CA Montpellier, 2e ch., 23 juillet 2019, n° 16-08763
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Sodicob (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Prouzat
Conseillers :
Mmes Bourdon, Rochette
Avocats :
Mes Bertrand, Herri, Beauregard, Vacarie
FAITS ET PROCEDURE - MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
La SARL Sodicob, qui est un fabricant de volets roulants et de coffres préfabriqués, a signé le 1er janvier 1999, pour la commercialisation de ses produits, un contrat d'agent commercial avec X dont le secteur géographique correspondait alors au département de l'Aveyron, partagé d'un commun accord avec un salarié technico-commercial du mandant, et le département du Lot en exclusivité ; M. X, parti à la retraite, a cédé sa clientèle à Y à compter du 1er août 2002 ; par avenant au contrat en date du 15 février 2011, M. Y a renoncé à l'exclusivité dont il bénéficiait sur le département du Lot et il a été convenu que tout nouveau client sur les départements de l'Aveyron et du Lot sera affecté au commercial qui procède à l'ouverture de compte et qui prend la première commande.
Le 1er et le 4 juillet 2014, M. Y a été rendu destinataire de deux commandes de volets roulants de la part d'un client, la société menuiserie du Quercy ; parallèlement, une entreprise concurrente, la société Z, également fabricant de menuiseries, a fait parvenir, le 11 juillet 2014, à la société menuiserie du Quercy deux confirmations de commande n° 010506 et n° 010501 pour la fourniture de volets roulants, pour des montants TTC de 1 057,68 euros et 1 350 euros prévoyant, au titre des modalités de paiement, l'envoi d'un chèque à la commande, encaissable à 30 jours.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 4 août 2014, la société Sodicop a résilié pour faute grave le contrat d'agent commercial de M. Y au motif qu'elle ne l'avait pas autorisé à représenter une entreprise concurrente, comme la société Z, et qu'un tel agissement, prohibé par l'article L. 134-3 du Code de commerce, était constitutif d'un manquement au devoir de loyauté de l'agent commercial.
En réponse, M. Y a , par courrier du 27 août 2014, contesté avoir lui-même transmis à la société Z la commande du client, la société menuiserie du Quercy, prétendant que celui-ci avait passé deux fois la même commande à deux fabricants différents ; il sollicitait alors le versement d'une indemnité de préavis et une indemnité de rupture équivalente à deux ans de commission, outre le paiement des commissions dues ; il faisait valoir, dans ce courrier, que la société Sodicob avait elle-même manqué à ses obligations en faisant intervenir sur les départements de l'Aveyron et du Lot deux salariés commerciaux pour lui reprocher ensuite une insuffisance de résultats et en ne lui faisant parvenir, depuis plus de trois ans, aucune information commerciale, ni de supports d'aide à la vente.
Par exploit du 24 juillet 2015, M. Y a fait assigner la société Sodicob devant le tribunal de commerce de Rodez en paiement d'une somme de 20 000 euros à titre d'indemnité de préavis et d'indemnité de rupture, outre celle de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Le tribunal, par jugement du 18 octobre 2016, a condamné la société Sodicob à payer à M. Y la somme de 20 000 euros réclamée à titre d'indemnité de préavis et d'indemnité de rupture, la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; pour statuer comme il l'a fait, le premier juge a considéré que la preuve d'une faute grave commise par M. Y n'était pas rapportée, après avoir notamment relevé que la société menuiserie du Quercy connaissait la société Z antérieurement, que la commande litigieuse a été envoyée à la société Z mais qu'en définitive, c'est la société Sodicob qui a été retenue et que celle-ci n'a donc subi aucun préjudice.
La société Sodicob à régulièrement relevé appel, le 16 décembre 2016, de ce jugement en vue de sa réformation.
Dans les conclusions, qu'elle a déposées le 24 avril 2019 via le RPVA, elle demande à la cour, de dire et juger que M. Y, par son manquement à son devoir de loyauté et du fait de la violation de son obligation d'exclusivité contractuelle, a commis une faute grave exclusive de toute indemnité et qu'il doit donc l'indemniser pour le préjudice engendré du fait du non-respect du contrat et du détournement de clientèle ; elle conclut ainsi au rejet des prétentions élevées par M. Y et à sa condamnation à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient qu'en transmettant à la société Z, qui est une entreprise concurrente, deux commandes d'un client implanté dans le Lot, la société menuiserie du Quercy, M. Y a manqué à son obligation légale de loyauté et à son obligation contractuelle d'exclusivité, ce qui caractérise une faute grave de sa part privative d'indemnités de préavis de rupture, indépendamment de tout préjudice ; elle ajoute que les agissements de son ancien agent commercial lui ont causé un préjudice, puisque, outre la perte brute des marchés concernés, elle a également perdu la possibilité de renforcer sa représentation commerciale et a subi une dégradation de son image.
En l'état de ses conclusions déposées le 25 avril 2017 par le RPVA, M. Y sollicite de voir confirmer le jugement en toutes ses dispositions et condamner la société Sodicob à lui payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; il fait essentiellement valoir qu'il n'a jamais, contrairement à ce qui est affirmé, violé l'obligation de non concurrence contractuelle à laquelle il était tenu, que la commande de la société menuiserie du Quercy à hauteur de 1 057,68 euros a été finalement passée auprès de la société Sodicob laquelle n'a donc subi aucun préjudice, que ce client avait, par le passé, pris des commandes auprès de la société Z et que cette société, basée dans l'Hérault, n'est d'ailleurs pas véritablement un concurrent de la société Sodicob.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 22 mai 2019 ; postérieurement, M. Y a déposé, le 23 mai 2019 par le RPVA, de nouvelles conclusions.
MOTIFS DE LA DECISION :
Il n'est justifié d'aucune cause grave au sens de l'article 784 du Code de procédure civile, applicable par renvoi de l'article 907, de nature à justifier la révocation de l'ordonnance de clôture ; il y a donc lieu de déclarer irrecevables les conclusions de M. Y, déposées le 23 mai 2019, après clôture de l'instruction.
L'article L. 134-3 du Code de commerce dispose que l'agent commercial ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants sans l'accord de ce dernier ; selon l'article L. 134-4 du même Code, les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties et les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information ; enfin, il résulte de l'article L. 134-13 du Code de commerce que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due notamment lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.
Dans le cas présent, M. Y, dont le secteur de prospection correspondait aux départements de l'Aveyron et du Lot pour la commercialisation de volets roulants et coffres préfabriqués produits par la société Sodicob, s'était engagé contractuellement à ne prendre aucune autre représentation sans le consentement du mandant ; or, il résulte des pièces produites qu'un client implanté dans son secteur, la société menuiserie du Quercy ayant son siège à Saint Jean de Laur (Lot), lui a fait parvenir, le 1er juillet et le 4 juillet 2014, deux commandes de volets roulants pour deux chantiers distincts (Elie et école Saint Jo) et que ce client a été rendu destinataire, de la part d'une société concurrente, la société Z, de deux confirmations de commande en date du 11 juillet 2014 n° 010501 (chantier Elie) d'un montant TTC de 1 350 euros et n° 010506 (chantier école Saint Jo) d'un montant TTC de 1057,68 euros, prévoyant, au titre des modalités de paiement, un chèque à la commande, encaissable à 30 jours.
C'est bien M. Y qui a transmis les commandes de la société menuiserie du Quercy à la société Z, puisque, le 23 juillet 2014, cette société lui a adressé un courriel lui transmettant en pièces jointes les confirmations de commande pour les chantiers concernés (Élie et école Saint Jo) adressées le 11 juillet 2014 à la société menuiserie du Quercy et lui signalant être toujours dans l'attente des chèques pour le règlement des commandes, courriel que M. Y a fait suivre, le 24 juillet 2014, à M. W, le dirigeant de la société menuiserie du Quercy ; ces divers courriels, que M. W a fait parvenir à la société Sodicob, sont donc de nature à établir que M. Y, au mépris de son devoir de loyauté et de la clause de son contrat qui l'obligeait à ne prendre aucune autre représentation sans le consentement de son mandant, a effectivement exercé une activité de représentation pour le compte d'un concurrent direct de la société Sodicob ; M. W, dans un courrier du 30 octobre 2015 adressé à la société Sodicob, confirme d'ailleurs qu'il n'a, à aucun moment, passé de commande auprès de la société Z, qu'il a, en juillet 2014, commandé auprès de M. Y des produits pour le chantier de rénovation d'une école, qu'il a été surpris de voir arriver une demande de paiement émanant d'une société Z à laquelle M. Y avait transmis sa commande et que cette société lui a d'ailleurs demandé un paiement immédiat alors qu'elle disposait d'un compte auprès de Sodicob (sic).
Il importe peu que les commandes de la société menuiserie du Quercy de juillet 2014 aient été finalement exécutées par la société Sodicob, qui n'a donc perdu aucun chiffre d'affaires, ou que ce client ait pu, en novembre 2011, passer une commande, par l'intermédiaire de M. Y, pour une moustiquaire à enroulement auprès de la société Z, dans l'ignorance, comme il l'indique lui-même dans une attestation produite aux débats, que la société Sodicob fabriquait un tel produit ; ainsi, le fait pour M. Y d'avoir tenté de détourner un client implanté dans le secteur géographique démarché pour le compte de la société Sodicob au profit d'un concurrent direct, également fabricant de volets roulants et coffres préfabriqués, sans en avoir averti préalablement son mandant et obtenu son accord pour la représentation de cette société concurrente, caractérise un manquement de sa part à son devoir de loyauté et à son obligation contractuelle d'exclusivité, qui doit être regardé comme une faute grave privative de l'indemnité de préavis et de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 134-12 du Code de commerce ; le jugement entrepris doit dès lors être infirmé dans toutes ses dispositions.
Même si le comportement de M. Y est constitutif d'une faute grave, il ne peut être soutenu par la société Sodicob, alors que l'existence d'un détournement effectif de clientèle à l'origine d'une perte de chiffre d'affaires ne se trouve pas établie, que celle-ci a été privée de la possibilité de prendre les mesures appropriées afin de renforcer sa représentation commerciale sur le secteur exploité par son agent commercial et que son image commerciale a été dégradée auprès de ses clients ; le préjudice, dont elle sollicite l'indemnisation, ne se trouve donc pas caractérisé en sorte qu'il y a lieu de la débouter de sa demande incidente en paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Au regard de la solution apportée au règlement du litige, M. Y doit être condamné aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la société Sodicob la somme de 2 500 euros au titre des frais non taxables que celle-ci a dû exposer, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare irrecevables les conclusions de M. Y, déposées le 23 mai 2019, après clôture de l'instruction. Au fond, infirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Rodez en date du 18 octobre 2016 et statuant à nouveau, Déboute Y de l'ensemble de ses demandes dirigées à l'encontre de la SARL Sodicob, Déboute la société Sodicob de sa demande incidente en paiement de dommages et intérêts, Condamne M. Y aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la société Sodicob la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.