CA Pau, 2e ch. sect. 1, 13 août 2019, n° 18-01237
PAU
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Draguicha (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Morillon
Conseiller :
M. Magnon
Avocats :
Mes Canlorbe, Tugas
Exposé des faits et procédure :
La G A, dont le gérant est Monsieur B E X, et Monsieur D Y exploitent tous les deux un commerce ambulant sur le marché de Vieux Boucau, à proximité immédiate l'un de l'autre.
Monsieur D Y a une activité de vente de charcuterie espagnole sur ce marché depuis 1995 et la G A de vente de produits locaux, canards, foie gras et conserves sous l'enseigne Bordevielle depuis 2012.
Se plaignant du comportement de son voisin qui détournerait sa clientèle au profit d'autres commerçants du marché, par acte d'huissier du 15 novembre 2016, la G A et Monsieur B E X ont fait assigner Monsieur D Y devant le tribunal de commerce de Dax aux fins de le voir condamner au paiement de la somme de 50 000 au profit de la G A et celle de 10 000 au profit de Monsieur B E X, outre le paiement d'une somme de 2 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et les entiers dépens.
Par jugement du 20 mars 2018, auquel il y a lieu de se reporter pour un plus ample exposé des faits et des prétentions initiales des parties, le tribunal de commerce de Dax a :
- déclaré Monsieur D Y mal fondé en sa demande de sursis à statuer et l'en a débouté,
- débouté la G A et Monsieur B E X de leurs demandes de condamnation en paiement de Monsieur D Y,
- condamné solidairement la G A et Monsieur B E X à payer à Monsieur D Y la somme de 5 000 pour préjudice moral,
- condamné solidairement la G A et Monsieur B E X à payer à Monsieur D Y la somme de 3 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- rejeté les autres demandes soulevées par les parties,
- condamné solidairement la G A et Monsieur B E X aux dépens de l'instance.
Par déclaration en date du 16 avril 2018, la SARL Draguicha et Monsieur B E X ont relevé appel de ce jugement.
La clôture est intervenue le 10 avril 2019.
Prétentions et moyens des parties :
Par conclusions notifiées le 16 juillet 2018 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la G A et Monsieur B E X demandent de :
vu les dispositions de l'article 1382 du Code civil,
- réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu,
En conséquence,
- condamner Monsieur D Y au paiement de la somme de 50 000 au profit de la G A et celle de 10 000 au profit de Monsieur B E X,
- débouter Monsieur D Y de sa demande de sursis à statuer et de celle reconventionnelle,
- condamner Monsieur D Y au paiement de la somme de 3 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- le condamner aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées le 30 octobre 2018 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, Monsieur D Y demande, au visa de l'article 1240 (ancien 1382) du Code civil, de :
- dire et juger irrecevable Monsieur B E X en ses demandes,
- débouter la G A et Monsieur B E X de l'ensemble de leurs demandes,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la G A et Monsieur B E X de leur action en concurrence déloyale et de leurs demandes de condamnation en paiement dirigées à son encontre,
- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier et commercial,
Par conséquent,
- condamner solidairement et in solidum la G A et Monsieur B E X à lui verser la somme de 100 000 de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier subi en raison des actes de concurrence déloyale commis à son encontre,
- confirmer le jugement rendu en ce qu'il a reconnu l'existence de son préjudice moral,
- infirmer le jugement rendu en ce qu'il a limité le montant de la réparation de ce préjudice à la somme de 5 000 ,
Par conséquent,
- condamner solidairement et in solidum la G A et Monsieur B E X à lui verser la somme de 10 000 de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi,
- confirmer le jugement rendu en ce qu'il a condamné la G A et Monsieur B E X à lui payer la somme de 3 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et condamné les mêmes aux dépens de l'instance,
Y ajoutant,
- condamner solidairement et in solidum la G A et Monsieur B E X à lui verser la somme de 4 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel et aux entiers dépens d'appel.
Au-delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessus.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la demande principale en responsabilité pour faute
La G A et Monsieur B E X fondent leurs demandes sur les dispositions de l'article 1382 du Code civil, devenu 1240 depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, qui prévoient que " tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ".
Il appartient donc à celui qui se prétend victime de rapporter la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité direct entre cette faute et le dommage subi.
La G A reproche à Monsieur D Y d'avoir usé de manœuvres pour détourner la clientèle de son voisin au profit d'autres marchands, tout en précisant que ce dernier ne vend pas de produits concurrentiels. Elle évoque également des faits de dénigrement systématique de la qualité de ses produits.
Il convient de rappeler qu'une action en responsabilité pour concurrence déloyale suppose que soit démontrée l'existence d'une activité concurrente et l'appropriation par l'auteur des actes reprochés d'une partie de la clientèle de la victime aux moyens de procédés déloyaux.
Les actes reprochés à Monsieur D Y ne peuvent revêtir la qualification d'actes de concurrence déloyale, même s'ils peuvent apparaître inappropriés dans le cadre des relations courtoises que devraient normalement entretenir les commerçants entre eux. Le simple fait de préciser à ses clients que le voisin 'n'est pas un producteur' de foie gras ou de conseiller à ses propres clients de s'adresser à un vendeur qu'il connaît sur le marché, n'est pas en soi susceptible d'être qualifié de comportement fautif pouvant engendrer une responsabilité particulière de son auteur au titre de la concurrence déloyale.
En outre, les faits dénoncés par la G A et Monsieur B E X sont contredits par les témoignages et documents produits par Monsieur D Y. En effet, chacune des parties verse aux débats de très nombreuses attestations et des constats d'huissier qui, compte tenu de leurs teneurs contradictoires, ne permettent pas à la cour d'en tirer quelque conséquence que ce soit.
En tout état de cause, la G A ne rapporte pas la preuve d'un préjudice en lien de causalité direct et certain avec les agissements qu'elle reproche à Monsieur D Y. En effet, le tableau d'évolution des ventes est un document que la G A s'est constituée à elle-même et qui n'a donc aucune valeur probante. Par ailleurs, l'attestation de l'expert-comptable en date du 19 octobre 2016, si elle fait bien état d'une perte de 25 % du chiffre d'affaires HT réalisé sur le marché de Vieux Boucau comparé à l'exercice précédent ne permet pas d'en attribuer l'origine à Monsieur D Y, alors surtout que le chiffre d'affaires du magasin de Vieux Boucau a fortement progressé ce qui traduit un report de la clientèle vers cette structure. Dans tous les cas, la baisse d'un chiffre d'affaires peut avoir des explications multifactorielles et ce document ne permet pas de faire le lien avec l'attitude reprochée à Monsieur D Y.
Par conséquent, en l'absence de démonstration d'un préjudice en lien direct et certain avec les agissements reprochés à Monsieur D Y, la G A et Monsieur B E X seront déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts.
Au surplus, aucun des éléments produits ne permet d'imputer à Monsieur D Y la responsabilité de l'arrêt de travail de Monsieur B E X entre le 20 septembre 2016 et le 2 octobre 2016, le document médical versé aux débats ne donnant aucune précision sur les raisons de cet arrêt.
Par conséquent en l'absence de démonstration d'un préjudice personnel résultant pour lui des faits reprochés à Monsieur D Y, il sera débouté de sa demande d'indemnisation de son préjudice moral.
Sur la demande reconventionnelle de Monsieur D Y
Monsieur D Y formule une demande reconventionnelle de dommages et intérêts en raison de l'attitude de Monsieur B E X qui cherche à lui nuire et l'empêche d'exercer librement son activité professionnelle.
Cependant, il ne fournit aucun élément tangible permettant de caractériser une faute de la G A de nature à engager sa responsabilité. Ainsi, la complaisance dont Monsieur B E X bénéficierait de la part de la Mairie n'est pas caractérisée. Il ne peut en effet être tenu responsable de la décision de la municipalité de déplacer le stand de Monsieur D Y, la décision de placement de la Mairie étant discrétionnaire. La description d'une attitude narquoise ou le passage répété devant le stand de Monsieur D Y n'est pas non plus de nature à caractériser un comportement fautif de Monsieur B E X, même si celui-ci a pu interpréter cette attitude de manière subjective comme signe de provocation, alors qu'aucune parole n'a été échangée.
Par ailleurs, il prétend que la G A et Monsieur B E X sont en infraction avec le règlement du marché parce qu'ils ont proposé des marchandises qui n'avaient pas été autorisées par la Mairie. Cependant, il ne rapporte pas la preuve de ce que la G A a enfreint les règles du marché ni de l'absence d'autorisation de la Mairie pour lui permettre de vendre de la charcuterie. Il convient de rappeler que le libre jeu de la concurrence est un principe qui fait l'objet d'une protection importante y compris au niveau européen et que de tels actes ne sont pas de nature à entraîner la responsabilité de leur auteur, pourvu qu'aucun moyen déloyal ne soit employé.
En l'espèce, le fait d'exercer une activité concurrente à proximité sur un marché ne suffit pas à caractériser des faits de concurrence déloyale.
Monsieur D Y ne justifie par aucune pièce comptable certifiée de la perte financière qu'il invoque, l'expert-comptable précisant qu'il n'a pas pu opérer de vérification des chiffres figurant dans les tableaux qui lui ont été remis par Monsieur D Y.
L'existence d'une animosité flagrante entre deux commerçants n'est pas de nature à justifier l'indemnisation d'un préjudice moral. Les faits d'injures raciales sont traités dans le cadre d'une instance pénale et la cour ne dispose pas de témoignages neutres émanant de personnes extérieures, susceptibles de caractériser de tels faits.
Par conséquent, Monsieur D Y sera débouté de sa demande reconventionnelle et le jugement réformé sur ce point.
Sur les frais et dépens
Chacune des parties succombant dans ses demandes, les dépens seront partagés par moitié entre elles et l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du Code de procédure civile au bénéfice de l'une ou l'autre des parties.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme le jugement en ce qu'il a débouté la G A et Monsieur B E X de leurs demandes, L'Infirme pour le surplus et statuant à nouveau, Déboute Monsieur D Y de ses demandes reconventionnelles, Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires, Ordonne le partage des dépens de première instance et d'appel, par moitié entre les parties, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, Autorise les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement ceux de dépens d'appel dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.