CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 5 juillet 2019, n° 18-10333
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ferrero Spa (Sté), Ferrero France Commerciale (Sasu)
Défendeur :
Shangai Bainuo Foods Co. LTD (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gaber
Conseillers :
Mmes Lehmann, Barutel
Vu le jugement contradictoire du 1er décembre 2017 rendu par le tribunal de grande instance de Paris (3e chambre 3e section),
Vu l'appel interjeté le 29 mai 2018 par la Société Ferrero Spa (Ferrero) et la société Ferrero France Commerciale (Ferrero France) et la déclaration d'appel signifiée par voie d'huissier de justice à la société Shangai Bainuo Foods (Bainuo) le 23 juillet 2018,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées, par voie électronique, le 28 août 2018 par les sociétés Ferrero et Ferrero France, appelantes, et signifiées par voie d'huissier de justice à la société Bainuo le 11 septembre 2018,
La Société Bainuo, intimée, défaillante en première instance, ne s'est pas constituée en appel.
Vu l'ordonnance de clôture du 28 mars 2019,
SUR CE, LA COUR,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
Il sera simplement rappelé que la Société Ferrero est fabricant de produits de biscuiterie/chocolaterie et notamment des produits Ferrero Rocher.
Elle est notamment titulaire des marques suivantes internationales désignant la France :
- tridimensionnelle n° 864 165 enregistrée le 16 août 2005, sous priorité italienne du 21 juin 2005, pour désigner en classe 30, des " pâtisserie et confiserie, chocolat et produits de chocolat " ;
- tridimensionnelle n° 486 994 du 21 juillet 1984, sous priorité italienne du 26 avril 1984, pour désigner en classe 30, des " produits de pâtisserie et confiserie, chocolats " ;
- figurative n° 799 465 enregistrée le 28 janvier 2003, sous priorité italienne du 6 décembre 2002, pour désigner en classe 30, des produits de " pâtisserie, confiserie, chocolat, pralines ".
La société Ferrero France est distributeur en France de produits de biscuiterie/chocolaterie Ferrero Rocher.
Ayant découvert, lors du salon SIAL au Parc des Expositions Paris-Nord Villepinte, qui se tenait du 16 au 20 octobre 2016, que la société de droit chinois Buaino, qui commercialise des produits de chocolaterie, offrait à la vente des produits portant selon elle atteinte aux marques sus-visées, après avoir été autorisées par ordonnance présidentielle à procéder à une saisie-contrefaçon le 19 octobre 2016, les sociétés Ferrero et Ferrero France, par acte du 18 novembre 2016, ont fait assigner la société Bainuo devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon et concurrence déloyale et parasitaire.
Par jugement, dont appel, les premiers juges ont débouté les sociétés Ferrero et Ferrero France de l'ensemble de leurs demandes.
Sur la contrefaçon de marques
La société Ferrero reproche au jugement entrepris de l'avoir déboutée de ses demandes en ayant pour partie considéré que les reproductions des marques de piètre qualité ne permettent pas de procéder à une comparaison des signes, et d'autre part pris en compte une description incomplète des marques invoquées.
Elle fait valoir que l'évaluation globale des similarités entre les marques invoquées et les produits incriminés montre qu'il existe un risque de confusion.
La cour rappelle que l'article L. 713-3 b) du Code de la propriété intellectuelle dispose que " sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public, l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement ".
Afin d'apprécier la demande en contrefaçon, il y a lieu de rechercher si, au regard d'une appréciation des degrés de similitude entre les signes et entre les produits et/ou services désignés, il existe un risque de confusion comprenant un risque d'association dans l'esprit du public concerné, ce risque de confusion devant être apprécié en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce et du consommateur normalement attentif et raisonnablement averti.
En l'espèce, les marques invoquées sont notamment déposées pour des " produits de pâtisserie, confiserie, chocolats " et les produits incriminés, ainsi qu'il résulte du procès-verbal de saisie contrefaçon du 19 octobre 2016 sont des chocolats emballés présentés dans des boîtes, de sorte, que les produits en présence sont identiques ou similaires ainsi que l'a justement retenu le tribunal.
L'appréciation de la similitude visuelle, auditive et conceptuelle des signes doit être fondée sur l'impression d'ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants, le risque de confusion comprenant le risque d'association c'est-à-dire celui de voir le consommateur penser qu'il est en présence de déclinaisons de marques appartenant toutes à une même entreprise ou à des entreprises économiquement liées.
Sur la marque tridimensionnelle internationale 864 165
La marque invoquée et le produit incriminé sont les suivants :
S'il est vrai comme l'a dit le tribunal que l'enregistrement de la marque tridimensionnelle n° 864 165 n'est pas d'une très bonne qualité, c'est à tort cependant qu'il a considéré que cela ne lui permettait pas de procéder à une comparaison entre les signes en présence.
L'extrait du registre de la marque invoquée, dont la validité n'est pas en cause, permet à la cour de constater qu'il s'agit d'une boîte de confiseries carrée au couvercle transparent présentant sur sa surface en son centre une étiquette ovale au fond blanc dont le contour est de couleur or, la base de cet ovale étant décorée par la représentation d'une praline sans emballage de couleur marron, d'une confiserie dans un papier or, d'une noisette et d'une feuille verte, ladite boîte contenant des confiseries enveloppées dans du papier de couleur or ayant sur le dessus une étiquette ovale de couleur blanche, lesdites confiseries étant placées en quinconce sur un fond préformé de couleur or les recueillant de façon séparée jusqu'à mi-hauteur.
La comparaison visuelle et conceptuelle des deux signes en présence montre que le produit Bainuo incriminé comprend la forme de la boîte, la transparence du couvercle, en son centre l'étiquette ovale de contour or sur fond blanc dont la partie inférieure est décorée par la représentation d'une praline, d'une noisette et de feuilles vertes, les confiseries agencées en quinconce sur un fond préformé de couleur or les recueillant de façon séparée jusqu'à mi-hauteur, enveloppées dans un papier au-dessus duquel est apposée une empreinte ovale blanche, c'est-à-dire l'ensemble des éléments principaux caractérisant la marque invoquée, les différences relatives à la présence sur l'étiquette ovale centrale de l'élément verbal " Fertrate " et d'un nœud rouge sur lequel sont représentées la praline et la noisette qui sont croquées et non entières ainsi que de deux, et non pas seulement d'une, feuilles vertes, étant insignifiantes compte tenu de la reproduction de l'ensemble des autres éléments, ou à tout le moins n'empêchant pas le risque de confusion, le consommateur pouvant penser du fait notamment de la présence du nœud rouge qu'il s'agit d'une édition spéciale provenant de la société Ferrero et attribuant ainsi une origine commune aux signes en présence.
La contrefaçon par imitation de la marque 864 165 est ainsi caractérisée. Le jugement entrepris sera donc infirmé.
Sur la marque tridimensionnelle internationale 486 994
La marque invoquée et le produit incriminé sont les suivants :
Là encore, si le tribunal a fait observer à juste titre que l'enregistrement de la marque n'est pas de bonne qualité, il a considéré à tort, étant rappelé que le dépôt a été effectué en 1984, qu'il ne permettait pas de procéder à une comparaison entre les signes.
L'extrait du registre produit pour la marque susvisée permet à la cour de constater qu'il s'agit d'une boîte de confiseries en forme de cœur large aux pointes arrondies dotée d'un couvercle transparent sur lequel est apposée, à la pointe du cœur dans le tiers inférieur dudit couvercle, une étiquette ovale à fond blanc avec une bordure représentant une noisette en-dessous de l'élément verbal écrit en caractères bâtons " Ferrero Rocher ", laissant apparaître moins de dix confiseries enveloppées chacune dans leur papier comprenant une étiquette arrondie sur le dessus, les dites confiseries étant placées sur un fond préformé recueillant chacune d'elles séparément jusqu'à mi-hauteur.
Sur le plan phonétique, la marque invoquée comprend deux mots alors que l'élément verbal du produit incriminé n'en comprend qu'un mais, " Rocher " n'étant pas distinctif s'agissant de confiseries et de chocolats, l'élément dominant de la marque opposée est le signe " Ferrero " qui présente un nombre de syllabes identique (3) et de lettres similaire (7) par rapport à " Fertrate " (8) outre qu'ils ont la même attaque " Fer ".
Sur un plan visuel, le produit incriminé Fertrate est, comme la marque revendiquée, une boîte de confiserie reprenant exactement la même forme d'un cœur large aux pointes arrondies dont le couvercle transparent sur lequel est apposé une étiquette ovale à fond blanc représentant une noisette et mentionnant l'élément verbal écrit dans les mêmes lettres bâtons, laisse apparaître moins de dix confiseries placées sur un fond préformé recueillant chacune d'elles séparément jusqu'à mi-hauteur, enrobées chacune dans un papier avec une étiquette de forme arrondie sur le dessus. Si comme l'a fait observer le tribunal il existe une différence relative au signe littéral " Fertrate " surmonté de deux idéogrammes dans le produit incriminé, la cour constate cependant, ainsi qu'il a été dit, que l'élément verbal est écrit dans les deux cas en lettres bâtons, que l'attention du consommateur est attirée vers " Ferrero " et que les deux signes ont le même nombre de syllabes et la même attaque " Fer ", la présence sur le produit incriminé d'un nœud rouge sur lequel sont représentées la noisette et la feuille verte étant également insignifiante ou à tout le moins n'excluant pas le risque de confusion par association.
Sur le plan intellectuel, les deux signes en présence utilisent tous les deux une forme de cœur, évoquant l'affectivité, pour une boîte de confiserie.
Ainsi la comparaison phonétique, visuelle et conceptuelle des deux signes en présence montre que le produit Bainuo incriminé, qui à l'exception de quelques différences insignifiantes, reproduit l'ensemble des autres éléments de la marque 486 994 opposée, crée un risque de confusion, le consommateur le percevant comme une déclinaison de la marque invoquée et lui attribuant une origine commune.
La contrefaçon de la marque 486 994 est ainsi caractérisée. Le jugement entrepris sera donc infirmé.
Sur la marque figurative internationale 799 465
Il résulte du certificat d'enregistrement de la marque qu'il s'agit d'une marque exclusivement figurative décrite comme " une empreinte ovale disposée horizontalement, limitée par un trait épais de couleur or et fond blanc, avec à l'intérieur un double trait de différente épaisseur de couleur or et rouge ; dans la partie inférieure, superposée à la limite, l'image d'un chocolat emballé de couleur or posé sur une caissette suédoise de couleur or et marron ; dans la partie supérieure du chocolat, empreinte ovale disposée horizontalement avec un trait externe en or et un trait interne fin et rouge, et un fond blanc; sur la gauche, représentation partielle d'une praline sans emballage de couleur marron et marron clair ; sur la droite, représentation d'une noisette avec feuille en couleur vert, marron clair et jaune ; le tout sur fond blanc ".
Le produit incriminé reproduit les trois empreintes ovales, deux de couleur or et une de couleur rouge entrecoupées d'un fond blanc, ainsi que l'apposition sur la limite inférieure centrale desdits ovales d'une noisette avec deux feuilles vertes et d'une praline, les différences relatives à la présence sur l'étiquette ovale centrale de l'élément verbal " fertrate " et d'un nœud rouge sur lequel sont représentées la praline et la noisette qui sont croquées et non entières ainsi que de deux, et non pas seulement d'une, feuilles vertes, étant insignifiantes compte tenu de la reproduction de l'ensemble des autres éléments, ou à tout le moins, ainsi qu'il a été dit, n'empêchant pas le risque de confusion, le consommateur pouvant penser qu'il s'agit d'une édition spéciale provenant de la société Ferrero et attribuant ainsi une origine commune aux signes en présence.
La contrefaçon de la marque n° 799 465 est ainsi également caractérisée. Le jugement dont appel sera donc infirmé.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire
La contrefaçon des marques dont la société Ferrero est titulaire constitue à l'égard de la société Ferrero France, en charge de la distribution en France des produits proposés sous ses marques, des faits de concurrence déloyale. Le jugement dont appel sera donc infirmé également sur ce point.
Les sociétés Ferrero et Ferrero France forment une demande additionnelle au titre de la concurrence parasitaire. Elles critiquent le jugement qui les a déboutées de leurs demande de ce chef en faisant valoir que même si certaines des pièces produites étaient anciennes, la renommée des produits de biscuiterie et chocolaterie Ferrero Rocher depuis 35 ans est considérable, que la société Bainuo a profité indûment de cette renommée, et que ses agissements, qui s'inscrivent dans le cadre du salon Sial destiné aux professionnels de la distribution et de l'import/export, leur causent un préjudice du fait de la banalisation des signes et de la dégradation de leur image.
Il résulte des pièces produites et notamment de l'étude réalisée en France en mars 2005 que 64 % des personnes interrogées attribuent spontanément le visuel du chocolat, emballé dans du papier de couleur or avec une empreinte ovale blanche cerclée d'or sur le dessus, posé sur une caissette de couleur or et marron à Ferrero Rocher. Il résulte en outre de l'attestation de Mme Z., " country marketing manager " de la société Ferrero France datée du 19 juillet 2017 que les produits Ferrero Rocher, qui ont fait l'objet d'investissements publicitaires d'un montant annuel situé entre 18 et 21 millions d'euros entre 2010 et 2016, d'un nombre annuel de spots télévisuels en France situé entre 3141 et 5673, et qui sont commercialisés dans 66 % des hypermarchés et supermarchés français, ont généré sur cette même période un chiffre d'affaires annuel compris entre 92 et 111 millions d'euros.
Il résulte de ces éléments qu'en se plaçant indûment dans le sillage des sociétés Ferrero et Ferrero France et en profitant, sans bourse délier, de leurs investissements qui ont permis aux produits Ferrero Rocher, que la première fabrique et la seconde commercialise en France, de bénéficier d'une forte notoriété auprès des consommateurs, la société Bainuo a commis des actes de concurrence parasitaire à leur encontre. Le jugement entrepris sera également infirmé de ce chef.
Sur la réparation du préjudice
Il convient au regard de la nécessité de prévenir le renouvellement des actes illicites de faire droit à la demande d'interdiction dans les conditions et limites prévues au présent dispositif, sans qu'il y ait lieu d'ordonner d'astreinte.
Les actes de contrefaçon des marques internationales visant la France n° 864 165, n° 486 994 et n° 799 465 justifient en outre d'allouer en réparation à la société Ferrero, titulaire desdites marques, compte tenu de ce que les opérations de saisie contrefaçon n'ont pas permis de constater de vente de produits, seuls les catalogues étant présentés sur le stand, la somme globale de 9 000 euros.
La société Ferrero France qui commercialise les produits portant les marques contrefaites a nécessairement subi, du fait des actes de contrefaçon, un préjudice commercial, qu'il y a lieu, au vu des faits de l'espèce d'offre à la vente sur le salon Sial, et conformément à la demande de fixer à la somme de 3 000 euros.
Les sociétés Ferrero et Ferrero France, en leurs qualités respectives de fabricant et distributeur des produits Ferrero Rocher, ont subi du fait des actes de concurrence parasitaire, un préjudice d'image et d'atteinte à leurs investissements, qu'il convient d'évaluer pour chacune d'elle à la somme de 3 000 euros.
Les préjudices étant ainsi totalement réparés, il n'y a pas lieu d'ordonner une mesure complémentaire de publication.
Par ces motifs, Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, Et statuant à nouveau, Dit que la société Shangai Bainuo Foods Co. Ltd a commis des actes de contrefaçon des marques n°864 165, n° 486 994 et n° 799 465 au préjudice de la société Ferrero Spa ; Dit que ces actes constituent des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Ferrero France Commerciale ; Dit que la société Shangai Bainuo Foods Co. Ltd a commis des actes distincts deconcurrence parasitaire au préjudice des sociétés Ferrero Spa et Ferrero France Commerciale ; Fait interdiction à la société Shangai Bainuo Foods Co. Ltd de poursuivre ces agissements ; Condamne la société Shangai Bainuo Foods Co. Ltd à payer les sommes de : 9 000 euros à la société Ferrero Spa en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon, 3 000 euros à la société Ferrero France Commerciale en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale, 3 000 euros chacune aux sociétés Ferrero Spa et Ferrero France Commerciale en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence parasitaire ; Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation ; Condamne la société Shangai Bainuo Foods Co. Ltd aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, et vu l'article 700 dudit Code la condamne à verser aux sociétés Ferrero Spa et Ferrero France Commerciale à ce titre pour les frais irrépétibles de première d'instance et d'appel une somme de 5 000 euros.