CA Pau, 2e ch. sect. 1, 28 juin 2019, n° 18-00530
PAU
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
L. LSO (SA)
Défendeur :
Les Colonnes de Biarritz (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
MM. Darracq, Magnon
FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES
Le 18 janvier 2012, la société L. LSO (SA), fournisseur, et la société Almi (SARL), exploitant d'un fonds de commerce de café-restaurant-brasserie à Biarritz, ont signé un contrat d'achat exclusif de boissons d'une durée de sept années, par lequel la seconde s'est engagée à acheter exclusivement auprès de la première une quantité minimale prédéfinie de certaines boissons limitativement énumérées, hors bières et cafés, et a obtenu une avance de trésorerie de 30 000 euros remboursable en sept remises annuelles égales.
Il est également stipulé qu'en cas de non-respect de l'exclusivité de fourniture, le revendeur sera redevable d'une clause pénale égale à 20 % du chiffre d'affaires à réaliser jusqu'au terme normal du contrat, en application des quantités prévues en quota à l'article 3, selon les prix pratiqués lors de la dernière livraison, compte tenu des quantités déjà livrées.
Par courrier du 2 mai 2016, la société Almi, suite à une cession de contrôle de son capital, a notifié la rupture anticipée du contrat d'achat exclusif liant les parties.
Un différend est né quant à l'indemnité réclamée par la société L. LSO au titre de la clause pénale, la société Ami en contestant le montant et mettant en cause la validité même du contrat dont la durée ne pouvait, selon, elle excéder cinq années.
Suivant exploit du 2 février 2017, la société L. LSO a fait assigner la société Almi par devant le tribunal de commerce de Bayonne en paiement de l'indemnité de rupture contractuelle chiffrée à 23.140,34 euros sur le fondement des articles 1134 du Code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et L. 330-1 et suivants du Code de commerce.
En défense, la société Almi a conclu à la nullité du contrat sur le fondement du règlement européen 330/2010 du 30 avril 2010 concernant l'application de l'article 101 § 3 Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, en soutenant que celui-ci prohibait les clauses d'exclusivité d'une durée supérieure à cinq ans.
Par jugement du 29 janvier 2018, auquel il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens initiaux des parties, le tribunal a :
- débouté la société Almi de sa demande de nullité du contrat d'achat exclusif
- dit le contrat valide au regard du droit européen
- ramené la durée de ce contrat à cinq ans, soit jusqu'à la fin de l'année 2016
- condamné la société Almi à payer à la société L. LSO la somme de 5 819,77 euros au titre de l'indemnité contractuelle, outre intérêts de droit à compter du 21 janvier 2016
- rejeté les autres demandes des parties
- condamné la défenderesse aux dépens
- ordonné l'exécution provisoire
Par déclaration au greffe faite le 15 février 2018, la société L. LSO a relevé appel de ce jugement.
La société Almi est devenue la société Les Colonnes de Biarritz (SARL).
La procédure a été clôturée par ordonnance du 13 mars 2019.
Vu les dernières conclusions notifiées le 8 avril 2019 par la société L. LSO qui a demandé à la cour de :
- débouter la société Les Colonnes de Biarritz, anciennement Almi, de son appel incident
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé valide le contrat d'achat exclusif et rejeté la demande de nullité dudit contrat
- réformer le jugement déféré sur le montant de l'indemnité de rupture contractuelle
- condamner la société Les Colonnes de Biarritz à lui payer la somme de 23 140,34 euros augmentée des intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 11 juillet 2016, outre une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions notifiées le 4 avril 2019 par la société Les Colonnes de Biarritz, anciennement Almi, qui a demandé à la cour de :
- constater qu'elle s'associe à la demande de révocation de la clôture au jour des plaidoiries sollicitée par l'appelante
A titre principal :
- réformer le jugement entrepris
- constater le caractère nul du contrat d'achat exclusif d'une durée supérieure à cinq ans
- débouter la société L. LSO de ses demandes
A titre subsidiaire :
- réformer le jugement entrepris sur la clause pénale
- constater que les quantités minimums d'achat ne sont pas spécifiées comme étant annuelles
- constater par conséquent le caractère infondé de l'ensemble des demandes
A titre infiniment subsidiaire, si le contrat n'est pas nul mais devait être ramené à cinq ans :
- confirmer le jugement sur le montant de la clause pénale
A titre infiniment infiniment subsidiaire, si le droit européen ne s'applique pas :
- réformer le jugement entrepris
- constater le caractère manifestement excessif de la clause pénale
- constater que le courrier du 22 avril 2016 de la société Heineken engage la société L. LSO
- constater l'existence d'un mandat apparent entre ces deux sociétés auquel elle a pu croire
- réduire, en conséquence, le montant de la clause pénale à 8 000 euros
En tout état de cause et à titre reconventionnel :
- réformer le jugement entrepris sur les dépens et les frais irrépétibles
- débouter la société L. LSO de ses demandes
- condamner la société L. LSO au paiement d'une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
MOTIFS
Il convient, à la demande des parties, de révoquer l'ordonnance de clôture et de fixer la clôture au 9 avril 2019.
1- Sur la validité du contrat d'achat exclusif
En application de l'article L. 330-1 du Code de commerce, est limitée à un maximum de dix ans la durée de validité de toute clause d'exclusivité par laquelle l'acheteur, le cessionnaire ou locataire de biens meubles s'engage vis-à-vis de son vendeur, cédant ou bailleur, à ne pas faire usage d'objets semblables ou complémentaires en provenance d'un autre fournisseur.
Selon l'intimée, ce texte doit, en l'espèce, être écarté au profit du règlement européen n° 330/210 du 30 avril 2010 de la Commission concernant l'application de l'article 101 du paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dont elle déduit de l'article 5 que l'exemption prévue à l'article 2, accordée aux entreprises dont la part de marché est inférieure à 30 %, est exclue en présence d'une clause d'exclusivité supérieure à cinq ans, laquelle est nulle de plein droit en application de l'article 101.
L'article 5, 1° a), relatif aux restrictions exclues dispose que l'exemption prévue à l'article 2 ne s'applique pas à toute obligation directe ou indirecte de non-concurrence dont la durée est indéterminée ou dépasse cinq ans.
L'article 1er, d), définit " l'obligation de non-concurrence " comme toute obligation directe ou indirecte interdisant à l'acheteur de fabriquer, d'acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services qui sont en concurrence avec les biens ou les services contractuels, ou toute obligation directe ou indirecte imposant à l'acheteur l'obligation d'acquérir auprès du fournisseur ou d'une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché en cause, calculés sur la base de la valeur ou, si cela est de pratique courante dans le secteur, du volume d'achats qu'il a effectués au cours de l'année civile précédente.
Il résulte des dispositions qui précèdent que, contrairement à ce que soutient l'intimée, l'exemption n'est pas exclue lorsque la clause d'exclusivité d'achat n'a pas pour effet d'imposer à l'acheteur d'acquérir auprès du fournisseur exclusif plus de 80 % de ses achats annuels.
Or, la société Les Colonnes de Biarritz, qui exploite un fonds de commerce de bar-restaurant-brasserie, ne démontre pas qu'elle réaliserait, par l'effet de la clause d'exclusivité d'achat de certaines boissons gazeuses, limonades, apéritifs, sodas, vins en quantité minimales prédéfinies, plus de 80 % de ses achats annuels auprès de la société L. LSO.
Par conséquent, le moyen de nullité doit être rejeté.
Le jugement déféré sera confirmé, par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté la société Almi, devenue Les Colonnes de Biarritz, de sa demande de nullité du contrat fondée sur l'article 101 du TFUE et de l'article 5, 1° a) du règlement européen 330/2010 de la Commission.
La durée de la clause d'achat exclusif ne contrevenant ni à la norme européenne ni à la norme nationale, il y lieu de donner au contrat son plein effet.
2- Sur la clause pénale
Le contrat stipule que, en cas de non-respect de l'exclusivité de fourniture, le revendeur sera redevable d'une clause pénale égale à 20 % du chiffre d'affaires à réaliser jusqu'au terme normal du contrat, en application des quantités prévues en quota à l'article 3, selon les prix pratiqués lors de la dernière livraison, compte tenu des quantités déjà livrées.
La société Almi ayant unilatéralement rompu le contrat d'achat exclusif de boissons d'une durée de sept ans, encourt l'application de la clause pénale précitée.
Selon le décompte produit aux débats, le chiffre d'affaires non réalisé jusqu'à la fin du contrat s'élève à 115 701,70 euros, soit une pénalité exigible de 23 140,34 euros.
L'intimée conteste ce montant calculé sur la base des quantités minimales annuelles au motif que l'article 3 du contrat détaillant lesdites quantités ne spécifie pas que celles-ci sont annuelles de sorte que, dans le silence du contrat, il s'agit des quantités minimales pour la durée totale du contrat. Elle en conclut que, ayant commandé les quantités minimales requises entre 2012 et 2016, la clause pénale ne peut jouer.
Cependant, si le tableau " autres boissons-quantités " ne précise pas le cycle annuel des quantités minimales requises, le tableau précédent sur les bières, ici laissé vierge, fait bien état de ce cycle annuel.
En outre, non seulement ce cycle annuel est de pratique courante dans ce type de contrat de longue durée, mais il participe nécessairement de l'équilibre économique général du contrat alors que la société L. LSO n'aurait eu aucun intérêt à consentir une avance de 30 000 euros remboursable sur 7 ans pour réaliser un chiffre d'affaires sur la même période de 43 301,58 euros, soit environ 6 000 euros par an, générant des remises ne permettant pas le remboursement du prêt.
Au demeurant, la preuve de l'accord sur le caractère annuel des quantités minimales résulte encore de la dénonciation du contrat par la société Almi.
Par conséquent, la clause pénale doit bien être calculée sur la base des quantités minimales annuelles.
En deuxième lieu, la société Les Colonnes de Biarritz, invoquant le mandat apparent, se prévaut de la proposition que lui a faite le 22 avril 2016 un préposé de la société Heineken de fixer la clause pénale due à la société Almi à 8 000 euros.
Mais, les débats sur le mandat apparent sont sans intérêt pour la solution du litige puisque précisément la société Almi n'a pas accepté cette proposition dont il faut relever, au surplus, qu'elle présentait une nature commerciale adossée à une proposition de partenariat financier en vue de l'octroi d'un prêt à taux zéro de 185 000 euros.
Enfin, l'intimée demande, en application de l'article 1152 du Code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la réduction de la clause pénale réclamée par l'appelante.
En l'espèce, la clause pénale est manifestement excessive alors que la société L. LSO, distributeur de boissons de toute nature, réalisant un chiffre d'affaires d'environ 20 millions d'euros, implantée dans un tissu économique local dynamique dans ce secteur, n'a pas subi un préjudice à la mesure du montant réclamé, d'autant qu'il ne résulte d'aucun élément que les 20 % du chiffre d'affaires fixé dans la clause seraient inférieurs à sa marge brute.
Il convient de réduire la clause pénale à la somme de 10 000 euros que la société Les Colonnes de Biarritz sera condamnée à payer, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 11 juillet 2016.
Le jugement déféré sera condamné sur les dépens et les frais irrépétibles et la société Les Colonnes de Biarritz condamnée aux dépens d'appel et à payer à la société L. LSO une indemnité complémentaire de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Révoque l'ordonnance de clôture et fixe la clôture au 9 avril 2019, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Almi, devenue Les Colonnes de Biarritz, de sa demande de nullité du contrat d'achat exclusif de boissons du 18 janvier 2012, ainsi qu'en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles, Infirme le jugement pour le surplus, et statuant à nouveau, Condamne la société Les Colonnes de Biarritz à payer à la société L. LSO la somme de 10 000 euros au titre de la clause pénale, Condamne la société Les Colonnes de Biarritz aux dépens d'appel, Condamne la société Les Colonnes de Biarritz à payer à la société L. LSO une indemnité complémentaire de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Autorise M° P., avocat, à procéder au recouvrement direct des dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.