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Décisions

ADLC, 24 mai 2019, n° 19-DCC-94

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à la prise de contrôle exclusif de la société Groupe Elephant par la société Webedia

ADLC n° 19-DCC-94

24 mai 2019

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 17 avril 2019, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Groupe Elephant (ci-après, " GroupeElephant ") par la société Webedia, formalisée par une promesse d'achat contresignée en date du 5mars 2019 ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par la partie notifiante au cours de l'instruction ; Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. Webedia est une société par actions simplifiée, contrôlée exclusivement par le groupe Fimalac, lui-même contrôlé ultimement par M. Marc Ladreit de Lacharrière. Fimalac est un groupe français présent dans les secteurs des services financiers, des loisirs et de l'hôtellerie de luxe, de l'immobilier, des médias numériques, de la production de spectacles, des prestations marketing, ainsi que de l'exploitation de salles (incluant des services de billetterie). Webedia est active dans le secteur du numérique au travers de l'exploitation de sites internet, d'une activité de commerce en ligne, de prestations en marketing et communication numérique et de la production de contenus audiovisuels.

2. Groupe Elephant est une société par actions simplifiée, contrôlée conjointement par messieurs Thierry Bizot et Emmanuel Chain. Elle est active dans la création, la production et la distribution de contenus et de produits audiovisuels destinés aux médias. Groupe Elephant produit notamment des programmes télévisés qui sont diffusés sur les chaînes de télévision gratuite, tels que Sept à Huit (TF1) et Fais pas ci, fais pas ça (France 2).

3. L'opération notifiée, formalisée par une promesse d'achat cosignée en date du 5mars 2019, consiste en l'acquisition par Webedia de [...]% du capital et des droits de vote de Groupe Elephant.

4. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de Groupe Elephant par Webedia, l'opération notifiée constitue une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du code de commerce.

5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires mondial hors taxes de plus de 150 millions d'euros (groupe Fimalac : [= 150 millions] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2017 ; Groupe Elephant : [= 50 millions] d'euros pour l'exercice clos le 31 août 2017). Chacune de ces entreprises réalise en France un chiffre d'affaires supérieur à 50millions d'euros (groupe Fimalac : [= 50 millions] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2017 ; Groupe Elephant : [= 50 millions] d'euros pour l'exercice clos le 31 août 2017). Compte tenu des chiffres d'affaires réalisés par les entreprises concernées, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au point I de l'article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

6. Les parties sont simultanément présentes, en tant que vendeurs, sur les marchés des droits de diffusion de programmes audiovisuels (A.).

7. Elles sont également actives toutes les deux sur le marché des services de marketing et de communication commerciale (B).

8. Enfin, seule Webedia est active sur un nouveaumarché pertinent qui serait celui des services de gestion pour " talents et influenceurs ", qui présente un lien vertical avec les marchés des droits de diffusion de programmes audiovisuels (C).

A. MARCHÉS DES DROITS DE DIFFUSION DE PROGRAMMES AUDIOVISUELS

1. MARCHÉS DES PRODUITS

9. Les contenus audiovisuels destinés à une diffusion à la télévision couvrent des produits divers, comme des films, des téléfilms, des documentaires, des émissions de jeux, de divertissement ou de plateau, des manifestations sportives, etc.

10. S'agissant des marchés des droits de diffusion de programmes audiovisuels, la pratique décisionnelle de l'Autorité opère une première segmentation selon le type de contenus audiovisuels (droits portant sur les œuvres scinématographiques et les séries télévisées, droits sportifs et droits relatifs aux autres programmes audiovisuels) 1.

11. L'Autorité considère par ailleurs que les programmes dits "de stock " et ceux dits "de flux " constituent deux marchés distincts (a). Elle opère également une segmentation selon que les programmes sont inédits ou de catalogue (b), et selon le mode de diffusion des contenus (linéaire ou non-linéaire) (c).

a) Segmentation entre les programmes de stock et les programmes de flux

Les programmes de stock

12. Le marché des programmes de stock comprend un ensemble de droits portant sur des produits tels que des fictions (séries à l'exclusion des séries américaines, téléfilms, mini-séries), des documentaires ou encore des animations, à l'exclusion toutefois des films de cinéma et des séries américaines récentes, qui ont été considérés comme faisant partie de marchés de produits distincts.

13. En outre, les œuvres saudiovisuelles européennes et d'expression originale française font l'objet d'une réglementation spécifique prévoyant des obligations de contribution à la production et des quotas de diffusion2. À ce titre, l'Autorité a envisagé que puisse être retenu un marché distinct pour les fictions d'expression originale française3.

14. En l'espèce, la question de la délimitation exacte des marchés des programmes de stock peut toutefois être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelle que soit la segmentation retenue.

Les programmes de flux

15. Le marché des programmes de flux comprend des programmes d'information, des magazines, des jeux, des émissions de variétés ou encore des émissions de plateau.

16. L'Autorité a envisagé l'existence d'un marché de l'acquisition de droits portant, au sein des programmes de flux, sur les images d'actualité4.

17. En l'espèce, la question de la délimitation exacte des marchés des programmes de flux peut toutefois être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelle que soit la segmentation retenue.

b) Segmentation entre les programmes inédits et les programmes de catalogue

18. L'Autorité a envisagé une segmentation du marché des droits de diffusion de programmes audiovisuels entre les programmes inédits et les programmes de catalogue, sans toutefois trancher définitivement la question5.

19. En l'espèce, il n'est pas nécessaire de trancher la délimitation de cemarché.

c) Segmentation selon le mode de diffusion

20. L'Autorité a également envisagé de segmenter les droits de diffusion des programmes audiovisuels entre les droits destinés à des services de télévision linéaire et ceux destinés à des services de télévision non-linéaire (tels que la vidéo à la demande et la vidéo à la demande par abonnement)6.

21. En l'espèce, il n'est pas nécessaire de trancher la délimitation de cemarché.

2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

22. L'Autorité considère que les marchés des droits de diffusion de programmes audiovisuels sont de dimension nationale dans la mesure où les droits sont acquis uniquement pour le territoire national ou, tout au plus, pour une même zone linguistique7.

23. En l'espèce, il n'est pas nécessaire de trancher la délimitation de cemarché.

B. MARCHÉ DES SERVICES DE MARKETING ET DE COMMUNICATION COMMERCIALE

1. MARCHÉ DE PRODUITS

24. La Commission européenne a considéré que le marché des services de marketing et de communication commerciale est distinct des marchés des services d'achat d'espace médiatique8. Elle considère que ce marché "comporte des services divers, incluant notamment des services de marketing, d'analyse et de conseil, de relations publiques et de gestion de la relation client "9.

25. Elle a considéré que le marché n'a pas à être segmenté selon les services concernés, le type de média, le secteur ou la taille des clients.

26. En l'espèce, il n'est pas nécessaire de remettre en question cette délimitation de marché.

2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

27. La Commission européenne a estimé que le marché des services de marketing et de communication commerciale revêt une dimension nationale10.

28. En l'espèce, il n'est pas nécessaire de remettre en question cette délimitation de marché.

C. MARCHÉ DES SERVICES DE GESTION POUR " TALENTS ET INFLUENCEURS"

1. MARCHÉ DES SERVICES

29. La partie notifiante propose de retenir un marché de la production de contenus audiovisuels à destination de " talents et influenceurs ", c'est-à-dire de vidéastes, le plus souvent amateurs, qui se mettent généralement en scène dans des vidéos diffusées sur des plateformes numériques telles que YouTube et Twitch (plateforme spécialisée dans les jeux vidéos) et sur les réseaux sociaux, en particulier Instagram. Ce marché, que la partie notifiante propose de reconnaître, inclurait ainsi les services de production de vidéos soit au bénéfice d'annonceurs souhaitant utiliser l'image des " talents et influenceurs " pour promouvoir un produit, soit au bénéfice des " talents et influenceurs " eux-mêmes dans le cadre de leur activité de production et de diffusion de vidéos sur les plateformes numérique. Dans ce dernier cas, Webedia met notamment à disposition des " talents et influenceurs " des moyens techniques et humainspour la production de vidéos.

30. Toutefois, l'activité de Webedia vis-à-vis de ces personnalités est plus large. Sa division Talent/Production est notamment active dans " la gestion et l'exploitation de l'image et de la carrière de talents/influenceurs et de leur monétisation auprès des marques et autres annonceurs ". La partie notifiante souligne que cette division a également pour objet " la production de contenus [...] et l'organisation d'événements visant [...] à utiliser l'image des influenceurs/talents ". Enfin, Talent/Production propose des " activités relatives à l'exploitation de contenus spécifiques sur des plateformes de gestion telles que les réseaux multichaîne11 [...] ou d'autre plateformes dédiées [...] ".

31. Par ailleurs, les services proposés aux " talents et influenceurs " paraissent constituer un ensemble indissociable, la partie notifiante indiquant [confidentiel]. " De plus, la partie notifiante indique ne pas consentir de prestations de services de production audiovisuelle à des " talents et influenceurs " sans relation d'affaires avec Webedia.

32. Ainsi, un marché plus large pourrait être envisagé regroupant les activités de gestion de carrière et de l'image des " talents et influenceurs " et incluant la mise à disposition de moyens de production audiovisuelle, l'optimisation de la monétisation des vidéos publiées sur les plateformes, ainsi que le soutien au développement de nouveaux contenus pour différents médias (notamment des productions audiovisuelles diffusées à la télévision ou sur les plateformes de vidéos à la demande par abonnement).

33. Toutefois, les différents services évoqués ci-dessus pourraient également être inclus dans des marchés existants, tels que le marché de la production audiovisuelle, le marché de la vente d'espaces publicitaires en ligne et le marché des services de marketing et de communication commerciale.

34. Enfin, il ne peut être exclu qu'un tel marché puisse être segmenté en fonction d'une spécialisation des " talents et influenceurs ". Cela pourrait être le cas pour des " talents et influenceurs " qui offrent un contenu en rapport avec le sport, les jeux vidéos ("gaming ") ou les produits de beauté, dans la mesure où, compte tenu de leur spécialisation qui attire une audience particulière, ils pourraient se présenter comme des partenaires incontournables pour la publicité de certains produits (marques d'équipements de sport ou de cosmétique).

35. En tout état cause, la question de la délimitation exacte de ces services peut être laissée ouverte au stade du présent dossier, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit l'approche retenue.

2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

36. Les services de gestion pour " talents et influenceurs " sont rémunérés par la monétisation de l'image de ces derniers auprès d'annonceurs publicitaires, soit par le biais de campagnes impliquant les " talents et influenceurs ", soit par la vente d'espaces publicitaires précédant les vidéos de ces derniers, soit encore par la monétisation du placement ou de la mise en avant de produits.Pour les annonceurs, le critère linguistique constitue un critère important dans le choix du support et du contenu de diffusion de la publicité, même sur des plateformes de dimension mondiale. En effet, la pratique décisionnelle relative à la vente d'espaces publicitaire en ligne retient que " la dimension géographique des marchés de la publicité en ligne est nationale, pour des raisons principalement liées à l'existence de barrières culturelles et linguistiques "12. On pourra noter toutefois que certains influenceurs ont acquis une audience mondiale considérable, y compris auprès de publics résidant dans des pays et parlant des langues différents.

37. En l'état, au vu des pratiques des annonceurs, la dimension géographique de l'éventuel marché de services de gestion pour " talents et influenceurs "doit être considérée comme nationale.

III. Analyse concurrentielle

A. EFFETS HORIZONTAUX

38. Les activités des parties se chevauchent sur lesmarchés des droits de diffusion de programmes audiovisuels (1) et sur le marché des services de marketing et de communication commerciale (2).

1. MARCHÉS DES DROITS DE DIFFUSION DE PROGRAMMES AUDIOVISUELS

39. Webedia commercialise essentiellement des programmes de flux dédiés aux compétitions de jeux vidéos et n'a proposé qu'un programme de stock en 2017, la fiction Presque adulte.

40. Groupe Elephant commercialise le programme de flux Sept à Huit et dispose d'un portefeuille de programmes de stock tels que Parents Mode d'emploi, La Stagiaire ou les documentaires Les Pouvoirs extraordinaires du corps humain et Le monde de Jamy.

41. Sur ces deux marchés, les parts de marché cumulées des parties sont inférieures à 25%, quelles que soient les segmentations envisagées. La nouvelle entité fera face à la concurrence de nombreuses sociétés, telles que Troisième OEil lProductions et Newen qui commercialisent tous types de programme, ainsi que Banijay France et Endemol Shine pour les programmes de flux et Lagardère Studios pour les programmes de stock.

42. Par conséquent, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux sur les marchés des droits de diffusion de programmes audiovisuels.

2. MARCHÉ DES SERVICES DE MARKETING ET DE COMMUNICATION COMMERCIALE

43. Webedia est actif dans la publicité, la communication institutionnelle et numérique, la connaissance client, la communication marque-employeur13 et la communication interne.

44. Groupe Elephant propose des services relatifs à la publicité, à la communication institutionnelle et numérique, à la communication marque-employeur et à la communication interne.

45. La part de marché cumulée des parties n'excède toutefois pas 1%.

46. Par conséquent, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets horizontaux sur le marché des services de marketing et de communication commerciale.

B. EFFETS NON HORIZONTAUX

47. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l'accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Ce verrouillagepeut viser les marchés aval, lorsque l'entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents en aval, en dégrade la qualité ou en augmente fortement le prix, ou les marchés amont, lorsque la branche aval de l'entreprise intégrée refuse d'acheter les produits des fabricants actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux.

48. Par ailleurs, une concentration est susceptible d'entraîner des effets congloméraux lorsque la nouvelle entité étend ou renforce sa présence sur des marchés présentant des liens de connexité avec d'autres marchés sur lesquels elle détient un pouvoir de marché.

49. Cependant, la pratique décisionnelle considère en principe qu'un risque d'effet vertical peut être écarté dès lors que la part de marché de l'entreprise issue de l'opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30%14.

50. L'opération est susceptible d'engendrer des effets congloméraux entre l'éventuel marché des services de gestion pour " talents et influenceurs " et le marché des services de marketing et de communication commerciale. Cependant, de tels effets peuvent être écartés dans la mesure où Webedia était déjà active sur les deux marchés avant l'opération et où l'augmentation de la part de marché résultant de l'opération sur le marché des services de marketing et de communication commerciale est inférieure à un point.

51. L'opération est également susceptible d'engendrer des effets verticaux entre un marché des services de gestion pour " talents et influenceurs " et les marchés des droits de diffusion de programmes audiovisuels.

52. En effet, Webedia gère la carrière et l'image de " talents et influenceurs ", qui sont susceptibles de créer, de réaliser ou d'apparaître dans des programmes audiovisuels de stock, tels que ceux produits par le groupe Elephant.Webedia commercialisant essentiellement des programmes de flux, l'opération permettra à la nouvelle entité de proposer à ses " talents et influenceurs " de nouvelles opportunités.

53. La partie notifiante n'a pas communiqué de part de marché sur le marchédes services de gestion pour " talents et influenceurs ". Cependant, si Webedia offre ses services à des " talents et influenceurs " actifs sur différentes plateformes (YouTube, Dailymotion, Twitch,...), elle met en avant, sur son site internet, ses liens avec les " talents et influenceurs "diffusant des vidéos sur YouTube et en particulier les trois principaux " talents et influenceurs "de la plateforme en France : Cyprien (13,1 millions d'abonnés), Squeezie (12,9 millions d'abonnés) et Norman fait des vidéos (11,5millions d'abonnés). En conséquence, afin d'estimer les parts de marché de Webedia, une hypothèse conservatrice consiste à se fonder sur les données issues de la seule plateforme YouTube, dans la mesure où il s'agit de la plateformesur laquelle la partie notifiante investit le plus en termes de communication et de recrutement de " talents et influenceurs ".

54. Afin de déterminer l'existence d'un pouvoir de marché, une part d'influence15 a été calculée à partir des cent chaînes françaises disposant du plus grand nombre d'abonnés sur YouTube16. Les chaînes des " talents et influenceurs " gérées par Webedia représentent moins de 25%de l'audience sur YouTube, quelles que soient les modalités de calcul de l'assiette (nombre total de vues, nombre de vues au cours des trente derniers jours ounombre de nouveaux abonnés au cours des trente derniers jours).

55. Si une segmentation du marché en fonction de leur spécialisation devait être envisagée, les " talents et influenceurs " gérés par Webedia ne représenteraient qu'une part limitée des audiences réalisées sur YouTube. Ainsi s'agissant de l'univers "beauté ", la première " influenceuse " sur YouTube gérée par Webedia, Caroline, compte environ 1,29million d'abonnés (195millions de vidéos vues), loin derrière la première influenceuse, Enjoyphoenix (3,55millions d'abonnés et 536millions de vidéos vues). S'agissant de l'univers "sport ", le premier " influenceur " sur YouTube géré par Webedia, Aurélien Fontenoy, compte 566 000 abonnés, loin derrière TiboInShape (6millions d'abonnés). Enfin, l'univers du jeu vidéo se caractérise par de nombreux " talents et influenceurs " : selon une estimation de la partie notifiante, les vingt premiers influenceurs de cet univers représentent plus de 55millions d'abonnés (15,2milliards de vidéos vues). Parmi ceux-ci, deux " talents et influenceurs " sont gérés par Webedia : Bigorneaux et Coquillage (chaîne commune de Cyprien et Squeezie), le leader du segment, avec 6,4millions d'abonnés (809millions de vidéos vues) et Joueur du grenier (3,2millions d'abonnés et 682millions de vidéos vues). Même si Bigorneaux et Coquillage est la première chaîne YouTube de gaming en France, elle est concurrencée par les chaînes de plusieurs autres influenceurs, qui jouissent de fortes audiences :

[TABLEAU]

56. Par ailleurs, sur ce marché, la nouvelle entité fait face à des concurrents au moins aussi intégrés qu'elle. En effet, Studio71, qui représente environ 150 chaînes YouTube (notamment PalmaShow, Seb et IbraTV), est une filiale du groupe TF1, Studio Bagel (qui exploite notamment les chaînes Studio Bagel etMister V) est en partie détenu par le groupe Canal Plus, et le collectif Golden Network (qui comprend notamment le collectif Golden Moustache, Enjoyphoenix et Horia) est détenu par le groupe M6. Ces trois concurrents intégrés disposent en aval de chaînes de télévision sur lesquels les contenus peuvent être diffusés. Il convient de noter également que les " talents et influenceurs " ont la possibilité de se passer de ces prestations et de gérer eux-mêmes la monétisation de leur influence.

57. Enfin, les contrats transmis par la partie notifiante liant Webedia aux " talents et influenceurs " n'imposent pas de clauses d'exclusivité pour les contenus audiovisuels diffusés à l'extérieur des plateformes en ligne. La partie notifiante n'est donc pas actuellement en mesure de contraindre les " talents et influenceurs " à ne produire des contenus audiovisuels pour la télévision exclusivement par le biais de la cible. À titre d'exemple, Natoo, qui est une " influenceuse " référencée sur le site internet Webedia, joue dans la série "Sam" diffusée sur TF1 et produite par une société de production indépendante de Webedia.

58. En conséquence, la nouvelle entité ne sera pas en mesure de mettre en place un verrouillage de l'accès aux " talents et influenceurs " de nature à évincer ses concurrents sur les marchés des droits de diffusion de programmes audiovisuels. Par ailleurs, il convient de noter que les producteurs de programmes audiovisuels peuvent faire appel à de nombreux professionnels pour participer à la création d'une programme, et à ce titre, les " talents et influenceurs " sont en concurrence avec l'ensemble des professions artistiques (acteurs, réalisateurs, scénaristes, musiciens) mais aussi par exemple, avec des scientifiques (pour la création notamment de documentaires) et des sportifs.

59. Les risques de verrouillage de la clientèle peuvent également être écartés dans la mesure où la nouvelle entité disposera d'une part de marché inférieur à 25% sur les marchés de la vente de droits de programmes audiovisuels et fait face, sur ce marché, à de nombreux concurrents comme Lagardère Studios, Troisième OEil lGroup et Newen.

60. En conséquence, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets non horizontaux sur l'ensemble des marchés concernés.

DÉCIDE

Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 19-065 est autorisée.

NOTES

1 Voir les lettres du ministre de l'économie relatives aux opérations Canal +/UGC DA du 5 décembre 1996 et France Télévisions/TF1/CFII du 25 mai 2005 et les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 10-DCC-11 du 26 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe TF1 de la société NT1 et Monte-Carlo Participations (groupe AB), n° 16-DCC-10 du 21 janvier 2016 relative à la prise de contrôle conjoint par TF1 et FIFL de FLCP, n° 17-DCC-29 du 3 mars 2017 relative à la prise de contrôle exclusif par la société Endemol Shine OpCo Holding B.V. de la société Shine France et n° 18-DCC-106 du 29 juin 2018 relative à la prise de contrôle exclusif de Newen Studios par TF1.

2 Voir notamment les articles 27, 33 et 71-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et le décret n° 2010-747 du 2 juillet 2010 relatif à la contributionà la production d'œuvres scinématographiques et audiovisuelles des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre.

3 Voir notamment la décision n° 10-DCC-11 précitée.

4 Voir la lettre du ministre de l'économie C2006-83 du 26 octobre 2006 aux conseils des sociétés France Télévisions et TF1 relative à une concentration dans le secteur des chaînes thématiques et la décision n° 16-DCC-10 précitée.

5 Voir les décisions n° 16-DCC-10, n° 17-DCC-29 et n° 18-DCC-106 précitées.

6 Voir les décisions n° 10-DCC-11, n° 16-DCC-10, n° 17-DCC-29 et n° 18-DCC-106 précitées.

7 Voir les décisions n° 10-DCC-11, n° 16-DCC-10, n° 17-DCC-29 et n° 18-DCC-106 précitées.

8 Voir notamment les décisions de la Commission européenne M.3579 WPP/Grey du 24 janvier 200, M.7023 Publicis/Omnicom du 9 janvier 2014, et M.8392 Bolloré/Vivendi du 24 avril 2017.

9 Voir la décision M.8392 précitée, paragraphe 29.

10 Voir les décisions M.3579, M.7023 et M. 8392 précitées.

11 Les réseaux multichaînes (abrévié communément en MCN pour multi-channels network) sont des entités qui fournissent un ensemble de services à plusieurs chaînes diffusées sur des plateformes comme YouTube. Elles proposent notamment des services relatifs au développement des chaînes (audience, réputation), des conseils relatifs aux contenus (programmation, collaboration entre créateurs de chaînes), la gestion des droits numériques ou la monétisation des chaînes (notamment la gestion de la publicité en ligne présente sur les chaînes).

12 Voir notamment la décision n° 19-DCC-01 du 2 janvier 2019 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Editis par le groupe Vivendi.

13 Communication des entreprises afin de valoriser leur image auprès de potentiels futurs collaborateurs.

14 Lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relative au contrôle des concentrations, points 453 et 483.

15 Cettepart d'influence est calculée en intégrant les abonnés et le nombre de vidéos vues sur des chaînes d'influenceurs qui gèrent eux-mêmes la monétisation de leur contenu. Elle permet de mieux apprécier le pouvoir de marché des sociétés de gestion des " talents et influenceurs " dans la mesure où, du côté des annonceurs, il importe peu que les " talents et influenceurs " fassent appel à un prestataire de services de gestion à partir du moment où ils disposent d'une audience importante.

16 Il s'agit des cent premières chaînes françaises présentes sur la plateforme YouTube, hors chaînes institutionnelles (chaînes de marque ou de groupe), chaînes musicales (chaînes des maisons de disques ou des artistes) et chaînes relatives à des sites internet, des émissions de télévision ou de radio.