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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 31 juillet 2019, n° 19-02352

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Forseti (SAS)

Défendeur :

Editions Dalloz (Sté), Lexbase (Sté), Lexisnexis (Sté), Lextenso Editions (Sté), Wolters Kluwer France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Roy Zenati

Conseillers :

Mmes Dias Da Silva, Grall

Avocats :

Mes Regnier, Neri, Caron

T. com. Paris, du 14 janv. 2019

14 janvier 2019

La société Forseti exploite le site Y. com, lequel propose notamment à ses abonnés des services de recherches jurisprudentielles et d'indexation de commentaires juridiques. L'indexation de commentaires renvoie aux sites des éditeurs ayant mis en ligne des articles de Y relatifs aux décisions de justice publiées sur le site Y. com.

Par requête du 2 octobre 2018, les sociétés Editions Dalloz, Lexbase, Lexisnexis, Lextenso Editions, et Wolters Kluwer France ont saisi le président du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir ordonner une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile.

Suivant ordonnance du 2 octobre 2018, il a été fait droit à leur demande et la SELARL Asperti Duhamel, huissiers de justice, a été désignée avec pour mission de rechercher et placer sous séquestre des pièces. Cette mission a été exécutée le 5 octobre 2018.

Par exploit du 2 novembre 2018, la société Forseti, a assigné les requérantes en référé à heure indiquée aux fins d'obtenir la rétractation de l'ordonnance du 2 octobre 2018.

Par ordonnance du 14 janvier 2019, le juge de la requête du tribunal de commerce de Paris statuant en référés a :

- débouté la société Forseti de ses demandes ;

- renvoyé la cause au 14 février 2019 à 14 heures pour levée du séquestre ;

- condamné la société Forseti à payer aux sociétés Editions Dalloz, Lexbase, Lexisnexis, Lextenso Editions, et Wolters Kluwer France la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société Forseti aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par Ie greffe liquides a la somme de 115,59 euros TTC dont 19,05 euros de TVA.

Suivant déclaration du 20 janvier 2019, la société Forseti a interjeté appel de cette ordonnance, intimant les sociétés Editions Dalloz, Lexbase, Lexisnexis, Lextenso Editions et Wolters Kluwer France.

Par ses conclusions transmises le 7 mai 2019, la société Forseti demande à la cour de :

- infirmer dans toutes ses dispositions l'ordonnance du 14 janvier 2019, notamment en ce qu'elle a :

- débouté la société Forseti de ses demandes ;

- renvoyé la cause au 14 février 2019 à 14 heures pour levée du séquestre ;

- condamné la société Forseti à payer aux sociétés Editions Dalloz, Lexbase, Lexisnexis, Lextenso Editions, et Wolters Kluwer France la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la société Forseti aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par Ie greffe liquides a la somme de 115,59 euros TTC dont 19,05 euros de TVA ;

et statuant à nouveau;

à titre principal,

- rétracter entièrement l'ordonnance du 2 octobre 2018, notamment en ce qu'elle a confié à l'huissier la mission de rechercher les procédés, y compris techniques, mis en place par la société Forseti pour collecter les décisions de justice et les contenus édités par les requérants sur tous supports informatiques, serveurs locaux ou distants et messageries informatiques, ainsi que sur tous supports papier " et ce, aux fins notamment de déterminer la nature des actes reprochés à la société Forseti ;

- constater la perte de base légale et partant, la nullité des actes d'instruction subséquents ;

- dire que sur présentation d'une copie exécutoire du présent arrêt, Me A Z et tout éventuel récipiendaire devra restituer les pièces placées sous séquestre à la société Forseti sur demande de cette dernière ;

- dire que les émoluments de Me A Z pour cette mission seront supportés par les sociétés intimées ;

à titre subsidiaire

- dire et juger recevable la demande de modification de l'ordonnance formulée à titre subsidiaire par la société Forseti, dès lors qu'elle tend aux mêmes fins que la demande de rétractation partielle formée devant le premier juge, conformément aux termes de l'article 565 du Code de procédure civile ;

- modifier l'ordonnance du 2 octobre 2018, afin de limiter l'étendue de la mesure d'instruction :

- aux constatations matérielles permettant d'établir le nombre de décisions de justice brutes (déduction faite des doublons), indexées et éditées dans la base de données alimentant le service Y.fr, à l'exclusion de toute constatation relative aux procédés de collecte mis en œuvre par la société Forseti notamment dans le cadre de ses accords commerciaux ; et

- aux constatations matérielles permettant d'établir le nombre d'articles édités par les sociétés Intimées et effectivement indexés par des liens accessibles sur le site Y.fr (renvoyant en particulier vers des pages des sites www.dallozactualie.fr, actu.dallozetudiant.fr, www.dallozavocats.fr, web.lexisnexis.fr, presentation.lexbase.fr, lexradio.fr, gazettedupalais.com, www.defrenois.fr, lamyline.fr) ;

- à la recherche de la liste des noms de domaine proches du nom des Intimées et utilisés dans le cadre d'emails effectivement adressés aux greffes de juridictions par la société Forseti ;

- dire et juger que l'ensemble des éléments ci-dessus listés ont d'ores et déjà été communiqués par la société Forseti aux sociétés intimées,

- dire que sur présentation d'une copie exécutoire du présent arrêt, Me A Z devra opérer un nouveau tri des pièces appréhendées à l'issue de ses opérations des 5 et 12 octobre 2018 afin de cantonner le séquestre aux seules éléments répondant aux termes de l'ordonnance modifiée ;

- dire qu'il devra notamment retirer de toute note technique établie les informations n'entrant pas dans le champs de l'ordonnance modifiée.

- dire qu'après l'accomplissement de ce tri, Me A Z devra en informer les intimées ainsi que la société Forseti, puis restituer les pièces retirées du séquestre à la société Forseti sur demande de cette dernière dans un délai d'un mois ;

- débouter les sociétés Intimées, pour le surplus, de l'ensemble de leurs demandes, fins, moyens et prétentions,

- condamner les sociétés intimées aux dépens ainsi qu'au paiement, à la société Forseti de la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir que :

- l'ordonnance du 2 octobre 2018 a été rendue sur la base d'une requête qui présente le litige de manière tronquée et déloyale : les intimées ont omis de mentionner les éléments dont elles disposaient déjà au jour de la requête grâce aux échanges avec la société Forseti qui a fait preuve de transparence ; les intimées disposaient d'un constat d'huissier établissant le nombre exact de décisions de justice détenues dans la base Y.fr et connaissaient l'existence de partenariats stratégiques avec les juridictions et le GIE Infogreffe ; les intimées, en instrumentalisant la procédure prévue à l'article 145 du Code de procédure civile, ont tenté d'obtenir des informations participant au secret des affaires de leur concurrent ;

- la dérogation au principe du contradictoire n'était pas justifiée : la motivation de la requête sur ce point est particulièrement vague et indique que l'absence de contradiction est nécessitée par l'efficacité de la mesure et le risque de dépérissement des preuves ; la société Forseti connaît les griefs des intimées concernant l'indexation de commentaires depuis 2016 et aurait eu le temps d'effacer les preuves à ce sujet ; le journal Le Monde a fait état dès le 28 juin 2018 des griefs de typosquatting dont la société Forseti était accusée, de sorte qu'elle ne pouvait ignorer ces griefs ;

- le prononcé de la mesure ne répondait pas aux conditions de l'article 145 du Code de procédure civile :

- il s'agit d'une mesure générale d'investigation car elle n'est pas limitée dans le temps, les mots clés sont généraux ; la mesure n'est pas circonscrite à ce qui est utile pour établir des actes de concurrence déloyale, des pratiques commerciales trompeuses ou des pratiques de parasitisme économique ;

- elle implique une sélection par l'huissier reposant sur une analyse personnelle qui dépasse son rôle de simple constatant ;

- elle porte atteinte grave au domicile, au secret de ses correspondances et au secret des affaires que le contrôle du juge a posteriori ne permet pas de couvrir.

Par leurs conclusions transmises le 4 avril 2019, les Editions Dalloz, les sociétés Lexbase, LexisNexis, Lextenso Editions, Wolters Kluwer France demandent à la cour de :

- confirmer l'ordonnance du 14 janvier 2019 en toutes ses dispositions ;

et, statuant de nouveau :

au préalable,

- dire qu'il ne relève pas du pouvoir du juge de la rétractation de connaître de l'exécution de la mesure d'instruction in futurum ;

- dire que de nombreux griefs de la société Forseti relèvent du contentieux de l'exécution de la mesure ;

en tout état de cause,

- dire qu'aucun des griefs soulevés par la société Forseti ne justifie la rétractation ou la modification de l'ordonnance du 2 octobre 2018 ;

- dire que les mesures d'instruction de l'ordonnance du 2 octobre 2018 sont légalement admissibles et que l'ordonnance du 2 octobre 2018 est conforme aux prévisions de l'article 145 du Code de procédure civile ;

en conséquence,

- débouter la société Forseti de l'intégralité de ses demandes et notamment :

sur la demande de rétractation totale de l'ordonnance :

- débouter la société Forseti de sa demande de rétractation totale de l'ordonnance du 2 octobre 2018 ;

- débouter la société Forseti de sa demande de nullité des actes subséquents à l'ordonnance ;

- débouter la société Forseti de sa demande de restitution des pièces séquestrées ;

- débouter la société Forseti de sa demande de prise en charge par les intimées des émoluments de Maître Duhamel pour cette mission ;

Sur la demande de modification de l'ordonnance :

- dire à titre principal que la demande de modification de l'ordonnance est nouvelle en appel ;

- déclarer irrecevable cette demande ;

- dire à titre subsidiaire que la demande de modification de l'ordonnance est injustifiée ;

- débouter la société Forseti de cette demande ;

- débouter la société Forseti de sa demande tendant à voir dire et juger que l'ensemble des éléments qu'elle liste ont d'ores et déjà été communiqués par elle aux intimées ;

- débouter la société Forseti de sa demande tendant au tri des pièces par l'huissier et au retrait de certaines informations de la note technique établie ;

- débouter la société Forseti de sa demande de restitution des pièces retirées du séquestre ; - condamner la société Forseti à payer aux sociétés intimées la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile s'agissant des frais irrépétibles d'appel, ainsi que les entiers dépens en appel qui pourront être recouvrés directement par le cabinet Christophe Caron, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

Elles font valoir que :

- les griefs soulevés par la société Forseti relèvent du contentieux de l'exécution de la mesure et non de celui de la rétractation (X., 2ème civ., 8 févr. 2006, pourvoi n° 05-14198v. aussi, X. civ. 2e, 17 mars 2016, pourvoi n° 15-12456) ;

- il est fait état d'un motif légitime à connaître les méthodes de collecte de la société Forseti et le juge n'avait pas à rechercher si les requérantes ont manqué à un devoir de loyauté qui a été respecté en l'espèce : les contenus indexés en très grand nombre le sont sans l'autorisation des sociétés intimées ; l'origine des articles n'est souvent pas mentionnée de sorte qu'il ne peut s'agir d'un simple référencement ; le nombre d'arrêts, articles et fiches répertoriés sur le site Y. com est impossible à atteindre sauf à employer le crawling de leurs sites et le contournement des balises robot.text, ce qui correspond à un " pillage " des sites des intimées ;

- l'ordonnance devait être rendue de manière non contradictoire car il existe un risque sérieux de dépérissement des preuves, comme en atteste la suppression d'un nom de domaine enregistré en 2017 et supprimé en 2018 après que la journaliste du Monde a contacté la société Forseti pour obtenir des explications sur ses pratiques de typosquatting ;

- les conditions de l'article 145 du Code de procédure civile sont respectées car les mots clés figurant dans la requête ne sont pas d'usage courant et sont explicités ; la recherche est limitée dans le temps car l'ordonnance a circonscrit les recherches au 1er janvier 2018 pour le nombre de décisions de justice et en tout état de cause, la société Forseti a été créée le 10 juin 2016 ; les mesures sont circonscrites à ce qui est utile pour la solution du litige : la connaissance de l'ensemble des noms de domaine typosquattés permet de caractériser l'acte de concurrence déloyale, le nombre exact de décisions de justice permettrait de fonder une éventuelle action en pratiques commerciales trompeuses, il n'est pas possible sur le site de connaître l'ampleur ni les moyens utilisés par la société Forseti pour l'indexation des articles qui permet de caractériser l'acte de parasitisme ; la mesure n'implique pas d'analyse personnelle de l'huissier car cette clause résulte du modèle type d'ordonnance du tribunal de commerce de Paris en matière de mesures in futurum ;

- la mesure subsidiaire de rétractation de l'ordonnance afin de la cantonner aux éléments déjà communiqués est irrecevable car nouvelle en cause d'appel.

En application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens respectifs.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Aux termes de l'article 145 du Code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ; l'article 493 prévoit que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Il résulte des articles 497 et 561 du Code de procédure civile que la cour d'appel, saisie de l'appel d'une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, est investie des attributions du juge qui l'a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli. Cette voie de contestation n'étant que le prolongement de la procédure antérieure, le juge doit statuer en tenant compte de tous les faits s'y rapportant, ceux qui existaient au jour de la requête mais aussi ceux intervenus postérieurement à celle-ci.

Il doit ainsi apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.

Le juge doit également rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire.

Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit.

En l'espèce, les sociétés requérantes exposent dans leur requête qu'elles sont des sociétés d'édition juridique qui proposent, entre autres, des services de recherches juridiques en ligne par le biais de leurs moteurs de recherche, et offrent à leurs abonnés un accès à des bases de données jurisprudentielles, mais également à des articles de spécialistes, des encyclopédies et autres, dans tous les domaines juridiques ; que la société Forseti a été créée le 10 juin 2016 et a pour activité principale d'éditer une base de données en ligne " Y.fr " accessible par le biais de son site internet " Y.fr " et propose aux internautes un accès gratuit à certains éléments de sa base de données, mais surtout propose aux internautes de souscrire à un abonnement annuel afin de bénéficier de l'ensemble de son offre, soit une base de données de décisions de justice, ainsi que des articles juridiques édités, en réalité proposés par d'autres entités.

Elles font valoir que, compte tenu des informations d'ores et déjà disponibles, elles ont découvert que la société Forseti aurait mis en place tout un système illicite fondé sur la reprise des contenus des autres éditeurs juridiques, le typosquatting, et des pratiques commerciales trompeuses en prétendant disposer d'un fonds de jurisprudence composé de plusieurs millions de décisions de justice, chiffre impossible à atteindre par des procédés loyaux de collecte.

Les requérantes soutiennent qu'elles justifient d'un motif légitime de recourir à la désignation d'un huissier pour :

- rechercher le nombre de décisions de jurisprudence réellement mises à disposition du public par Y, les juridictions dont elles émanent et par quels moyens elles sont collectées,

- démontrer les actes de typosquatting et d'usurpation d'identité et que la société Forseti a cherché à faire disparaître toute trace de ces actes illicites à l'annonce de possibles poursuites judiciaires,

- démontrer que la société Forseti a mis en place un système informatique permettant d'explorer et de crawler les sites des éditeurs concurrents, en l'occurrence les leurs, afin de proposer leurs contenus à ses abonnés.

Elles exposent dans leur requête que le recours à une mesure non contradictoire s'impose dans les termes suivants :

" Le non-respect du contradictoire est indispensable -

En l'espèce, les circonstances exigent que ces mesures ne soient pas prises contradictoirement. En effet, l'effet de surprise est nécessaire à l'efficacité des mesures et permet d'éviter le dépérissement des preuves.

- Efficacité de la mesure : Il est d'abord indispensable que cette saisie ait lieu rapidement (comme évoqué la société Forseti aurait déjà eu vent de possibles poursuites judiciaires à son encontre et pourrait avoir commencé à supprimer les contenus litigieux). Or, un débat contradictoire conduirait à ralentir les démarches des requérants. Mais surtout, l'effet de surprise est essentiel dans ce dossier. En effet, en l'espèce, la mission de l'huissier a bien plus de chances d'aboutir si elle est exécutée lorsque la partie adverse n'en est pas avertie. Il est indispensable que l'huissier intervienne par surprise, à l'aide de l'expert informatique, afin de pouvoir effectuer sa mission sans que la société Forseti n'ait pu organiser à l'avance l'échec de la saisie (fermeture des locaux, retrait des postes informatiques, absence des dirigeants ou salariés concernés, disparition des preuves, etc...)

- Le risque réel de dépérissement des preuves : Si la société Forseti devait être informée desdites mesures d'instruction, celles-ci seraient alors sans objet, puisque les faits litigieux, dont la preuve devra être rapportée devant les juges du fond, ne seraient pas conservés.

En effet, les mesures d'instruction ont pour objet la conservation et la preuve des faits litigieux susmentionnés. Ces preuves peuvent, sans grande difficulté, disparaître puisqu'elles résultent principalement de documents informatiques facilement supprimables. Comme a pu le décider la jurisprudence, s'agissant d'informations sur support informatique, la requête non contradictoire s'impose en raison de la grande facilité et de la rapidité avec laquelle peut être organisée la disparition de tels documents et informations (CA Paris, 20 juin 2012) Ainsi, prévenir la société Forseti de l'intervention de l'huissier aurait pour finalité immédiate de priver la mesure de tout intérêt. ".

L'éviction du contradictoire, principe directeur du procès, nécessite que le requérant justifie de manière concrète, les motifs pour lesquels, dans le cas d'espèce, il est impossible de procéder autrement que par surprise, le seul fait que les documents recherchés se trouvent sur des supports volatiles étant insuffisant à les caractériser.

En l'espèce, les requérants invoquent la connaissance par la société Forseti de ce que des poursuites judiciaires à son encontre étaient envisagées, pour justifier la nécessité d'aménager un effet de surprise et un risque de dépérissement des preuves.

Or, il ressort des motifs exposés dans la requête, que suite à deux articles de presse du mois de juin 2018, le représentant de la société Forseti a communiqué dans Le Monde du droit, le 17 septembre 2018, sur le typosquatting qui y était dénoncé, en indiquant qu'il y avait pu avoir des " dérapages " avec des envois d'emails dont l'adresse pouvait créer une certaine confusion avec des cabinets d'avocats, qu'après vérification minutieuse, il ne s'agissait que d'une douzaine de demandes au total, et que " cela avait été totalement stoppé depuis ". Il ressort en outre de cet article, annexé en pièce 4.3 à la requête, que le représentant de la société Forseti a précisé : " C'est pourquoi, dans les jours suivants, j'ai personnellement contacté la présidente du CNB et la bâtonnière de l'Ordre des avocats de Paris, pour leur proposer de venir nous expliquer, non seulement sur ce point, mais aussi sur notre démarche et sur la régulation des legaltech (...) ".

Il s'en infère que, depuis le mois de juin 2018, la société Forseti était informée des griefs dont elle était l'objet, qui auraient pu la conduire à prendre toute mesure pour organiser le dépérissement des preuves, de sorte qu'au jour du dépôt de la requête 4 mois plus tard, le 2 octobre 2018, l'effet de surprise recherché ou le risque de dépérissement des preuves n'étaient pas pertinents pour justifier la dérogation au principe du contradictoire.

En outre, l'essentiel des considérations figurant dans la requête sont d'ordre général.

Faute de motivation pertinente contenue dans la requête et l'ordonnance qui renvoie à la requête, de circonstances particulières de nature à autoriser une dérogation au principe du contradictoire, l'ordonnance sur requête du 2 octobre 2018 doit être rétractée.

L'ordonnance rendue le 19 janvier 2019 sera donc infirmée.

La rétractation de l'ordonnance emporte la nullité des actes d'instruction subséquents et par voie de conséquence, la restitution des documents séquestrés à la partie requise.

L'équité commande de faire bénéficier l'appelante des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, dans les conditions précisées au dispositif ci-après.

Parties perdantes, les intimées ne peuvent prétendre à une indemnité de procédure et supporteront les entiers dépens.

Par ces motifs Infirme l'ordonnance entreprise, Statuant à nouveau, Rétracte l'ordonnance rendue sur requête par le président du tribunal de commerce de Paris le 2 octobre 2018, En conséquence, Annule les actes d'instruction subséquents, Ordonne la restitution à la société Forseti des pièces séquestrées, Condamne les Editions Dalloz, les sociétés Lexbase, LexisNexis, Lextenso Editions, Wolters Kluwer France à payer à la société Forseti la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette la demande d'indemnité de procédure formée par les Editions Dalloz, les sociétés Lexbase, LexisNexis, Lextenso Editions, Wolters Kluwer France, Condamne les Editions Dalloz, les sociétés Lexbase, LexisNexis, Lextenso Editions, Wolters Kluwer France, aux dépens qui comprendront les émoluments de l'huissier instrumentaire.