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Décisions

CA Lyon, 8e ch., 2 juillet 2019, n° 18-08185

LYON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ferrier

Défendeur :

Volkswagen Group France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chauve

Conseillers :

Mmes Defrasne, Zagala

TGI Lyon, du 5 nov. 2018

5 novembre 2018

Le 7 avril 2018, M. Devron a acquis d'occasion auprès de M. Ferrier un véhicule Audi Q5 2.0 TFSIQ immatriculé AN-852-ZK mis en service pour la première fois le 23 mars 2010. Ayant constaté une consommation d'huile moteur très importante, M. Devron a sollicité une expertise amiable réalisée par M. Guideaud, laquelle a confirmé la surconsommation d'huile moteur.

Le 29 juin 2018, M. Devron a assigné en référé M. Ferrier devant le tribunal de grande instance de Lyon aux fins de solliciter une expertise judiciaire technique du véhicule sur le fondement de l'article 145 du CPC et des articles 1641 et 1231-1 du Code civil.

Le 24 juillet 2018, M. Ferrier a assigné en intervention forcée la société Volkswagen Group France devant le tribunal de grande instance de Lyon aux fins de solliciter la jonction de cette procédure avec celle initiée par M. Devron.

Les deux dossiers ont été joints à l'audience du 1er octobre 2018. Par une ordonnance de référé du 5 novembre 2018 le président du tribunal de grande instance de Lyon a :

- ordonné une expertise et commis pour y procéder M. Daniel Bonniaud, demeurant Le Prieuré 71250 Jalogny, expert près la cour d'appel de Dijon, avec pour mission, connaissance prise de tous documents utiles qui lui seront remis par les parties, après les avoir convoquées ainsi que leurs conseils, de :

• Rechercher l'historique du véhicule Audi Q5 2.0 TFSQI immatriculé AN-852-ZK ;

• Examiner ce véhicule, décrire ses caractéristiques et son état actuel ;

• Vérifier les désordres allégués par le demandeur, les décrire et en déterminer les causes (vice de conception, de fabrication, mauvaises réparations, chocs, défaut d'entretien, erreur dans l'utilisation...) et l'origine ;

• Dire si ces vices ou désordres sont de nature à rendre le véhicule impropre à sa destination ou à son usage et s'ils préexistaient à la vente du 7 avril 2018 ;

• Décrire les réparations nécessaires à la remise en état du véhicule et en évaluer le coût ;

• Se prononcer sur l'imputabilité des désordres et donner son avis sur leur origine ;

• Donner son avis sur l'importance des préjudices subis par M. Devron et les évaluer.

- fixé à la somme de 2 500 euros le montant de la consignation que M. Devron doit déposer au greffe de la présente juridiction avant le 30 décembre 2018, faute de quoi la présente désignation sera caduque.

- dit que l'expert sera saisi de sa mission dès que la consignation aura été versée et lui impartit un délai de 4 mois pour déposer son rapport définitif, qui sera précédé d'un pré-rapport avec indications aux partis d'un délai pour formuler leurs observations, auxquelles il devra répondre.

- rejeté l'appel de cause de la société Volkswagen Group France par M. Ferrier qui devra conserver à sa charge les frais de l'assignation qu'il lui a délivrée.

- condamné M. Devron aux dépens. Dans son ordonnance, le président du tribunal de grande instance fait valoir que :

- Il convient de faire droit à la demande d'expertise car M. Devron établit la consommation anormale et importante d'huile moteur, ce qui est admis par M. Ferrier.

- L'appel en intervention forcée de la société Volkswagen Group France se heurte à la prescription de 5 ans prévue par l'article L110-4 du Code du commerce qui a commencé à courir dès la première mise en circulation du véhicule soit le 23 mars 2010.

- Cette règle de prescription spéciale du Code du commerce pour les actions entre commerçants s'oppose au report de la prescription à l'égard d'une action en garantie prévue par l'article 2233 du Code civil.

- Les articles 1245 et suivants du Code civil relatifs à la responsabilité des produits défectueux ne s'appliquent pas car le produit défectueux est le véhicule de M. Devron or, ce régime de responsabilité ne s'applique qu'à la réparation du dommage résultant d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même.

- M. Devron ne fait état d'aucune atteinte à un autre bien que le véhicule, quels que soient les éléments le composant. Par déclaration d'appel en date du 23 novembre 2018, M. Ferrier a interjeté appel partiel de cette ordonnance en ce qu'elle a rejeté son appel en cause de la société Volkswagen Group France. Aux termes de ces dernières conclusions, M. Ferrier demande à la Cour de :

- réformer l'ordonnance de référé du tribunal de grande instance de Lyon en date du 5 novembre 2018 en ce qu'elle a : " rejeté l'appel de cause de la société Volkswagen Group France par M. Ferrier, qui devra conserver à sa charge les frais de l'assignation qui lui a été délivré "

Statuant à nouveau,

- Déclarer recevable l'appel en cause de la société Volkswagen Group France, Par conséquent,

- Ajouter à la mission de l'expert désigné les points suivants :

• Déterminer la source de la défectuosité, d'indiquer s'il s'agit d'une pièce dissociable du siège du dommage et d'indiquer si l'élément en question défectueux peut avoir des conséquences, ou a eu des conséquences, sur d'autres éléments du véhicule,

• Indiquer si le désordre est anormal et le produit défectueux offre ou non la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre,

• Déterminer le montant des réparations afin de savoir si la responsabilité du groupe Volkswagen, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, peut être engagée ",

• condamner la société Volkswagen Group France à verser à M. Ferrier la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

• réserver les dépens.

Il fait valoir que :

- des articles de presse montrent que les moteurs 2.O TFSI d'Audi ont un problème récurrent de surconsommation d'huile bien connu du groupe Volkswagen qui a d'ailleurs été assigné dans le cadre d'une " class action " aux États-Unis et qui a pris en charge les frais de remise des véhicules,

- le problème de surconsommation d'huile proviendrait des segments qui sont des éléments dissociables du véhicule qui est le siège du dommage et peuvent donc être considérés comme des meubles et constituer des produits défectueux.

- le véhicule est donc composé d'une chose principale (carrosserie) et d'une adjonction de choses composites qui gardent leur nature de meuble.

- la prescription triennale applicable à la responsabilité des produits défectueux qui court à compter de la date de connaissance du vice n'est pas acquise dès lors qu'il n'a acquis le véhicule qu'en mars 2016.

- la société Volkswagen doit intervenir aux opérations d'expertise afin de déterminer si sa responsabilité peut être engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

En réponse, la société Volkswagen conclut à la confirmation de l'ordonnance, au rejet de la demande d'extension de la mission de l'expert, au débouté des demandes de l'appelant et à sa condamnation à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens avec distraction au profit de son conseil.

Elle expose que :

- il appartient au juge des référés de s'assurer de l'existence d'un litige ultérieur crédible,

- tel n'est pas le cas en l'espèce dès lors que toute action en garantie des vices cachés est manifestement prescrite, et que le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux n'est pas applicable,

- l'action en garantie des vices cachés est enfermée dans un délai de cinq ans, lequel court à compter de la vente au premier acquéreur soit en l'espèce le 23 mars 2010, date de première mise en circulation alors que l'action a été intentée le 29 juin 2018,

- le régime de responsabilité du fait des produits défectueux n'est applicable qu'en cas d'atteinte à la personne ou d'atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même,

- les dispositions des articles 1245-1 du Code civil ne distinguent pas selon que le produit serait ou non une pièce dissociable du siège du dommage, seul le véhicule est susceptible d'être un produit qualifié de défectueux et non une partie de celui-ci,

- la demande de modification de la mission d'expertise est irrecevable car M. Ferrier a limité son appel au rejet de l'appel en cause de la société Volkswagen Group France.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Aux termes des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile, les mesures légalement admissibles peuvent être ordonnées en référé à la demande de tout intéressé, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige.

Si l'application de ce texte n'implique aucun préjugé sur la responsabilité éventuelle des personnes appelées à la procédure ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé, il appartient cependant au juge des référés de vérifier que l'éventuelle action au fond n'est manifestement pas vouée à l'échec, que la mesure demandée est légalement admissible et qu'elle améliore la situation probatoire des parties sans porter atteinte à leurs intérêts légitimes.

En l'espèce, l'appelant n'invoque plus en cause d'appel qu'un seul fondement juridique pour fonder son appel en cause du constructeur automobile, celui tenant à la responsabilité du fait des produits défectueux.

Aux termes des dispositions de l'article 1245-1 du Code civil, les dispositions relatives à la responsabilité des produits défectueux s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne et également à la réparation du dommage matériel qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux.

L'appelant se plaint d'une surconsommation d'huile du moteur de son véhicule et souhaite voir étendre au constructeur vendeur la mesure d'instruction déjà ordonnée à l'encontre de M. Devron, son vendeur.

Il produit à l'appui de sa demande des articles de presse faisant état d'une surconsommation d'huile des moteurs Volkswagen et un accord conclu dans le cadre d'une class action devant le Central District of California, relatif à la surconsommation d'huile des véhicules de marque Volkswagen et Audi.

En raison de sa nature même, l'extension des opérations d'expertise au constructeur, mesure utile et améliorant la situation probatoire des parties, ne préjudicie pas aux intérêts de l'intimée.

Ses objections anticipent le débat à venir devant le juge du fond, notamment sur le produit défectueux et le caractère détachable ou non de certains éléments du produit et n'apparaissent en l'état comme dénuées de toute pertinence ou purement artificielles.

En effet, à ce stade d'investigation, rien ne permet de retenir que les segments ou pistons ou toute autre pièce, à la supposer défectueuse, n'ait pas causé de dégradations aux organes voisins et ne soit pas source de dommages matériels ou immatériels pour le propriétaire du véhicule, autres que l'atteinte à l'élément défectueux lui-même.

Il en résulte que M. Ferrier justifie à ce stade de la procédure d'un motif légitime au sens de l'article 145 du Code précité pour voir appeler aux opérations d'expertise la société Volkswagen Group France.

L'ordonnance sera donc infirmée sur ce point.

La demande de complément de la mission d'expertise ne saurait être qualifiée de nouvelle au sens des dispositions des article 564 et suivants du Code de procédure civile, celle-ci s'analysant comme l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire aux prétentions soumises au premier juge.

Dès lors, la mission devra être complétée et l'expert invité à rechercher la source de la défectuosité, à dire s'il s'agit d'une pièce dissociable du siège du dommage et si celle-ci peut avoir des conséquences, ou a eu des conséquences, sur d'autres éléments du véhicule, indiquer si le désordre est anormal et si le produit défectueux offre ou non la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, et à chiffrer le montant des réparations.

La partie défenderesse à une mesure d'expertise ordonnée sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, ne peut être qualifiée de partie perdante au sens des articles 696 et 700 du Code de procédure civile, de sorte que les dépens resteront à la charge de l'appelant et qu'il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, au profit de l'une ou l'autre des parties.

Par ces motifs Infirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a rejeté l'appel en cause de la société Volkswagen Group France formé par M. Nicolas Ferrier. Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant, Déclare recevable l'appel en cause de la société Volkswagen Group France aux opérations d'expertise ordonnés par cette ordonnance. Déclare recevable la demande de mission complémentaire et y faisant droit, Dit que l'expert devra rechercher la source de la défectuosité, dire s'il s'agit d'une pièce dissociable du siège du dommage et si celle-ci peut avoir des conséquences, ou a eu des conséquences, sur d'autres éléments du véhicule, indiquer si le désordre est anormal et si le produit défectueux offre ou non la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, et chiffrer le montant des réparations. Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties. Condamne M. Nicolas Ferrier aux dépens.