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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 1, 11 juillet 2019, n° 18-03436

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Leroux (SAS)

Défendeur :

Chicorée du Nord (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard

Conseillers :

Mmes Molina, Fallenot

Avocats :

Mes Laurent, Chatelain, Khayat, Leupe

T. com. Boulogne-sur-Mer, du 15 mai 2018

15 mai 2018

Vu le jugement contradictoire rendu le 15 mai 2018 par le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer qui a débouté la société Leroux de l'ensemble de ses demandes, et condamné la société Leroux à payer à la SARL Chicorée du Nord la somme de 1 200 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,

Vu l'appel total interjeté le 15 juin 2018 par la société Leroux,

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 1er avril 2019 par la société Leroux qui demande à la cour, au visa de l'article 1240 du Code civil, de l'article L. 121-2 du Code de la consommation, et de l'article 564 du Code de procédure civile, de :

- réformer le jugement du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer en date du 15 mai 2018,

- dire et juger que la production et la commercialisation des bocaux de chicorée soluble de marque Lutun portant l'étiquette litigieuse par la SARL Chicorée du Nord constitue une pratique commerciale trompeuse et un acte de concurrence déloyale à son égard,

- condamner la SARL Chicorée du Nord à procéder à la modification de l'étiquetage de la chicorée soluble commercialisée sous la marque Lutun par la suppression du médaillon litigieux, en s'abstenant d'y ajouter la moindre mention ou présentation de nature à induire le consommateur en erreur quant à l'origine du produit et ce dans un délai de huit jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- la condamner au retrait du marché de l'ensemble des bocaux de chicorée soluble de marque Lutun portant l'étiquette litigieuse et ce sur l'ensemble du territoire français et ce dans un délai de huit jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- assortir ces deux condamnations d'une astreinte de 100 euros par infraction constatée passé ce délai,

- la condamner à lui verser la somme de 2 euros par bocal de chicorée soluble de marque Lutun portant l'étiquette litigieuse d'ores et déjà vendu au consommateur final à titre de dommages et intérêts pour acte de concurrence déloyale,

- la condamner à lui verser une somme de 10 000 euros à titre provisionnel sur dommages et intérêts,

- lui ordonner la production de toutes pièces comptables portant le cachet d'un expert-comptable faisant mention de la quantité de bocaux de chicorée soluble portant l'étiquette litigieuse déjà vendus au consommateur final au jour de l'arrêt à intervenir, ou de l'établir par toute autre méthode fiable dont les données de la société Nielsen et ce sous quinze jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

- surseoir à statuer sur le montant définitif des dommages et intérêts,

- à titre subsidiaire, condamner la société Chicorée du Nord à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- déclarer irrecevables les demandes nouvelles de l'intimée fondées sur l'abus de position dominante et sur la procédure abusive,

- à titre subsidiaire, déclarer ces demandes infondées,

- débouter la société Chicorée du Nord de l'ensemble de ses demandes,

- la condamner à verser à la SAS Leroux une somme de 12 000 euros sur fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 19 février 2019 par la SARL Chicorée du Nord qui demande à la cour de :

- dire bien jugé, mal appelé,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Boulogne-sur-mer du 15 mai 2018.

Y ajoutant, et à titre reconventionnel,

Vu les articles L. 420-1 et suivants du Code de commerce,

Vu l'article 1240 du Code civil,

A titre principal,

- dire que l'étiquette portant le médaillon " SARL Chicorée du Nord " n'est pas constitutive d'un acte de concurrence déloyale et autoriser son utilisation future par la société Chicorée du Nord,

- condamner la société Leroux à 10 000 euros de dommages et intérêts à titre de l'abus de position dominante,

A titre subsidiaire,

- condamner la société Leroux à 2 000 euros de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive.

En tout état de cause,

- débouter la société Leroux de l'intégralité de ses demandes,

- la condamner, outre les entiers dépens, à 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu l'ordonnance de clôture du 4 avril 2019

SUR CE,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il sera simplement rappelé que la société Leroux, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Douai le 15 décembre 2005, est spécialisée dans la transformation et la commercialisation de chicorée. Elle indique commercialiser à ce titre différents produits issus de la chicorée, dont la chicorée soluble depuis 1951.

Elle expose avoir appris le 8 janvier 2018, par le biais d'un article de presse, que la société Chicorée du Nord avait étendu sa gamme habituelle de chicorée en grain et liquide, à la chicorée soluble sous la marque Lutun.

Reprochant à cette dernière une pratique commerciale trompeuse constitutive de concurrence déloyale à son encontre, et après l'envoi d'une mise en demeure d'avoir à procéder à la modification de l'étiquetage et au retrait immédiat de l'ensemble des produits porteurs de l'étiquette commercialisés sur le marché français, la société Leroux, dûment autorisée par ordonnance du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer du 27 février 2018, a selon acte d'huissier du 12 mars 2018, fait assigner à bref délai la société Chicorée du Nord devant le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer en pratique commerciale trompeuse et concurrence déloyale.

Sur les demandes de la société Leroux

Selon l'article 1240 du Code civil, " Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ".

L'article L. 121-1 du Code de la consommation dispose que :

" Les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service.

(...)

Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 et les pratiques commerciales agressives définies aux articles L. 121-6 et L. 121-7 ".

Selon l'article L. 121-2 du Code de la consommation :

" Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes :

1 ° (...)

2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants :

a) (...)

b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ; "

Pour conclure à l'infirmation du jugement dont appel, la société Leroux qui se prévaut d'une pratique commerciale trompeuse au sens des dispositions susvisées, constitutive de concurrence déloyale à son encontre, reproche à l'intimée de commercialiser de la chicorée soluble sous la marque Lutun dans un bocal muni d'une étiquette sur laquelle figure un logo sous forme de cachet mentionnant " Chicorée du Nord SARL " assorti d'un dessin représentant un beffroi en son centre.

Elle fait valoir que pour le consommateur d'attention normale, ce logo sous forme de médaillon apparaît comme un cachet qui certifie une qualité particulière au produit, qu'il laisse entendre que le produit vendu serait d'origine française et plus précisément, du Nord de la France, ce qui est confirmé par l'utilisation d'un beffroi apparenté au patrimoine du Nord de la France, alors que le produit incriminé provient de Pologne, contrairement à son propre produit équivalent, d'origine et de fabrication françaises. Elle en conclut qu'il existe une contradiction flagrante entre la provenance annoncée au consommateur et l'origine réelle du produit, ce qui constituerait une pratique commerciale trompeuse reposant sur une présentation de nature à induire en erreur sur l'origine du produit et à altérer le comportement économique du consommateur, et partant un acte de concurrence déloyale.

La société Chicorée du Nord indique quant à elle que l'article L. 121-2 du Code de la consommation invoqué par l'appelante ne définit qu'un délit pénal, que les faits invoqués ne rentrent pas plus dans une hypothèse de responsabilité civile en matière de concurrence dès lors qu'il n'existe ni faute commise par elle ni préjudice subi par la société Leroux, ni encore de lien de causalité, le médaillon contesté ne faisant que reprendre sa dénomination sociale et l'appelante ne justifiant d'aucune diminution de ses ventes. Elle ajoute avoir cependant pris la décision, dans le seul souci de conciliation, de modifier l'étiquette de son produit et avoir fait enlever sur chacun des bocaux destinés à être commercialisé le médaillon litigieux pour le remplacer par une étiquette autocollante portant la mention " Nouveauté ", ce qui a été constaté par huissier de justice le 2 mars 2008.

Ceci étant exposé, il est admis qu'une pratique commerciale est réputée trompeuse lorsque soit elle contient des informations fausses, soit elle est susceptible d'induire en erreur le consommateur moyen et qu'elle est en outre de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique de celui-ci, et par ailleurs, que celui qui prétend subir un préjudice du fait d'une pratique commerciale trompeuse peut exercer une action en concurrence déloyale sur le fondement de l'article 1240 du Code civil.

En l'espèce, le logo litigieux est ainsi représenté :

De par les mentions qu'il comporte à savoir " Chicorée du Nord SARL " ce logo désigne à l'évidence la dénomination sociale qu'utilise la société intimée depuis 1985 et telle qu'elle figure sur son extrait d'immatriculation au Registre du Commerce et des Sociétés de Boulogne-sur-Mer versé aux débats, l'acronyme SARL étant bien mentionné, ce que d'ailleurs l'appelante elle-même reconnaît lorsqu'elle indique dans ses dernières écritures que la dénomination sociale " Chicorée du Nord " est mise en évidence.

Cette dénomination n'apparaît pas comme une marque, le produit incriminé étant commercialisé sous la marque Lutun, ce qui n'est pas contesté, et n'est que renforcée par la représentation d'un beffroi, certes évocateur du nord de la France, mais que l'intimée justifie également utiliser sur les étiquettes des autres produits de chicorée qu'elle commercialise et que la société Leroux ne peut en tout état de cause s'approprier.

En outre, figurent au dos du bocal et de façon parfaitement lisible en lettres claires sur un fond foncé, les mentions suivantes :

Produit en Pologne

et sélectionné par

Chicorée du Nord SARL

Ainsi, ni le contenu ni la présentation du logo litigieux, de forme relativement usuelle dans le domaine considéré, ne feront penser au consommateur d'attention moyenne que la chicorée soluble Lutun est un produit provenant du Nord de la France ; qu'il constatera au contraire qu'il s'agit d'un produit en provenance de Pologne, commercialisé par la SARL Chicorée du Nord, société située à Oye-Plage dans le Pas de Calais, dont la dénomination sociale apparaît en plus gros caractères, ce d'autant qu'ainsi que le reconnaît l'appelante, la tendance actuelle des consommateurs est bien de vérifier, la plupart du temps au dos des produits, la provenance de celui qu'ils envisagent d'acheter.

En conséquence, il n'est nullement démontré que le logo litigieux altérera ou serait susceptible d'altérer substantiellement le comportement économique du consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé en le détournant des produits Leroux.

Il y a lieu dans ces conditions de confirmer le jugement en ce qu'il rejeté l'ensemble des demandes de la société Leroux.

Sur les demandes de la société Chicorée du Nord pour abus de position dominante.

La société Leroux soulève l'irrecevabilité des demandes de l'intimée en abus de position dominante et en dommages intérêts pour procédure abusive comme étant nouvelles en cause d'appel en application de l'article 564 du Code de procédure civile.

La société Chicorée du Nord soutient qu'elle peut former de telles demandes reconventionnelles pour la première fois en cause d'appel conformément à l'article 567 du Code de procédure civile.

Aux termes de l'article 564 du Code de procédure civile, " A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ".

Selon l'article 567 du même Code, les demandes reconventionnelles sont également recevables en appel.

Pour autant, la demande reconventionnelle est celle qui se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant au sens de l'article 70 du Code de procédure civile.

Or en l'espèce, la société Leroux agit en concurrence déloyale et pratique commerciale trompeuse sur le fondement des articles 1240 du Code civil et L. 121-2 du Code de la consommation alors que la demande reconventionnelle en abus de position dominante de la société Chicorée du Nord est fondée sur l'article L. 420-2 du Code du commerce.

Il s'agit d'une demande qui ne tend pas aux mêmes fins et qui partant doit être déclarée irrecevable comme étant nouvelle en cause d'appel.

Il en est en revanche autrement de la demande de dommages intérêts pour procédure abusive, formée à titre subsidiaire, qui n'est que l'accessoire ou le complément de la défense opposée aux demandes principales.

Cependant le droit d'appel est un droit qui appartient à toute partie qui y a intérêt, sous réserve toutefois de l'abus. Or en l'espèce aucun des moyens allégués n'est susceptible de caractériser un tel abus, le fait d'intenter une action n'étant pas en soi générateur de responsabilité. La demande de dommages intérêts pour procédure abusive doit en conséquence être rejetée.

Par ailleurs il n'y a pas lieu d'autoriser l'utilisation future par la société Chicorée du Nord de l'étiquette concernée par le présent litige.

Sur les autres demandes

L'appelante qui succombe sera condamnée aux entiers dépens.

Il y a lieu en outre de confirmer le jugement qui l'a condamnée à payer une indemnité d'un montant de 1 200 euros à la société Chicorée du Nord au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Enfin, l'intimée a dû engager en cause d'appel des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge ; il y a lieu en conséquence de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif du présent arrêt, le surplus des demandes étant rejeté.

Par ces motifs : Déclare irrecevable la demande de la société Chicorée du Nord en abus de position dominante comme étant nouvelle en cause d'appel. Déclare recevable mais mal fondée la demande de dommages intérêts pour procédure abusive de la société Chicorée du Nord. Confirme le jugement rendu le 15 mai 2018 par le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer en toutes ses dispositions. Y ajoutant, Condamne la société Leroux à payer à la société Chicorée du Nord la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Leroux aux entiers dépens.