir notamment les décisions n° 15-DCC-10 du 12 février 2015, n° 15-DCC-174 du 15 décembre 2015, n° 16-DCC-78 du 10 juin 2016 et n° 17-DCC-122 du 4 août 2017).
78. Pour cette segmentation, sept activités ont été identifiées : (i) la promotion immobilière, (ii) la gestion d'actifs immobiliers pour compte propre ; (iii) la gestion d'actifs immobiliers pour compte de tiers ; (iv) l'administration de biens immobiliers ; (v) l'expertise immobilière ; (vi) le conseil immobilier ; (vii) l'intermédiation dans les transactions immobilières (avec une distinction entre l'intermédiation dans les opérations d'achat/vente et dans les opérations de location).
79. Au cas d'espèce, le marché concerné par les pratiques est celui de l'intermédiation dans les transactions immobilières pour le compte de particuliers et d'entreprises.
80. Les services immobiliers sont généralement considérés comme étant des marchés de dimension locale (voir notamment la décision n° 15-DCC-10 du 12 février 2015). Cette appréciation est confirmée tant par les parties (cote 659) que par les éléments au dossier (cote 1500).
81. Dans la mesure où les pratiques sont examinées, en l'espèce, au titre de la prohibition des ententes illicites, il n'est pas nécessaire de définir le marché avec davantage de précision, dès lors que le secteur a été suffisamment identifié pour qualifier les pratiques observées et permettre de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en œuvre (voir notamment arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, William Prym/Commission, T-30/05, point 86 et décision de l'Autorité de la concurrence n° 18-D-05 du 13 mars 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la sécurisation des débits de tabac en Isère, point 61).
C. SUR LE BIEN-FONDÉ DU GRIEF
1. SUR L'EXISTENCE D'UNE ENTENTE
a) Rappel des principes
82. L'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites entre entreprises lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, et notamment les ententes qui tendent à " faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ".
83. L'existence d'un accord est établie dès lors que les entreprises ont exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée (voir notamment, arrêt de la Cour de justice du 8 juillet 1999, Anic Partecipazioni SpA, C-49/92, point 40). Selon une jurisprudence constante, les pratiques mises en œuvre par des groupements sont présumées constituer des accords entre leurs membres (voir par exemple, arrêt de la Cour de cassation, 16 mai 2000, n° 98-12612, Ordre national des pharmaciens).
84. Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union que certains types de coordination entre entreprises révèlent intrinsèquement un degré suffisant de nocivité pour qu'ils soient considérés comme anticoncurrentiels compte tenu de leur objet même, si bien que l'examen de leurs effets n'est pas nécessaire (voir en ce sens, notamment, arrêts de la Cour de justice de l'Union du 11 septembre 2014, Groupement des cartes bancaires, C-67/13, points 49 et 50, du 30 juin 1966, LTM, 56/65, pages 359 et 360 ; du 20 novembre 2008, BIDS, C-209/07, point 15, ainsi que du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C-32/11, points 34 et 35).
85. De manière générale, l'appréciation de l'existence d'un degré suffisant de nocivité nécessite d'examiner concrètement et cumulativement la teneur et les objectifs de la disposition restrictive de concurrence, ainsi que le contexte économique et juridique dans lequel elle s'insère (voir, en ce sens, arrêts de la Cour de justice de l'Union du 11 septembre 2014, Groupements des cartes bancaires, C-67/13, point 53 et du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a, point 36, arrêt de la cour d'appel de Paris du 21 décembre 2017, n° 15/17638, p. 43).
86. La pratique décisionnelle de l'Autorité, confirmée par la jurisprudence, considère les ententes horizontales portant sur la fixation des prix de vente comme des infractions par objet, pour lesquelles la démonstration d'effets anticoncurrentiels n'est pas requise (arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 janvier 2010, Adecco France, n° 2009/03532, p. 13).
b) Application au cas d'espèce
87. L'Autorité constate que le GIE Notimo a élaboré et diffusé un barème d'honoraires commun applicable aux prestations de négociation immobilière. Cette pratique relève de la catégorie des ententes sur les prix, considérées comme présentant un degré intrinsèquement élevé de nocivité.
88. Au surplus, l'analyse du contexte économique et juridique dans lequel les pratiques du GIE ont été initiées confirme leur objet anticoncurrentiel.
89. En premier lieu, compte tenu du fait que le niveau élevé de réglementation de la profession de notaire réduit par nature les espaces de concurrence, toute atteinte à la concurrence dans ce secteur revêt une importance particulière.
90. En deuxième lieu, le GIE Notimo a décidé d'un tarif commun pour le groupement, avant l'adoption du décret du 26 février 2016, fixant au 1er mars 2016 la fin du tarif règlementé pour les prestations de négociation immobilière et en vue d'en neutraliser les effets. Ce faisant, le GIE a voulu, par sa pratique, faire obstacle à la volonté du législateur d'introduire davantage de concurrence par les prix dans le secteur.
91. En dernier lieu, les notaires, en tant qu'officiers publics, sont soumis à une obligation particulière de respect de la loi. Ainsi, le règlement national, en son article 2, dispose " Tous actes contraires à la loi lui sont interdits ". Les participants à l'entente avaient d'ailleurs pleinement conscience que la fixation des tarifs en commun pouvait constituer une entente anticoncurrentielle. En effet, avant même de demander une consultation juridique au CRIDON, le GIE Notimo écrivait : " aucune consigne écrite ne sera donnée. N'oublions pas que nous pourrions "tomber" sous le coup de l'entente illicite ! " (cote 1569).
92. Il résulte de ce qui précède que le GIE Notimo a mis en œuvre une entente contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce, dont le degré de nocivité est tel qu'il justifie une qualification de pratique anticoncurrentielle par objet.
2. SUR LA PARTICIPATION DE LA CHAMBRE À L'ENTENTE
a) Rappel des principes
93. Il ressort de l'arrêt du Tribunal de l'Union européenne dans l'affaire des peroxydes organiques " qu'une entreprise est susceptible de violer l'interdiction prévue à l'article 81, paragraphe 1, CE [devenu article 101 TFUE] lorsque son comportement, tel que coordonné avec celui d'autres entreprises, a pour but de restreindre la concurrence sur un marché pertinent particulier à l'intérieur du marché commun, sans que cela présuppose nécessairement qu'elle soit elle-même active sur ledit marché pertinent " (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, AC-Treuhand AG c/ Commission, T-99/04, §122).
94. Le Tribunal a justifié cette interprétation de l'article 81, paragraphe 1, CE (devenu 101 TFUE) par le fait qu'elle était la seule à même de garantir son effet utile et son objectif principal de maintien d'une concurrence non faussée à l'intérieur du marché commun, " dès lors qu'elle permet de sanctionner et de prévenir la création de nouvelles formes de collusion à l'aide d'entreprises non actives sur les marchés visés par la restriction de concurrence, avec pour objectif de contourner l'interdiction prévue à l'article 81, paragraphe 1, CE " (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, AC-Treuhand AG c/ Commission, T-99/04, §127). La Cour de Justice a pleinement confirmé cette interprétation de l'article 81, paragraphe 1, CE (devenu 101 TFUE) ainsi que les motifs justifiant une telle interprétation (arrêt de la CJUE du 22 octobre 2015, AC-Treuhand AG c/ Commission, C-194/14 P, §36).
95. Par ailleurs, dans l'affaire des peroxydes organiques, le Tribunal a également rappelé les conditions requises pour établir la participation d'une entreprise à une entente. Elles sont au nombre de deux, une condition objective et une condition subjective : " la condition objective pour l'imputation à l'entreprise concernée des divers comportements infractionnels constituant l'ensemble de l'entente est remplie dès lors qu'elle a contribué à sa mise en œuvre, même de façon subordonnée, accessoire ou passive, par exemple par une approbation tacite et par une absence de dénonciation de cette entente aux autorités, l'importance éventuellement limitée de cette contribution pouvant être prise en compte dans le cadre de la détermination du niveau de la sanction " (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, AC-Treuhand AG c/ Commission, T-99/04, §133). Cette condition est complétée par une condition subjective, requérant que l'entreprise ait manifesté " sa volonté propre, qui démontre qu'elle souscrit, ne fût-ce que tacitement, aux objectifs de l'entente " (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, AC-Treuhand AG c/ Commission, T-99/04, §134).
96. Ces deux conditions ont été rappelées par la Cour de Justice, dans le cadre d'une seconde affaire impliquant la société Treuhand pour une nouvelle entente commise sur un autre marché : "lorsqu'il s'agit, (...) d'accords et de pratiques concertées ayant un objet anticoncurrentiel, il résulte de la jurisprudence de la Cour que la Commission doit démontrer, afin de pouvoir conclure à la participation d'une entreprise à l'infraction et à sa responsabilité pour tous les différents éléments qu'elle comporte, que l'entreprise concernée a entendu contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l'ensemble des participants et qu'elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en œuvre par d'autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu'elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu'elle était prête à en accepter le risque " (arrêt de la CJUE du 22 octobre 2015, AC-Treuhand AG c/ Commission, C- 194/14 P, §30).
97. À cet égard, la Cour de Justice a précisé qu'une participation passive à une infraction traduit une complicité de nature à engager la responsabilité d'une entreprise " dès lors que l'approbation tacite d'une initiative illicite, sans se distancier publiquement de son contenu ou la dénoncer aux entités administratives, a pour effet d'encourager la continuation de l'infraction et de compromettre sa découverte " (arrêt de la CJUE du 22 octobre 2015, AC-Treuhand AG c/ Commission, C-194/14 P, §31).
98. Tirant les conséquences de l'interprétation retenue de l'article 81, paragraphe 1, CE (devenu 101 TFUE), le Tribunal a considéré que : " ces principes s'appliquent mutatis mutandis à la participation d'une entreprise dont l'activité économique et l'expertise professionnelle lui permettent de ne pas pouvoir ignorer le caractère anticoncurrentiel des comportements en cause et d'apporter ainsi un soutien non négligeable à la commission de l'infraction " (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, AC-Treuhand AG c/ Commission, T-99/04, §136). À cet égard, le Tribunal a précisé que le fait que l'entreprise n'exerce pas une activité économique sur le marché pertinent affecté par la restriction de concurrence et qu'elle n'ait contribué à l'entente que de manière subordonnée est indifférent pour établir sa participation à l'entente (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, AC-Treuhand AG c/ Commission, T-99/04, §136).
99. L'Autorité estime que les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, comme celles de l'article 101 TFUE précisées par la jurisprudence précitée, impliquent que peuvent être considérées comme ayant participé à une entente, les entreprises qui contribuent à une restriction de concurrence sur un marché sur lequel elles ne sont pas actives, dès lors qu'elles contribuent à la mise en œuvre de l'entente, même de façon subordonnée, accessoire ou passive, par exemple par une approbation tacite ou par une absence de dénonciation de cette entente aux autorités. L'importance éventuellement limitée de cette contribution peut être prise en compte dans le cadre de la détermination du niveau de la sanction.
b) Application au cas d'espèce
100. En l'espèce, il ressort des éléments recueillis au cours de l'instruction que la chambre a contribué à la mise en œuvre d'une infraction dont elle avait connaissance et a souscrit, ne fût-ce que tacitement, aux objectifs de l'entente.
101. En effet, les principaux responsables de la chambre, dont son président, ont eu connaissance des pratiques du GIE. À l'époque de la conclusion de l'accord, le président de la chambre, Me Z..., était membre du conseil d'administration du GIE. À ce titre, il a assisté aux réunions statutaires du groupement et a été destinataire des comptes rendus de ces réunions, notamment celui du conseil d'administration du 15 novembre 2015 qui envisage l'adoption d'un tarif commun, tout en précisant que cette pratique peut constituer une entente illicite (cote 1569). Le président a, en particulier, assisté à la réunion du conseil d'administration du GIE du 4 février 2016 où le résultat de l'analyse du CRIDON a été présenté et où il a été décidé de faire fi du risque de qualification d'entente de la pratique en cause (cote 1571).
102. En outre, il ressort des éléments du dossier que le secrétariat de la chambre a été mis à disposition du GIE pour l'envoi de courriels, de fax ou de courriers, y compris de messages qui concernaient l'entente et ses modalités de mise en œuvre.
103. Ainsi, la convocation à l'assemblée générale du GIE Notimo du 7 avril 2016, qui devait permettre d'" entériner le nouveau calcul des honoraires de négociation, comme cela a été décidé en conseil d'administration " (cote 146), a été envoyée depuis le fax de la chambre (voir point 64 supra). De même, le barème d'honoraires, objet de l'entente, a été diffusé aux membres du GIE via le secrétariat de la chambre, avec l'adresse e-mail de cette dernière et après en avoir averti le président de la chambre (voir point 67 supra) (cotes 157 et 158).
104. Cette utilisation du fax et de l'adresse e-mail de l'instance a renforcé le poids de la consigne tarifaire, qui pouvait ainsi apparaître comme émanant ou ayant été validée par l'autorité professionnelle.
105. Par ailleurs, l'instruction a démontré que certains courriels relatifs aux modalités de mise en œuvre de l'entente ont été envoyés à la chambre. Il en va ainsi d'un courriel envoyé par un membre du GIE Notimo, à la chambre, avec le président du GIE en copie, portant sur la nécessité de discuter rapidement des modalités de mise en œuvre de l'entente afin de faire obstacle aux dispositions contenues dans la loi Macron (voir point 65 supra) (cote 153).
106. Ces échanges démontrent l'absence d'étanchéité entre le GIE Notimo, qui mettait en œuvre l'entente, et la chambre qui y contribuait via une mise à disposition de moyens et, de ce fait, en avait connaissance.
107. Au-delà de la mise à disposition de moyens, la chambre s'est également abstenue de dénoncer l'infraction aux autorités et de s'en distancier. Cette abstention est d'autant plus notable qu'elle est le fait d'une instance ordinale. En s'abstenant de dénoncer et en ne se distanciant pas d'une pratique, dont elle a eu connaissance et dont elle ne pouvait ignorer le caractère anticoncurrentiel, la chambre a failli à la mission de conseil et de contrôle du respect de la déontologie qui lui incombe.
108. De plus, cette abstention est intervenue alors même qu'au niveau national, le CSN a communiqué auprès des notaires sur l'illicéité des ententes tarifaires. Ainsi, l'édition de janvier-février 2017 de la revue " Notaire Vie Professionnelle " du CSN, adressée à 14 000 destinataires, notamment les notaires en exercice et les instances ordinales, précise qu'au sein d'un groupement, les ententes sur les prix de négociation, qu'ils soient conseillés ou impératifs, sont proscrites (cotes 771 et 484).
109. En outre, un courrier du 17 décembre 2018, adressé par la chambre au président du GIE Notimo, postérieurement à l'envoi de la notification de grief, pour lui demander de se conformer aux règles applicables en matière de fixation des honoraires, mentionnait une circulaire du CSN en date du 29 février 2016 adressée aux instances ordinales et aux notaires, commentant les règles contenues dans le décret du 26 février 2016, prévoyant notamment le principe de liberté tarifaire en matière de négociation immobilière (cote 1738).
110. Il ressort de ce qui précède, d'une part, que la chambre avait connaissance de l'infraction compte tenu de l'absence d'étanchéité entre la chambre et le GIE Notimo et que, d'autre part, elle a contribué à l'infraction en mettant activement son secrétariat à disposition du GIE.
111. Il ressort également de ce qui précède que la chambre ne s'est pas opposée à la commission de l'infraction et ne l'a pas dénoncée aux autorités compétentes. Ce n'est qu'à l'issue de l'envoi de la notification de grief que la chambre a rappelé au président du GIE la nécessité de rappeler à ses membres leur obligation de se conformer à la loi. Le président du GIE Notimo a procédé au rappel demandé par courrier du 27 décembre 2018 (cotes 1836 et 1837).
112. Les conditions nécessaires à la démonstration de la participation d'une entité à une entente étant remplies, la chambre doit être considérée comme ayant participé à l'entente.
D. SUR LA DURÉE DE LA PRATIQUE
113. L'infraction a débuté le 16 novembre 2015, date de la première réunion statutaire ayant eu un objet anticoncurrentiel. Au cours du conseil d'administration qui s'est tenu à cette date, le GIE prévoit que " la libéralisation prochaine de notre tarif pourrait conduire les membres de notre groupement à " adopter " la tarification suivante (...) " (cote 1569). Dans le cadre des conseils d'administration suivants des 4 février et 24 mars 2016, la décision prise en novembre 2015 a été confirmée. La grille tarifaire a été définitivement entérinée au cours de l'assemblée générale du GIE, le 7 avril 2016.
114. L'entente s'est donc formée avant l'entrée en vigueur de la libéralisation du tarif de négociation immobilière, permise par la loi Macron et le décret du 26 février 2016 précité, soit avant le 1ermars 2016. Bien qu'elle n'ait pu avoir d'impact direct sur le marché avant cette date, la décision prise par le GIE en amont de la libéralisation a empêché les différents adhérents de déterminer librement leurs nouveaux tarifs au regard de leur structure particulière de coûts.
115. L'étude des barèmes de négociation mis en ligne par les membres du groupement, conformément à l'arrêté du 10 janvier 2017 précité, montre que le tarif commun du GIE était encore appliqué par une part significative des membres du GIE en septembre 2018 (cotes 498 à 561 et cotes 1424 à 1466). De plus, aucun élément au dossier ne permet de considérer que le GIE a abandonné le tarif commun avant la date de la notification de grief.
116. Il résulte de ce qui précède que la pratique a débuté le 16 novembre 2015 et s'est poursuivie jusqu'à la date de la notification de grief, le 7 décembre 2018.
E. SUR L'IMPUTABILITÉ DE LA PRATIQUE
117. Il résulte d'une pratique décisionnelle constante de l'Autorité que seules les entités ayant pris une part personnelle à l'infraction doivent être mises en cause.
118. Lorsque les pratiques étudiées impliquent un organisme collectif, tel qu'un GIE, l'Autorité peut retenir soit la responsabilité de l'organisme seul, ou lui adjoindre celle de ses membres (décision n° 94-D-51 du 4 octobre 1994 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du déménagement, décision n° 01-D-41 du 11 juillet 2001 relative à des pratiques mises en œuvre sur les marchés des titres restaurant et des titres emploi service, décision n° 04-D-07 du 11 mars 2004 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la boulangerie dans le département de la Marne et décision n° 12-D-06 du 26 janvier 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des agrégats et des marchés avals à Saint-Pierre-et-Miquelon). La première solution est retenue dès lors que " ce sont les organes dirigeants de ce G.I.E. en tant que tel, quoique par délégation, qui apparaissent comme étant les auteurs des pratiques d'ententes entre ses membres " (décision n° 94-D-51 précitée).
119. Les éléments au dossier démontrent la participation active des organes dirigeants du GIE Notimo, notamment du conseil d'administration et de l'assemblée générale, pour mettre en œuvre l'entente. Dès lors, l'infraction doit lui être imputée.
120. Par ailleurs, comme exposé précédemment, la chambre a pris part à l'entente tarifaire mise en œuvre par le GIE Notimo. La chambre, en tant qu'établissement d'utilité publique, dispose de la personnalité juridique. Dès lors, l'infraction doit également lui être imputée.
III. Sanctions
A. LES RÈGLES APPLICABLES
121. Aux termes du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, l'Autorité peut infliger une sanction pécuniaire aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles prohibées par l'article L. 420-1 du Code précité.
122. Le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le [titre VI du livre IV du Code de commerce]. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".
123. L'Autorité apprécie, en général, les critères légaux rappelés ci-avant selon les modalités décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (" communiqué sanctions "), " sauf à ce qu'elle explique, dans la motivation de sa décision, les circonstances particulières ou les raisons d'intérêt général la conduisant à s'en écarter dans un cas donné " (paragraphe 7 du communiqué sanctions).
124. Au point 37 du communiqué transaction, l'Autorité indique que " la méthode de détermination des sanctions décrite dans [le communiqué sanctions] n'a pas vocation à être mise en œuvre dans la décision du collège, qui prononce une sanction à l'intérieur de la fourchette fixée par le procès-verbal de transaction ".
125. En l'espèce, la mise en œuvre de la procédure de transaction fondée sur les dispositions précitées du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce justifie que les sanctions prononcées ne soient pas motivées par référence à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires énoncée dans le communiqué sanctions.
126. S'agissant par ailleurs du plafond légal applicable, il convient de rappeler que l'objet d'un groupement d'intérêt économique est de " faciliter ou de développer l'activité économique de ses membres, d'améliorer ou d'accroître les résultats de cette activité. Il n'est pas de réaliser des bénéfices pour lui-même " (article L. 251-1 du Code de commerce). Aux termes du quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce " si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euros ". Par ailleurs, l'article L. 464-5 du Code de commerce dispose que l'Autorité peut, lorsqu'elle met en œuvre la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 du Code de commerce, prononcer les sanctions prévues au I de l'article L. 464-2 de ce Code. Toutefois, la sanction ne peut excéder 750 000 euros pour chacun des auteurs des pratiques prohibées.
B. APPLICATION AU CAS D'ESPÈCE
127. Les pratiques consistant pour des entreprises concurrentes à s'entendre afin de coordonner leurs prix ou leurs stratégies commerciales ainsi que de procéder à des répartitions de marché ou de clientèle sont considérées en droit national et européen comme les plus graves, en raison de leurs répercussions sur le fonctionnement de la concurrence.
128. En l'espèce, l'entente en cause est d'autant plus grave qu'elle est survenue dans un secteur où l'espace concurrentiel est fortement limité par la réglementation, qui érige des barrières quantitatives (telles que des barrières à l'entrée, tarifs réglementés) et qualitatives (telles qu'une interdiction de publicité) très élevées.
129. La nocivité économique de la pratique est renforcée par le fait qu'elle consiste à faire obstacle à la volonté du législateur d'introduire une concurrence tarifaire en matière de négociation immobilière (article 50 de la loi Macron adoptée le 6 août 2015). À cet égard, les termes du message électronique du 17 mars 2016 envoyé par l'un des adhérents du groupement sont dépourvus d'ambiguïté : " La loi Macron fait son œuvre et nous devons rester unis " (soulignement ajouté) (cote 153).
130. Concernant le fonctionnement de l'entente, la substitution d'un tarif commun au principe de liberté tarifaire, puis la définition d'une grille tarifaire commune, ont donné lieu à des décisions du conseil d'administration et de l'assemblée générale du GIE Notimo. Ces décisions ont été rappelées dans différents documents (comptes rendus et courriers) adressés, principalement via le secrétariat de la chambre, à l'ensemble des membres du GIE afin de leur demander de s'y conformer (voir points 40 et suivants supra).
131. Pour ce qui est du dommage à l'économie, il convient de relever que l'entente a été mise en œuvre dans la région Franc-comtoise par une part importante d'offices qui pratiquent la négociation immobilière dans la région. Les relevés effectués sur Internet en mai et septembre 2018 démontrent qu'environ la moitié des membres du GIE affichait les tarifs communs, adoptés par le groupement.
132. Au surplus, l'instruction a démontré que le barème adopté par le GIE Notimo a entraîné une hausse tarifaire significative par rapport au tarif réglementé. En effet, le GIE a décidé de conserver la structure du tarif réglementé en deux tranches cumulatives, mais a augmenté le taux de chaque tranche et le montant de transaction qui sépare les deux tranches. Les anciens taux réglementés étaient de 5 % et 2,5 % tandis que ceux du GIE sont de 8 % et 4 % (HT). Le montant de transaction séparant les deux tranches est quant à lui passé de 45 735 euros à 50 000 euros.
133. Par ailleurs, l'entente a pu influencer la stratégie tarifaire des autres professionnels pratiquant la négociation immobilière. En particulier, l'adoption par le GIE d'une grille tarifaire aboutissant à un renchérissement du coût de la prestation par rapport aux tarifs réglementés a pu inciter d'autres notaires à augmenter leurs tarifs, au détriment des consommateurs. Cet effet d'adaptation des tarifs à la hausse par rapport aux tarifs réglementés était d'autant plus aisé que l'arrêté du 10 janvier 2017 a considérablement accru la transparence des prix en imposant l'affichage des barèmes de négociation immobilière sur Internet.
134. Concernant l'individualisation des sanctions, en l'espèce, aucun élément du dossier ne permet de retenir de circonstances atténuantes ou aggravantes à l'égard du GIE Notimo ou de la chambre. S'agissant plus particulièrement de la situation de la chambre, l'Autorité a tenu compte, dans la fixation du montant de la sanction, des circonstances particulières dans lesquelles sa participation à l'entente a été retenue.
C. LE MONTANT DES SANCTIONS
135. Au vu de l'ensemble des éléments exposés ci-dessus et dans le respect des termes de la transaction :
- le montant de la sanction pécuniaire infligée au GIE Notimo est fixé à la somme de 250 000 euros ;
- le montant de la sanction pécuniaire infligée à la chambre est fixé à la somme de 45 000 euros.
136. Aucune de ces deux sanctions pécuniaires n'est supérieure au plafond légal applicable en l'espèce.
137. En outre, la chambre a pris, dans le procès-verbal de transaction établi sur le fondement de l'article L. 464-2 du Code de commerce, un engagement de publication, libellé comme suit : " Dans un délai de deux mois à compter de la publication de la décision de l'Autorité, la Chambre s'engage à publier le résumé de l'affaire qui figurera dans ladite décision, d'une part, dans la revue spécialisée " Notaires vie professionnelle ", d'autre part, dans le quotidien régional " L'Est Républicain ". La Chambre s'engage également, dans ce même délai, à publier sur son site internet un lien qui renverra au résumé de l'affaire. Ce lien sera visible et accessible sur la page d'accueil du site internet de la Chambre pendant quinze jours ".
138. L'Autorité prend acte de l'engagement de la chambre, qui contribuera à la bonne information des professionnels sur les pratiques prohibées et la nécessité de respecter effectivement le principe de liberté tarifaire, et le rend obligatoire.
139. Par conséquent, la chambre publiera, dans les conditions prévues par l'engagement rappelé ci-avant, le résumé de la présente décision figurant ci-après :
L'Autorité de la concurrence a sanctionné le GIE Notimo (regroupant des notaires pratiquant la négociation immobilière en Franche-Comté) et la chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté pour avoir mis en œuvre une entente dans le secteur de la négociation immobilière en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
L'infraction sanctionnée a consisté en un accord, entre les membres du GIE Notimo, portant sur l'adoption d'un tarif commun applicable aux prestations de négociation immobilière, en violation du principe de liberté tarifaire institué par la loi Macron et le décret du 26 février 2016, fixant la fin du tarif réglementé pour les prestations de négociation immobilière à la date du 1er mars 2016.
La chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté a pris part à l'entente d'une part, en mettant son secrétariat à disposition du GIE et, d'autre part, en ne dénonçant pas aux autorités compétentes cette infraction dont elle avait connaissance. Cette abstention est d'autant plus notable qu'elle est le fait d'une instance ordinale tenue à une mission de conseil et de contrôle du respect de la déontologie par ses membres.
Les entités concernées ont renoncé à contester le grief. Elles ont ainsi bénéficié de la procédure de transaction. Dans ce cadre, l'Autorité a prononcé les sanctions suivantes :
- 250 000 euros au GIE Notimo ;
- 45 000 euros à la chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté.
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que le GIE Notimo et la chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 2 : Il est infligé les sanctions pécuniaires suivantes :
- au GIE Notimo, une sanction de 250 000 euros ;
- à la chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté, une sanction de 45 000 euros.
Article 3 : L'Autorité de la concurrence rend obligatoire l'engagement pris par la chambre interdépartementale des notaires de Franche-Comté, à compter de la notification aux parties de la présente décision.
NOTES
1 Ce résumé a un caractère strictement indicatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.
2 Site internet du CRIDON de Lyon.