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Décisions

ADLC, 24 juillet 2019, n° 19-D-16

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre dans le secteur du carburant à La Réunion

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Isabelle Sévajols, rapporteure, , l'intervention de M. Stanislas Martin, rapporteur général, par Mme Irène Luc, vice-présidente, présidente de séance, Mme Laurence Borel-Prat, M. Jérôme Pouyet, membres.

ADLC n° 19-D-16

24 juillet 2019

L'Autorité de la concurrence (section V),

Vu les lettres, enregistrées le 2 novembre 2018, sous les numéros 18/0168 F et 18/0169M, par lesquelles la société Coopérative Carburant d'Intérêt Régional Public Privé a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la Société Réunionnaise de Produits Pétroliers dans le secteur du carburant à La Réunion et a sollicité en outre le prononcé de mesures conservatoires ; Vu les décisions de secret des affaires n° 19-DSA-081 du 28 février 2019, n° 19-DSA-104 du 20 mars 2019, n° 19-DSA-118 du 1er avril 2019, n° 19-DSA-120 du 8 avril 2019, n° 19-DSA-180 du 17 mai 2019, n° 19-DEC-187 du 23 mai 2019, n° 19-DSA-212 du 12 juin 2019 et n° 19-DSA-221 du 21 juin 2019 ; Vu le livre IV du code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Coopérative Carburant d'Intérêt Régional Public Privé et Société Réunionnaise de Produits Pétroliers ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Coopérative Carburant d'Intérêt Régional Public Privé et Société Réunionnaise de Produits Pétroliers, entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 6 juin 2019 ;

Adopte la décision suivante :

I. Les constatations

A. LA SAISINE

1. Par lettres enregistrées le 2 novembre 2018, sous les numéros 18/0168 F et 18/0169 M, la société Coopérative Carburant d'Intérêt Régional Public Privé (ci-après " CCIRPP ") a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la Société Réunionnaise de Produits Pétroliers (ci-après " SRPP ") dans le secteur des carburants à La Réunion, et a sollicité, sur le fondement de l'article L. 464-1 du code de commerce, le prononcé de mesures conservatoires.

2. La société CCIRPP est une SARL au capital de 3 000 €. Depuis sa création en 2010, elle n'a recruté aucun salarié, ne détient aucun moyen de production et de distribution et ne réalise aucun chiffre d'affaires. Son activité consiste, selon son gérant, à " se préparer à importer du carburant sur l'île de La Réunion ".

3. La CCIRPP soutient que, malgré ses nombreuses demandes depuis 2012, la SRPP lui refuse abusivement l'accès à ses cuves de stockage, l'empêchant ainsi d'importer du carburant sur l'île de La Réunion et de faire bénéficier les entreprises et les consommateurs de prix inférieurs aux prix réglementés. Plus précisément, elle prétend que la SRPP lui refuse la conclusion d'un contrat de " passage " qui lui serait nécessaire pour finaliser des projets de partenariat avec des fournisseurs et des distributeurs de carburant. Selon elle, la SRPP se livrerait à des manœuvres dilatoires équivalentes à un refus implicite d'accès : absence de réponse ou réponses tardives aux demandes d'accès et édiction de conditions d'accès changeantes et injustifiées pour bloquer les négociations.

B. L'ENTREPRISE MISE EN CAUSE

4. L'entreprise mise en cause, la SRPP, est une société anonyme, filiale du groupe Rubis, active dans l'importation, le stockage et la vente de produits pétroliers et de GPL sur l'île de La Réunion. La SRPP dispose des seuls dépôts d'importation de carburant ouverts aux tiers de l'île, situés au Port, dont les cuves ont une capacité de 250 000 m3.

5. Sa prise de contrôle exclusif par le groupe Rubis a été autorisée par l'Autorité sous réserve d'engagements, dans la décision n°15-DCC-104 du 30 juillet 2015, relative à la prise de contrôle exclusif de la Société Réunionnaise de Produits Pétroliers par la société Rubis. Rubis s'est engagée à donner accès aux tiers à ses installations de stockage pour les produits non réglementés et à nommer un mandataire indépendant ayant pour mission de s'assurer de l'exécution satisfaisante des engagements.

6. Le mandataire a communiqué régulièrement à l'Autorité des rapports écrits sur l'exécution des engagements (17 rapports mensuels, puis semestriels, ont été transmis à ce jour). Cet expert a également été tenu informé, d'une part, des " prérequis " établis par la SRPP pour autoriser l'accès à ses installations de stockage et, d'autre part, des demandes d'accès de la CCIRPP. Il a, par ailleurs, participé à une réunion entre la SRPP et la CCIRPP le 9 février 2018.

C. LE SECTEUR

7. L'île de La Réunion, qui ne dispose d'aucune raffinerie, est dépendante des importations pour son approvisionnement en carburant. Son appartenance à l'Union européenne la contraint par ailleurs à utiliser des carburants aux normes européennes, ce qui rend difficiles les importations depuis les pays voisins.

8. Les quatre opérateurs pétroliers actifs sur le marché aval de la distribution de produits pétroliers à La Réunion sont les sociétés Total Réunion, Ola Energy Réunion, Vivo Energy et la SRPP. Ces opérateurs sont réunis dans un Comité des Importateurs d'Hydrocarbures (ci-après " CIH "), par l'intermédiaire duquel sont organisées les importations, par des appels d'offres mutualisés. Ces produits sont ensuite stockés dans les seules cuves de l'île ouvertes aux tiers, celles de la SRPP.

9. Les trois carburants importés sont le gazole, le supercarburant sans plomb et le carburant aviation JET 1, à partir desquels sont fabriqués le gazole non routier, le diesel marine, le pétrole lampant (huile légère du pétrole, obtenue après distillation du pétrole brut) et le supercarburant sans plomb marine.

10. Les caractéristiques propres du marché réunionnais ont justifié la mise en place d'une réglementation des prix. Le préfet fixe mensuellement par arrêté les prix maximums des importations, hors passage en dépôt, les prix de passage en dépôt et les prix de distribution aux stades de gros et de détail de certains produits pétroliers, notamment les supercarburants sans plomb et le gazole routier.

11. La totalité des capacités de stockage existantes à La Réunion est détenue et gérée par la SRPP, les produits stockés étant la propriété de chacun des opérateurs pétroliers du CIH. Les produits étant stockés de façon mutualisée, un problème de qualité ou de pollution d'un produit importé peut affecter le stock de l'ensemble des déposants (ou " passeurs ").

12. Comme l'a relevé l'Autorité dans sa décision précitée n° 15-DCC-104 du 30 juillet 2015, l'accès aux dépôts de stockage de la SRPP s'avère indispensable à tout opérateur qui souhaite importer des produits pétroliers sur l'île de La Réunion, en l'absence de toute alternative (paragraphe 69). L'Autorité avait par ailleurs souligné, dans cette même décision, que l'entrée d'un nouvel opérateur sur le marché du stockage était peu probable, dans la mesure où les barrières à l'entrée sont très élevées et où une telle entrée ne serait pas économiquement rationnelle (paragraphe 70).

13. Il résulte de cette analyse - dont la validité et la pertinence à l'heure de la présente décision ne sont contestées ni par le saisissant ni par l'entreprise mise en cause - que l'on peut considérer que les dépôts de carburants de la SRPP constituent des infrastructures essentielles et que la SRPP, en situation de monopole, détient une position dominante sur le marché du stockage de carburant à La Réunion.

II. Discussion

14. L'article L. 462-8 du code de commerce prévoit que l'Autorité peut " rejeter la saisine par décision motivée lorsque les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ".

15. En outre, l'article R. 464-1 du même code dispose que " la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond de l'Autorité de la concurrence ".

16. Seront successivement examinés la recevabilité des observations complémentaires de la CCIRPP du 20 juin 2019 (A) et les éléments probants concernant les pratiques alléguées par elle (B).

A. LA RECEVABILITÉ DES OBSERVATIONS COMPLÉMENTAIRES DE LA CCIRPP DU 20 JUIN 2019

17. La CCIRPP a déposé à l'Autorité des observations complémentaires le 20 juin 2019 après-midi, soit 3 jours ouvrés francs avant la séance. Ces observations de 53 pages, accompagnées de 18 annexes, ont été communiquées à la SRPP le 21 juin 2019 à 18h10.

18. Par courrier du 24 juin 2019, la SRPP a demandé le rejet de ces observations.

19. Si aucun délai minimal pour la remise des observations des parties n'est stipulé dans le code de commerce, le règlement intérieur de l'Autorité de la concurrence précise dans son article 17 : " Délai - Les documents envoyés dans le cadre de l'examen d'une demande de mesures conservatoires ou dont l'envoi est justifié par l'existence d'un fait nouveau doivent parvenir à l'Autorité dans un délai raisonnable et compatible avec l'exercice du contradictoire, et au plus tard deux jours ouvrés francs avant la séance, sauf décision contraire du président de séance ".

20. L'appréciation du délai raisonnable compatible avec l'exercice du contradictoire s'effectue in concreto en fonction du contenu des observations concernées, dont la société qui en sollicite le rejet doit exposer en quoi elles portent atteinte à ses droits de la défense.

21. Or, l'envoi tardif des dernières observations de la CCIRPP, qui font suite à deux jeux de conclusions et contiennent des faits et pièces anciens, n'est pas justifié par l'existence d'un fait nouveau. De plus, leur dépôt le 20 juin en fin d'après-midi, trois jours ouvrés francs avant la séance, n'est pas compatible avec l'exercice du contradictoire, la SRPP, défenderesse, ne les ayant reçues que le 21 juin à 18h10, soit deux jours ouvrés francs avant la séance, délai insuffisant pour lui permettre d'examiner, avant la séance, les nouveaux arguments accompagnés de calculs de la société CCIRPP.

22. Ces observations complémentaires doivent donc être rejetées.

B. LA RECEVABILITÉ DE LA SAISINE AU FOND

1. SUR L'ABUS DE POSITION DOMINANTE

23. Les autorités de concurrence et les tribunaux considèrent avec constance qu'une entreprise détenant une infrastructure, un produit ou un service indispensable aux concurrents pour accéder aux clients sur un marché aval pouvait abuser de la position dominante conférée par cette infrastructure, ce produit ou ce service en n'y accordant pas un accès à des conditions transparentes, équitables et non discriminatoires.

24. Une infrastructure est considérée comme essentielle et un refus d'accès à celle-ci comme abusif, si :

- elle ne peut être reproduite dans des conditions raisonnables par les concurrents de l'entreprise qui la gère ;

- l'accès à cette infrastructure est refusé ou autorisé dans des conditions restrictives ;

- l'accès à l'infrastructure est néanmoins possible (notamment sur le plan technique) ;

- et l'accès à l'infrastructure est strictement nécessaire (ou indispensable) pour exercer une activité concurrente sur un marché amont, aval ou complémentaire de celui sur lequel le détenteur de l'infrastructure est en situation de position dominante (voir notamment la décision n° 14-D-06 du 8 juillet 2014 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Cegedim dans le secteur des bases de données d'informations médicales, paragraphes 154 et suivants et l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 février 2010, Éditions Jean Paul Gisserot, RG n° 2008/09840).

25. Il est également constant que le fait, pour un opérateur en position dominante, d'imposer des conditions ou des prix différents à des acheteurs se trouvant dans des situations équivalentes, leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence, constitue un abus. En revanche, il reste loisible à un opérateur en position dominante de traiter différemment des acheteurs se trouvant dans des situations différentes (voir notamment l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 22 février 2005, Société des abattoirs de Laval, RG n° 2004/14592).

26. Il appartient donc d'examiner si les pratiques dénoncées par la CCIRPP constituent un refus abusif d'accès de la SRPP à ses installations de stockage, par l'imposition de conditions restrictives injustifiées ou discriminatoires.

27. Pour caractériser le refus abusif de contracter de la société SRPP, il faut également examiner la nature des demandes d'accès de la société SRPP.

28. Il convient à cet égard de rappeler que l'offre de contracter est un acte unilatéral de volonté par lequel une personne fait connaître, d'une part, son intention ferme de contracter avec une autre personne (le destinataire) et, d'autre part, les termes essentiels du contrat proposé.

29. Seront donc successivement étudiées les demandes de la société CCIRPP (a), les réponses de la SRPP (b) et les conditions d'accès posées par la SRPP (c).

a) Les demandes de la CCIRPP

30. Durant les sept années qui se sont écoulées entre le mois de septembre 2012 et la saisine de l'Autorité, la CCIRPP a formulé quatorze demandes d'accès aux cuves de la SRPP, par courriers ou par courriels.

31. Ces demandes multiples ne peuvent constituer des offres fermes de contracter au sens du droit des obligations, les termes essentiels du contrat n'ayant jamais été formulés de façon suffisamment claire et précise.

32. Les demandes de la CCIRPP ont en effet fluctué dans le temps, et sont restées vagues quant aux produits, aux volumes et au calendrier des importations envisagées. Certaines n'ont porté que sur le gazole, alors que d'autres ont évoqué le carburant sans plomb et le carburéacteur. Les volumes, auxquels le saisissant fait parfois référence dans les demandes adressées à la SRPP, lorsqu'ils sont mentionnés, sont imprécis et variables. La saisine elle-même ne contient aucune précision sur les produits et les volumes concernés par les demandes.

33. Ce n'est qu'en réponse à une question de la rapporteure que le saisissant a précisé que les produits et volumes concernés par ses demandes représentaient des importations, tous les deux mois, de 40 000 tonnes métriques, dont 70 % pour le gazole, 10 % pour l'essence et 20 % pour le carburéacteur. Il faut relever à cet égard qu'il s'agit de volumes très importants au regard des moyens matériels de la CCIRPP qui n'a justifié à ce jour d'aucun moyen de production, d'aucune infrastructure de distribution, d'aucun fournisseur et d'aucun client. Si le gérant de la société CCIRPP prétend avoir trouvé des partenaires importateurs de carburants, il ne verse aux débats que trois " memorandum of understanding " (protocoles d'accord en droit anglo-saxon) non engageants, datant, pour le plus récent d'entre eux, de 2016, dont il n'est par ailleurs pas démontré que la finalisation aurait été soumise à la transmission préalable d'un contrat de " passage " au sein des installations de la SRPP.

34. De plus, les 14 demandes formulées par la CCIRPP ont été espacées d'intervalles de plusieurs mois pendant lesquels cette dernière n'a pas donné suite aux précisions et conditions exprimées par la SRPP en retour, ce qui a ralenti les négociations.

b) Les réponses de la SRPP

35. Malgré l'imprécision des demandes d'accès ainsi formulées, la SRPP a, pour chacune d'entre elles, répondu au saisissant dans des délais brefs, sans jamais lui opposer de refus explicite d'accès aux cuves.

36. Dans ses courriers successifs, la SRPP a communiqué et expliqué les conditions ou " prérequis " pour l'accès à ses cuves, n'hésitant pas, pour ce faire, à organiser quatre réunions, les 25 septembre 2012, 22 mai 2014, 2 novembre 2016 et 9 février 2018.

37. La SRPP a adressé à la CCIRPP, dès 2012, une liste de " prérequis et de contraintes d'exploitation " qui présente les conditions préalables ou " prérequis " à remplir pour bénéficier d'une prestation de " passage " dans ses cuves ainsi que les contraintes d'exploitation. Cette liste s'applique à tous les produits et a revêtu successivement quatre versions très légèrement différentes (octobre 2012, avril 2015, octobre 2016 et avril 2018), des modifications mineures y ayant été apportées, sans incidence sur le cycle des négociations entre la CCIRPP et la SRPP.

38. Les trois principaux prérequis consistent dans l'obtention de l'agrément d'entrepositaire, le respect du règlement européen n° 1907/2006 du 18 décembre 2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (dit " REACH ") et la mise en place des assurances et garanties financières nécessaires. Les contraintes d'exploitation ont trait à la planification, aux caractéristiques des navires-citernes, des produits, au déchargement et à l'enlèvement du carburant. Ces exigences - qui sont conformes aux usages en vigueur dans le secteur - ont déjà fait l'objet de communications, en des termes identiques, à de nombreux tiers. Elles sont, par ailleurs systématiquement jointes aux contrats des passeurs et ont notamment été transmises au mandataire en charge du respect des engagements de la décision de concentration de l'Autorité, sans avoir fait l'objet d'observations.

39. La SRPP a, avec constance, répondu favorablement aux demandes de la CCIRP en soulignant qu'elle était prête à accueillir le carburant de la CCIRPP dans ses cuves, dès lors que cette dernière justifierait qu'elle respectait ces prérequis, ainsi qu'en attestent les nombreux courriers adressés par la SRPP à la CCIRPP en ce sens.

c) Les conditions d'accès aux installations de stockage de la SRPP

40. Il convient d'examiner si, sur la base des éléments dont dispose l'Autorité, les prérequis ayant fait l'objet de demandes de justification de la part de la SRPP, qui portent sur l'agrément d'entrepositaire sous douane et le respect des règles relatives à la réglementation REACH, ainsi que les conditions relatives aux assurances et garanties financières, contestées par le saisissant, et la clause sur l'enlèvement du carburant des cuves dans un délai maximal de deux mois, sont ou non justifiés et ont ou non été appliqués de façon discriminatoire. L'agrément d'entrepositaire sous douane

41. Les prérequis précisent que pour bénéficier d'une prestation de passage, l'un des préalables est de disposer d'un " agrément pour entreposer sous douane dans le dépôt du port, tout en mandatant un transitaire ".

42. Le service des douanes a confirmé que l'habilitation d'entrepositaire sous douane est nécessaire pour stocker des carburants dans l'entrepôt fiscal de la SRPP. Elle garantit le versement d'une caution apportée à l'administration, dont le montant est fonction du montant envisagé pour la mise en consommation du carburant. Par ailleurs, ce prérequis est habituel dans la profession et tous les " passeurs " sont habilités.

43. Il sera précisé que la CCIRPP a été agréée sur une courte période entre le 16 et le 21 décembre 2016, puis à compter du 1er juillet 2017, si bien qu'elle remplit ce prérequis depuis cette dernière date.

44. Cette condition, objectivement justifiée, n'a pas fait l'objet d'une application discriminatoire à la CCIRPP. L'enregistrement REACH

45. Une autre condition d'accès réside dans l'" enregistrement des substances importées conformément au règlement (CE) n° 1907/2006 portant sur l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et les restrictions des substances chimiques (REACH) ".

46. Ce règlement européen, entré en vigueur en 2007, a pour objet de sécuriser la fabrication et l'utilisation des substances chimiques dans l'industrie européenne. Il concerne les importations de substances dont l'origine est extérieure à l'Union européenne.

47. En vertu de l'article 5 du règlement, qui impose de ne mettre sur le marché que des substances enregistrées, les fabricants et importateurs sont tenus de vérifier le statut d'enregistrement des substances qu'ils mettent sur le marché. L'importateur de substances souhaitant importer plus d'une tonne est soumis à l'obligation d'enregistrement, sauf s'il bénéficie d'un enregistrement préalable réalisé par un représentant exclusif - entité désignée par le fabricant non-européen de la substance importée - couvrant les utilisations et tonnages importés par l'importateur appartenant à une même chaine d'enregistrement que le fabricant non-européen. Dans ce cas, il revient aux importateurs souhaitant bénéficier de l'enregistrement réalisé par un représentant exclusif de justifier que les importations sont bien couvertes par cet enregistrement et qu'ils se situent dans la même chaîne d'approvisionnement que celle visée par l'enregistrement réalisé par le représentant exclusif.

48. Ce prérequis, conséquence d'une obligation réglementaire, est objectivement justifié.

49. Tous les importateurs actuels de produits pétroliers à La Réunion ont enregistré directement les substances qu'ils importent.

50. La SRPP a exigé de la CCIRPP, entre le 7 avril 2017 et le 5 avril 2019, qu'elle détienne des numéros d'enregistrement des substances à son nom, ce qui constitue la modalité d'enregistrement la plus courante. Ces demandes de la SRPP ne prenaient pas en compte la possibilité de bénéficier de l'enregistrement d'un représentant exclusif. Cette modalité dérogatoire a toutefois été envisagée dans le courrier de la SRPP du 5 avril 2019 par lequel celle-ci demande à la CCIRPP de justifier, soit d'un enregistrement direct, soit d'un enregistrement par l'intermédiaire d'un représentant exclusif.

51. La CCIRPP n'a cessé de contester les demandes de justifications de la SRPP en soutenant que tous les produits de ses fournisseurs étaient déjà enregistrés. Le seul document produit par la CCIRPP, figurant au dossier aux fins d'attester du respect de la réglementation REACH, est une attestation de la société Litasko du 15 novembre 2016, qui précise : " À l'intention de M. X Gérant CCIRPP. Cher Monsieur, Veuillez trouver ci-dessous nos numéros d'enregistrement REACH pour les produits suivants : JET A1 01-2119485517-27-0073 ; ULSD 01-2119484664-27-0090 ; GASOLINE 01-2119471335-39-0142 Sous les accords d'approvisionnement entre Litasko SA et CCIRPP, Litasko assure que tous les hydrocarbures qui seront importés à La Réunion seront REACH certified " (cote 970).

52. Or, l'attestation produite par la CCIRPP est insuffisante pour justifier que les produits qui seraient importés par elle seraient conformes aux règles REACH, celle-ci ne confirmant ni la désignation d'un représentant exclusif ni le fait que l'enregistrement réalisé par ce dernier couvrait les importations prévues de la CCIRPP.

53. Ainsi, il ne ressort d'aucun élément produit par le saisissant que la CCIRPP aurait justifié, de façon suffisamment probante, que les produits qu'elle envisageait d'importer étaient enregistrés conformément aux règles REACH qui s'imposent à elle, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant exclusif.

54. Aucune application abusive ou discriminatoire de cette condition n'est donc imputable à la SRPP.

55. Il sera précisé que, dans un courrier du 23 mai 2019, la CCIRPP a indiqué être prête à s'engager à fournir tous les documents certifiant que les produits sont conformes et enregistrés selon les règles REACH très en amont de l'exécution de l'acte d'importation, mais, en toute hypothèse, uniquement après la communication d'un contrat d'accès par la SRPP, alors que cette condition constitue précisément un prérequis à la conclusion d'un tel contrat. Les assurances et garanties financières

56. Les prérequis exigés par la SRPP portaient également sur l'existence de diverses assurances et garanties financières - dont les modalités ont évolué entre la demande initiale de la CCIRPP en 2012 et le dernier courrier y faisant référence en avril 2018 - qui visent notamment à couvrir les avances de taxes et frais effectuées par la SRPP pour le compte du passeur ainsi que les frais de passage.

57. La CCIRPP soutient que les exigences de la SRPP sur ce point sont imprécises et difficiles à mettre en œuvre, en l'absence d'information préalable sur les volumes des cuves que la SRPP allouerait à la CCIRPP au titre de la prestation de passage. La CCIRPP conteste tout particulièrement les termes des exigences formulées par la SRPP sur ce point lors des échanges qui ont eu lieu en 2016, qui consistaient en " garantie financière dont le montant sera au moins égal aux droits de douane sur les produits importés ".

58. L'Autorité relève, en premier lieu, que l'exigence de garanties financières, en ce qu'elle vise en effet à couvrir les frais dus à la SRPP au titre du passage est, sur le principe, justifiée, et ne revêt pas un caractère discriminatoire, dans la mesure où les garanties exigées tiennent compte de la situation individuelle du client et sont négociées avec chacun d'entre eux.

59. En second lieu, s'agissant plus particulièrement de l'exigence d'une garantie correspondant à un montant au moins égal aux droits de douanes, l'Autorité relève que cette dernière a été supprimée en 2018 et, en toute hypothèse, n'a pas bloqué les pourparlers entre les parties, puisque les exigences posées par la SRPP, pour faire aboutir les négociations, portaient non sur la satisfaction de cette garantie, mais sur l'agrément d'entrepositaire et l'enregistrement REACH. La clause d'enlèvement dans un délai de deux mois

60. Une condition sur l'enlèvement des produits, qui ne figurait pas dans les prérequis de 2012 et 2015, a été ajoutée dans les listes d'octobre 2016 et d'avril 2018 : " Les volumes importés devront être enlevés dans un délai de deux mois (hors stock stratégique) ".

61. Cette exigence se justifie par le fait que le dépôt de la SRPP est un dépôt de passage et non un dépôt de stockage durable et qu'une rotation insuffisante des stocks risquerait de compromettre la fiabilité et la régularité de l'approvisionnement de l'île. Par ailleurs, la fréquence des livraisons des passeurs et le nombre de jours de stocks outils attestent que les produits importés par les passeurs sont actuellement enlevés dans des délais inférieurs à deux mois, de sorte que cette exigence, par ailleurs conforme aux usages, est aisée à remplir. Conclusion

62. Aucun élément du dossier ne permet de soutenir, d'une part, que les conditions posées par la société SRPP pour permettre d'accéder à ses infrastructures seraient insuffisamment transparentes et non justifiées et, d'autre part, qu'elle les aurait appliquées de manière discriminatoire à la société CCIRPP.

63. Il en résulte que les faits invoqués dans le cadre de la saisine de la CCIRPP ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants pour étayer l'existence d'un abus de position dominante de la société SRPP.

2. SUR LES AUTRES PRATIQUES ALLÉGUÉES

64. Le saisissant, qui allègue l'existence de pratiques d'abus de dépendance économique de la SRPP, n'a produit, dans la saisine ou au cours de la procédure, aucun élément en ce sens. Ces allégations seront donc rejetées.

65. Par ailleurs, si la société CCIRPP évoque, dans sa saisine, l'existence de pratiques d'entente sur les prix mises en œuvre par la SRPP et d'autres passeurs regroupés au sein du CIH, elle n'apporte aucun commencement de preuve à cet égard, de sorte que cette demande sera également rejetée, faute d'éléments suffisamment probants.

66. Il convient donc, en l'état du dossier, de faire application des dispositions de l'article L. 462-8 du code de commerce et de rejeter au fond la saisine enregistrée sous le numéro 18/0168 F et, par voie de conséquence, la demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 18/0169 M.

DÉCISION

Article 1er : La saisine de la société CCIRPP, enregistrée sous le numéro 18/0168 F, est rejetée.

Article 2 : La demande de mesures conservatoires de la société CCIRPP, enregistrée sous le numéro 18/0169 M, est rejetée.