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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 31 juillet 2019, n° 16-21441

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Omicron Protection (SARL)

Défendeur :

Kaufman & Broad Midi-Pyrénées (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bedouet

Conseillers :

Mmes Comte, Schaller

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Fourgoux

T. com. Bordeaux, du 30 sept. 2016

30 septembre 2016

FAITS ET PROCÉDURE

La société AS Sécurité assure depuis 2010 à Toulouse-Montauban, le gardiennage du site " Air France Bâtiment existant " pour le compte de la société Saint-Exupéry dont la gestion administrative et opérationnelle est réalisée par la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées.

Le 27 juin 2013, la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées a mis fin à la collaboration avec la société AS Sécurité sans préavis.

Par courrier du 18 juillet 2013, la société AS Sécurité a dénoncé, en vain, à la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées la brutalité de la rupture et ses conséquences préjudiciables pour son activité.

Par acte du 30 octobre 2015, la société AS Sécurité, nouvellement dénommée Omicron Protection, a assigné la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées devant le tribunal de commerce de Bordeaux pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 30 septembre 2016 le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- débouté la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées de sa demande de nullité de l'assignation du 30 octobre 2015,

- débouté la société Omicron Protection, venant aux droits de la société AS Sécurité, de ses demandes indemnitaires,

- condamné la société Omicron Protection à payer à la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 et aux dépens.

La société Omicron Protection a formé appel devant la présente cour par déclaration au greffe du 26 octobre 2016.

La clôture a été ordonnée le 4 juin 2019.

Vu les conclusions du 29 mai 2019 par lesquelles la société Omicron Protection, appelante, invite la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et 1240 du Code civil, à :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement,

- dire que la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées est à l'initiative de la rupture brutale des relations commerciales établies avec elle,

- condamner en conséquence la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées à indemniser ses préjudices, à savoir :

* 84 000 euros au titre du préjudice consécutif à la rupture brutale des relations commerciales

* 10 000 euros au titre des circonstances vexatoires et abusives de ladite rupture,

* 50 000 euros au titre du préjudice subi par la désorganisation de la structure,

- condamner la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu les conclusions du 27 mai 2019 par lesquelles la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées demande à la cour, au visa des articles 1231-1 et 1147 du Code civil, de :

- déclarer irrecevable ou à tout le moins infondé l'appel interjeté par la société Omicron Protection à l'encontre du jugement

- déclarer irrecevable l'action initiée par la société Omicron Protection à son encontre en ce qu'elle est mal dirigée,

- confirmer ledit jugement dans toutes ses dispositions,

- condamner la société Omicron Protection à lui verser une somme de 1 500 euros au titre de ses frais de défense en première instance, et une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

SUR CE, LA COUR,

La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Sur la recevabilité des demandes de la société Omicron Protection à l'égard de la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées

La société Omicron Protection allègue que son action a été régulièrement dirigée à l'encontre de la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées, puisqu'en matière de promotion immobilière, une fois le chantier achevé, les sociétés civiles de construction de vente pour le compte desquelles le chantier est réalisé, sont dissoutes. Elle explique que la société Saint-Exupéry, pour laquelle le chantier Air France était réalisé, n'a pas été dissoute uniquement parce qu'il y avait plusieurs associés et qu'elle ne pouvait l'être en l'état. Elle précise que l'ensemble des autres sociétés civiles de construction de vente pour lesquelles elle est intervenue ont bien été dissoutes.

La société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées avance que la société Saint-Exupéry ne peut pas lui être rattachée car il s'agit d'une entité juridique totalement distincte non dissoute, les extraits K-Bis des différentes sociétés démontrant qu'il s'agit là d'entités juridiques distinctes les unes des autres. Elle soutient aussi que la société Omicron Protection n'a pas démontré qu'elle était son co-contractant. Au contraire, les différents devis de la société Omicron Protection, qui ne sont pas communiqués en appel par celle-ci, étaient établis à l'attention de la société Saint-Exupéry. Elle en conclut que l'action dirigée à son encontre est irrecevable, en ce qu'elle est mal dirigée.

Aux termes de l'article 31 du Code de procédure civile, " L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ".

En l'espèce, la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées soutient que l'action est mal dirigée, n'étant pas liée contractuellement avec la société Omicron Protection, de sorte qu'elle n'invoque pas une cause d'irrecevabilité de l'action de cette dernière à son égard mais le mal fondé de la demande.

Dans ces conditions, l'intérêt à agir n'étant pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action, il y a lieu de rejeter la demande d'irrecevabilité de l'action de la société Omicron Protection soulevée par la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

La société Omicron Protection soutient que la prestation de gardiennage et de sécurité ainsi que les différents échanges entre les deux sociétés permettent de caractériser une relation commerciale, bien qu'aucun contrat n'ait été conclu. Elle explique que les nombreux chantiers qu'elle a assurés, de manière récurrente, à la demande de la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées, caractérisent une relation commerciale établie entre elles et que son interlocuteur habituel était la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées. Elle allègue que le fait qu'elle ait pu intervenir sur des chantiers qui, par principe étaient réalisés pour le compte des sociétés du groupe Kaufman & Broad, ne permet pas de considérer que seul le chantier dit " Air France " est concerné par la relation commerciale et que la relation commerciale est établie du seul fait de la réalisation de sa mission sur plus de 64 chantiers du groupe Kaufman & Broad entre 2008 et 2013. Elle indique aussi qu'il n'est pas contesté que la relation a été totalement rompue à l'initiative de la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées. Elle précise qu'aucun préavis ne lui a été accordé. Elle relève qu'il n'est pas non plus contesté que consécutivement à la cessation de la relation au titre du chantier Air France, elle n'a plus obtenu de missions de gardiennage et de sécurité sur les autres chantiers de promotion immobilière du groupe de la société Kaufman & Broad, sans pour autant recevoir la moindre correspondance à ce titre. Elle souligne que cette rupture n'est pas être justifiée, puisqu'aucune inexécution contractuelle ou cas de force majeure ne peut être caractérisé.

La société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées réplique que la société Omicron Protection ne peut à ce titre, étendre la relation commerciale à d'autres chantiers que le chantier dit " Air France " et qu'elle n'était pas concernée par ce chantier, le cocontractant de la société Omicron Protection étant la société Saint-Exupéry. Elle soutient que la société Omicron Protection ne pouvait s'attendre à la stabilité d'une relation commerciale nouée et à la permanence d'un volume d'affaire puisqu'il s'agissait de prestations particulières de gardiennage, commandées au fur et à mesure des besoins.

Elle indique que lorsque la prestation de gardiennage qui avait été confiée à la société Omicron Protection, est devenue inutile, faute d'objet et de cause, celle-ci a tout simplement pris fin et qu'elle n'avait pas d'autre choix que de mettre fin à ce gardiennage comme elle l'a fait, le 18 juillet 2013. Elle fait valoir que le caractère brutal de la rupture ne peut lui être reproché puisque la société Omicron Protection connaissait parfaitement la particularité de sa mission.

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :

" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

Les parties s'opposent sur le caractère établi de la relation commerciale, sa durée et sur la brutalité de la rupture.

Une relation commerciale " établie " présente un caractère " suivi, stable et habituel " et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.

La société Omicron Protection ne démontre pas l'effectivité des 64 chantiers pour lesquelles la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées aurait fait appel à elle depuis l'année 2008, la seule communication de son grand-livre ne pouvant y suffire, alors que cette dernière conteste être l'interlocuteur de la société Omicron Protection. De même, les échanges de courriels ne démontrent pas plus la nature du flux d'affaires entre les parties, s'agissant de prestations ponctuelles, la réalité des prestations réellement commandées et facturées n'étant pas ainsi justifiée. En effet, les bons de commandes comme les factures ne sont pas communiquées par la société Omicron Protection, de sorte que la cour n'est pas en mesure de vérifier l'entité juridique avec laquelle cette dernière a contracté, ni le flux d'affaires concerné.

Enfin, s'agissant des prestations réalisées sur le site " Air France " de Toulouse, la société Omicron Protection ne communique aucune pièce démontrant le point de départ de la prestation réalisée par elle. En revanche, la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées produit des devis émis par la société AS Sécurité à l'égard de la société Saint-Exupéry pour le gardiennage du terrain Air France pour les périodes d'août 2011 au 2 janvier 2012, validés par elle, d'octobre 2012 au 2 janvier 2013, validé par elle, d'août 2013 au 2 janvier 2014, non validé par elle.

Dans ces conditions, la société Omicron Protection ne démontre pas davantage avoir entretenu une relation commerciale établie concernant le site " Air France " de Toulouse, que ce soit avec la société Saint-Exupéry, les devis acceptés ne portant que sur deux périodes de 5 mois entrecoupées de 7 mois sans activité, ou que ce soit à l'égard de la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées, celle-ci n'ayant pas accepté les devis, la preuve de son implication dans les relations d'affaires avec la société AS Sécurité n'étant ainsi pas rapportée. En tout état de cause, le flux d'affaires concernant le site Air France ne peut caractériser une relation commerciale établie entre la société Omicron Protection et son cocontractant.

Il y a donc lieu de rejeter les demandes de la société Omicron Protection, aucune preuve du caractère établi des relations commerciales alléguées avec la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées n'étant établie.

Le jugement doit être confirmé.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Omicron Protection doit être condamnée aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées la somme supplémentaire de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande formulée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement ; Y ajoutant ; Condamne la société Omicron Protection aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Kaufman & Broad Midi-Pyrénées la somme supplémentaire de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Rejette toute autre demande.