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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 4 juillet 2019, n° 19-08038

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Anju Enterprises (SAS)

Défendeur :

Unilever Uk Limited (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ancel

Avocats :

Mes Flauraud, Boccongibod

T. com. Paris, du 18 avr. 2019

18 avril 2019

FAITS ET PROCÉDURE:

Faits

1. La société Anju Enterprises (ci-après " Anju ") est une société de droit français dont le siège social est situé à Villeneuve la Garenne (92390).

2. La société Unilever UK Limited (ci-après " Unilever ") est une société de droit anglais dont le siège social est situé à Leatherhead (Angleterre).

3. La société Anju distribue en France depuis 1994 le thé PG.TIPS produit par la société Unilever.

4. Le 3 juin 2013, après 19 ans de relations commerciales, les sociétés Unilever et Anju ont conclu un contrat de distribution non exclusive qui comprend une clause attributive de juridiction (article 15-9) conférant en cas de litige compétence exclusive aux tribunaux anglais.

Procédure

5. Ayant constaté que depuis décembre 2017 la société Unilever refusait d'honorer ses commandes et estimant être ainsi victime d'une rupture brutale des relations commerciales et d'un abus de position dominante, la société Anju a, le 23 mai 2018, assigné la société Unilever devant le tribunal de commerce de Paris sur le fondement des articles L. 442-6 et L. 420-2 du code de commerce aux fins de la condamner à l'indemniser à hauteur de 20 2467 euros pour brusque rupture des relations commerciales, 809 870 euros pour abus de position dominante, 900 000 euros au titre de son préjudice commercial et 1000 000 euros au titre de son préjudice moral.

6. La société Unilever a soulevé in limine litis l'incompétence de la juridiction française en application de l'article 15-9 du contrat conclu entre les parties prévoyant la compétence des juridictions anglaises.

7. Le tribunal de commerce de Paris, dans son jugement du 18 avril 2019 statuant uniquement sur la compétence, a : déclaré recevable et bien-fondée l'exception d'incompétence opposée par la société Unilever ; déclaré être territorialement incompétent ; renvoyé les parties à mieux se pourvoir.

8. La société Anju a interjeté appel de ce jugement par déclaration d'appel du 30 avril 2019 après y avoir été autorisée par ordonnance du 2 mai 2019, a fait citer à comparaître à jour fixe, par acte d'huissier du 13 mai 2019, la société Unilever pour une audience du 4 juin 2019.

II. PRÉTENTIONS DES PARTIES

9. Au terme de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 3 juin 2019, la société Anju demande, au visa notamment des articles 84 du code de procédure civile, L. 442-6 du code de commerce, D. 442-3 du code de commerce, L. 420-2 du code de commerce, 102 du TFUE, du Règlement CE n° 44/2001 et du Règlement UE n° 1215/2012, à la cour de bien vouloir :

- Infirmer en toutes ses dispositions ledit jugement ;

Statuant à nouveau :

- Déclarer la clause attributive de juridiction inapplicable et nulle au regard du droit anglais de la Common law sur le fondement de " l'economic duress " et de " l'undue influence ".

- Condamner la société Unilever à verser à la société Anju la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Pascale Flauraud, avocat au Barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

10. Au terme de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 29 mai 2019, la société Unilever demande, au visa notamment des articles 74 et 75 du code de procédure civile, 23 du Règlement n° 44/2001 et de l'article 25 du Règlement n° 1215/2012, à la cour de bien vouloir :

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Paris du 18 avril 2019 ;

- Condamner Anju Enterprises à verser à Unilever UK Limited la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Lexavoue Paris-Versailles.

III. MOYENS DES PARTIES

11. La société Anju considère que son action relève de la compétence du tribunal de commerce de Paris en application de l'article D. 442-3 du code de commerce dont les dispositions sont impératives et ne peuvent être mises en échec par une clause attributive de juridiction, les faits dommageables résultant des infractions aux articles L. 442-6 et L. 420-1 s'étant déroulés sur le territoire français, lequel est aussi le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande et le lieu de livraison des marchandises étant précisé que les parties ne peuvent pas en matière de responsabilité délictuelle prévoir une clause attributive de juridiction telle que celle qui figure dans le contrat.

12. La société Anju fait en outre valoir que tant l'action fondée sur la brusque rupture d'une relation commerciale établie que celle reposant sur l'abus de position dominante, sont de nature délictuelle et qu'en conséquence la détermination de la juridiction compétente pour en connaître relève de l'application de l'article 5-3 du Règlement CE 44/2001 dit Bruxelles I qui dispose que " en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, une personne domiciliée ...être attraite...produit ou... ". Elle précise que le fait dommageable se situant au lieu de son siège social, ce sont les juridictions françaises qui sont compétentes.

13. La société Anju ajoute que la clause attributive de compétence doit être écartée en raison de son caractère abstrait et imprécis. Elle expose ainsi qu'une telle clause ne peut être prise en compte que si elle se réfère au différend relatif à la responsabilité encourue du fait d'une infraction aux droits de la concurrence. Elle considère à cet égard que la rupture des relations est en l'espèce intervenue brutalement au mois de décembre 2017 et que les premiers juges ont omis d'apprécier la clause litigieuse au regard de l'article 25 du règlement UE n° 1215/2012 dit Bruxelles I bis, applicable aux actions intentées après le 10 janvier 2015, qui écarte l'application de la clause si sa validité est entachée de nullité quant au fond selon le droit de l'État membre désigné. Elle estime ainsi que la clause litigieuse est entachée de nullité car elle a été victime de l'exploitation abusive de sa situation de dépendance économique, faisant valoir qu'elle n'aurait jamais accepté cette clause si elle avait pu anticiper une brusque rupture du contrat sans motif et abusive, suivie d'un refus de vente. Elle rappelle qu'au moment de la conclusion du contrat dans lequel est insérée la clause litigieuse, elle est en situation de dépendance économique vis à vis de la société Unilever qui est en position dominante en qualité de grossiste instaurant un déséquilibre manifeste entre les parties à son détriment. Elle soutient à cet égard que les décisions citées par la société Unilever rendues par la cour d'appel de Paris en 2018 ne sont pas pertinentes au regard des circonstances factuelles différentes dans le cas du présent litige et de leur référence au règlement Bruxelles I et non Bruxelles I bis, seul applicable.

14. La société Anju fait en outre valoir qu'au regard des relations commerciales préexistantes à la régularisation le 3 juin 2013 et des circonstances qui entourent la conclusion du contrat litigieux à cette époque, la clause attributive de juridiction est nulle au regard du droit anglais et ce sur le fondement de la Common law qui reconnaît " l'economic duress " " acception anglaise de la contrainte économique " et de l'Equity qui consacre " l'undue influence ", c'est à dire de l'abus d'influence.

15. La société Anju précise que la clause n'est pas applicable en raison de l'abus de dépendance économique caractérisé à l'encontre de la société Unilever. Elle expose ainsi que les trois critères cumulatifs de la dépendance économique, à savoir (1) l'existence d'une situation de dépendance économique, (2) une exploitation abusive de cette situation et (3) une affectation réelle ou potentielle du fonctionnement ou de la structure de la concurrence du marché, sont en l'espèce réunis dès avant la signature du contrat de distribution contenant la clause attributive de juridiction de sorte que les pratiques anticoncurrentielles constatées sont étrangères au rapport contractuel à l'occasion duquel la clause attributive de juridiction a été conclue, et que cette clause ne peut donc recevoir application.

16. Concernant l'abus de position dominante, la société Anju fait valoir que la société Unilever est le seul grossiste en France du thé PG.TIPS qui est un produit leader au sein du réseau de distribution de la société Anju et qu'elle a été la seule à commercialiser en France pendant 24 ans. Elle estime de ce fait être en situation de dépendance économique vis à vis de la société Unilever. Elle indique que les relations commerciales s'étant déroulées hors cadre contractuel depuis juillet 1994, elle n'a pas eu d'autre choix que de régulariser un contrat de distribution puisque cette société était le seul fournisseur pour le thé PG.TIPS qu'elle commercialise en France auprès des communautés indiennes, pakistanaises et africaines.

17. En réponse, la société Unilever rappelle que le droit positif reconnait désormais l'application de clauses attributives de juridictions à des demandes fondées sur la rupture brutale des relations commerciales et l'abus de position dominante, dès lors qu'elles découlent de la relation contractuelle. La société Unilever précise qu'en l'espèce, les demandes de la société Anju sont toutes directement liées au contrat dès lors d'une part, que la première demande porte sur la résiliation du contrat de distribution qui matérialise la demande fondée sur la rupture brutale de la relation commerciale et que d'autre part, la seconde demande porte sur le refus de la société Unilever d'honorer les commandes, les commandes étant passées en exécution du contrat entre les deux parties, selon le processus prévu à l'article 5.4.2 du contrat. La société Unilever en conclut que les griefs formulés par la société Anju ne sont pas étrangers au rapport contractuel, conformément au critère désormais consacré par la Cour de justice de l'union européenne dans sa décision du 24 octobre 2018 (C-595/17 Apple Sales International).

18. La société Unilever ajoute que la portée de l'arrêt de la CJUE du 24 octobre 2018 (Apple Sales International) rendu sous l'empire du règlement Bruxelles I doit être étendue au règlement Bruxelles I bis d'autant que l'article 25 du règlement Bruxelles I bis témoigne d'un renforcement de la portée des clauses attributives de juridiction puisqu'elles peuvent désormais être conclues au profit des juridictions d'un Etat membre alors qu'aucune des parties ne serait résidente de l'UE.

19. La société Unilever considère que la société Anju ne peut prétendre avoir été surprise par l'application de la clause alors que les termes mêmes utilisés par l'article 15-9 du contrat englobent " tout litige ou différend qui pourrait survenir relativement à cet accord ", et que les parties ont précisé qu'il trouverait application " que les litiges ou différends soient de nature contractuelle ou non, tels que des réclamations en responsabilité civile délictuelle pour violation d'une loi, d'un règlement ou autre ", ce qui démontre que les parties ont bien entendu viser aussi bien la rupture brutale que l'abus de position dominante.

20. S'agissant de la nullité de la clause, la société Unilever fait valoir que la société Anju ne démontre pas qu'une telle nullité serait encourue au regard du droit anglais.

21. La société Unilever rappelle que l'importance relative des parties - taille, chiffre d'affaires, nombre d'employés, etc - est sans incidence sur l'applicabilité de la clause attributive de juridiction. Elle ajoute que la société Anju n'est ni une " petite " société (son chiffre d'affaires étant de 21,5 millions d'euros), ni une société centrée sur la France mais un opérateur économique habitué des échanges internationaux, de sorte qu'elle ne voit pas ce qui l'empêcherait d'agir devant le juge anglais. Elle conteste par ailleurs avoir imposé ladite clause et précise que la référence au juge anglais était logique pour les deux parties dès lors que leur contrat était en anglais, leurs échanges ont toujours été en anglais, les dirigeants d'Anju maitrisant parfaitement l'environnement anglophone et la société Anju étant un opérateur économique qui intervient dans de nombreux pays et non pas qu'en France.

22. La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision entreprise et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

IV - MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'applicabilité de la clause attributive de juridiction aux demandes fondées sur les articles L. 442-6 I et L. 420-1 du code de commerce ;

23. La présente action en réparation ayant été intentée le 23 mai 2018 par une société de droit français ayant son siège social en France à l'encontre d'une société de droit anglais ayant son siège social en Angleterre, la cour est en présence d'un litige qui relève du champ d'application dans le temps et dans l'espace du Règlement UE n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dont les parties conviennent qu'il est applicable en la cause.

24. En application de l'article 4 paragraphe 1 de ce règlement, " Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. "

25. Cependant, en vertu de l'article 5.1 du règlement n° 1215/2012, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre peuvent aussi être attraites devant les juridictions d'un autre État membre en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du chapitre relatif à la " Compétence ", soit par les articles 7 à 26 de ce règlement.

26. En application de l'article 25.1 de ce règlement n° 1215/2012, si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d'une juridiction ou de juridictions d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties.

27. A cet égard, conformément à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 21 mai 2015 (CJUE C-352/13 - Hydrogen Peroxide SA c. Akzo nobel NV ; voir aussi affaire C-214/89 du 10 mars 1992 - Powell Duffryn plc contre Wolfgang Petereit) afin d'éviter qu'une partie ne soit surprise par l'attribution à un for déterminé de l'ensemble des différends qui surgiraient dans les rapports qu'elle entretient avec son cocontractant et qui trouveraient leur origine dans des rapports autres que celui à l'occasion duquel l'attribution de juridiction a été convenue, une clause attributive de juridiction ne peut concerner que des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé de telle sorte que la portée d'une clause attributive de juridiction est limitée aux seuls différends qui trouvent leur origine dans le rapport de droit à l'occasion duquel cette clause a été convenue.

28. En l'espèce, il est constant que, quand bien même les relations commerciales entre les parties ont débuté en 1994, elles ont été matérialisées à compter du 3 juin 2013 et sont régies depuis cette date par la conclusion d'un accord non exclusif de distribution comportant une clause 15.9 ainsi rédigée : " Le présent accord et tout litige ou différend qui pourrait survenir relativement à cet accord (que les litiges ou les différends soient de nature contractuelle ou non, telle que des réclamations en responsabilité civile délictuelle pour violation d'une loi, d'un règlement ou autre), seront régis et interprétés conformément à la loi anglaise. Les parties se soumettent irrévocablement par la présente à la juridiction exclusive des tribunaux anglais pour la résolution desdits litiges ou différends ".

29. En l'état de ce contrat de distribution non exclusive conclu entre les parties quatre ans avant la rupture des relations et régissant les rapports entre celles-ci depuis 2013, il convient de considérer que l'action en réparation des préjudices subis du fait de la prétendue rupture brutale des relations commerciales établies est un différend né de la relation des parties et à ce titre, se rattache à la matière contractuelle et que ce faisant les demandes fondées sur les articles L. 442-6, I , 5° du code de commerce relèvent donc de la clause attributive de juridiction susvisée.

30. De même, à l'instar de ce qui a été jugé par la Cour de justice de l'Union européenne le 24 octobre 2018 (CJUE C-595/17 affaire Apple Sale International c. MJA), l'application d'une clause attributive de juridiction contenue dans un contrat liant les parties n'est pas exclue à l'égard d'une action en dommages et intérêts intentée par un distributeur à l'encontre de son fournisseur sur le fondement des articles L. 420-1 du code de commerce et de l'article 102 TFUE, au seul motif que cette clause ne se réfère pas expressément aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d'une infraction au droit de la concurrence.

31. En l'espèce, il convient d'observer d'une part, que l'action tendant à voir caractérisé l'abus de position dominante allégué par la société Anju se matérialise dans la relation contractuelle que la société Unilever a nouée avec celle-là dans un premier temps sans contrat de distribution puis à partir du 3 juin 2013 au moyen du contrat de distribution non exclusive conclu entre les parties.

32. D'autre part, en visant expressément les litiges qui " soient de nature contractuelle ou non, telle que des réclamations en responsabilité civile délictuelle pour violation d'une loi, d'un règlement ou autre ", la clause litigieuse est suffisamment précise pour englober les actions en réparation de comportements anticoncurrentiels, tels que l'abus de position dominante.

33. En conséquence, les demandes fondées sur les articles L. 420-1 du code de commerce relèvent également de la clause attributive de juridiction précitée.

Sur la validité de la clause attributive de juridiction au regard du droit anglais ;

34. Il ressort de l'article 25.1 du règlement n° 1215/2012 précité que la compétence de la juridiction d'un État membre désignée par la clause attributive de compétence s'impose sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre.

35. Il appartient en conséquence à la cour d'apprécier la validité, quant au fond, de la clause attributive de juridiction au regard en l'espèce du droit anglais dont la société Anju soutient qu'il doit conduire à prononcer la nullité de la clause sur le fondement de la doctrine tant de la contrainte économique (" economic duress ") que de l'influence indue (" undue influence ").

Sur l'appréciation de la validité de la clause au regard de la doctrine de la contrainte économique ou " economic duress " ;

36. Il convient de rappeler qu'il n'incombe pas à la cour d'apprécier la validité du contrat du 3 juin 2013 mais uniquement celle de la clause attributive de juridiction qu'il contient, de sorte qu'il appartient à la société Anju de démontrer qu'elle a été contrainte d'accepter non pas seulement le contrat de distribution non exclusive, mais plus particulièrement la clause attributive de juridiction, dont la validité doit être appréciée de manière autonome.

37. A cet égard, il est admis en droit anglais qu'une partie poursuive l'annulation d'un contrat qui aurait été conclu sous la menace illégitime d'une autre partie et que cette menace peut être caractérisée par une contrainte économique résultant de la crainte de subir une importante perte financière.

38. Ainsi, dans une décision de la chambre des Lords Universe Tankship Inc of Moravia v. International Transport Workers Federation (The Universe sentinel) [1983]- 1 AC 366, Lord Scarman a précisé qu'il est établi " que la pression économique peut en droit caractériser une contrainte, et que cette contrainte, si elle est prouvée, non seulement rend annulable une transaction dans laquelle une personne a conclu sous cette contrainte, mais peut également être poursuivie en responsabilité délictuelle, si elle cause un dommage ou une perte : Barton v Armstrong [1976] AC 104 et PaoOn v LauYiu Long [1980] AC 614 ('). Ces deux affaires ont révélé deux éléments de la contrainte : (1) la pression qui exerce une contrainte sur la volonté de la victime ; et (2) le caractère illégitime de la pression exercée. Il doit y avoir des pressions dont l'effet pratique est la contrainte ou l'absence de choix. (...). L'absence de choix peut être prouvée de diverses manières, par exemple, par la protestation, par l'absence de conseil indépendant ou par une déclaration d'intention d'aller en justice pour récupérer l'argent payé ou les biens transférés (...). Comme Lord Wilberforce et Lord Simon of Glaisdale l'ont dit dans Barton v Armstrong [1976] AC 104 121D " la pression doit être d'un type que la loi ne considère pas comme légitime " (...) ". " It is, I think already established law that economic pressure can in law amount to duress, and that duress, if proved, not only renders voidable a transaction into which a person has entered under its compulsion but is also actionable as a tort, if it causes damage or loss : Barton v Armstrong [1976] AC 104 and PaoOn v LauYiu Long [1980] AC 614. The autorithies upon which these two cases were based reveal two elements in the wrong of duress : (1) pressure amounting to compulsion of the will of the victim ; and (2) the illegitimacy of the pressure exerted. There must be pressure, the practical effect of which is compulsion or the absence of choice. The absence of choice can be proved in various ways, e.g,by protest, by the absence of independent advice, or by declaration of intention to go to law to recover the money paid or the property transferred. As Lord Wilberforce and Lord Simon of Glaisdale said in Barton v Armstrong [1976] AC 104 121D " the pressure must be one of a kind which the law does not regard as legitimate " ".

39. Il existe ainsi une contrainte lorsque la pression sur la volonté de la victime était si forte que celle-ci n'avait d'autre choix que d'agir comme elle l'a fait et notamment de contracter ou d'accepter les modifications de la relation contractuelle.

40. A cet égard, pour caractériser une telle pression, les juridictions anglaises s'attachent à prendre en compte divers éléments objectifs tels que les protestations de la part de la victime à l'époque du contrat, l'existence ou non de solution alternative pour elle, le fait qu'elle ait ou pas été assistée d'un conseil ou encore si elle a cherché après la conclusion de ce contrat à en poursuivre l'annulation (Pao On v. Lau Yiu Long [1980] - AC 614 reprenant les différents facteurs mis en avant dans l'affaire Occidental Worldwide Investment Corporation v. Skibs A/S Avanti [1976] 1 Lloyd's Rep. 293, 336).

41. A titre d'exemple, dans l'affaire Adam Opel v. Mitras Automotive [2008] EWHC 3205 (QB), l'accord conclu par un constructeur automobile pour indemniser l'un de ses fournisseurs au titre de la résiliation prochaine du contrat de fourniture a pu être annulé pour contrainte économique, le constructeur ayant accepté de payer parce que le fournisseur avait menacé de résilier la fourniture avec effet immédiat, ce qui aurait eu de graves conséquences financières et logistiques pour ce constructeur automobile.

42. Il ressort de ces éléments que lorsqu'une partie invoque une contrainte économique elle doit prouver que cette pression était illégitime et qu'elle n'avait pas d'autres choix que de s'y soumettre. En toute état de cause, la contrainte doit être distinguée de la pression commerciale qui ne saurait être suffisante pour vicier le consentement (Atlas Express Ltd v. Kafco [1989] QB 833, 839).

43. En l'espèce, la seule allégation selon laquelle la société Unilever est le seul fournisseur du thé commercialisé en France est insuffisante à caractériser une telle contrainte et ce, alors qu'aucune circonstance factuelle ne permet de corroborer qu'en l'espèce une pression aurait été faite sur la société Anju pour consolider des relations commerciales anciennes de plusieurs années par la conclusion d'un contrat de distribution non exclusive, et a fortiori une pression qui aurait eu précisément pour objet la stipulation de la clause attributive de juridiction litigieuse au profit des juridictions anglaises et ce d'autant qu'il n'est pas contesté que les relations commerciales antérieures étaient toujours conduites en langue anglaise et que la société Anju communique au demeurant une plaquette de présentation de ses activités en langue anglaise.

44. De même, la société Anju ne produit aucun élément pour attester d'une protestation émise envers la société Unilever de la conclusion du contrat de distribution, et pas davantage d'une telle protestation manifestée à propos de la clause attributive de juridiction désignant les juridictions anglaises.

45. Rien ne permet de considérer que la société Anju n'avait d'autres options que d'accepter la conclusion dudit contrat et encore moins d'accepter telle quelle la clause attributive de juridiction litigieuse.

46. Si la perte de ce fournisseur était susceptible de la priver de la possibilité de faire du chiffre d'affaires sur ce produit, il ressort des pièces versées aux débats que l'activité de la société Anju ne repose pas sur la seule commercialisation de ce produit et qu'au contraire elle commercialise aussi de multiples autres produits en provenance d'Asie portant tant sur des épices, pâtes, riz, huiles, fruit secs, biscuits, sirops, vins, etc.

47. Ainsi, la société Anju ne justifie pas de la perte qu'elle aurait subie si elle n'avait pas conclu le contrat de distribution non exclusive et la part de cette perte au regard de l'ensemble des produits qu'elle commercialise par ailleurs, étant observé que sans être contestée expressément sur ce point, la société Unilever relève que le chiffre d'affaires en 2017 réalisé sur la commercialisation du thé ne représentait pas plus de 4,2 % de son chiffre d'affaires global.

48. Au regard de ces éléments, la société Anju ne rapporte pas, selon le droit anglais, la preuve d'une contrainte économique qui ne lui aurait laissé d'autre choix que d'accepter la stipulation de la clause attributive de juridiction litigieuse.

Sur l'appréciation de la validité de la clause au regard de la doctrine de l'influence indue (" l'undue influence ") ;

49. Le champ d'application de la contrainte ayant été admis restrictivement avant les années 1970 en Common Law, la juridiction de l'Equity a développé le principe parallèle de l'influence indue permettant l'annulation d'un contrat qui a été conclu à la suite d'une pression par une partie sur une autre sans qu'il soit nécessaire de caractériser des faits de contrainte au sens de la common law, faute de réelles menaces, ou en l'absence même de menaces mais en présence d'un abus de la relation de confiance qui s'est nouée entre les parties (Voir ainsi Allcard v. Skinner (1887) 36 ChD 145 (CA)).

50. Au terme de la décision de la chambre des Lords Royal Bank of Scotland v. Etridge (No2) [2001]

UKHL 44, [2002] AC 773, il a ainsi été admis que l'influence indue peut être établie par la preuve qu'une partie a abusé de la relation de confiance qu'elle avait nouée avec l'autre partie. Ainsi, Lord Nicholls décrit dans cette décision deux formes d'influence indue :

- La première comprend l'exercice manifeste d'une pression illégitime ou de coercition (" The first comprises overt acts of improper pressure or coercion such as unlawfull threats ") ;

- La seconde résulte d'une relation dans laquelle une personne a une certaine influence ou une autorité qu'elle utilise pour en retirer des avantages injustes, sans exercer d'acte de coercition particulier (" The second form arises out of a relationship between two persons where one has acquired over another a measure of influence, or ascendancy, of which the ascendant person then takes unfair advantage ").

51. Lord Nicholls explique en outre que deux éléments doivent être établis par la victime (cf. Royal Bank of Scotland v Etridge (No2) [2001] paragraphe 21) :

- En premier, la confiance d'une partie envers une autre ou l'ascendant pris par une partie sur une autre (" First that the complainant reposed trust and confidence in the other party, or the party acquired ascendancy over the complainant ") ;

- En second, la transaction n'est pas facilement explicable au regard des relations entre les parties et nécessite des explications (" Second, that the transaction is not readily explicable by the relationship of the parties ").

52. Il résulte de ces éléments que selon le droit anglais, un contrat peut être annulé par une partie qui prouve qu'elle a été victime d'une influence indue. Elle peut le prouver directement en faisant état des pressions ou des contraintes qu'elle a subies ; en prouvant qu'elle est une personne vulnérable ou qu'elle a confié la gestion de ses affaires en confiance dans les mains d'une autre partie qui a abusé de cette confiance en préférant défendre ses propres intérêts.

53. Mais il n'est pas suffisant de prouver la confiance placée envers une autre partie, il convient de prouver que le contrat ne peut s'expliquer que parce que la confiance a été abusée ou rompue. Il doit ainsi être rapporté la preuve que le contrat ne peut être expliqué par des motivations ordinaires.

54. En principe, une telle situation ne peut se produire entre sociétés commerciales qui négocient sans lien de dépendance, sans regard sur l'équilibre contractuel. En outre, si les termes du contrat et le fait qu'une partie ait pu obtenir un contrat significativement en sa faveur peut contribuer à prouver qu'une partie plus forte a exercé une telle influence indue dans le but d'obtenir le contrat, le seul déséquilibre du contrat ne suffit pas à caractériser une telle cause de nullité.

55. En l'espèce, pour justifier l'annulation de la clause attributive de juridiction, la société Anju se contente d'indiquer qu'elle se trouvait dans une " situation de dépendance économique vis à vis de la société Unilever ", que le " thé PG TIPS est un thé important dans le cadre de la société Anju Enterprises, spécialisée dans la distribution de produits alimentaires de L'Inde et du Pakistan " et qu'elle l'a " installé comme le thé leader au sein de son réseau de distribution ".

56. Elle ajoute que la société Unilever lui a imposé la conclusion d'un contrat de distribution non exclusive en juin 2013 alors que les relations commerciales des parties s'étaient déroulées depuis 1994 sans contrat cadre, et que ce faisant elle n'a eu d'autre choix que d'accepter la clause attributive de juridiction qui lui est " extrêmement défavorable " en ce qu'elle emporte l'application de la loi anglaise et la compétence des juridictions anglaises. Elle estime ainsi que l'insertion de cette clause attribue à la société Unilever un avantage significatif en déterminant la compétence des tribunaux anglais.

57. Cependant, au regard des critères posés ci-dessus par le droit anglais, aucun de ces éléments ne permet de rapporter la preuve effective par des éléments concrets du litige de l'exercice d'une influence indue, alors que d'une part, il ne peut être considéré comme objectivement anormal pour des parties qui sont en relations commerciales depuis plusieurs années de vouloir consigner leur relation dans un contrat de distribution, fût-elle non exclusive, étant observé que la société Anju ne verse aux débats la preuve d'aucune protestation à l'époque ou de documents permettant de caractériser l'existence d'une pression émanant de la société Unilever.

58. D'autre part, le seul fait de soumettre cet accord au droit anglais et aux tribunaux anglais alors même qu'il n'est pas contesté que les échanges antérieurs étaient menés en langue anglaise et qu'il porte sur l'achat d'un produit fabriqué par une société anglaise, ne saurait être en soi inexplicable et en tout état de cause caractériser en soi un avantage excessif au profit de la société Unilever.

59. Le moyen tiré de la nullité de la clause attributive de juridiction sur le fondement de l'influence indue n'est en conséquence pas caractérisé.

60. Au regard de l'ensemble de ces éléments il convient de débouter la société Anju de sa demande de nullité de la clause attributive de juridiction et en conséquence de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Paris du 18 avril 2019.

Sur les frais et dépens ;

61. Le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le tribunal de commerce.

62. A hauteur de cour, il y a lieu de condamner la société Anju, partie perdante, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

63. En outre, elle doit être condamnée à verser à la société Unilever, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 5 000 euros ;

Par ces motifs Confirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 18 juillet 2019 ; y ajoutant, Condamne la société Anju Enterprises à payer à la société Unilever UK Limited la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; Condamne la société Anju Enterprises aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.