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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 31 juillet 2019, n° 16-08280

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

BMC (SARL)

Défendeur :

Boulangerie Tradition Biotechnologie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bedouet

Conseillers :

Mmes Comte, Schaller

Avocats :

Mes Etevenard, Guizard

T. com. Marseille, du 3 mars 2015

3 mars 2015

FAITS ET PROCÉDURE

La société Boulangerie M. et Mme X, ci-après BMC, a conclu avec la société Commerce Développement Franchise International, ci-après CDFI, un contrat de franchise le 31 juillet 2007 pour une durée de 9 ans, soit jusqu'au 31 juillet 2016, qui porte sur l'exploitation d'un fonds de commerce de boulangerie à Mont-de-Marsan (40000) sous l'enseigne " Histoire de pains ".

La société BMC, en sa qualité de franchisée, s'est engagée par le biais de cette franchise à s'approvisionner exclusivement auprès de la société Boulangerie Tradition Biotechnologie, ci-après BTB.

Par courrier du 4 mai 2011, la société BMC a indiqué à la société CDFI qu'elle n'exploitait plus le fonds de commerce objet du contrat de franchise sous l'enseigne " Histoire de pains ".

La société CDFI a assigné la société BMC en 2012 pour rupture unilatérale du contrat de franchise.

Parallèlement, la société BTB a assigné la société BMC devant le tribunal de commerce de Marseille.

Par jugement du 3 mars 2015, le tribunal de commerce de Marseille :

- s'est déclaré territorialement compétent,

- a condamné la société BMC à payer à la société BTB la somme de 287 610,41 euros au titre de la rupture fautive,

- a condamné la société BMC à payer à la société BTB la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 et aux dépens,

- a ordonné l'exécution provisoire.

La société BMC a formé appel devant la présente cour par déclaration au greffe du 8 avril 2016.

Par un jugement du tribunal de commerce de Mont-de-Marsan du 16 septembre 2016, la société BMC a été placée en liquidation judiciaire et Me Y a été désigné comme mandataire liquidateur.

La clôture a été ordonnée le 4 juin 2019.

Vu les conclusions du 22 février 2018 par lesquelles la société BMC, représentée par Me Y, ès qualités de liquidateur judiciaire, appelante, invite la cour, au visa des articles 1134 et 1165, 1121 du Code civil, 9 du Code de procédure civile, L. 420-1 et suivants et L. 442-6 du Code de commerce, à :

In limine litis :

- se déclarer compétente pour trancher le litige,

Sur le fond, à titre principal,

- débouter la société BTB de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- infirmer le jugement en ce qu'il a retenu l'existence d'une stipulation pour autrui,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société BMC à l'indemniser du fait de la rupture du contrat de franchise du 31 juillet 2007,

À titre subsidiaire,

- dire que le préavis auquel pouvait prétendre la société BTB n'excède pas deux mois dans l'hypothèse où la cour retiendrait l'existence d'une rupture brutale et la responsabilité de la société BMC,

Enfin,

- condamner la société BTB à lui verser la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens ;

Vu les conclusions du 27 mai 2019 par lesquelles la société BTB demande à la cour, au visa des articles 1134 et suivants du Code civil et L. 442-3, L. 442-6 du Code de commerce, de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement en ce qu'il a condamné la société BMC à lui payer la somme de 287 610,41 euros à titre de dommages et intérêts,

- débouter la société BMC de l'ensemble de ses demandes,

- fixer la créance de la société BTB au passif de la société BMC à la somme de 287 610,41 euros,

À titre subsidiaire,

- fixer la créance de la société BTB au passif de la société BMC à la somme de 95 870,14 euros en raison de la rupture sans préavis des relations commerciales établies,

Enfin,

- condamner la société BMC à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens ;

SUR CE, LA COUR,

La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

La cour relève que sa compétence pour statuer dans le cadre de ce litige sur l'appel du jugement du tribunal de commerce de Marseille du 3 mars 2015 n'est pas contestée.

Sur la rupture abusive du contrat

Me Y, ès qualités, fait valoir que la clause d'approvisionnement exclusif insérée dans le contrat de franchise, n'a pas été stipulée dans l'intérêt du fournisseur (la société BTB). Il explique que ces clauses sont imposées dans les contrats de franchise dans l'intérêt du franchiseur, pour protéger un savoir-faire. Il en conclut que la société BTB, ne pouvant être assurée de demeurer un des fournisseurs référencés, ne pouvait invoquer le bénéfice du terme convenu entre le franchiseur et le franchisé. Il relève que la société BTB ne rapporte pas la preuve que la clause d'approvisionnement exclusif aurait été stipulée dans l'intérêt de la société BTB. Il explique que la stipulation pour autrui ne peut être invoquée puisque ledit contrat de franchise prévoit expressément la possibilité, qu'en cours d'exécution du contrat, un nouveau fournisseur puisse supplanter la société BTB. Il allègue que la société BTB n'étant pas partie au contrat de franchise, celle-ci ne peut se prévaloir de ce dernier et de ses stipulations contractuelles. Il soutient subsidiairement que la société BTB était parfaitement informée de la fin du contrat de franchise conclu entre la société CDFI et elle. Il relève que la société BTB savait nécessairement que le contrat de fourniture dont elle était partie allait être rompu, et en déduit que, la rupture du contrat étant prévisible, la société BTB ne peut invoquer le caractère brutal de ladite rupture. Il explique aussi que la société BTB n'est pas fondée à invoquer un préavis supérieur à deux mois, la relation commerciale n'ayant duré que trois ans et que la société BTB n'était pas en situation de dépendance économique à son égard.

La société BTB réplique que la clause d'approvisionnement exclusif, présente dans le contrat de franchise, a été souscrite à son profit, de sorte qu'elle relève du régime de la stipulation pour autrui et a créé un contrat d'approvisionnement exclusif à durée déterminée entre les sociétés BTB et BMC. Elle fait valoir qu'en résiliant abusivement le contrat de franchise, la société BMC a également résilié abusivement ledit contrat d'approvisionnement exclusif. Elle relève que la résiliation revêt un caractère abusif, celle-ci ayant eu lieu 65 mois avant le terme du contrat, sans être justifiée par " l'urgence " ou une " gravité particulière ". Elle en déduit que la société BMC a commis une faute et lui a directement causé un préjudice.

Sur la stipulation pour autrui

La stipulation pour autrui est un contrat en vertu duquel une personne appelée stipulant demande à une autre personne, appelée promettant, de s'engager envers une troisième personne, le tiers bénéficiaire.

L'article 1165 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 dispose que " les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121 ". L'article 1121 dudit Code dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 prévoit que " on peut pareillement stipuler au profit d'un tiers lorsque telle est la condition d'une stipulation que l'on fait pour soi-même ou d'une donation que l'on fait à un autre. Celui qui a fait cette stipulation ne peut plus la révoquer si le tiers a déclaré vouloir en profiter ".

L'article 9.2.1.1 du contrat de franchise prévoit que :

" La franchise " Histoire de pains " allie la tradition, la qualité et l'authenticité à la modernité et la sécurité des nouvelles technologies. A ce titre, le franchiseur s'est rapproché d'un fournisseur la SA Boulangerie Tradition Biotechnologique qui a mis à disposition du réseau Histoire de Pains une importante structure industrielle. BTB a mis en place un process qui n'a actuellement pas d'équivalents dans le monde de la boulangerie industrielle lui permettant de fabriquer une gamme de pains traditionnels et spéciaux au levain naturel, produits élaborés suivant des méthodes modernes liées à la biotechnologie tout en respectant les traditions ancestrales. Cette gamme de produits agréés constitue un facteur de transmission du savoir-faire au franchisé et participe au développement de la notoriété, de la marque et de l'enseigne. La spécificité des produits fabriqués par BTB contribue à l'image et à l'identité du réseau du fait de leur originalité et de la qualité des produits fournis ".

L'article 9.2.1.2 dudit contrat énonce : " Par conséquent, le franchisé devra s'approvisionner exclusivement auprès de ce fournisseur concernant les gammes fabriquées par BTB qui figurent en annexe au présent contrat, laquelle annexe pourra être modifiée et complétée en fonction des exigences du marché et de son environnement propre. Le franchisé envisage pour sa part de n'acheter les produits qu'auprès du fournisseur agréé par le franchiseur, en vue de les proposer à la revente aux consommateurs, exclusivement dans les points de vente visé au contrat. Le franchiseur s'engage à fournir périodiquement les conditions générales de vente du fournisseur agréé ainsi que les conditions particulières consenties au franchisé ".

L'article 9.2.1.3 dudit contrat précise que " - Si le franchisé trouve un autre fournisseur proposant des produits à des conditions de prix inférieures à celles proposées par le fournisseur référencé et à des conditions de qualité égale à celles des produits référencés, le franchisé a l'obligation de communiquer au franchiseur les références audit fournisseur et son cahier des charges (prix du produit, qualité, conditions de livraison...) afin que le franchiseur examine la possibilité d'un référencement de ce dossier, dans l'intérêt du réseau "Histoire de Pains ".

En l'espèce, les termes du contrat de franchise précisent que la société CDFI a demandé à la société BMC de s'engager à se fournir exclusivement auprès de la société BTB s'agissant des produits de la gamme fabriqués par cette dernière. Il existe donc une volonté manifeste de la part des parties de faire naître au profit de la société BTB un droit contre la société BMC, que ce droit est né dès l'accord intervenu entre CDFI et BMC, peu important la faculté du franchisé de proposer un autre fournisseur.

La cour relève d'ailleurs que le contrat de franchise a été exécuté et que la société BMC a passé commande à la société BTB pendant toute la durée d'exécution dudit contrat par elle.

Enfin, c'est de manière inopérante que la société BMC invoque les conditions générales de vente (CGV) de la société BTB, qui ne mentionnent aucun terme, en ce que le contrat de franchise prévoit une stipulation pour autrui à son bénéfice concernant la durée notamment de l'engagement, que les CGV sont complémentaires du contrat de franchise pour constituer l'ensemble juridique liant les société BMC et BTB, le contrat de franchise renvoyant d'ailleurs aux CGV des fournisseurs référencés.

Dans ces conditions, la durée du contrat de franchise doit bénéficier également à la société BTB.

Sur la validité de la clause d'approvisionnement exclusif

Aux termes du règlement 2790/1999 de la Commission du 22 décembre 1999, l'obligation de non-concurrence est définie comme " toute obligation directe ou indirecte interdisant à l'acheteur de fabriquer, d'acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services qui sont en concurrence avec des biens ou services contractuels ou toute obligation directe ou indirecte imposant à l'acheteur d'acquérir auprès du fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou services contractuels et en biens et services substituables sur le marché " pertinent.

En l'espèce, la clause d'approvisionnement insérée dans le contrat de franchise est au sens de ce texte une clause de non-concurrence : en effet, la société BMC ne pouvait acheter les produits qu'auprès du fournisseur agréé par le franchiseur en vue de les proposer à la revente aux consommateurs, exclusivement dans le point de vente visé au contrat.

L'article 2 du règlement 2790/1999 précise que l'exemption prévue en point 1 de l'article 2 s'applique aux restrictions verticales. L'article 5 de ce règlement précise que l'exemption de l'article 2 ne s'applique pas à toute obligation directe ou indirecte de non-concurrence, dont la durée est indéterminée ou dépasse cinq ans. En l'espèce, il doit être constaté que la durée de l'obligation d'approvisionnement qui n'est pas précisée, est, à tout le moins, supérieure à cinq ans, si sa durée doit être celle du contrat de franchise fixée à neuf années.

Toutefois, en matière de franchise des exemptions individuelles sont possibles, dès lors que ces clauses sont indispensables pour empêcher que le savoir-faire transmis et l'assistance apportée par le franchiseur profitent à des concurrents. En outre, les produits BTB dont l'approvisionnement exclusif est imposé au franchisé, constituent, selon les termes du contrat, " un facteur de transmission du savoir-faire au franchisé et participe au développement de la notoriété, de la marque et de l'enseigne ", et " la spécificité des produits fabriqués par BTB contribue à l'image et à l'identité du réseau du fait de leur originalité et de la qualité des produits fournis ".

Dès lors, elles ne constituent pas des restrictions de concurrence susceptibles d'être sanctionnées au titre de l'article 101 du TFUE et de l'article L. 420-1 du Code de commerce. Il en va de même de celles qui organisent le contrôle indispensable à la préservation de l'identité et de la réputation du réseau symbolisé par l'enseigne, en ce que la clause d'approvisionnement exclusif imposée aux franchisés est nécessaire pour disposer chez chacun d'eux d'une uniformité de qualité et de goût des produits fabriqués selon un cahier des charges et un procédé propre à la société BTB, et que cette clause constitue ainsi un élément décisif pour l'image et l'identité du réseau de franchise.

Dans ces conditions, la clause d'approvisionnement exclusif est valide.

Sur l'indemnisation du préjudice subi

Il n'est pas contesté qu'il restait 65 mois du contrat de franchise à exécuter, pendant lesquels la société BMC aurait commandé ses produits auprès de la société BTB, si la première avait continué à exécuter ledit contrat à durée déterminée jusqu'à son terme.

S'agissant d'un contrat à durée déterminée qui a été résilié par la société BMC sans invoquer de griefs ou de motifs à l'égard du franchiseur, celle-ci est tenue d'indemniser la société BTB au titre de la marge perdue pendant toute la durée restante dudit contrat.

La cour relève que Me Y, ès qualités, ne conteste pas le chiffre d'affaires ni le taux de marge invoqué par la société BTB, de sorte qu'il y a lieu de retenir le chiffre d'affaires mensuel perdu d'un montant de 8 642,14 euros HT et le taux de marge de 51,20 %, pour calculer la marge perdue pendant les 65 mois de contrat restant à exécuter.

Dès lors, le préjudice de la société BTB est de 287 610,41 euros. Le jugement sera confirmé sur ce point, mais infirmé en ce qu'il a condamné la société BMC à payer à la société BTB la somme de 287 610,41 euros au titre de la rupture fautive, la société BMC ayant été placée en liquidation judiciaire entre-temps, de sorte qu'il y a lieu de fixer la créance de la société BTB au passif de la société BMC à la somme de 287 610,41 euros.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Me Y, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société BMC, sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à la société BTB la somme supplémentaire de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande formulée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par Me Y, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société BMC.

Par ces motifs LA COUR, Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société BMC à payer à la société BTB la somme de 287 610,41 euros au titre de la rupture fautive, L'infirmant sur ce point ; Statuant à nouveau ; Fixe la créance de la société BTB au passif de la société BMC à la somme de 287 610,41 euros ; Y ajoutant ; Condamne Me Y, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société BMC, aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à la société BTB la somme supplémentaire de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Rejette toute autre demande.