CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 31 juillet 2019, n° 18-01273
PARIS
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Carrefour Hypermarchés (SAS), Selarl Archibald (ès qual.), Le Chant des Cigales (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bedouet
Conseillers :
Mmes Comte, Schaller
Avocats :
Mes Groc, Guerre, Arroyo, Baechlin, Lemas
FAITS ET PROCÉDURE
En 2002, la société Le Chant des Cigales, qui a pour dirigeant M. X, est entrée en relation commerciale avec la société Carrefour Hypermarché. L'objet de leur relation commerciale portait sur la fourniture en olives et condiments par la société Le Chant des Cigales à la société Carrefour Hypermarché.
Le tribunal de commerce de Melun a prononcé, par un jugement du 1er décembre 2008, la liquidation judiciaire de la société Le Chant des Cigales et a désigné la société Archibald, en qualité de liquidateur judiciaire.
Dans le cadre des opérations de liquidation judiciaire, M. X a indiqué que les difficultés financières rencontrées par sa société résultaient de la rupture brutale des relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Carrefour Hypermarché. Selon M. X, cette rupture brutale des relations commerciales aurait eu lieu durant l'été 2008.
Un protocole d'accord a été signé le 3 janvier 2011 entre la société Le Chant des Cigales et la société Carrefour Hypermarché prévoyant une indemnisation de 110 000 euros au profit de la société Le Chant des Cigales liquidée. Ledit protocole a été homologué.
Par un jugement du 3 décembre 2012, le tribunal de commerce de Melun a prononcé la clôture de la liquidation judiciaire de la société Le Chant des Cigales pour extinction de passif.
M. X a assigné à bref délai le 27 avril 2011 la société Carrefour Hypermarché devant le tribunal de commerce de Melun, afin que cette dernière soit condamnée à réparer son préjudice personnel résultant de la rupture brutale des relations commerciales dont elle serait à l'origine.
L'assignation de M. X a été jugée caduque par le Président du tribunal de commerce de Melun le 9 mai 2011, en raison de son placement tardif.
M. X a alors à nouveau assigné à bref délai la société Carrefour Hypermarché devant le tribunal de commerce de Melun le 20 mai 2011.
A l'audience du 30 mai 2011, la société Carrefour Hypermarché a soulevé une exception d'incompétence territoriale au profit du tribunal de commerce de Paris.
M. X s'est désisté de son instance et le tribunal de commerce de Melun, par un jugement du 17 juin 2013, a constaté l'extinction de l'instance et son dessaisissement.
Le 5 novembre 2013, M. X a assigné la société Carrefour Hypermarché et la société Archibald devant le tribunal de commerce de Paris.
La société Archibald a soulevé une exception d'incompétence et par jugement du 23 septembre 2014, le tribunal de commerce de Paris s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Paris.
Par jugement du 14 septembre 2017 le tribunal de grande instance de Paris a :
- débouté M. X de ses demandes,
- débouté les sociétés Carrefour Hypermarché et Archibald de leurs demandes,
- condamné M. X aux dépens.
M. X a formé appel devant la présente cour par déclaration au greffe du 5 janvier 2018.
La clôture a été ordonnée le 28 mai 2019.
Vu les conclusions du 13 mai 2019 par lesquelles M. X, appelant, invite la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et 1382 du Code civil, anciens, à :
- infirmer le jugement du 14 septembre 2017 du tribunal de grande instance de Paris dans toutes ses dispositions,
et :
- dire que la baisse considérable des commandes décidée unilatéralement et brutalement par la société Carrefour Hypermarché constitue une faute entrainant un préjudice financier et moral à son égard, distinct du préjudice subi par la société Le Chant des Cigales,
- condamner la société Carrefour Hypermarché à lui verser la somme de 228 000 euros au titre du préjudice financier et 60 000 euros au titre du préjudice moral,
- ordonner la publication de l'arrêt, aux frais du défendeur, dans deux quotidiens nationaux,
- condamner la société Carrefour Hypermarché à verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens ;
Vu les conclusions du 20 mai 2019 par lesquelles la société Carrefour Hypermarché demande à la cour, au visa des articles 2224, 2052, 1120 du Code civil, 31 et 122 du Code de procédure civile, de :
- infirmer partiellement le jugement du 14 septembre 2017 du tribunal de grande instance de Paris en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de M. X,
à titre subsidiaire,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé infondées les demandes de M. X,
à titre infiniment subsidiaire,
- condamner la société Archibald, au titre de son engagement de porte-fort, à des dommages et intérêts d'un montant correspondant au total des sommes auxquelles elle serait condamnée,
enfin,
- condamner in solidum M. X et la société Archibald à lui verser la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens ;
Vu les conclusions du 20 septembre 2018 par lesquelles la société Archibald demande à la cour, au visa des articles 2224, 2052 du Code civil, 31 et 122 du Code de procédure civile, de :
- confirmer le jugement entrepris,
- dire que la société Carrefour Hypermarché irrecevable et infondée,
- débouter la société Carrefour Hypermarché de l'ensemble de ses demandes,
à titre reconventionnel,
- condamner la société Carrefour Hypermarché à la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
SUR CE, LA COUR,
La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Sur la prescription des demandes de M. X
La société Carrefour Hypermarché soulève la prescription de l'action de M. X engagée devant le tribunal de commerce de Paris le 5 novembre 2013 puisque ce dernier prétendait que les relations commerciales qu'elle entretenait avec sa société ont été rompues brutalement au cours de l'été 2008. Elle explique que les deux assignations de M. X en 2011 devant le tribunal de commerce de Melun à son égard n'ont pas pu interrompre la prescription, puisque la première assignation du 20 mai 2011 a été déclarée caduque et que M. X s'est désisté d'instance sans avoir au préalable saisi la juridiction compétente.
M. X allègue que son désistement d'instance devant le tribunal de commerce de Melun en 2011 a été motivé par le moyen soulevé par la société Carrefour Hypermarché consistant à invoquer l'incompétence du tribunal de commerce de Melun, au profit du tribunal de commerce de Paris. Il en conclut que son assignation du 20 mai 2011 a valablement interrompu le délai de prescription, de sorte que son action est recevable.
Il n'est pas contesté que le point de départ de la prescription est le mois de juillet 2008, date de la rupture alléguée, le déréférencement ayant déjà eu lieu à cette date selon M. X (page 4 de ses conclusions) et que le délai de prescription applicable est le délai quinquennal.
Aux termes de l'article 2241 du Code civil, " la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure ".
Par ailleurs, l'article 2243 du même Code dispose que " l'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance, ou si sa demande est définitivement rejetée ".
Dès lors, le désistement ne permet de regarder l'interruption de la prescription comme non avenue que lorsqu'il s'agit d'un désistement d'instance pur et simple. Quand il est motivé par l'incompétence de la juridiction devant laquelle il est formulé et qu'il fait suite à la saisine d'une autre juridiction compétente pour connaître de la demande, le désistement maintient l'effet interruptif que l'article 2241 du Code civil attache à la citation en justice.
En l'espèce, la première assignation a été délivrée le 27 avril 2011 à la demande de M. X à l'encontre de la société Carrefour Hypermarché, mais a été déclarée caduque en raison d'un placement tardif, de sorte qu'elle n'a aucun effet interruptif.
S'agissant de la seconde assignation du 20 mai 2011, la cour relève que M. X s'est désisté d'instance, par courrier du 14 juin 2013 en précisant que c'est au motif de l'incompétence du tribunal de commerce de Melun, mais que ce n'est que par acte très postérieur du 5 novembre 2013 que M. X a assigné la société Carrefour Hypermarché et la société Archibald devant le tribunal de commerce de Paris, de sorte que l'assignation du 20 mai 2011 n'a pas d'effet interruptif de prescription.
M. X a assigné la société Carrefour Hypermarché et la société Archibald devant le tribunal de commerce de Paris par acte du 5 novembre 2013, alors que l'action devait être engagée au plus tard au mois de juillet 2013, soit dans le délai de 5 années à compter de la date de la rupture alléguée.
En conséquence, les demandes de M. X sont irrecevables et les demandes en garantie formées par la société Carrefour Hypermarché à l'encontre de la société Archibald sont sans objet.
Le jugement doit être infirmé en ce qu'il a débouté M. X de ses demandes et débouté les sociétés Carrefour Hypermarché et Archibald de leurs demandes.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens.
M. X doit être condamné aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Carrefour Hypermarché la somme de 20 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.
La société Carrefour Hypermarché doit être condamnée à payer à la société Archibald la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par M. X.
Par ces motifs LA COUR, Infirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné M. X aux dépens ; Le Confirme sur ce point ; Statuant à nouveau ; Déclare irrecevables les demandes de M. X ; Dit sans objet les demandes en garantie formées par la société Carrefour Hypermarché à l'encontre de la société Archibald ; Y ajoutant ; Condamne M. X aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Carrefour Hypermarché la somme de 20 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Condamne la société Carrefour Hypermarché à payer à la société Archibald la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande.