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Décisions

Cass. com., 3 juillet 2019, n° 17-21.826

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Vesta (SARL)

Défendeur :

Jotul France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Sudre

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Fabiani, Luc-Thaler Pinatel, SCP Lyon-Caen Thiriez

T. com. Lyon, du 8 oct. 2014

8 octobre 2014

LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 mai 2017), que, le 31 mai 2005, la société Pierre Segura, ayant pour activité la vente et la pose de cheminées et appareils de chauffage, a cédé son fonds de commerce à la société Vesta, qui a continué à se fournir en appareils de chauffage de la marque Jotul auprès de la société Jotul France (la société Jotul), avec laquelle la société Pierre Segura était en relation commerciale depuis 1987, sans obligation d'exclusivité ; qu'en octobre 2012, la société Vesta a constaté qu'elle n'était plus référencée, en tant que distributeur, sur le site internet de la société Jotul, qui avait créé un réseau de distribution exclusive des produits de sa marque ; que par lettre du 3 décembre 2012, la société Jotul a notifié à la société Vesta son intention de mettre fin à leur relation commerciale à l'expiration d'un préavis de neuf mois, en lui précisant qu'elle pourrait continuer, après cette date, à s'approvisionner auprès de la société Guinand chauffage, distributeur de ses produits sur la zone considérée, puis a rétabli la société Vesta sur son site internet, trois mois après sa suppression ; qu'estimant que la société Jotul avait rompu brutalement la relation commerciale établie débutée en 1987, la société Vesta l'a assignée en réparation de son préjudice sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

Attendu que la société Vesta fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen : 1°) qu'en cas de cession d'un fonds de commerce, la poursuite, par le cessionnaire, des relations commerciales qu'entretenait le cédant avec un partenaire commercial n'est pas subordonnée à la transmission universelle de son patrimoine et peut se déduire de ce que ledit partenaire a poursuivi, avec le cessionnaire, la relation commerciale dans des conditions similaires à celles de la relation commerciale ayant existé avec le cédant ; qu'en l'espèce, il est constant d'une part que depuis 1987, la société Pierre Segura était en relation d'affaires avec la société Jotul pour la fourniture d'appareils de chauffage offerts à la vente sous la dénomination commerciale " Cheminées Segura ", d'autre part qu'en faisant l'acquisition du fonds de commerce de la société Pierre Segura le 31 mars 2005, la société Vesta a poursuivi, à l'identique, cette activité et la relation commerciale engagée avec la société Jotul, la dénomination commerciale des produits distribués par la société Vesta demeurant " Cheminées Segura ", l'enseigne commerciale et l'adresse de l'entreprise étant également inchangées ; que pour estimer néanmoins qu'en cet état, la société Vesta ne pouvait se prévaloir d'une relation commerciale remontant à l'année 1987, la cour d'appel a relevé d'une part que la cession du fonds de commerce n'entraîne pas la transmission universelle du patrimoine, d'autre part qu'elle ne substitue pas de plein droit le cessionnaire au cédant dans les relations avec les tiers, sauf indication contraire expresse des parties, enfin que la société Jotul n'a jamais indiqué expressément reprendre les relations établies avec la société Segura ; qu'en statuant ainsi, par une motivation inopérante, sans rechercher si, en l'état des éléments susvisés, la relation commerciale commencée avec la société Pierre Segura ne s'était pas poursuivie, dans des conditions similaires, avec la société Vesta, ce qui suffisait à caractériser une seule et unique relation commerciale, ininterrompue, dont la société Vesta pouvait se prévaloir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ; 2°) qu'en se déterminant par la circonstance que la société Jotul prétend, sans être sérieusement démentie, que l'exploitation du référencement sur son site internet a cessé au bout de quelques mois et que celui-ci n'avait permis d'adresser à la société Vesta qu'une dizaine de contacts, pour en déduire que cette dernière ne démontre pas que ce référencement ait constitué pour elle un avantage substantiel ni, partant, que la suppression de ce référencement ait entraîné une modification suffisamment significative du flux d'affaires entre les parties, sans répondre au chef péremptoire des conclusions d'appel de la société Vesta qui faisait valoir d'une part que pendant deux ans et trois mois, et jusqu'au 17 juillet 2012, trente contacts avaient été collectés au profit de la société Vesta via le site internet de la société Jotul, d'autre part que la suppression de ce référencement était intervenue en période de forte activité dans le secteur de la vente de matériels de chauffage, ce dont il résulte que la démarche du fournisseur avait nécessairement causé un préjudice substantiel à la société Vesta, et caractérisait une brusque rupture de la relation commerciale, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ; 3°) qu'en estimant, pour juger que la rupture des relations commerciales avait été notifiée le 3 décembre 2012 et que le préavis de neuf mois consenti par la société Jotul était suffisant, d'une part que la société Vesta ne démontre pas que ce préavis n'aurait pas été effectif, d'autre part que lors de la notification de la rupture des relations commerciales, la société Jotul a invité la société Vesta à s'approvisionner auprès de la société Guinand chauffage, enfin que la société Vesta ne démontre pas avoir tenté un tel approvisionnement, sans répondre au chef péremptoire de ses conclusions d'appel, qui faisait expressément valoir que le contrat du 2 novembre 2012 conclu avec la société Guinand chauffage confiait immédiatement à cette dernière la distribution exclusive des produits fabriqués par la société Jotul, laquelle s'interdisait de les commercialiser elle-même, de sorte qu'en cet état, la société Jotul n'avait aucun pouvoir pour imposer à son nouveau distributeur exclusif la fourniture de produits à la société Vesta, et qu'ainsi la rupture du contrat était, de fait, intervenue sans préavis à compter de la mise en œuvre, dès le 2 novembre 2012, du contrat susvisé du même jour, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, qu'après avoir énoncé que la cession d'un fonds de commerce n'opère pas transmission universelle de patrimoine et ne substitue pas de plein droit le cessionnaire au cédant dans les relations contractuelles et commerciales que celui-ci entretenait avec les tiers, sauf manifestation expresse de volonté des parties, l'arrêt retient que la société Vesta ne rapporte pas la preuve d'une telle intention de poursuivre la relation commerciale initialement nouée entre la société Pierre Segura et la société Jotul et ajoute qu'elle ne produit aucun élément de nature à établir, ainsi qu'elle le soutient, que les modalités de sa relation avec la société Jotul seraient restées identiques à celles que cette dernière entretenait avec la société Pierre Segura ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la société Vesta ne démontrait pas avoir poursuivi la relation commerciale existant précédemment entre la société Pierre Segura et la société Jotul, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant estimé que la société Vesta ne démontrait pas que sa suppression provisoire du site internet de la société Jotul, pendant trois mois, ou que la conclusion par celle-ci, le 2 novembre 2012, d'un contrat de distribution exclusive avec la société Guinand chauffage avaient entraîné une modification significative de son flux d'affaires et une perte de son chiffre d'affaires, la cour d'appel a répondu aux conclusions prétendument délaissées ;

Et attendu, enfin, qu'ayant, dans ses conclusions d'appel, précisé : "la dernière facture, versée aux débats par la société Jotul date du 23 août 2013, soit une semaine avant la fin du préavis de neuf mois, et au surplus dans une période creuse de congés !!! ... ce qui démontre bien que la société Vesta a continué tout à fait normalement à vendre les produits de la gamme Jotul", la société Vesta n'est pas recevable à présenter devant la Cour de cassation un moyen contraire à la position soutenue devant les juges du fond ; d'où il suit que le moyen, irrecevable en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.