CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 30 août 2019, n° 16-19305
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Pacific Diffusion (SARL)
Défendeur :
CDHC Productions (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bedouet
Conseillers :
Mmes Comte, Schaller
Avocats :
Mes Grappotte Benetreau, Jallet, Ortolland, Buffet
FAITS ET PROCÉDURE
La société CDHC Productions, anciennement dénommée Duvivier Productions, est spécialisée dans la fabrication de sièges et mobiliers d'intérieur haut de gamme qu'elle commercialise sous la marque "Duvivier" soit auprès de distributeurs indépendants, soit dans des magasins intégrés à l'enseigne Home Contemporain.
La société Pacific Diffusion exerce l'activité de commerce de meubles et tous travaux et études d'agencement, conception et de décoration d'intérieur.
Le 2 janvier 2003, les parties ont signé un contrat de distribution sélective d'une durée d'un an, renouvelable une année.
Les relations se sont néanmoins poursuivies au-delà du terme du contrat. Les parties ont toutefois signé un nouveau contrat de distribution sélective le 10 janvier 2011.
Ce contrat prévoyait notamment l'obligation de communiquer au moins deux fois par an avec les visuels et documents publicitaires mis à sa disposition par Duvivier outre un objectif minimum annuel de 30 000 euros en contrepartie de l'exclusivité territoriale qui lui était consentie sur le département 37 (Indre et Loire).
Le 28 janvier 2015, la société Duvivier Productions a dénoncé, par lettre recommandée avec accusé de réception, le contrat de distribution au motif que la société Pacific Diffusion n'a pas respecté ses obligations de communication avec les visuels Duvivier au minimum deux fois par an et n'a pas atteint l'obligation de chiffre d'affaires minimum de 30 000 euros.
C'est dans ces conditions que la société Pacific Diffusion a assigné la société Duvivier Productions devant le tribunal de commerce de Rennes s'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies.
Par jugement du 21 avril 2016, le tribunal de commerce de Rennes a :
- débouté la société Pacific Diffusion de l'ensemble de ses demandes fins et moyens,
- enjoint à la société Pacific Diffusion de cesser tout usage de la marque Duvivier Productions sous astreinte de 75 euros par jour de retard, 15 jours après la date de signification du jugement,
- condamné la société Pacific Diffusion à payer à Duvivier Productions la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Pacific Diffusion aux entiers dépens.
Par déclaration au greffe du 26 septembre 2016, la SARL Pacific Diffusion a relevé appel du jugement.
Vu les dernières conclusions de la SARL Pacific Diffusion, appelante, notifiées le 17 mai 2019, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, 1134 du Code civil et 700 du Code de procédure civile de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- déclarer irrecevables ou à défaut mal fondées les demandes concernant l'utilisation de la marque et renvoyer la société CDHC Productions anciennement dénommée Duvivier Productions à se pourvoir éventuellement devant le tribunal de grande instance de Paris.
- constater l'existence d'une relation commerciale établie entre la société Pacific Diffusion et la société Duvivier Productions, venant aux droits de la société CDHC,
- dire que la société CDHC Productions anciennement dénommée Duvivier Productions a rompu brutalement ses relations commerciales avec Pacific Diffusion,
En conséquence,
- condamner la société CDHC Productions anciennement dénommée Duvivier Productions à payer à la société Pacific Diffusion la somme de 81 678,72 euros à titre de dommages et intérêts outre 8 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
- condamner la société CDHC Productions anciennement dénommée Duvivier Productions aux dépens dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions de la SARL CDHC Productions anciennement dénommée Duvivier Productions, intimée, déposées et notifiées le 9 mai 2019, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire et juger la société Pacific Diffusion recevable mais mal fondée en son appel, l'en débouter et la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes le 21 avril 2016 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- condamner la société Pacific Diffusion à payer à la société CDHC Productions la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens tant de première que d'appel, dont distraction au profit de la SEP Ortolland, avocat, dans les conditions de l'article 699 du Code civil,
SUR CE, LA COUR
Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :
" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".
Une relation commerciale " établie " présente un caractère " suivi, stable et habituel " et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.
Sur le caractère établi de la relation
La société Pacific Diffusion considère que les relations commerciales avec l'intimée étaient régulières et suivies depuis septembre 1998.
Toutefois " l'historique Fournisseur Canapés Duvivier " qu'elle verse aux débats (pièce n° 7) ne permet nullement d'établir l'existence d'un flux continu et régulier d'affaires entre les parties dès cette date.
La société CDHC Productions conclut, sans être démentie, à l'existence d'une relation commerciale établie à compter du mois de juin 2002, soit quelques mois avant la signature du premier contrat de distribution.
Aucune pièce ne démontrant l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties antérieurement à cette période, il convient de dire qu'elle constitue le point de départ de la relation commerciale ayant existé entre les parties, le caractère établi de la relation à compter de cette date n'étant pas contesté.
Sur la fin des relations commerciales
Le 28 janvier 2015, la société Duvivier Productions a adressé au dirigeant de la société Pacific Diffusion une lettre recommandée avec accusé de réception ainsi rédigée :
" Monsieur,
Nous constations que vous ne remplissez plus les conditions pour être distributeur de la marque Canapés Duvivier :
- communiquer au minimum 2 fois par an avec les visuels et documents publicitaires Canapés Duvivier,
- chiffres d'affaire minimum : 30 000 euros,
En conséquence, conformément aux dispositions de notre contrat de distribution, nous mettons fin en date du 31 décembre 2014 aux accords de distribution qui nous liaient.
(...) "
Il apparaît en conséquence que les relations commerciales entre les parties ont duré du mois de juin 2002 au 31 décembre 2014, l'intimée soutenant en vain que l'appelante a bénéficié d'un préavis de deux mois au seul motif qu'elle a honoré, postérieurement à la lettre de rupture deux commandes qu'elle avait effectuées auprès d'elle.
Sur les conditions de la rupture de la relation
La société CDHC Production fait valoir que la rupture des relations commerciales est justifiée par l'inexécution de ses obligations par la société Pacific Diffusion en ce qu'elle n'a pas respecté le chiffre d'affaires minimum annuel convenu ainsi que son obligation contractuelle de communication commerciale, et en ce qu'elle a proposé à la vente sur son site internet des produits concurrents de ceux vendus par Duvivier (Canapés Neology et Tacchini).
L'article 4 du contrat de distribution signé le 10 février 2011 prévoit en son article 4 qu'" un objectif minimum de vente annuel est fixé " et que pour 2011 cet objectif est fixé à 30 000 euros.
Les parties ne contestent pas que les stipulations contractuelles et notamment ledit article ont régi les relations commerciales les liant, jusqu'à leur rupture.
Par ailleurs il s'induit de la lettre du 28 janvier 2015 et des écritures de la société Duvivier Productions que cette dernière reproche à la société Pacific Diffusion de ne pas avoir atteint ses objectifs chiffrés pour l'année 2014.
La société Pacific Diffusion verse toutefois aux débats l'ensemble des factures d'achats qu'elle a effectués auprès de l'intimée pour l'année 2014 dont le montant total, s'établit à 29 735,85 euros.
Cette somme, à peine inférieure à 30 000 euros, ne saurait justifier une rupture sans préavis des relations commerciales établies puisque que l'objectif minimum annuel de vente est presque atteint pour l'année 2014 et que, dès lors le grief formulé de ce chef par l'intimé ne constitue pas une faute d'une gravité suffisante.
L'intimée soutient encore que la société Pacific Diffusion n'a pas respecté l'engagement qu'elle avait souscrit d'assurer la communication indispensable à la vente de ses produits haut de gamme.
L'article 2.6 du contrat stipule que le distributeur s'engage à communiquer au minimum 2 fois par an avec les visuels et documents publicitaires mis à sa disposition par Y F
La société CDHC se fonde, sur la diminution du chiffre d'affaire de la société Pacific Diffusion au cours de l'année 2014, sur le nombre de catalogues publicitaires élaborés par ses soins, en possession de Pacific Diffusion, lors de la rupture du contrat, ainsi que sur l'absence de participation du dirigeant de Pacific Diffusion à deux salons ainsi qu'à des réunions pour en déduire qu'elle n'a pas respecté ses obligations contractuelles.
L'appelante rétorque qu'elle a reçu, pour l'année 2014, 3 cartons complets de catalogues émanant de Duvivier Distribution ce qui explique le nombre de ceux qui ont été retrouvés.
Le nombre de catalogues en possession de l'appelante est en tout état de cause insuffisant à démontrer que la société Pacific Diffusion n'a pas respecté son obligation contractuelle de communication des documents mis à sa disposition par Duvivier Diffusion.
Il en va de même de l'affirmation, au demeurant non contestée, selon laquelle M. X, dirigeant de Pacific Diffusion, n'a pas voulu se déplacer aux salons " Esprit du meuble " et " Maison et Objet ".
Aucune pièce des débats ne vient étayer le grief de la société CHC Production.
Aucune lettre de mise en demeure n'a par exemple été envoyée à la société Pacific Distribution pour lui rappeler ses obligations contractuelles, contrairement à ce que prévoit pourtant l'article 6 du contrat de distribution en cas de manquement du distributeur à l'une de ses obligations.
Enfin, l'attestation de la responsable du service client de la société Duvivier Productions selon laquelle M. X a refusé les rendez-vous proposés avec l'attaché commercial de cette dernière n'est pas davantage opérant à démontrer le grief invoqué. Il n'est donc pas établi.
L'intimée soutient enfin que l'appelante a vendu des produits concurrents, en violation des stipulations contractuelles.
L'article 2.5 du contrat de distribution de février 2010 prévoit que le distributeur s'engage à ne pas vendre de sièges de salon en cuir autres que ceux de la marque Canapés Duvivier et de la marque Buron. Il ajoute que tout nouveau fournisseur de salons en cuir devra faire l'objet d'un accord préalable de F
L'attestation de M. Y (pièce n° 14 de CDHC Productions) attaché commercial de la société Duvivier qui indique que " Pacific Diffusion proposait à sa clientèle des produits concurrents aux notres (Neology) pendant la durée du contrat de concessionnaire qui le liait à la société Canapés Duvivier " est insuffisante à elle seule à étayer les affirmations de son employeur.
Par ailleurs, l'extrait du site internet de la société Pacific Diffusion versé aux débats par l'intimée (Pièce n° 18), sur lequel apparaît l'offre à la vente de canapés Tacchini et Neology, est daté du 21 janvier 2016, soit postérieurement à la résiliation du contrat de distribution, de sorte que cette dernière ne peut invoquer une violation de la clause d'exclusivité d'un contrat résilié à son initiative.
Enfin la pièce n° 10 produite par la société CDHC Productions, dont une page fait référence à un site internet sur lequel sont offerts à la vente des canapés Neology, Tacchini et des produits " Presotto ", ne fait nullement apparaître qu'il s'agit de celui de la société Pacific Edition, alors que les pages qui portent la référence du site de la société Pacific Diffusion ne font, elles, référence qu'à la vente des canapés F
Ainsi il n'est nullement établi que l'appelante a commis des fautes qui justifient la rupture des relations commerciales ayant existé entre les parties, sans préavis.
Sur la brutalité
Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures. L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé avec l'auteur de la rupture, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire sur le marché de rang équivalent.
En l'espèce, au vu de l'ancienneté de la relation commerciale et du chiffre d'affaires réalisé par la société Pacific Diffusion avec la société Duvivier Distribution en 2012, 2013 et 2014 tel qu'il résulte des écritures de l'appelante et de la pièce n° 15 de l'intimée pour des montants identiques s'élevant respectivement à 57 700, 74 903 et 34 148 euros, il convient de dire que la société Pacific Diffusion aurait dû bénéficier d'un préavis d'une durée de 6 mois.
La rupture des relations commerciales par la société CDHC a donc été brutale.
Sur l'indemnisation du préjudice
Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé.
La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée, sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.
Le chiffre d'affaires pris en compte correspond à la moyenne des trois derniers exercices.
Au vu des pièces versées aux débats, et alors que les parties s'accordent sur le chiffre d'affaires servant de base à l'indemnisation, la cour retient pour évaluer le préjudice, le calcul effectué par la société CDHC, au demeurant non contesté en son montant, qui tient compte non pas la marge brute mais la marge sur coûts variables qui s'élève à 16 885 euros pour 2012, 46 170 euros pour 2013 et 23 066 euros pour 2014 soit une moyenne annuelle de 38 420,33 euros.
Dès lors le préjudice indemnisable de la société Pacific Diffusion correspond à 4 mois de perte de marge dès lors que la société Pacific Diffusion ne conteste pas que les commandes passées auprès de Duvivier Diffusion ont continué à être honorées deux mois après la rupture de la relation commerciale.
Il s'établi à la somme de 38 420,33 euros / 12 x 4 soit 12 806,77 euros.
La société CDHC Productions sera condamnée au paiement de cette somme.
Sur l'interdiction de l'usage de la marque
C'est à bon droit que le tribunal a enjoint à la société Pacific Diffusion de cesser tout usage de la marque Duvivier sous astreinte de 75 euros par jour de retard 15 jours après la date de signification du jugement dès lors qu'il est établi qu'en janvier 2016, elle présentait des canapés Duvivier à la vente sur son site internet, alors que le contrat de distribution était rompu et qu'elle ne pouvait plus faire usage de cette marque.
C'est vainement que la société Pacific Diffusion invoque l'irrecevabilité de cette demande, arguant de la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris pour se faire en se fondant sur les dispositions des articles L. 716-3 et R. 211-7 du Code de la propriété intellectuelle dès lors que la dite demande ne rentre pas dans ses prévisions puisqu'il ne s'agit pas d'une demande relative à une marque au sens du dit texte.
Sur les autres demandes
Le sens de l'arrêt conduit la cour à infirmer les dispositions du jugement sur les frais irrépétibles et les dépens et à condamner la société CDHC à payer à la société Pacific Diffusion la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle sera en outre condamnée aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés directement, apr application de l'article 699 du Code de procédure civile, au profit de la SEP Ortolland.
Par ces motifs LA COUR, Infirme le jugement sauf en ce qu'il a enjoint à la société Pacific Diffusion de cesser tout usage de la marque Duviviver sous astreinte de 75 euros par jour, 15 jours après la date de sa signification, statuant à nouveau, Dit que la société CDHC Productions a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société Pacific Diffusion, La Condamne de ce chef à payer à payer à la société Pacific Diffusion la somme de 12 806,77 euros, Condamne la société CDHC Productions à payer à la société Pacific Diffusion la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, La Condamne aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés directement par la SEP Ortolland.